Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Montpellier
→ RésuméLe litige oppose le groupement foncier agricole [Localité 6] à M. [I] [K], un salarié embauché oralement en 2000. Après un accident du travail en 2013, M. [K] a été reconnu travailleur handicapé et a signalé un harcèlement moral à son employeur en 2016. Malgré ses plaintes, aucune mesure n’a été prise. En 2017, il a été licencié pour inaptitude physique, ce qu’il a contesté, affirmant que son état était lié au harcèlement. Le Conseil de Prud’hommes a jugé en sa faveur, confirmant le harcèlement et l’absence de cause réelle pour le licenciement, et a ordonné des indemnités.
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Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 17 MAI 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/07921 – N° Portalis DBVK-V-B7D-ONVI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 20 NOVEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE N° RG F 17/00175
APPELANTE :
GFA [Localité 6]
CHÂTEAU [Localité 6]
[Localité 1]
Représentée par Me VAYSSIE avocat pour Me Bruno SIAU, avocat au barreau de BEZIERS
INTIME :
Monsieur [I] [K]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Gilles VAISSIERE de la SELARL GILLES VAISSIERE, avocat au barreau de CARCASSONNE
Représenté par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001775 du 19/02/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Ordonnance de clôture du 23 Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 MARS 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
EXPOSÉ DU LITIGE
Le groupement foncier agricole [Localité 6] a embauché oralement M. [I] [K] au 1er décembre 2000.
Le salarié a bénéficié d’un contrat de travail écrit à compter du 1er juillet 2009 mentionnant que depuis le 1er décembre 2000 il occupait le poste de chef de culture au [Adresse 4] à [Localité 8] et le reconduisant en qualité de chef de culture toujours au [Adresse 4] à temps partiel pour 120 heures par mois.
Suivant avenant du 1er septembre 2011, le salarié a bénéficié d’une augmentation salariale, étant affecté au [Adresse 4] et aux travaux de vinification au château de [Localité 6].
Le 3 juillet 2013, le salarié a été victime d’un accident du travail et a été placé en arrêt jusqu’à la visite de reprise du 17 septembre 2014 à l’issue de laquelle le médecin du travail a conclu à une aptitude à mi-temps thérapeutique. Le salarié sera reconnu travailleur handicapé au titre d’une incapacité permanente de 17 %.
Par avenant du 18 septembre 2014, le salarié a été placé en mi-temps thérapeutique jusqu’au 17 octobre 2014 pour 60 heures de travail par mois. Ce mi-temps thérapeutique a été prolongé jusqu’au 31 octobre 2014 suivant avenant du 17 octobre 2014.
Par un dernier avenant au contrat de travail du 3 novembre 2014, la durée du travail a été portée à 121,33 heures par mois et le salarié a été affecté à toutes les parcelles exploitées par l’employeur ainsi qu’aux travaux de cave.
Le 7 juillet 2015, le salarié a été élu délégué du personnel.
Le 23 novembre 2016, le salarié écrivait à l’employeur en ces termes :
« Je vous envoie la présente lettre en désespoir de cause, car je ne supporte plus le harcèlement moral dont je fais l’objet de votre part. Je trouve la situation d’autant plus injuste et incompréhensible que je suis dans votre structure depuis décembre 2000 et, en plus de 15 années de bons et loyaux services, je n’ai jamais essuyé une quelconque réprimande, je me suis toujours investi et je n’ai jamais démérité. Je suis donc particulièrement stupéfait de la multiplication des faits de harcèlements moraux que je subis depuis ma réintégration dans l’entreprise suite à mon accident de travail. En effet, je vous rappelle que selon mon contrat de travail en date du 1er juillet 2009, j’ai été embauché en qualité de « chef de culture ». L’exploitation du [Adresse 4] m’a été entièrement confiée ainsi que la vinification des vins haut de gamme du château [Localité 6]. Compte tenu des responsabilités professionnelles importantes qui m’ont été confiées pendant des années, j’avais le sentiment de travailler dans un climat de confiance. Vous n’avez d’ailleurs pas, à l’époque, manqué de me faire part de votre satisfaction à l’égard de mon travail. Or, depuis mon accident de travail de juillet 2013 qui m’a notamment empêché de reprendre mes fonctions pendant 15 mois, puis la reconnaissance de ma qualité de travailleur handicapé en septembre 2015, tout s’est dégradé et je vis actuellement un enfer. J’avais bien sûr été informé que mon ancien poste au [Adresse 4] n’existait plus, mais nous avions cependant convenu, en accord avec le médecin du travail, que je continuerais à exercer mes fonctions de chef de culture tout en ayant des fonctions de caviste. Je vous rappelle que les premiers mois, votre père avait respecté notre accord et, en attendant le départ à la retraite du caviste du château de [Localité 6], il me faisait travailler à la cave de Villerouge. Ce poste de caviste m’était promis. Tout s’est bien passé et j’ai prouvé que j’étais capable de remplir mes fonctions. Contre toute attente, vous avez cependant préféré embaucher une personne plus jeune et sans formation. Depuis et progressivement, vous (ou le régisseur) m’avez ôté toutes mes responsabilités, m’excluant des réunions hebdomadaires avec la direction et le personnel, me retirant du poste d’encadrement que j’occupais durant les congés du régisseur par exemple. Je me retrouve aujourd’hui sans aucune responsabilité professionnelle, à « seconder » le régisseur, et isolé de tous. Mon activité n’a plus aucun lien avec mes qualifications de cadre, je ne gère plus le personnel, ni permanent ni saisonnier. Ainsi, et le plus souvent, mon régisseur m’envoie seul dans les parcelles pour tronçonner et évacuer les souches mortes, je suis écarté du reste du personnel et cantonné à des taches qui n’ont de surcroît aucun rapport avec ma fiche de poste. Mon nouveau poste ne respecte pas ce qui avait été évoqué avec le médecin du travail et cette affectation ne correspond en rien à mes qualifications. Je suis également purement et simplement écarté de toute prise de décisions, bien qu’étant délégué du personnel, je ne suis informé ni des embauches, ni des départs du personnel. J’ai l’intime conviction que je suis mis au placard !! M. [R] me reproche, devant tout le personnel, de ne « pas faire assez d’efforts » alors même que toutes mes initiatives et tentatives en ce sens avortent. Malgré les mails que je vous ai envoyés, rien ne change. Lors de notre dernière entrevue, vous avez reconnu tout cela en m’expliquant que c’était dû à mon handicap, à mon mandat de conseiller prud’homal et à mon contrat de travail à temps partiel. Vous aviez même reconnu, antérieurement à cette entrevue qu’à cause de mon état, mon évolution au sein de l’entreprise était « bloquée ». Je vous ai pourtant prouvé, tout au long de ma carrière, par mon professionnalisme et mon implication dans mon travail, que ce soit avant ou après mon accident de travail, que je pouvais remplir l’ensemble de mes fonctions, encore faudrait-il que j’en ai. Cette situation ne peut perdurer !! Comprenez bien que je suis à bout. Je souffre de cet isolement, de cette solitude professionnelle. Vos agissements me dévalorisent et dévalorisent mon travail, je me sens aujourd’hui complètement inutile. Je tiens enfin à vous indiquer que je suis particulièrement épuisé d’un point de vue psychique de tout de ce que vous me faites endurer et que je vous en considérerai comme responsable si mon état de santé s’en trouvait affecté. »
À compter du 5 décembre 2016, le salarié a été placé en arrêt maladie en raison d’un syndrome anxio-dépressif et il ne devait plus reprendre le travail dans l’entreprise.
Le 18 mai 2017, le psychiatre traitant du salarié établissait le certificat suivant :
« Je soussigné Dr [F], médecin psychiatre, certifie donner mes soins régulièrement depuis le 2 mars 2017, à M. [K] [I] né le 24/08/1967, domicilié à [Localité 2], immatriculé n° [XXXXXXXXXXX05], pour la prise en charge d’un syndrome de stress post traumatique avec réaction anxio-dépressive dans un contexte de conflit professionnel avec vécu de harcèlement psychologique, et atteste que son état de santé doit lui faire bénéficier d’une inaptitude à son entreprise actuelle. »
Le 24 juillet 2017, l’employeur a licencié le salarié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement en ces termes :
« Je fais suite à notre entretien préalable prévu le 27 juin dernier, au cours duquel je vous proposais de recueillir vos observations au sujet de l’inaptitude physique constatée par le médecin du travail à l’occasion d’une visite de reprise après arrêt-maladie, sans possibilité de reclassement, et qui nous conduisait à envisager votre licenciement. Cet entretien n’a pu modifier notre projet. Au vu de l’ensemble des mandats représentatifs dont vous êtes titulaire, nous avons sollicité l’autorisation administrative de licenciement auprès de la DIRECCTE de l’Aude, en date du 28 juin 2017. L’administration a notifié sa décision du 13 juillet 2017, en date du 18 juillet 2017 : elle accepte l’autorisation de vous licencier. J’ai donc le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour motif personnel, en raison des faits susvisés. Vous n’êtes physiquement pas apte à effectuer un préavis, et nous sommes donc dispensés de vous verser une indemnité à ce titre. Conformément à la réglementation sociale, votre licenciement sera effectif à la date d’envoi de cette LRAR. Vous percevrez prochainement votre solde de tout compte ainsi qu’une indemnité de licenciement, et recevrez l’ensemble des documents obligatoires afférents à la rupture de votre contrat de travail (certificat de travail et attestation Pôle Emploi). Je profite de la présente pour vous dispenser de toute éventuelle obligation post-contractuelle, telle que clause de non-concurrence ou clause de dédit-formation ; notre société est donc de même dispensée le cas échéant du versement de toute indemnité afférente. Je vous remercie enfin de restituer à l’entreprise tout matériel ou tout document qui vous aurait été confié dans le cadre de votre emploi. En application de l’article 14 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, et au titre de la notice d’information, vous bénéficiez, dans le cadre de la rupture de votre contrat de travail, du maintien des couvertures complémentaires santé et/ou prévoyance en vigueur dans l’entreprise. Les modalités de cette portabilité de vos droits vous seront expliquées dans le document joint à votre reçu pour solde de tout compte. »
Se plaignant de harcèlement moral à l’origine de son inaptitude et contestant dès lors son licenciement, M. [I] [K] a saisi le 5 décembre 2017 le conseil de prud’hommes de Carcassonne, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 20 novembre 2019, a :
dit que le salarié a été victime de harcèlement moral ;
dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
condamné l’employeur à verser au salarié les sommes suivantes :
’14 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 5 487,15 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ 548,71 € au titre des congés payés y afférents ;
condamné l’employeur aux entiers dépens ;
ordonné l’exécution provisoire à hauteur de 6 035,86 € ;
débouté les parties de leurs autres demandes ;
rappelé qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 septembre 1996, devront être supportées par l’employeur en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été notifiée le 26 novembre 2019 au groupement foncier agricole [Localité 6] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 9 décembre 2019.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mars 2023.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 5 mars 2020 aux termes desquelles le groupement foncier agricole [Localité 6] demande à la cour de :
le dire recevable son appel ;
infirmer le jugement entrepris ;
dire que le salarié ne présente pas des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ;
dire que l’employeur rapporte la preuve objective de l’absence de harcèlement moral ;
dire que le salarié n’a pas été victime de harcèlement ;
dire bien fondé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes ;
condamner le salarié au paiement de la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 4 juin 2020 aux termes desquelles M. [I] [K] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur à l’indemniser ;
infirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu’il a réduit le montant des indemnités réclamées ;
condamner l’employeur à lui régler les sommes suivantes :
’71 568 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 5 964 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ 596 € au titre des congés payés y afférents ;
débouter l’employeur de l’intégralité de ses demandes ;
condamner l’employeur à lui payer la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 2 mars 2023 aux termes desquelles M. [I] [K] demande à la cour, au visa de l’ordonnance de clôture prononcée le même jour à 11h13, de :
révoquer, en tant que de besoin, l’ordonnance de clôture ;
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur à l’indemniser ;
infirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu’il a réduit le montant des indemnités réclamées ;
condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
’71 568 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 5 964 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ 596 € au titre des congés payés y afférents ;
débouter l’employeur de l’intégralité de ses demandes ;
condamner l’employeur à lui payer la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.
Le salarié produit avec ses dernières conclusions les nouvelles pièces suivantes :
‘ n° 28 : indemnisation Pôle Emploi des 12 derniers mois ;
‘ n° 29 : période d’inscription à Pôle Emploi de mars 2018 juin 2022 ;
‘ n° 30 : contrat d’entrepreneur salarié du 01/06/2022.
Sur l’audience, et en l’absence d’opposition de l’employeur, la cour a révoqué l’ordonnance de clôture pour recevoir les dernières conclusions du salarié identiques à celles du 4 juin 2020 sauf en ce qui concerne l’actualisation de sa situation et pour admettre les pièces précitées justifiant de sa situation actuelle, La cour a clôturé l’instruction avant l’ouverture des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur le harcèlement moral
L’article L. 1154-1 du code du travail dispose que :
« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
Le salarié reproche à l’employeur de l’avoir « mis au placard » peu après son retour d’accident du travail notamment en raison de la cessation du contrat de fermage sur le site de Mandourelle et du changement de direction de la société. Il explique que malgré la cessation du contrat de fermage du site de Mandourelle l’employeur s’était engagé à maintenir ses fonctions, voire à lui confier de nouvelles responsabilités mais en le rattachant aux autres sites du domaine.
Le salarié explique que par lettre du 24 mars 2014, l’employeur lui avait précisé qu’il occuperait sur le domaine de [Localité 6] le même poste de chef de culture que sur le [Adresse 4] et qu’il serait sous la responsabilité du régisseur et encadrerait le personnel permanent et saisonnier, qu’il organiserait et participerait à tous les travaux liés au vignoble et qu’il participerait aux travaux de la cave tels que les expéditions, l’embouteillage et la vinification.
Le salarié se plaint d’avoir été privé de toute responsabilité professionnelle, relégué au rang de second du régisseur et isolé du personnel, le poste de caviste qui lui était initialement promis ayant été attribué à une personne plus jeune, sans formation et sans expérience. Il ajoute que ses missions étaient dès lors sans rapport ni avec son niveau de compétences, ni avec ses qualifications de cadre et sans respect des prescriptions médicales du 12 novembre 2015, telles que, à compter du 25 juillet 2016, désherber le chiendent, ajouter des piquets fer pour remonter le raisin à hauteur de récolte machine, tronçonner et enlever les souches mortes dans les vieilles parcelles de [Localité 6], tronçonner et enlever les branches / arbres / souches sur les trois sites et contrôler les clôtures sangliers une fois par semaine et encore faire un compte rendu écrit des travaux effectués dans la semaine.
Plus généralement, le salarié reprend les griefs figurant à la lettre du 23 novembre 2016 déjà reproduite et il rappelle que cette correspondance a été précédée des courriels suivants :
‘ le 31 juillet 2016 :
« Je vous écris pour vous faire part d’agissements graves qui provoquent une situation de harcèlement dont je suis la victime et cela depuis bientôt deux ans. Suite à mon accident du travail vous avez décidé de modifier mon poste de travail sans tenir compte des avis de la médecine du travail. Les nouvelles fonctions que vous m’avez confiées sont : « de seconder le régisseur M. [R] ». Dans les faits :
‘ je suis volontairement écarté de toutes prises de décisions
‘ bien qu’étant délégué du personnel je ne suis pas informé des embauches ou des départs de personnel
‘ le jeudi 2 juin 2016, M. [R] m’a reproché devant mes collègues de travail de « ne pas faire assez d’efforts » sans pour autant justifier de ces accusations
‘ le jeudi 21 juillet 2016 j’ai demandé à M. [R] qu’il me donne les consignes afin de le remplacer au mieux pendant ses congés comme les fois précédentes, il m’a répondu : « de ne pas m’occuper des tractoristes, ni des traitements phytosanitaires, ni des salariés saisonniers et qu’il me ferait passer une liste de taches précises à effectuer personnellement ».
Cette succession d’agissements produit les effets d’une mise au placard volontaire. Je suis salarié du GFA depuis 16 ans et il ne m’a jamais été fait de reproches sur mon travail, bien au contraire, c’est pourquoi je m’interroge sur le motif de ces agissements dont je ne relate ici qu’une partie. »
‘ le 13 septembre 2016 :
« Je vous ai fait part le 31 juillet 2016 des problèmes graves que je rencontre au sein de votre entreprise. Je suis rentré de congés le 5 septembre 2016, dans les faits rien n’a changé, pendant que l’ensemble du personnel est chargé de la récolte ou de l’entretien du matériel, le régisseur m’envoie tout seul dans les parcelles pour tronçonner puis évacuer les souches mortes. De ce fait je suis isolé du reste du personnel et cantonné à des taches qui n’ont aucun rapport avec ma fiche de poste. Cette situation ne peut perdurer, c’est pourquoi je voudrai vous rencontrer au plus tôt. »
La cour retient que le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. Il appartient dès lors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur répond que le salarié a été engagé en qualité de salarié agricole et que malgré l’intitulé du poste figurant au contrat de travail il n’a jamais exercé les fonctions d’un chef de culture ni des fonctions d’encadrement mais que ne lui ont jamais été confiés que des travaux manuels et mécanisés.
L’employeur précise qu’à compter du 3 novembre 2014, un nouvel avenant était conclu entre les parties suite à la cessation du contrat de fermage sur le site de Mandourelle, que les fonctions du salarié ont alors été rattachées au siège de l’entreprise à [Localité 7] et qu’il était précisé qu’il serait amené à travailler sur toutes les parcelles exploitées actuellement et à l’avenir par le GFA [Localité 6] et à effectuer des travaux de cave en collaboration avec le responsable de cave, que le salarié a ainsi été intégré une équipe dont le régisseur était M. [S] [R] et le chef de culture M. [U] [H], la cave étant gérée par M. [B] [P], embauché en juin 2014 et par M. [V] [A].
L’employeur ajoute que le 24 novembre 2014 le médecin du travail prescrivait « pour au moins les six mois à venir l’arrêt de la conduite du tracteur et du travail à pied dans la vigne » et « à terme (par exemple d’ici six mois) une reprise de l’activité de tractoriste et du travail à pied dans la vigne, mais alors pour des durées limitées dans le temps (pas plus de deux heures par jour) » et que la fiche de travaux établie le 25 juillet 2016, soit plus d’un an et demi après, ne contrevenait nullement à ces prescriptions qui n’étaient plus d’actualité.
Si l’employeur soutient qu’il n’a jamais appliqué le contrat de travail en ce qu’il conférait au salarié les fonctions de chef de culture et qu’il ne lui a jamais confié que des tâches manuelles et mécaniques, il n’explique nullement les causes de ce comportement fautif et moins encore l’augmentation dont le salarié a pourtant été gratifié le 1er septembre 2011, toujours en qualité de chef de culture. À l’inverse, le salarié rapporte la preuve qu’il exerçait bien des fonctions de chef de culture par le témoignage de M. [M] [E].
De plus, informé dès le 31 juillet 2016 que le salarié percevait ses nouvelles fonctions comme une mise au placard et un harcèlement moral, l’employeur n’a pris aucune mesure d’instruction et n’a pas même répondu aux inquiétudes du salarié exprimées encore à 2 autres reprises en 4 mois. Cette inaction durant 4 mois ainsi que la négation continue des fonctions contractuelles du salarié constituent des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible d’altérer la santé mentale du salarié et de compromettre son avenir professionnel. En conséquence, l’employeur s’est rendu coupable de faits de harcèlement moral.
2/ Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement
Le salarié ne soutient pas que le licenciement se trouve frappé de nullité en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail qu’il cite pourtant. Il conteste uniquement le caractère réel et sérieux du motif du licenciement dès lors que son inaptitude a pour cause le harcèlement moral qui vient d’être caractérisé.
Au vu tant du certificat rédigé par le psychiatre traitant du salarié déjà reproduit que de la dispense de recherche de reclassement retenue par le médecin du travail, il apparaît que le syndrome anxio-dépressif qui a causé l’inaptitude du salarié est bien en relation directe avec le harcèlement moral dont ce dernier a été victime. En conséquence, le licenciement apparaît dépourvu de cause réelle et sérieuse.
3/ Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents
Le salarié sollicite la somme de 5 964 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 596 € au titre des congés payés y afférents. L’employeur ne discute pas ces sommes qui apparaissent fondées et qui seront dès lors allouées au salarié.
4/ Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié était âgé de 50 ans au temps du licenciement et il bénéficiait d’une ancienneté de 16 ans. Il justifie qu’il n’a pas retrouvé d’emploi, qu’il bénéficie de l’allocation spéciale de solidarité soit 510 € et qu’il est devenu conseil en compostage mais que cette activité n’est pas rentable. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient d’allouer au salarié une somme équivalente à 13,5 mois de salaires, soit la somme de 1 981,47 € x 13,5 = 26 749,85 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
5/ Sur les autres demandes
Il y a lieu d’allouer au salarié la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de premier instance et d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
dit que M. [I] [K] a été victime de harcèlement moral ;
dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
condamné le groupement foncier agricole [Localité 6] aux entiers dépens.
L’infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Condamne le groupement foncier agricole [Localité 6] à payer à M. [I] [K] les sommes suivantes :
5 964,00 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
596,00 € au titre des congés payés y afférents ;
26 749,85 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1 500,00 € au titre des frais irrépétibles de premier instance et d’appel.
Condamne le groupement foncier agricole [Localité 6] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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