Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nancy
Thématique : Contrat d’assurance et fausse déclaration : enjeux de la transparence dans la relation assurantielle
→ RésuméAdhésion au contrat de prévoyanceEn janvier 2016, Madame [F] [R] a décidé de rejoindre le contrat collectif C-PREVCOL-00335 souscrit par son employeur, le conseil général de la Meurthe-et-Moselle, auprès de SMACL Santé, devenue Territoria Mutuelle. Pour cela, elle a rempli un questionnaire de santé le 12 janvier 2016, qui a conduit à l’émission de conditions particulières excluant les conséquences d’accidents ou de maladies liées à la fibromyalgie et à des pathologies rachidiennes. Son adhésion a été confirmée le 22 avril 2016, avec des garanties de maintien de salaire et de régime indemnitaire. Demande de nouvelles garantiesLe 17 octobre 2018, Madame [R] a rempli un nouveau questionnaire de santé pour souscrire aux garanties d’invalidité et de perte de retraite. Ce questionnaire a également abouti à des conditions particulières excluant les conséquences de la fibromyalgie et d’autres troubles. Par la suite, elle a été placée en congé maladie de longue durée rétroactivement à partir du 7 janvier 2016 jusqu’au 8 octobre 2018. Prise en charge de l’arrêt de travailLe 4 décembre 2018, Madame [R] a demandé à Territoria Mutuelle de prendre en charge son arrêt de travail à partir du 9 octobre 2018. Après un refus initial, la mutuelle a accepté de prendre en charge cet arrêt à titre provisionnel, en attendant un rapport d’expertise pour déterminer la cause de son arrêt de travail. Expertise médicale et décisions ultérieuresUn expert médical a été désigné et a rendu son rapport en novembre 2019. Par la suite, Madame [R] a été placée en congé maladie de longue durée et en disponibilité pour raison médicale jusqu’en octobre 2023. Elle a perçu un total de 13 172,63 euros d’indemnisation de la part de Territoria Mutuelle. Résiliation du contrat et demande de remboursementLe 14 août 2020, Territoria Mutuelle a refusé de prendre en charge un nouvel arrêt de travail et a résilié le contrat de Madame [R] en raison d’une prétendue fausse déclaration sur ses questionnaires de santé. La mutuelle a également demandé le remboursement des sommes versées jusqu’à cette date. Assignation en justiceMadame [R] a assigné Territoria Mutuelle devant le tribunal judiciaire de Nancy pour contester la résiliation et demander le paiement de ses indemnités. Le tribunal a rendu un jugement en mai 2023, condamnant la mutuelle à payer les indemnités dues et à verser une indemnité de 3000 euros à Madame [R]. Appel de Territoria MutuelleTerritoria Mutuelle a interjeté appel de ce jugement, contestant la décision du tribunal et demandant la nullité de la garantie en raison d’une fausse déclaration intentionnelle de Madame [R]. La mutuelle a également sollicité le remboursement des sommes versées. Arguments des partiesTerritoria Mutuelle a soutenu que Madame [R] avait omis de déclarer un syndrome dépressif dans son premier questionnaire, ce qui aurait modifié le risque assuré. En revanche, Madame [R] a affirmé qu’elle n’avait pas commis de fausse déclaration intentionnelle et a contesté la résiliation de son contrat. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en ce qui concerne la prise en charge des indemnités pour la période du 26 septembre 2019 au 16 janvier 2021, tout en rejetant la demande de prise en charge pour la période de disponibilité. La cour a également statué qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le contrat pour fausse déclaration intentionnelle et a rétabli Madame [R] dans ses droits au titre du contrat de prévoyance. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 25 NOVEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01698 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FG6M
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 22/00583, en date du 16 mai 2023
APPELANTE :
TERRITORIA MUTUELLE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 4]
Représentée par Me Anne-Laure MARTIN-SERF, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Louise GATIER substituant Me Laurence CHREBOR, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [F] [R]
née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 5] (54)
domiciliée [Adresse 3]
Représentée par Me Caroline MARTIN, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Septembre 2024, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2024, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 25 Novembre 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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FAITS ET PROCÉDURE :
En janvier 2016, Madame [F] [R] a souhaité adhérer au contrat collectif C-PREVCOL-00335 souscrit par son employeur, le conseil général de la Meurthe-et-Moselle auprès de SMACL Santé, devenue Territoria Mutuelle.
Pour ce faire, le 12 janvier 2016, elle a rempli un premier questionnaire de santé aboutissant à l’émission des conditions particulières n°[Numéro identifiant 1] excluant les conséquences d’accident ou de maladie résultant de la fibromyalgie et de la pathologie rachidienne dégénérative et discale, qu’elle a acceptées ; son adhésion a été confirmée par Territoria Mutuelle le 22 avril 2016 à effet du 1er mai 2016 pour les garanties ‘Maintien du salaire pour une couverture à hauteur de 90%’ et ‘Régime indemnitaire pour une couverture à hauteur de 90% avec une franchise de sept jours’.
Par la suite, Madame [R] a souhaité souscrire également aux garanties invalidité et perte de retraite. Elle a donc rempli un nouveau questionnaire de santé le 17 octobre 2018 qui a abouti à l’émission de nouvelles conditions particulières le 24 octobre 2018, excluant les suites et conséquences de la fibromyalgie, les troubles de l’humeur, des rachialgies et de l’intestin irritable, également acceptées par Madame [R].
Par arrêté du conseil départemental du 13 juillet 2017, Madame [R] a été placée rétroactivement en congé maladie de longue durée à compter du 7 janvier 2016 et ce jusqu’au 8 octobre 2018. Le comité médical départemental supérieur a émis le 4 octobre 2018 un avis défavorable à la prolongation du congé maladie longue durée, à compter du 9 octobre 2018.
Le 4 décembre 2018 Madame [R] a sollicité la prise en charge par Territoria Mutuelle de son arrêt de travail à compter du 9 octobre 2018. Après avoir initialement refusé, Territoria Mutuelle a finalement accepté de prendre en charge à titre provisionnel cet arrêt de travail, dans l’attente d’un rapport d’expertise devant déterminer s’il était motivé par les pathologies préexistantes ou dû à un accident de la circulation survenu le 6 novembre 2017.
Le docteur [Z], désigné par ordonnance d’expertise du président du tribunal judiciaire de Bar-le-Duc en date du 3 juillet 2019, a rendu son rapport le 20 novembre 2019.
Par arrêté du 11 janvier 2021, Madame [R] a à nouveau été placée rétroactivement en congé maladie de longue durée du 9 octobre 2018 jusqu’au 16 septembre 2019 puis du 26 septembre 2019 au 16 janvier 2021 puis en disponibilité pour raison médicale du 17 janvier 2021, prolongée jusqu’au 16 octobre 2023.
Au total, elle a perçu de Territoria Mutuelle la somme de 13172,63 euros correspondant à une indemnisation entre le 13 janvier 2016 et le 16 septembre 2019.
Par courrier en date du 14 août 2020, Territoria Mutuelle a refusé de prendre en charge l’arrêt de travail du 26 septembre 2019 de Madame [R] et lui a notifié la résiliation de son contrat à compter du 1er septembre 2020, en raison d’une fausse déclaration sur les questionnaires de santé qu’elle avait complétés au vu du rapport d’expertise du docteur [Z]. En outre, Territoria Mutuelle a sollicité le remboursement des sommes versées jusqu’au 16 septembre 2019.
Par courrier en date du 18 février 2021, Madame [R] a vainement, mis en demeure Territoria Mutuelle de lui verser les indemnités dues à compter du 9 octobre 2018.
Par acte signifié le 25 février 2022, Madame [R] a fait assigner Territoria Mutuelle devant le tribunal judiciaire de Nancy aux fins de contester la résiliation intervenue et solliciter le paiement de ses indemnités.
Par jugement contradictoire du 16 mai 2023, le tribunal judiciaire de Nancy a :
– condamné Territoria Mutuelle à payer à Madame [R] les indemnités dues au titre du contrat C-PREVCOL-00335 et de ses conditions particulières n°[Numéro identifiant 1] afférentes à son congé maladie de longue durée du 26 septembre 2019 au 16 janvier 2021 et à son placement en disponibilité pour raison médicale du 17 janvier 2021 au 16 octobre 2023, ces indemnités portant intérêt au taux légal à compter du 25 février 2022, date de l’assignation,
– rejeté la demande en paiement de la somme de 13172,63 euros formée par Territoria Mutuelle,
– condamné Territoria Mutuelle à payer à Madame [R] une indemnité de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande de Territoria Mutuelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Territoria Mutuelle aux dépens,
– rejeté la demande de Territoria Mutuelle tendant à écarter l’exécution provisoire,
– constaté que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que Madame [R] avait commis une fausse déclaration intentionnelle dans le questionnaire de santé du 12 janvier 2016, en ne mentionnant pas son état dépressif, celui-ci étant clair et explicite ; cette réticence a eu pour effet de diminuer le risque pris en charge.
S’agissant du moyen tiré de la renonciation par la compagnie d’assurance à se prévaloir de la nullité de la garantie, la preuve de son caractère non explicite devant être rapportée par l’assureur :
En l’espèce il a été relevé que la connaissance par la mutuelle, de la réticence était établie en 2018, du fait des mentions du second questionnaire du 17 octobre 2018 ainsi que de sa tentative à lui faire souscrire de nouvelles garanties ; Territoria Mutuelle a en outre, continué à percevoir les primes jusqu’en 2019 et a accepté le versement d’une provision dans l’attente de la réalisation d’une expertise, ce qui permet de considérer qu’elle a ainsi renoncé de manière non équivoque à se prévaloir de la nullité de sa garantie. Dès lors la demande de versement des indemnités prévues au contrat pour la période du 17 janvier 2021 au 16 octobre 2023 a été accueillie.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 31 juillet 2023, Territoria Mutuelle a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 29 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Territoria Mutuelle demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu le 16 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu’il :
* l’a condamnée à payer à Madame [R] les indemnités dues au titre du contrat C-PREVCOL-00335 et de ses conditions particulières n°[Numéro identifiant 1] afférentes à son congé maladie de longue durée, du 26 septembre 2019 au 16 janvier 2021 et à son placement en disponibilité pour raison médicale du 17 janvier 2021 au 16 octobre 2023, ces indemnités portant intérêt au taux légal à compter du 25 février 2022, date de l’assignation,
* rejeté la demande en paiement de la somme de 13172,63 euros formée par Territoria Mutuelle,
* l’a condamnée à payer à Madame [R] une indemnité de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* rejeté sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* l’a condamnée aux dépens,
* rejeté sa demande tendant à écarter l’exécution provisoire,
* constaté que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
Et statuant de nouveau,
À titre principal,
– déclarer nulle la garantie de Madame [R], en application de l’article L. 221-14 du code de la mutualité après avoir constaté que Madame [R] a commis une fausse déclaration intentionnelle qui a modifié l’objet du risque ou à tout le moins, en a diminué l’opinion pour elle et qu’elle n’a pas renoncé à se prévaloir de la nullité du contrat d’assurance,
– condamner Madame [R] au remboursement des sommes qui lui ont été versées injustement par elle en exécution du jugement de première instance,
– condamner Madame [R] au remboursement de la somme de 13172,63 euros au titre des précédents arrêts indûment indemnisés,
À titre subsidiaire, si par extraordinaire, elle était tenue d’indemniser Madame [R],
– limiter sa garantie à la seule prise en charge du congé maladie de longue durée conformément à ses stipulations contractuelles,
En tout état de cause,
– débouter Madame [R] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Madame [R] au paiement de la somme de 2000 euros majorée du taux légal, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 25 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [R] demande à la cour, sur le fondement des articles L. 221-10 et L. 221-13 à L. 221-15 du code de la mutualité, ainsi que des articles 1103 et suivants du code civil, de :
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 16 mai 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
– ordonner son rétablissement dans ses droits contractuels nés du contrat de prévoyance C-REVCOL-00335 et de ses conditions particulières,
– débouter Territoria Mutuelle de l’intégralité de ses demandes,
– condamner Territoria Mutuelle à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Territoria Mutuelle aux entiers frais et dépens d’appel.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 21 mai 2024.
Par ordonnance du 30 mai 2024, l’affaire a été défixée de l’audience du 3 juin 2024 pour être fixée à l’audience de plaidoirie du 23 septembre 2024.
Elle a été mise en délibéré au 25 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré uniquement s’agissant de la condamnation de Territoria Mutuelle au titre de la période de disponibilité pour cause médicale du 17 janvier 2021 au 16 octobre 2023,
Statuant à nouveau sur les chefs de décision infirmés et y ajoutant,
Rejette la demande de prise en charge de Madame [F] [R] pour la période du 17 janvier 2021 au 16 octobre 2023 ;
Dit n’y avoir lieu à annulation du contrat de prévoyance de Madame [F] [R] pour fausse déclaration intentionnelle ;
Rétablit Madame [R] dans ses droits au titre du contrat de prévoyance (C-PREVCOL-000335) et de ses conditions particulières ;
Déboute Territoria Mutuelle de ses demandes ;
Condamne Territoria Mutuelle à payer à Madame [F] [R] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Territoria Mutuelle de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Territoria Mutuelle aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en dix pages.
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