Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nîmes
Thématique : Prolongation de la rétention administrative : enjeux et procédures
→ RésuméContexte de l’affaireM. [R] [F] [D], de nationalité algérienne, a reçu un arrêté préfectoral le 28 juillet 2022 lui ordonnant de quitter le territoire français, avec une interdiction de retour de deux ans. Il a été interpellé le 2 novembre 2024 pour tentative de vol par effraction et placé en rétention administrative le 3 novembre 2024, afin d’exécuter la mesure d’éloignement. Prolongations de la rétentionLe magistrat du tribunal judiciaire de Nîmes a prolongé la rétention de M. [D] à plusieurs reprises, d’abord pour 26 jours le 6 novembre 2024, puis pour 30 jours supplémentaires le 3 décembre 2024. Une troisième prolongation de 15 jours a été ordonnée le 2 janvier 2025, suivie d’une quatrième le 16 janvier 2025, à laquelle M. [D] a fait appel le même jour. Arguments de M. [D] et de son avocatM. [D] a contesté la prolongation de sa rétention, arguant qu’il n’y avait pas de perspectives d’éloignement et qu’il ne représentait pas une menace pour l’ordre public. Son avocat a également souligné que son état de santé était incompatible avec la rétention, en raison de problèmes médicaux nécessitant des soins spécifiques. Réponse du Préfet et considérations judiciairesLe Préfet a demandé la confirmation de la prolongation de la rétention, invoquant des antécédents judiciaires de M. [D] comme preuve d’une menace pour l’ordre public. Le tribunal a examiné la recevabilité de l’appel et les moyens soulevés par M. [D], concluant que tous étaient recevables. Évaluation de la menace à l’ordre publicLe tribunal a noté que M. [D] avait été interpellé pour des infractions, ce qui justifiait la perception d’une menace pour l’ordre public. L’absence de condamnation pénale n’a pas été considérée comme un obstacle à cette évaluation, car les faits étaient établis par des procès-verbaux d’interpellation. État de santé de M. [D]Concernant l’état de santé de M. [D], le tribunal a jugé que les certificats médicaux fournis ne démontraient pas une incompatibilité avec la rétention. Bien que des soins de kinésithérapie aient été jugés importants, cela ne suffisait pas à établir une incompatibilité. Situation personnelle de M. [D]M. [D] ne disposait pas de documents d’identité ni d’une adresse stable en France, ce qui compliquait son retour dans son pays d’origine. Sa situation personnelle et son statut irrégulier justifiaient la prolongation de sa rétention administrative pour permettre son éloignement. Décision finaleLe tribunal a déclaré recevable l’appel de M. [D] mais a confirmé l’ordonnance de prolongation de sa rétention en toutes ses dispositions, rappelant les voies de recours possibles. |
Ordonnance N°53
N° RG 25/00055 – N° Portalis DBVH-V-B7J-JOKT
Recours c/ déci TJ Nîmes
16 janvier 2025
[D]
C/
LE PREFET DE [Localité 6]
COUR D’APPEL DE NÎMES
Cabinet du Premier Président
Ordonnance du 17 JANVIER 2025
(Au titre des articles L. 742-4 et L 742-5 du CESEDA)
Nous, Mme Marine KARSENTI, Conseillère à la Cour d’Appel de Nîmes, désignée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Nîmes pour statuer sur les appels des ordonnances du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l’Asile (CESEDA), assistée de Mme Ellen DRÔNE, Greffière,
Vu l’arrêté préfectoral ordonnant une obligation de quitter le territoire français en date du 28 juillet 2022 notifié le même jour, ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 03 novembre 2024, notifiée le même jour à 16h50 concernant :
M. [R] [F] [D]
né le 10 Octobre 1987 à [Localité 5]
de nationalité Algérienne
Vu l’ordonnance en date du 06 novembre 2024 rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative portant prolongation du maintien en rétention administrative de la personne désignée ci-dessus ;
Vu la requête reçue au greffe du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative le 15 janvier 2025
à 11h52, enregistrée sous le N°RG 25/00269 présentée par M. le Préfet de [Localité 6] ;
Vu l’ordonnance rendue le 16 Janvier 2025 à 11h31 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative sur quatrième prolongation, à titre exceptionnel qui a :
* Déclaré la requête recevable ;
* Ordonné pour une durée maximale de 15 jours commençant à l’expiration du précédent délai de 15 jours déjà accordé, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, de M. [R] [F] [D] ;
* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l’expiration d’un délai de 15 jours à compter du 17 janvier 2025 à 16h50 ;
Vu l’appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [R] [F] [D] le 16 Janvier 2025 à 15h15 ;
Vu l’absence du Ministère Public près la Cour d’appel de Nîmes régulièrement avisé ;
Vu la présence de Monsieur [N] [C], représentant le Préfet de Vaucluse, agissant au nom de l’Etat, désigné pour le représenter devant la Cour d’Appel en matière de Rétention administrative des étrangers, entendu en ses observations ;
Vu l’assistance de Monsieur [O] [X] interprète en langue arabe inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel de Nîmes ;
Vu la comparution de Monsieur [R] [F] [D], régulièrement convoqué ;
Vu la présence de Me Alexandre Rabih BARAKAT, avocat de Monsieur [R] [F] [D] qui a été entendu en sa plaidoirie ;
Déclare qu’il est opposé à un retour en Algérie pour des raisons médicales,
Sollicite l’infirmation de l’ordonnance et sa remise en liberté immédiate.
Son avocat fait valoir que l’état de santé de M. [D] est incompatible avec la mesure de rétention et qu’aucune perspective d’éloignement n’est établie vers l’Algérie.
Le Préfet requérant pris en la personne de son représentant demande la confirmation de l’ordonnance critiquée.
SUR LA RECEVABILITE DE L’APPEL :
L’appel interjeté par Monsieur [D] sur une ordonnance rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21 et R.743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il est donc recevable.
SUR LES MOYENS NOUVEAUX ET ÉLÉMENTS NOUVEAUX INVOQUÉS EN CAUSE D’APPEL :
L’article 563 du Code de Procédure Civile dispose que « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »
L’article 565 du même code précise : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».
Sauf s’ils constituent des exceptions de procédure, au sens de l’article 74 du code de procédure civile, les moyens nouveaux sont donc recevables en cause d’appel.
Pour être recevables en appel, les exceptions de nullité relatives aux contrôles d’identité, conditions de la garde à vue ou de la retenue et d’une manière générale celles tenant à la procédure précédant immédiatement le placement en rétention doivent avoir été soulevées in « limine litis » en première instance.
Le contentieux de la contestation de la régularité du placement en rétention (erreur manifeste d’appréciation de l’administration ou défaut de motivation) ne peut être porté devant la cour d’appel que s’il a fait l’objet d’une requête écrite au magistrat du siège de la première instance dans les 4 jours du placement en rétention, conformément aux dispositions de l’article R.741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’article L.743-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose en outre que « à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure ne peut être soulevée lors d’une audience ultérieure ».
En l’espèce, tous les moyens soulevés sont recevables.
SUR LE FOND :
L’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que, «A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »
L’article L.741-3 du même code dispose quant à lui qu’il appartient au juge judiciaire d’apprécier la nécessité du maintien en rétention et de mettre fin à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »
En l’espèce, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée, il appartient donc à l’administration sollicitant la prolongation d’établir que la délivrance des documents de voyage doit intervenir à bref délai.
En l’espèce, le consulat d’Algérie dont Monsieur [D] se déclare ressortissant, a été saisi d’une première demande d’identification et de laissez-passer consulaire dès le placement en rétention de M. [D], le 3 novembre 2024. Les autorités tunisiennes et marocaines ont également été saisies le 8 novembre 2024. Les autorités tunisiennes et marocaines ont répondu, respectivement le 26 décembre 2024 et le 27 novembre 2024, ne pas reconnaitre M. [D] comme un de leurs ressortissants. Les autorités algériennes répondaient le 9 janvier 2025 ne pas reconnaitre M. [D].
Malgré les diligences, le dynamisme et la bonne foi non contestée des services de la préfecture, qui ont saisi les autorités consulaires et procédé aux relances utiles, il y lieu de constater que les échanges avec les consulats ne permettent pas d’établir l’identité de l’intéressé.
L’administration ne peut donc se fonder sur le 3° de l’article L. 742-5 du code précité pour solliciter une prolongation.
Sur la menace à l’ordre public :
La requête préfectorale se fonde explicitement sur les dispositions susvisées de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoyant le cas de la menace à l’ordre public pour solliciter la quatrième prolongation de l’intéressé et a précisé les multiples mises en cause de l’intéressé.
La quatrième prolongation de la rétention administrative ne peut être ordonnée que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public.
La rédaction de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui prévoit plusieurs cas de prolongation exceptionnelle de la rétention, fait apparaître la menace à l’ordre public comme un motif autonome de prolongation.
L’emploi de l’adverbe « également » dans le dernier alinéa de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers indique que la menace à l’ordre public constitue un cas supplémentaire et indépendant de prolongation exceptionnelle de la rétention, s’ajoutant aux hypothèses énumérées aux 1° à 3°. Cette autonomie du motif tiré de la menace à l’ordre public permet au juge judiciaire d’ordonner la prolongation sur ce seul fondement, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’une des autres situations prévues par le texte. Dans le cadre spécifique d’une quatrième prolongation, cette menace est caractérisée dès lors qu’elle survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau est intervenu au cours de la dernière période de rétention. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace.
En l’espèce, M. [D] a été interpellé le 2 novembre 2024 pour des faits de tentative de vol avec effraction. Il a, dans cette procédure, été convoqué devant le tribunal correctionnel le 9 décembre 2024. Il a également été interpellé le 1er septembre 2024 à [Localité 4] pour des violences volontaires aggravées. Les procès-verbaux d’interpellation en flagrance de M. [D] en date du 2 novembre 2024 et du 1er septembre 2024 décrivent de façon circonstanciée la commission des infractions qui lui sont reprochées.
L’absence de condamnation pénale n’exclut pas la caractérisation d’une menace pour l’ordre public, particulièrement lorsque les faits sont établis par des procès-verbaux d’interpellation en flagrance dont les éléments matériels objectifs suffisent à démontrer la réalité des agissements reprochés et, en conséquence, la menace qu’ils constituent pour l’ordre public.
C’est donc à juste titre que le premier juge a relevé la menace à l’ordre public représentée par le comportement de l’intéressé qui a déjà fait l’objet de deux procédures pénales entre novembre 2024 et décembre 2024 et ne manifeste aucun signe de réhabilitation.
Ce motif suffit à ordonner la troisième prolongation au visa de l’article précité.
Sur l’état de santé de M. [D] :
Au motif de fond sur son appel, Monsieur [D] fait valoir que son état de santé est incompatible avec la rétention.
M. [D] produit un certificat médical daté du 22 novembre 2024 et rédigé par l’unité médicale du centre de rétention indiquant qu’il souffre d’une discopathie lombaire et que des séances de kinésithérapie seraient importantes. Le certificat précise que le centre de rétention ne dispose pas d’un kinésithérapeute.
Le certificat médical en date du 12 novembre 2024 puis du 22 novembre 2024 n’établit pas une incompatibilité de l’état de santé de M. [D] avec la rétention. M. [D] ne produit en outre aucune pièce relative à une prise en charge médicale ou para-médicale antérieure à son placement en rétention. Si la prise en charge par un kinésithérapeute est qualifiée « d’importante » à ce stade par le médecin, cette seule mention ne permet pas d’établir une incompatibilité de l’état de santé de M. [D] avec la rétention.
Il convient donc de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [D] :
Monsieur [D], présent irrégulièrement en France est dépourvu de passeport et de pièces administratives pouvant justifier de son identité et de son origine de telle sorte qu’une assignation à résidence judiciaire est en tout état de cause exclue par les dispositions de l’article L743-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il ne justifie de plus d’aucune adresse, ni domicile stables en France, ne démontre aucune activité professionnelle et ne dispose d’aucun revenu ni possibilité de financement pour assurer son retour dans son pays.
Il est l’objet d’une mesure d’éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le territoire français.
La prolongation de sa rétention administrative se justifie afin de procéder à son éloignement.
Il convient de confirmer l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,
Vu l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles L.741-1, L742-1 à L743-9 ; R741-3 et R.743-1 à L.743-19 et L.743-21 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;
CONSTATANT qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;
DECLARONS recevable l’appel interjeté par Monsieur [R] [F] [D] ;
CONFIRMONS l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
RAPPELONS que, conformément à l’article R.743-20 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation [Adresse 1].
Fait à la Cour d’Appel de Nîmes,
Le 17 Janvier 2025 à
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
‘ Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 3] à M. [R] [F] [D], par l’intermédiaire d’un interprète en langue arabe.
Le à H
Signature du retenu
Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel à :
Monsieur [R] [F] [D], pour notification par le CRA,
Me Alexandre Rabih BARAKAT, avocat,
Le Préfet de [Localité 6],
Le Directeur du CRA de [Localité 3],
Le Ministère Public près la Cour d’Appel de Nîmes,
Le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes.
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