Cour d’appel de Metz, 23 octobre 2024, RG n° 22/01569
Cour d’appel de Metz, 23 octobre 2024, RG n° 22/01569

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Metz

Thématique : Heures supplémentaires et reconnaissance des droits dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude

 

Résumé

Dans l’affaire opposant Mme [Y] [N] à la SARL Etablissements Gabriel Jeannot, la cour a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, condamnant l’employeur à verser des sommes pour heures supplémentaires et indemnités. Mme [N] a prouvé l’existence d’heures supplémentaires par des courriels et des témoignages, tandis que la société a contesté la prescription de certaines demandes. La cour a jugé que l’action de Mme [N] n’était pas prescrite et a retenu que l’employeur n’avait pas démontré le paiement intégral des heures travaillées. Les demandes pour travail dissimulé et résistance abusive ont été rejetées.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Metz
RG n°
22/01569

Arrêt n° 24/00404

23 octobre 2024

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N° RG 22/01569 –

N° Portalis DBVS-V-B7G-FYJG

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Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de FORBACH

30 mai 2022

F 21/00057

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt trois octobre deux mille vingt quatre

APPELANTE :

SARL ETABLISSEMENTS GABRIEL JEANNOT prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Marc HELLENBRAND, avocat au barreau de THIONVILLE

INTIMÉE :

Mme [Y] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Florent KAHN, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 février 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Y] [N] a été embauchée par la SARL Etablissements Gabriel Jeannot en qualité de technicienne commerciale à compter du 3 novembre 2008 en exécution d’un contrat de travail à durée indéterminée du 31 octobre 2008.

Mme [N] a été licenciée pour inaptitude le 26 juin 2019.

Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Forbach par requête enregistrée au greffe le 16 mars 2021.

Par jugement contradictoire rendu en formation de départage le 30 mai 2022, le conseil de prud’hommes de Forbach a statué comme suit :

« Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

Dit n’y avoir lieu à écarter des débats l’attestation de [B] [I] ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [N] les sommes suivantes, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2021 :

– 21 839,74 € brut au titre des heures supplémentaires ;

– 3 064, 35 € au titre de l’indemnité compensatrice obligatoire en repos ;

Déboute Mme [N] du surplus de ses demandes principales en paiement ;

Déboute la SARL Etablissements Gabriel Jeannot, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [N] la somme de 800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire pour les dispositions du jugement qui ne bénéficient pas de l’exécution provisoire de droit prévue par l’article R. 1454-28 du code du travail, étant précisé que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élevait à 2 881,73 € brut. »

Par déclaration transmise par voie électronique le 13 juin 2022, la société Etablissements Gabriel Jeannot a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses conclusions justificatives d’appel transmises par voie électronique le 25 août 2022, la société Etablissements Gabriel Jeannot demande à la cour de statuer comme suit :

« Infirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Forbach du 30 mai 2022 ;

Dire et juger prescrites les demandes formulées par Mme [N] au titre des heures supplémentaires sollicitées avant le 16 mars 2018 ;

En tout état de cause et infirmant de ce chef le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Forbach ;

Dire et juger que Mme [N] [Y] ne rapporte pas la preuve de l’accomplissement d’heures supplémentaires ;

Condamner Mme [N] au remboursement des indemnités versées dans le cadre de l’exécution du jugement de départage soit :

– 21 839,74 € brut au titre des heures supplémentaires ;

– 3 064,35 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos ;

Infirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Forbach en ce qu’il a condamné la SARL Etablissements Gabriel Jeannot prise en la personne de son représentant légal à verser à Mme [Y] [N] la somme de 800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dire et juger n’y avoir lieu à application de l’article 700 au profit de Mme [Y] [N] ;

Condamner Mme [Y] [N] en tous frais et dépens et au paiement d’une indemnité de 5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile. »

La société Etablissements Gabriel Jeannot explique que Mme [N] était liée par un PACS au gérant de l’entreprise. Elle mentionne qu’une procédure de partage est en cours suite à la séparation du couple.

Elle fait valoir :

– que les réclamations antérieures au 16 mars 2018 sont prescrites ;.

– que le tableau produit par la salariée est incompréhensible et insuffisant pour prouver la matérialité des heures supplémentaires accomplies ;

– que Mme [N] établissait horaires et aurait donc, volontairement, omis de transmettre les heures supplémentaires qu’elle effectuait pour son propre compte ;

– que les locaux de la société servaient également à titre privé, notamment en raison d’un projet d’extension du bâtiment ;

– que les données GPS dont se prévaut Mme [N] ne sont pas probantes et ont fait l’objet de modifications.

Elle explique que la salariée était soumise à l’horaire collectif de travail qui est affiché dans les locaux, à savoir 8 heures à 12 heures, 14 heures à 17 heures, et qu’il n’y a eu aucun dépassement sauf exception.

S’agissant des données GPS, elle souligne que les locaux de l’entreprise se trouvent à proximité de commerces où Mme [N] se rendait pour faire ses courses.

Elle ajoute que la salariée n’était pas autorisée à effectuer des heures supplémentaires, et qu’il ne lui était pas demandé d’en effectuer. Elle indique également que la salariée disposait d’une grande autonomie dans l’organisation de son temps de travail et qu’aucune demande de paiement d’heures supplémentaires n’avait été formulée avant que Mme [N] et le gérant ne se séparent.

Par ses conclusions d’intimée et d’appel incident transmises par voie électronique le 18 novembre 2022, Mme [N] demande à la cour de statuer comme suit :

« Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL à payer à Mme [N] 800 € au titre de l’article 700 ainsi qu’aux dépens. Le confirmer également en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

L’infirmer pour le reste.

Condamner la SARL ETS Gabriel Jeannot à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

– 22 737,99 € brut au titre des heures supplémentaires ainsi que 2 273,79 € de CP sur cette somme.

– 3 253,25 € net à titre d’indemnité au titre de la perte de la contrepartie obligatoire en repos ainsi que 325,32 € net de perte de CP sur cette somme ;

– 17 290,38 € net au titre de l’indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire pour travail dissimulé

– 3 000 € net à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive 

3 000 € au titre de l’article 700 pour les frais d’appel non compris dans les dépens ;

Condamner la société aux intérêts légaux à compter du 10 avril 2021.

Condamner la SARL ETS Gabriel Jeannot à payer à Mme [N] une somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner la partie défenderesse en tous les frais et dépens d’appel. »

Mme [N] rappelle qu’en matière de paiement de salaires, la prescription de l’action est de trois ans à compter de la remise du dernier bulletin de paie, et la demande est limitée aux trois années qui précèdent la rupture du contrat de travail.

A l’appui de ses prétentions au titre d’heures supplémentaires, Mme [N] explique qu’elle n’était pas soumise à des horaires fixes contrairement à ce qui est affirmé par l’employeur. Elle relève que la société Etablissements Gabriel Jeannot se contredit en se prévalant d’horaires fixes puis en évoquant une grande autonomie de la salariée dans la gestion de ses horaires.

Mme [N] indique qu’elle n’a pas à prouver la matérialité des heures supplémentaires effectuées, mais seulement à apporter des éléments suffisamment précis pour que l’employeur puisse répliquer, et que la preuve des heures travaillées incombe à la société Etablissements Gabriel Jeannot.

Elle précise que l’employeur ne s’est pas opposé à la réalisation des heures supplémentaires et a donc implicitement donné son accord.

Elle explique qu’elle a obtenu paiement de ses heures supplémentaires jusqu’en 2015 et que, pour des raisons fiscales, l’employeur a cessé de les lui payer lorsqu’elle a obtenu une augmentation de son taux horaire.

Elle affirme qu’elle était incitée par le gérant à effectuer des heures supplémentaires et qu’elle n’insistait pas pour en obtenir paiement, car cela créait des conflits dans la sphère privée. Elle évoque une charge de travail en augmentation continue, corroborée par la croissance de l’entreprise et l’accroissement des effectifs, avec une augmentation des tâches et projets à gérer.

Elle fait valoir que l’augmentation de sa charge de travail se traduit par celle des frais kilométriques déclarés au titre de ses déplacements professionnels, qui de 3 134 km en 2009 étaient de 8 377 km en 2018.

Mme [N] souligne que l’employeur ne prouve pas les horaires réalisés et se contente de déconsidérer de manière générale le décompte qu’elle produit.

Elle estime apporter des éléments probants s’agissant des heures supplémentaires effectuées, notamment des témoignages de collègues et de clients ou prestataires, des courriels échangés en dehors des horaires fixes mentionnés par l’employeur, et des données GPS qui prennent en compte ses pauses, ses congés et l’ensemble de ses absences.

Elle déclare qu’elle ne transmettait pas ses véritables horaires au service comptable, car le gérant le lui avait interdit.

Au soutien du montant réclamé, Mme [N] souligne qu’elle s’est appliquée à récapituler les horaires effectués à l’aide de sa géolocalisation, et que pour les périodes sans données GPS elle a renoncé à la réclamation de ses heures, bien qu’elles les aient réalisées, de sorte que le rappel d’heures aurait pu être bien plus élevé.

Elle fait état de la fiabilité des données de géolocalisation et ajoute que, si des trajets peuvent être supprimés, aucun ne peut être ajouté sans que cela ne soit identifiable.

Au titre de ses prétentions pour travail dissimulé, Mme [N] estime que l’employeur ne prouve pas son erreur ou son ignorance excusable et qu’au contraire, il a nécessairement eu une intention dissimulatrice.

A l’appui de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, Mme [N] fait état des répercussions de la procédure sur sa vie personnelle et sur sa santé. Elle estime que la défense de la société Etablissements Gabriel Jeannot est extrêmement virulente et même mensongère.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture de la procédure de mise en état a été rendue le 5 avril 2023.

MOTIFS

Sur la prescription de la demande en paiement des heures supplémentaires

Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance.

En l’espèce, Mme [N] réclame le paiement d’heures supplémentaires à compter du 17 octobre 2016 et jusqu’au 13 décembre 2018. Il s’agit d’une créance de nature salariale et le contrat de travail a été rompu le 26 juin 2019.

Le point de départ du délai de prescription de l’action est le 31 décembre 2018, date de la paie du mois de décembre 2018 (pièce n° 9 de l’intimée). Il s’agit, en effet, de la date du dernier salaire dont Mme [N] réclame un rappel de rémunération, et donc de la date à laquelle Mme [N] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action.

L’intimée affirme ne pas avoir eu connaissance de ses droits dès cette date, faute pour la société Etablissements Gabriel Jeannot de respecter l’obligation de l’article D 3171-12 du code du travail prévoyant la remise d’une annexe au bulletin de salaire faisant état des heures supplémentaires.

Toutefois, il ressort des pièces produites par la salariée, et notamment de sa pièce n°10, que lorsque l’employeur admet l’existence d’heures supplémentaires, celles-ci sont mentionnées sur le bulletin de salaire, ce dont il résulte que Mme [N] avait bien connaissance de ses droits dès la remise du bulletin de salaire le 31 décembre 2018, et ce, malgré l’absence de remise de l’annexe prévue à l’article D 3171-12.

En tout état de cause, Mme [N] avait jusqu’au 31 décembre 2021 pour agir. Elle a déposé sa requête introductive d’instance au greffe le 16 mars 2021, soit dans le délai d’action.

Conformément à l’article L. 3245-1 du code du travail, sa demande peut porter sur les salaires des trois années précédant la rupture du contrat de travail, soit le 26 juin 2019. Ses demandes peuvent porter sur les salaires allant jusqu’au 26 juin 2016.

Ainsi, l’action de Mme [N] n’est pas prescrite et ses demandes en paiement d’heures supplémentaires respectent les dispositions de l’article L. 3245-1 du code du travail prévoyant la limite de trois années pour les demandes en paiement d’arriérés de salaires.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Sur les heures supplémentaires

En vertu de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Le juge ne peut pas se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter sa demande, mais doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés et que l’employeur est tenu de lui fournir.

Le juge ne peut pas se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter sa demande, mais doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés et que l’employeur est tenu de lui fournir.

En l’espèce, au soutien de ses prétentions Mme [N] produit :

– 46 courriels échangés hors des horaires de service entre le 25 octobre 2017 et le 13 novembre 2018 (sa pièce n°11) ;

– les témoignages de M. [J], acheteur, Mme [I], vendeuse en salle d’exposition, M. [F], chauffagiste, M. [A], plombier-chauffagiste, M. [W], chauffagiste, M. [G], client de la société Etablissements Gabriel Jeannot et M. [O], son fils, qui mentionnent tous qu’elle a travaillé en dehors des horaires fixes de travail évoqués par l’employeur (ses pièces n°12 à 18) ;

– des tableaux détaillant, mois par mois, les heures de travail effectuées chaque jour et les données GPS (pièce n°19).

Au vu de ces pièces, la cour estime que Mme [N] présente des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande en paiement d’un rappel d’heures supplémentaires pour permettre à l’employeur de répliquer.

En réplique, l’employeur produit :

– les témoignage de Mme [C], secrétaire-comptable et de Mme [D], secrétaire de direction, qui déclarent toutes deux que Mme [N] n’a pas sollicité le paiement d’heures supplémentaires (pièces n°5 et 6) ;

– des tableaux intitulés ‘relevé hebdomadaire des heures de travail’ accompagnés de pages de l’agenda personnel de Mme [N] et couvrant la période du 17 octobre 2016 au 31 décembre 2017.

Comme l’ont relevé avec pertinence les premiers juges, les tableaux de suivis établis par Mme [N] reprennent des relevés de géolocalisation dont les données coïncident par ailleurs avec les pages d’agenda produites par la société Etablissements Gabriel Jeannot.

L’absence de déclaration par la salariée de ses heures supplémentaires au service comptable est sans emport sur le temps de travail réellement effectué par Mme [N], d’autant plus que ses bulletins de salaire comportaient jusqu’en janvier 2015 une rémunération forfaitaire d’heures supplémentaires majorées, ce qui démontre que les tâches qui lui étaient confiées ne pouvaient être réalisées dans le cadre de l’horaire collectif de l’entreprise,

Il ressort de l’examen des tableaux hebdomadaires intitulés  »relevé hebdomadaire des heures de travail » qui ont été reconstitués par la société Etablissements Gabriel Jeannot que ces documents font eux-mêmes apparaître l’existence d’heures supplémentaires.

La société Etablissements Gabriel Jeannot retient systématiquement une prise de poste à huit heures ainsi qu’une pause méridienne de midi à 14 heures, alors que Mme [N] justifie de sa prise de poste anticipée le matin et de la poursuite de son activité professionnelle durant la pause méridienne très régulièrement.

Les horaires indiqués dans les tableaux de suivi de Mme [N] sont confirmés par ses données GPS, et si la société Etablissements Gabriel Jeannot allègue que la salariée disposait d’une autonomie dans l’organisation de son travail ‘ tout en affirmant qu’elle était tenue au respect des horaires collectifs -, cette affirmation ne permet pas d’exclure le droit de Mme [N] au paiement des heures supplémentaires.

Si l’employeur soutient que Mme [N] se devait de respecter son temps de travail, il produit des pages de l’agenda personnel de la salariée qui révèlent que Mme [N] assurait un nombre important de rendez-vous clients, notamment en fin de journée ou le week-end.

En outre, Mme [N] a occupé le seul poste commercial de l’entreprise alors que celle-ci a connu un accroissement d’activité important et une augmentation conséquente des effectifs.

En conséquence, la cour retient comme les premiers juges que la société Etablissements Gabriel Jeannot ne démontre pas que Mme [N] a été rémunérée de l’intégralité des heures de travail réalisées.

S’agissant du nombre d’heures travaillées non rémunérées, les parties versent au débat, à hauteur d’appel, les mêmes éléments qu’en premier ressort et la cour en retient la même appréciation que les premiers juges qui dans leur motivation ont relevé les quelques incohérences entre l’agenda et le tracé GPS de Mme [N] dont a notamment fait état l’employeur.

A l’instar de la décision de première instance, il est retenu que les repas et évènements en relation avec l’activité professionnelle de Mme [N] doivent être considérés comme du temps de travail effectif, la salariée n’étant pas en mesure de vaquer à ses occupations personnelles durant ces périodes.

De plus, il est observé que les jours de congé et de récupération que la société Etablissements Gabriel Jeannot déclare avoir payé malgré l’absence de la salariée ont bien été déduits du temps de travail par Mme [N] dans ses tableaux de suivi.

En conséquence, il est retenu que les heures supplémentaires suivantes ont été effectuées par Mme [N] :

– 99,25 heures pour 2016,

– 318,74 heures pour 2017,

– 425,29 heures pour 2018.

Au regard des majorations applicables, la société Etablissements Gabriel Jeannot est condamnée à payer à Mme [N] la somme totale de 21 839,74 euros brut, et le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Mme [N] réclame à hauteur de cour l’octroi des congés payés afférents à ce rappel de rémunération. Il lui est alloué la somme de 2 183,97 euros brut à ce titre.

Ces sommes de nature salariale sont augmentées des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2021, date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation. La décision de première instance est également confirmée sur ce point.

Sur les repos compensateurs de remplacement

Il résulte des articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-37 du code du travail que le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires et des majorations s’y rapportant par un repos compensateur peut être prévu :

– par convention ou accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, de branche ;

– dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, par décision de l’employeur, sous réserve que le CSE n’y soit pas opposé.

Le repos compensateur de remplacement s’ajoute, pour les heures supplémentaires, à la contrepartie obligatoire en repos qui est due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel aux salariés concernés.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur a droit à l’indemnisation du préjudice subi, laquelle comporte à la fois le montant de l’indemnité de repos compensateur et le montant de l’indemnité de congés payés afférents (Soc., 23 octobre 2001, pourvoi n° 99-40.879, Bull. 2001, V, n 332 ; Soc., 22 février 2006, pourvois n° 03-45.385, 03-45.386, 03-45.387, Bull. 2006, V, n 83 ; Soc., 15 novembre 2006, pourvoi n° 05-42.111).

En l’espèce, c’est par une analyse pertinente des pièces que les premiers juges ont retenu que Mme [N] a réalisé en 2017 et 2018 respectivement 105,14 et 228,49 heures en plus du contingent annuel de 180 heures, déduction faites des heures récupérées en repos.

Elle est donc fondée à obtenir une indemnité compensatrice au titre de la contrepartie obligatoire en repos d’un montant total de 3 064,35 euros. Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Mme [N] réclame à hauteur de cour l’octroi des congés payés afférents à ce rappel de rémunération. Il lui est alloué la somme de 306,43 euros à ce titre.

Au regard du caractère indemnitaire de ces montants, les intérêts au taux légal courent à compter du jugement du 30 mai 2022, date du jugement déféré, pour ce qui est de la somme de 3 064,35 euros, et à compter de la date du présent arrêt pour ce qui concerne la somme de 306,43 euros.

Le jugement déféré est infirmé dans cette limite, quant au point de départ des intérêts sur le montant de 3 064,35 euros.

Sur le travail dissimulé

Conformément aux articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, lorsqu’il y a eu travail dissimulé caractérisé par une volonté manifeste de l’employeur de frauder, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, Mme [N] soutient que l’employeur a eu une volonté dissimulatrice, notamment en ce qu’il reconnait l’accomplissement d’heures supplémentaires dans les relevés hebdomadaires qu’il a lui-même établis et qu’il n’a pas procédé, malgré l’obligation légale qui pesait sur lui, à un décompte du temps de travail de Mme [N].

Toutefois, il est constant que les relevés hebdomadaires ont été établis par l’employeur au cours de la procédure en se rapportant à l’agenda personnel de Mme [N]. En outre, le gérant de la société et Mme [N] étaient pacsés et le temps de travail de la salariée n’a jamais été source de litige entre les parties au cours de la relation contractuelle, en l’état des éléments du débat. De surcroît l’employeur produit une attestation de la secrétaire comptable qui mentionne que Mme [N] lui transmettait ‘les variables de paie’ (sa pièce n° 5).

Il en découle que l’absence de paiement des heures supplémentaires et de décompte du temps de travail de la salariée ne permettent pas de caractériser, à eux seuls, une intention frauduleuse de la part de l’employeur.

Ainsi, rien ne permet d’établir que l’employeur a effectivement cherché à dissimuler des heures supplémentaires, étant relevé par ailleurs que la salariée n’a jamais réclamé le paiement desdites heures.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé.

Sur la demande au titre de la résistance abusive

Mme [N] ne démontre ni un abus de l’employeur de l’exercice de ses droits, ni un préjudice indépendant des sommes déjà allouées ci-dessus.

Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées.

La société Etablissements Gabriel Jeannot est condamnée à payer 3 000 euros à Mme [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Etablissements Gabriel Jeannot est condamnée aux dépens d’appel et débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives au point de départ des intérêts sur la somme allouée au titre de la contrepartie obligatoire en repos ;

Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant :

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot à payer à Mme [Y] [N] la somme de 2 183,97 euros brut au titre des congés payés afférents à la somme allouée au titre des heures supplémentaires, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2021 ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot à payer à Mme [Y] [N] la somme de 3 064,35 au titre de la contrepartie obligatoire en repos, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2022 ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot à payer à Mme [Y] [N] la somme de 306,43 euros au titre des congés payés afférents à la somme allouée au titre de la contrepartie obligatoire en repos, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot à payer à Mme [Y] [N] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SARL Etablissements Gabriel Jeannot de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Etablissements Gabriel Jeannot aux dépens d’appel.

La Greffière La Présidente


 


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