Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nancy
Thématique : Devoir de prudence et de vérification du journaliste
→ RésuméLe journaliste a un devoir de prudence et d’objectivité, ainsi qu’une obligation de vérifier l’exactitude des informations qu’il publie. Dans une affaire, un journaliste a été sanctionné pour ne pas avoir contacté une personne citée dans un article, bien qu’il ait affirmé qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer. Ce manquement à son devoir de prudence a été établi. Selon l’article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction jugée irrégulière ou injustifiée, et il incombe à l’employeur de prouver les faits ayant conduit à la sanction.
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Le journaliste est tenu de par sa profession à un devoir de prudence, de circonspection, d’objectivité et de sincérité dans l’expression de la pensée. Il est également débiteur d’une obligation de vérification de l’exactitude des informations divulguées.
En l’occurrence, un journaliste a été sanctionné (avertissement) pour n’avoir pas pris attache avec une personne citée dans un article alors qu’il avait pourtant écrit qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet. Le manquement du journaliste à son devoir de prudence sur ce fait était établi.
Pour rappel, suivant l’article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée. Il appartient à l’employeur de prouver les faits qu’il a sanctionnés.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2
ARRÊT DU 03 JUIN 2021
N° RG 19/03209 – N° Portalis DBVR-V-B7D-EPKR
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EPINAL
[…]
16 octobre 2019
APPELANT :
Monsieur A Z
D81
[…]
[…]
Comparant assisté de Me D FAIVRE de la SCP DESCHAMPS-FAIVRE, avocat au barreau d’EPINAL
INTIMÉE :
SA SOCIETE D’EDITION DU JOURNAL LA LIBERTE DE L’EST prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[…]
[…]
Représentée par Me Fabrice GOSSIN de la SCP FABRICE GOSSIN ET ERIC HORBER, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Conseillers : STANEK Stéphane,
AE-AF D,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 11 Mars 2021 ;
L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 03 Juin 2021 ; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Le 03 Juin 2021, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
M. A Z a été engagé par la société LIBERTÉ DE L’EST suivant contrat à durée déterminée du 1er juillet 1991 pour une durée de 3 mois, en qualité de journaliste.
La relation contractuelle s’est poursuivie suivant contrat à durée indéterminée à l’issue du contrat.
M. A Z occupe, en dernier lieu, le poste de chef du service information locales au sein de l’agence de Neufchâteau.
Par courrier du 27 avril 2015, il a été sanctionné par un avertissement, l’employeur lui reprochant de ne pas avoir respecté une consigne et ne pas avoir traité une information.
Par courrier du 27 juin 2016, il a été sanctionné d’une rétrogradation disciplinaire emportant modification de son contrat en raison d’erreur commises dans les articles publiés de deux faits divers.
Par courrier du 13 juillet 2016, M. A Z a refusé cette mutation et dénoncé une dégradation de ses conditions de travail.
Par courrier du 29 juillet 2016, l’employeur l’a sanctionné d’un avertissement en lieu et place de la rétrogradation.
Par requête du 27 mars 2017, M. A Z a saisi le conseil de prud’hommes d’Epinal aux fins de voir annuler les sanctions prononcées à son encontre et obtenir des dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution de mauvaise foi du contrat de travail.
Vu le jugement du conseil de prud’hommes d’Epinal rendu le 16 octobre 2019, lequel a :
— débouté M. A Z de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
— débouté M. A Z de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné M. A Z à verser à la société d’édition LA LIBERTÉ DE L’EST la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné M. A Z aux dépens,
Vu l’appel formé par M. A Z le 28 octobre 2019,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de M. A Z déposées sur le RPVA le 7 octobre 2020 et celles de la société d’édition du journal LA LIBERTÉ DE L’EST déposées sur le RPVA le 16 mars 2020,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 4 novembre 2020,
M. A Z demande :
— d’infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
— d’annuler purement et simplement les avertissements prononcés à son encontre les 27 avril 2015 et 29 juillet 2016,
— de constater que ces sanctions sont entachées de nullité à raison du contexte de harcèlement moral dans lequel elles ont été prononcées à son encontre,
— d’ordonner le retrait de ces sanctions disciplinaires de son dossier,
— de condamner la société d’édition du JOURNAL LA LIBERTÉ DE L’EST SA à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par le prononcé de ces sanctions injustifiées,
— de dire que le contrat de travail liant les parties est exécuté de mauvaise foi par l’employeur,
— de dire qu’il subit des agissements répétés de son employeur constituant du harcèlement moral,
— de dire que l’employeur a violé son obligation de sécurité de résultat,
— de dire qu’il a subi un préjudice à raison de ces agissements et que l’employeur sera tenu entièrement responsable du préjudice ainsi subi et de ses conséquences,
En conséquence,
— de condamner la société d’édition du JOURNAL LA LIBERTÉ DE L’EST SA à lui verser une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre,
— de condamner la société d’édition du JOURNAL LA LIBERTÉ DE L’EST SA à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à hauteur de Cour,
— de la condamner aux éventuels dépens.
*
La société d’édition du journal LA LIBERTÉ DE L’EST demande :
— de confirmer le jugement entrepris,
— de dire M. A Z mal fondé dans ses demandes, fins et prétentions,
— de l’en débouter,
— de condamner M. A Z au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— de condamner M. A Z aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR :
Sur l’annulation des avertissements :
Sur l’avertissement du 27 avril 2015 :
Par courrier du 27 avril 2015, M. A Z a été sanctionné d’un avertissement, l’employeur lui reprochant d’avoir manqué une information de première importance, l’arrestation d’un trafiquant de stupéfiants sur la commune de Neufchâteau, de ne pas avoir respecté la consigne d’enquêter sur le sujet pour rattraper ce « loupé », et d’avoir décidé unilatéralement, au travers d’un mail adressé à sa directrice départementale, que l’information serait traitée par un correspondant local.
Le salarié demande l’annulation de cette sanction dès lors qu’il était en congé lorsque l’information a eu lieu, que le fonctionnement du traitement des faits divers était confié à M. AG-AH AI et que ni le maire (pièce 39), ni la sous-préfete (pièce 37), ni le capitaine de gendarmerie (pièce 38) n’ont été informés de cette affaire et qu’il ne pouvait donc rien publier de nouveau à ce sujet le 5 avril 2015.
Pour justifier le bien-fondé de la sanction, l’employeur vise son mail du 4 avril 2015 aux termes duquel il a été reproché au salarié de ne pas couvrir l’article à son retour de congé et l’article publié le 25 juin 2015 pour en déduire que le salarié pu, dès le mois d’avril, interroger le commandant X pour en savoir plus. Il vise également son courrier du 13 mai 2015 aux termes duquel il a bien été rappelé au salarié qu’il relevait de ses missions de traiter les faits divers.
Motivation :
Suivant l’article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée. Il appartient à l’employeur de prouver les faits qu’il a sanctionnés.
En l’espèce, par mail du 4 avril 2015, M. B C a demandé au salarié pourquoi l’information relative à l’arrestation d’un trafiquant de drogue n’avait pas été publiée et attendait de le lire « dans les jours à venir ».
Le même jour, M. A Z a contacté Mme D E pour lui rappeler le mode de fonctionnement du traitement des faits divers lesquels sont confiées à un correspondant local mais précisait se renseigner sur l’affaire.
Par courrier du 27 avril 2015, le salarié a été sanctionné d’un avertissement lui reprochant de ne pas avoir enquêté sur le sujet et publier un reportage et d’avoir estimé, unilatéralement, que la tâche incombait à un simple correspondant, allant « à l’encontre de la demande formulée une heure plus tôt par la rédaction-chef, qui vous demandait expressément de faire votre travail » (pièce 6).
Il ressort pourtant des pièces produites aux débats que le salarié a contacté par SMS du 4 avril 2015, le sous-préfet, le capitaine de gendarmerie et le maire au sujet de cette affaire, lesquels n’ont pu lui donner aucune information supplémentaire et qu’il a publié un article le 25 juin 2015 précisant les suites données à cette affaire.
En outre, les échanges de mails entre Mme D E et le salarié au cours du mois de mars 2015 (pièce 41) établissent le rôle de M. AG-AH AI sur le traitement des faits divers sur l’ensemble de la plaine.
Dans ces conditions, il ne peut être reproché au salarié d’avoir seulement suggéré de contacter le correspondant local, alors même qu’il justifie avoir enquêté sur le sujet dès le 4 avril 2015 et avoir publié un article le 25 juin 2015 sur les suites de cette affaire.
Le grief n’est pas fondé et l’avertissement notifié le 27 avril 2015 doit donc être annulé.
Sur l’avertissement du 29 juillet 2016 :
— Sur le fait divers d’Attigneville,
M. A Z a publié, le 15 mai 2016, un article intitulé « des attaques à répétition dans la plaine » en mentionnant qu’un des éleveurs, victime d’une attaque de loup, préférait garder l’anonymat à ATTIGNEVILLE, sans avoir contacté l’éleveur en question, qui « s’en est ému à la correspondante locale le jour suivant ».
Le salarié conteste cette sanction soutenant que l’éleveur souhaitait garder l’anonymat et que sa publication n’est pas mensongère.
L’employeur reproche au salarié de ne pas avoir interrogé directement l’éleveur et de ne pas avoir vérifié s’il souhaitait rester anonyme, se fiant seulement aux déclarations de sa source.
Motivation :
Le journaliste est tenu de par sa profession à un devoir de prudence et à une obligation de vérification de l’exactitude des informations divulguées.
En l’espèce, M. A Z reconnait ne pas avoir contacté l’éleveur directement mais avoir reçu l’information de M. F G, maire de Houeville, dont il produit l’attestation et qui confirme qu’il a appris que des ovins avaient été attaqués mais que le propriétaire lui avait fait comprendre qu’il ne souhaitait pas que cela se sache (pièce 34).
Il produit également l’attestation de Mme AJ-AK AL, éleveur en cause (pièce 128).
Les propos de l’éleveur viennent contredire l’affirmation de l’employeur selon laquelle elle se serait émue de ne pas avoir été contactée puisqu’au contraire, elle déclare avoir été contactée le 14 mai 2016 par une correspondante locale, puis, la semaine suivante, par Mme X, pour avoir des précisions sur le déroulement des faits, sans dire avoir été déçu de ne pas avoir été contacté la veille par M. A Z.
Toutefois, même si elle précise n’avoir subi aucun tort par suite de la publication de l’article, il n’en demeure pas moins que le salarié n’a jamais pris attache auprès d’elle avant d’écrire qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet.
Le manquement de M. A Z à son devoir de prudence sur ce fait est donc établi.
— Sur le fait divers de Liffol le Grand,
M. A Z a publié, le 1er avril 2016, un article titré « un mineur blessé par balle à une cuisse » et a précisé que la balle s’était logée non loin de l’artère fémorale.
M. A Z soutient avoir publié la vérité, dès lors que le mineur touché par cette balle et sa mère attestent de la véracité des faits (pièce 22 à 24), lesquels sont confirmés par certificat médical (pièce 25) et photographies (pièce 28 et 29) et rappelle, qu’en tout état de cause, le journal publie régulièrement des correctifs et erratum (pièces 80).
L’employeur reproche, au contraire, au salarié d’avoir amplifié et déformé les faits dès lors que ce mineur n’avait reçu « qu’un plomb » tiré par son ami et qu’un article rectificatif a dû être publié le lendemain.
Motivation :
Le journaliste est tenu de par sa profession à un devoir de prudence, de circonspection, d’objectivité et de sincérité dans l’expression de la pensée.
Dans son article publié le 1er avril 2016, M. A Z a écrit qu’un adolescent « a été pris pour cible par un tireur. Grièvement touché par balle à une cuisse, non loin de l’artère fémorale, la victime se trouve toujours hospitalisée ».
Par courrier du 29 avril 2016, le colonel Y. a écrit au rédacteur en chef du journal pour dénoncer le caractère anxiogène de l’article publié le 2 avril 2016, reprochant au journaliste de ne pas vérifier ses informations et/ou de les extrapoler (pièce 16).
Il ressort des pièces produites aux débats que M. J K a confirmé que son ami l’a « pris pour cible » et lui a tiré dessus alors qu’il marchait sur le trottoir et a déposé plainte pour « violence avec arme ».
En outre, le certificat médical établi par le CHU de l’Ouest Vosgien établit que le plomb était présent au niveau de la face interne de la cuisse et a nécessité une intervention chirurgicale, suggérant une incapacité totale de travail de 15 jours, à réévaluer selon l’évolution post chirurgicale.
Enfin, M. L M, artisan armurier, confirme que les armes à air comprimé tire des « balles », communément appelées « plombs » car elles sont fabriquées en plombs.
L’ensemble de ces éléments confirment donc la véracité des termes utilisés par M. A Z.
Il résulte de ce qui précède que seule l’information du 15 mai 2016, relative aux attaques de loup, n’a pas été vérifiée par le salarié et pouvait donner lieu à une sanction.
Toutefois, le salarié, disposant de plus de 26 ans d’ancienneté et dont les qualités de journalistes sont saluées par plus de 100 témoins, n’avait souffert d’aucune sanction disciplinaire, de sorte que le prononcé d’un avertissement en raison d’une seule information non vérifiée, mais qui était vraie, apparaît manifestement disproportionné.
L’avertissement du 29 juillet 2016 sera, par conséquent, annulé.
M. A Z sollicite 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le prononcé de ces sanctions injustifiées.
Il ressort des pièces produites par le salarié que celui-ci a contesté l’avertissement du 27 avril 2015 par courriers des 29 avril, 16 et29 mai 2015 (pièce 7 et 8).
S’agissant des faits du 1er avril et 15 mai 2016, il a d’abord été sanctionné d’une rétrogradation le 27 juin 2016 (pièce 12), qu’il a refusée, puis d’un avertissement prononcé le 29 juillet 2016 prononcé en lieu et place de cette rétrogradation. Le salarié a contesté cet avertissement par courrier du 25 août 2016 (pièce 11), puis par courriers avec accusé de réception des 2 septembre 2016 (pièce 17) et 20 octobre 2016 (pièce 18).
Le prononcé injustifié de ces sanctions a donc causé un préjudice moral au salarié, tenu de contester à plusieurs reprises et sans effet, les sanctions qui lui ont été infligées, qu’il convient de fixer à la somme de 500 euros.
Sur le harcèlement moral :
Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte des dispositions de l’article L.1154-2 du code du travail, que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits ainsi présentés, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte enfin des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du même code que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
En l’espèce, M. A Z fait valoir qu’il a été victime de harcèlement moral, ses conditions de travail s’étant dégradées en raison du positionnement de sa hiérarchie à son encontre et plus spécialement celui de Mme X, chef d’agence de Vittel, et expose avoir dû faire face à :
1° un isolement au sein de l’agence de Neufchâteau ;
Le salarié explique travailler seul, depuis mars 2013, au sein de l’agence de Neufchâteau dans des conditions de sécurité totalement insuffisantes alors que l’inspectrice du travail a pu dénoncer ces conditions de travail.
Il produit le mail de Mme N O, inspectrice du travail par intérim, du 8 mai 2015, aux termes duquel elle fait suite à leur rencontre du 7 mai 2015 et lui transmets un compte-rendu de sa visite et relève des manquements relatifs aux extincteurs, à l’armoire électrique, aux installations sanitaires, à l’affichage obligatoire et s’interroge sur la prise en compte de la situation de travailleur isolé. Elle ajoute que les déclarations du salarié, « pourraient être retenues comme éléments caractérisant une situation de harcèlement moral » et lui suggère de réfléchir à l’opportunité de porter plainte pour harcèlement moral (pièce 228).
Les faits sont établis et seront donc retenus par la cour.
2° des directives contradictoires et des sanctions abusives ;
M. A Z soutient avoir reçu des directives contradictoires relatives au traitement et à la couverture des faits divers puisqu’il est d’usage de confier ces missions à des correspondants locaux alors qu’il a été sanctionné pour ne pas avoir couvert certains faits divers.
Il produit le mail de Mme D E du 20 mars 2015 (pièce 41) qui l’informe avoir « réussi à convaincre AG-AH AI de continuer la correspondance, notamment en matière de faits-divers » et les témoignages de M. P Q (pièce 150) et R S (pièce 160) qui confirment que M. AG-AH AI était le correspondant local du secteur alors qu’il a été sanctionné le 27 avril 2015 pour avoir rappelé que les faits divers étaient couverts par ce correspondant.
Il rappelle également avoir sollicité sa direction pour discuter du mode de fonctionnement de l’agence (pièce 123 et 129) sans jamais avoir reçu de consigne précise.
Les faits, ainsi établis, seront retenus.
3° une mise à l’écart ;
M. A Z expose ne plus avoir été convié à certaines réunions relevant de ses missions et vise plus particulièrement les cérémonies de yeux au cours desquelles on a invité le correspondant locaux de presse (pièce 113) plutôt que lui.
Il ajoute que l’agence de Neufchâteau n’est pas matérialisée dans les colonnes du journal, de sorte que ses coordonnées n’apparaissent pas (pièce 16 et 14) et qu’il n’apparaît pas sur l’organigramme de la société (pièce 116).
Enfin, il explique avoir beaucoup de difficultés à recevoir certaines informations, tels que les titres pour la Une (pièce 120).
Les faits, ainsi établis, seront retenus.
4° des rumeurs quant à son remplacement ;
M. A Z soutient être victime d’une pression pour qu’il quitte son agence pour revenir à celle d’Epinal, à défaut de quoi, il serait licencié.
Il produit 4 attestations de personnes expliquant avoir été informé de la rumeur selon laquelle M. A Z allait quitter la rédaction (pièces 130 à 133) et les échanges de SMS avec un collègue, non identifié, du 4 août 2016 qui dit avoir entendu que lui était posé un « ultimatum de la direction’ Retour à Epinal comme SR, ou au revoir » (pièce 114).
Il fait valoir que la direction souhaiter l’évincer, et produit le planning de service pour le mois de septembre 2016 (pièce 152) sur lequel il n’apparait pas et explique avoir dû faire face à des affectations de dernière minute pour le déstabiliser, tel que cela est arrivé le 23 août 2016, ayant reçu une consigne pour l’après-midi même (pièce 153).
Les faits ainsi établis seront retenus.
5° une charge de travail accrue, le rejet de ses propositions d’article et un ton méprisant à son égard ;
M. A Z soutient que la méthode managériale générale est constitutive d’une situation de harcèlement moral, tel que cela a été dénoncé par plusieurs tracts syndicaux dénonçant les conditions de travail au sein de la société (pièce 205, 206 et 230).
Il vise également le compte-rendu de réunion des délégués du personnel du 13 juillet 2017 pour soutenir que la méthode managériale générale constitue une situation de harcèlement moral ; les délégués du personnel ayant relevé une « détérioration des conditions de travail et de souffrance à VOSGES MATIN (amplitude horaire, pression de la hiérarchie, etc’) qui entraîne des risques psychosociaux » (pièces 229).
S’agissant de sa situation personnelle, il justifie s’être vu opposé des refus d’interview (pièce 117, 134, 119), ou encore un refus d’inversion d’astreinte (pièce 235 et 236) et s’être vu imposé un congé en janvier 2017 (pièce 141) contrairement à ses collègues.
Il fait valoir que les décisions ainsi prises à son égard sont adressées suivant un ton inadapté (pièce 19, 120) et souvent de la part de Mme X qui n’est pourtant pas sa supérieure hiérarchique (pièce 155, 156, 158).
En outre, il soutient devoir faire face à une charge de travail trop lourde dans la mesure où la direction lui demande d’anticiper ses absences et donc, de préparer tous les articles par avance (pièce 118 et pièce 140) de sorte que son amplitude horaire atteint les 14 heures par jour, comme en attestent plusieurs personnes (pièce 60, 61, 83, 103, 104, 105 et 151) alors que la situation avait été dénoncée par le médecin du travail le 4 octobre 2017 (pièce 162).
Enfin, il conclut faire ainsi l’objet d’une différence de traitement par rapport à ses collègues, Mme X et M. T U, lesquels ont publié de fausses nouvelles et n’ont pourtant pas été sanctionnés.
Les faits ainsi établis seront retenus.
6° une dégradation de son état de santé ;
M. A Z soutient que ses conditions de travail ont eu des conséquences sur son état de santé ; il produit un arrêt de travail pour la période du 4 au 22 juillet 2016 (pièce 135 et 137) en raison d’un « burn out, un état anxiodépressif réactionnel à un conflit professionnel » et celui du 18 au 26 mars 2017 (pièce 125) et justifie d’un traitement anxiolytique depuis mai 2015.
Le Docteur Y, psychiatre, atteste, au 17 mars 2017, que « M. Z présente actuellement les signes et les symptômes caractéristiques d’un trouble anxio-dépressif d’intensité moyenne, sur fond d’épuisement psychologique. Le tableau clinique comprend l’humeur sub-dépressive, anxiété diurne et vespérale, les troubles du sommeil, l’asthénie physique et psychologique, les anticipations anxieuses et le sentiment de danger imminent. Malgré cet état psychologique fragile, sur fond d’épuisement, M. Z a continué son activité professionnelle’ J’estime que l’évolution de son état de santé nécessiterait la poursuite du suivi spécialisé entamé il y a 6 mois » (pièce 138).
Le salarié justifie également avoir saisi le médecin du travail et produit les attestations de personnalités publiques et d’amis avec qui il travaille, lesquels témoignent de sa fatigue et de son anxiété.
La dégradation de son état de santé est établie et sera retenue.
La cour constate donc que M. A Z établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral de la part la direction du journal.
En réponse, l’intimée fait valoir que M. A Z n’est pas victime de harcèlement moral et que toutes les décisions prises sont justifiées par des éléments objectifs.
Elle reproche au salarié une « paranoïa » et de se « victimiser » alors que c’est lui qui a « décrété que son métier ne consistait pas à traiter les faits divers » et que la direction lui a seulement rappelé les consignes sur ce point. Elle argue par ailleurs de la mauvaise foi du salarié quant aux refus allégués de certaines interviews, et oppose au salarié sa mauvaise organisation dans la gestion de ses tâches, sans qu’il puisse soutenir faire face à une surcharge de travail et lui reproche, par exemple, de couvrir un reportage photographie alors qu’un photographe avait été engagé pour l’événement ou qu’un correspondant local était chargé de l’événement (pièce 14).
Elle produit les attestations de collègues journalistes qui dénoncent les difficultés à travailler avec M. A Z, ainsi M. R V (pièce 9) évoque des salariés « très marqués par la relation conflictuelle entretenue par M. Z et par sa volonté de faire du secteur de Neufchâteau sa chasse gardée », M. W AA (pièce 10), journaliste et représentant du personnel, s’inquiète « des risques psycho-sociaux engendrés par sa capacité à compliquer la moindre situation », M. B C (pièce 22) , rédacteur en chef depuis 2013 de Vosges Matin, explique avoir été confronté au « cas Z », qu’il présente comme « un confrère faisant à ce point l’unanimité contre lui au sein de l’entreprise de la secrétaire assurant l’accueil au public jusqu’aux directeurs départementaux successifs » et Mme D E (pièce 29) qui explique avoir été rapidement informée par sa hiérarchise des difficultés concernant M. A AB à son arrivée le 1er juillet 2012, lesquelles étaient antérieures à son arrivée.
Elle verse également des mails de plainte contre l’attitude du salarié reçu le 2 mai 2012 (pièce 12) ou encore le 1er décembre 2014 (pièce 13 et 14).
Sur les coordonnées de l’agence et l’organigramme, elle affirme que tous les renseignements nécessaires sont disponibles sur le site internet du journal et justifie avoir mis à jour son organigramme.
Elle conteste toute rumeur au sujet de l’éviction du salarié et toute dégradation de ses conditions de travail relevant que ces faits sont justifiés par des attestations dont elle critique la valeur probatoire.
S’agissant de la dégradation de l’état de santé du salarié, elle rappelle que les médecins ne font que constater l’état de sante déclaré par le patient alors qu’elle a toujours été sensible à la santé de ses salariés, ayant rappelé au salarié qu’il était en repos le mardi 7 février 2017 et qu’il était « important que tu profites de ton repos et de ta soirée. Je préfère donc que tu nous communiques les modalités pour joindre Rama Yade. Et ainsi, je demanderai à quelqu’un du planning de mardi de traiter ce sujet » (pièce 134).
Enfin, elle nie toute attitude désobligeante de la part de la hiérarchie à l’égard du salarié, relavant les termes neutres des mails envoyés au salarié, et affirme que Mme X dispose de la qualité de responsable SR de Vittel, justifiant qu’elle transmette des consignes au salarié.
Motivation :
La cour constate que les difficultés dénoncées par M. A Z se cristallisent autour de sa charge de travail et de la gestion des faits divers.
Sur ce point, les éléments produits aux débats confirment la présence des correspondants locaux aux côtés des journalistes dans la gestion des faits divers, sans que l’employeur n’apporte de précision sur la répartition exacte de leurs missions.
Ainsi, l’employeur ne saurait reprocher au salarié de confier la couverture de certains faits divers au correspondant local, de le sanctionner pour ce fait et par la suite, lui indiquer qu’il n’a pas besoin de se rendre à la couverture des voeux de début d’année car le correspondant local en assurera la couverture (pièce 113).
En outre, l’employeur ne justifie pas avoir répondu aux demandes formulées par le salarié de discuter de l’organisation de travail puisqu’il ne rapporte pas la preuve d’avoir organisé un rendez-vous sur ce sujet ni avoir communiqué des consignes précises.
L’employeur se borne à verser les attestations des supérieurs hiérarchiques du salarié, avec lesquels le salarié soutient être en conflit, pour soutenir que c’est lui qui n’acceptait pas les changements et les nouvelles consignes, sans justifier des éventuelles consignes qui auraient été mises en place, ni de l’accompagnement qu’elle lui aurait proposé pour renouveler le travail d’équipe.
Ainsi, Mme D E fait mention de de ce que « plusieurs solutions » ont été étudiées, que des propositions de poste ont été faites au salarié, mais rien ne corrobore ces allégations, aucun compte-rendu d’entretien d’évolution professionnelle, aucune proposition d’avenant n’est versé aux débats.
Au contraire, les échanges de mails, dont le ton ne révèle effectivement pas de propos désobligeant ou méprisant, confirment que M. A Z recevait des consignes en dernière minute, sans que la réparation des faits divers entre lui et les correspondants locaux soient précise, et qu’il a toujours assuré la couverture des sujets ainsi demandés (pièce 153, 155, 156, 158).
Par ailleurs, le salarié justifie avoir rencontré l’inspecteur du travail et le médecin du travail pour dénoncer ses conditions de travail, tant matérielles que morales.
Le dossier médical du salarié (pièce 125) établit en effet que dès mars 2013, au cours d’une visite médicale périodique, il a décrit au médecin du travail « des mois de pression voir harcèlement » et a fait mention de ce qu’il travaillait seul au bureau de Neufchâteau et parcourait beaucoup de kilomètres avec sa voiture personnelle.
Lors de la visite périodique du 14 avril 2014, il a déclaré dormir de moins en moins car il se sent harcelé par sa hiérarchie et le 9 septembre 2014, sur visite à sa demande, il a fait part de ce que la situation était de plus en plus difficile, faisant mention de harcèlement, son travail étant saboté.
En 2015, il a saisi l’inspecteur du travail qui lui a rendu visite au sein de l’agence de Neufchâteau ; par mail du 8 mai 2015, l’inspectrice du travail a relevé les manquements de l’employeur relatifs aux extincteurs, à l’armoire électrique, aux installations sanitaires, à l’affichage obligatoire et s’interrogeait sur la prise en compte de la situation de travailleur isolé. Elle a ajouté que les déclarations du salarié, « pourraient être retenues comme éléments caractérisant une situation de harcèlement moral » et lui suggérait de réfléchir à l’opportunité de porter plainte pour harcèlement moral (pièce 228).
Par courrier du 25 janvier 2017, le médecin du travail a attiré l’attention de l’employeur sur la situation de santé au travail de M. A Z, lequel présentait « manifestement une souffrance au travail » caractérisée par une surcharge de travail, d’un manque de déontologie et de remarques désobligeantes de la part de son supérieur hiérarchique et l’invitait « à prendre toutes dispositions visant à évaluer la situation de travail de M. Z et à y apporter les éventuelles corrections nécessaires à sa poursuite au sein de votre établissement dans des conditions de préservation de son état de santé » (pièce 115).
Par courrier du 4 octobre 2017, le médecin du travail a, de nouveau, contacté l’employeur au sujet de M. A Z, relevant que la situation n’avait pas changé, celui-ci se plaignant toujours d’une surcharge de travail et d’une « maltraitance » de la part de son supérieur hiérarchique, et le remerciait « de prendre au sérieux cette situation et d’y remédier » (pièce 162).
L’employeur ne commente pas ces éléments et ne justifie d’aucune action pour assurer la sécurité physique, par la mise en conformité des installations de l’agence, ni la santé mentale de son salarié, ayant seulement rappelé au salarié de ne pas travaillé le jour de son congé le 7 février 2017 (pièce 134) alors que le médecin du travail a dénoncé la souffrance morale du salarié.
En défense, l’employeur soutient que c’est le salarié qui était réfractaire au changement et que ce sont ses méthodes qui créaient des risques psychosociaux pour les autres salariés (pièce 10) ayant même incité un jeune journaliste à démissionner (attestation de Mme AC AD, pièce 20) mais aucun autre salarié, correspondant local ou journaliste ne témoigne des difficultés rencontrées avec M. A Z alors celui-ci fournit plus de 100 attestations de personnes privées, journalistes et élus locaux, satisfaits de son attitude professionnelle.
Les pièces versées aux débats établissent donc que M. A Z n’avait rencontré aucun problème de communication avec ses supérieurs hiérarchique et n’avait jamais eu de remarques sur la qualité de son travail avant 2013 ; qu’à compter du changement de rédacteur en chef et de direction, ses conditions de travail se sont toutefois dégradées ; qu’il a fait l’objet de sanctions injustifiées en 2015 et 2016, sur la couverture des faits divers ; qu’en dépit de la dénonciation de ces conditions de travail par le médecin du travail, l’employeur ne justifie pas avoir pris des mesures pour protéger la santé physique et mentale de son salarié ; que cette dégradation de ses conditions de travail a eu des conséquences sur l’état de santé du salarié qui justifie avoir été placé en arrêt de travail et suivre un traitement anxiolytique depuis plus de 2 ans.
Dans ces conditions, il convient de dire que le salarié a été victime d’acte de harcèlement moral sans que l’employeur ne prenne de mesure pour l’en protéger.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Compte tenu de la durée de ces agissements, de leur intensité et de leur récurrence, il convient de réparer le préjudice subi par le salarié par l’allocation de 6 000 euros.
Sur les frais irrépétibles :
Le jugement sera infirmé en ces dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
La société d’Editions du Journal de la LIBERTE DE L’EST, succombant à l’instance, sera condamnée aux dépens de premières instance et d’appel.
L’équité commande, en outre, de condamner la société d’Editions du Journal de la LIBERTE DE L’EST à payer à M. A Z la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et de la débouter de ce chef de demande.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Epinal le 16 octobre 2019 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Annule les avertissements prononcés à l’encontre de M. A Z les 27 avril 2015 et 29 juillet 2016,
Condamne la société d’Editions du Journal de la LIBERTE DE L’EST à payer à M. A Z les sommes suivantes :
— 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi par le prononcé de sanctions injustifiées,
— 6 000 euros (six mille euros) de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral subi,
Condamne la société d’Editions du Journal de la LIBERTE DE L’EST aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la société d’Editions du Journal de la LIBERTE DE L’EST à payer à M. A Z 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Clara TRICHOT-BURTE, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
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