Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Metz
Thématique : Liberté d’expression du salarié sur les réseaux sociaux : licenciement abusif
→ RésuméL’affaire concerne le licenciement de M. [J] par la SARL Soderbat pour faute grave, suite à des propos diffamatoires publiés par sa compagne sur les réseaux sociaux. Le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement fondé, mais a requalifié la faute en faute simple. En appel, la cour a rappelé que la liberté d’expression des salariés est protégée, mais qu’elle n’est pas absolue. M. [J] a contesté les accusations, affirmant avoir exercé son droit d’expression. La cour a finalement déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser une indemnité à M. [J].
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1. Attention à la preuve de la faute grave : Lorsqu’un employeur invoque une faute grave pour justifier un licenciement, il est déterminant de s’assurer que la réalité et la gravité des manquements du salarié sont correctement établies. La charge de la preuve repose sur l’employeur, qui doit démontrer que les faits reprochés sont imputables personnellement au salarié et qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise. Il est recommandé de vérifier la solidité des éléments de preuve présentés par l’employeur pour contester un licenciement pour faute grave.
2. Il est recommandé de respecter le droit d’expression des salariés : Conformément à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et les libertés fondamentales, les salariés ont le droit à la liberté d’expression. Cependant, ce droit n’est pas absolu et comporte des limites, notamment en ce qui concerne les propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. Il est important de sensibiliser les salariés sur les limites de leur liberté d’expression et de mettre en place des politiques internes claires concernant la communication et les comportements acceptables au sein de l’entreprise.
3. Attention à la justification du licenciement : Lorsqu’un licenciement est contesté pour absence de cause réelle et sérieuse, il est essentiel pour l’employeur de démontrer de manière claire et précise les motifs justifiant la rupture du contrat de travail. Il est recommandé de documenter soigneusement les faits reprochés au salarié, de respecter les procédures légales en vigueur et de s’assurer que la décision de licenciement est fondée sur des motifs objectifs et vérifiables. En cas de litige, le doute profite généralement au salarié, il est donc essentiel de fournir des éléments de preuve solides pour justifier la décision de licenciement.
M. [J] a été licencié pour faute grave par la SARL Soderbat en raison de propos diffamatoires publiés par sa compagne sur les réseaux sociaux et de son propre dénigrement envers l’entreprise. Le conseil de prud’hommes de Metz a jugé le licenciement comme étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais a requalifié la faute en faute simple. La société Soderbat a interjeté appel, demandant que le licenciement soit requalifié en faute grave. M. [J] a également fait appel, contestant la décision du conseil de prud’hommes. Les parties ont exposé leurs arguments, la société Soderbat mettant en avant les répercussions négatives des propos sur l’image de l’entreprise, tandis que M. [J] nie les faits qui lui sont reprochés et affirme avoir simplement exercé sa liberté d’expression. L’instruction de l’affaire a été clôturée le 13 septembre 2022.
Les points essentiels
Introduction
L’affaire en question concerne le licenciement pour faute grave de M. [J] par la société Soderbat. Le licenciement a été motivé par des propos diffamatoires et injurieux publiés sur les réseaux sociaux par la compagne de M. [J], ainsi que par l’attitude de ce dernier vis-à-vis de l’entreprise. La cour a été appelée à statuer sur la légitimité de ce licenciement et sur les indemnités dues à M. [J].
Contexte du Licenciement
Le 3 mai 2019, la société Soderbat a licencié M. [J] pour faute grave. La lettre de licenciement mentionnait que l’entreprise dépendait fortement de son image, notamment sur les réseaux sociaux. Un commentaire diffamatoire avait été posté par la compagne de M. [J] sous une annonce de recrutement, et M. [J] avait revendiqué ces propos le lendemain, selon des témoins.
Définition de la Faute Grave
La faute grave est définie comme une violation des obligations contractuelles ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. En cas de faute grave, l’employeur doit prouver la réalité et la gravité des manquements du salarié. Le comportement fautif doit être personnellement imputable au salarié.
Analyse des Preuves
La société Soderbat a présenté des attestations de deux salariés, M. [L] [S] et M. [X] [O], affirmant que M. [J] avait exprimé de la haine envers l’entreprise et s’était vanté des propos de sa compagne. Cependant, M. [J] a contesté ces déclarations, et la cour a noté que les propos incriminés avaient été tenus dans un cadre privé et non publiquement.
Liberté d’Expression
La cour a rappelé que toute personne a droit à la liberté d’expression, mais que ce droit n’est pas absolu. Les propos injurieux, diffamatoires ou excessifs peuvent constituer un abus de cette liberté. En l’espèce, les critiques de M. [J] envers la direction étaient privées et non publiques, et aucun abus de la liberté d’expression n’a été établi.
Absence de Sanctions Antérieures
M. [J] n’avait jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires durant les presque quatre années précédant son licenciement. L’employeur avait même exprimé sa satisfaction quant au travail de M. [J] dans la lettre de licenciement. Cela a renforcé l’argument selon lequel le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
Indemnité pour Licenciement Sans Cause Réelle et Sérieuse
La cour a jugé que le licenciement de M. [J] était sans cause réelle et sérieuse. En conséquence, elle a octroyé à M. [J] une indemnité de 5 000 euros, en tenant compte de son ancienneté, de son âge, et de son salaire mensuel brut. Cette indemnité a été augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt.
Indemnités Compensatrices
La cour a confirmé les indemnités compensatrices de préavis, de congés payés, et de licenciement allouées par le conseil de prud’hommes. Ces indemnités étaient contestées dans leur principe, mais non dans les montants.
Remise de Documents de Fin de Contrat
La cour a ordonné à la société Soderbat de délivrer à M. [J] une attestation Pôle emploi conforme, conformément à l’article R 1234-9 du code du travail. Cette décision a été confirmée par le jugement.
Frais de Procédure
La cour a condamné la société Soderbat à payer à M. [J] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, ainsi que les dépens d’appel. La demande de la société Soderbat en application de l’article 700 du code de procédure civile a été rejetée.
Les montants alloués dans cette affaire:
Réglementation applicable
Voici la liste des articles des Codes cités dans le texte fourni, ainsi que le texte de chaque article cité :
Code du travail
– Article L. 1121-1
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
– Article L. 2281-1 et suivants
« Les articles L. 2281-1 à L. 2281-3 définissent les conditions et les modalités de l’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés sur le contenu et les conditions de travail. »
– Article L. 1235-3
« Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise. »
– Article L. 1234-1
« Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur. »
– Article L. 1234-9
« Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. »
– Article R. 1234-2
« L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans. »
– Article R. 1234-9
« L’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi. »
Code de procédure civile
– Article 700
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »
– Article 696
« La partie perdante est condamnée aux dépens, sauf si le juge en décide autrement. »
Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales
– Article 10
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Ces articles fournissent le cadre juridique pertinent pour l’analyse du cas de licenciement pour faute grave de M. [J] par la société Soderbat.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Cyrille GUENIOT, avocat au barreau de NANCY
– Me Laetitia LORRAIN, avocat au barreau de METZ
Mots clefs associés & définitions
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
10 janvier 2024
Cour d’appel de Metz
RG n°
21/01539
Arrêt n° 24/00001
10 janvier 2024
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N° RG 21/01539 –
N° Portalis DBVS-V-B7F-FQW6
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ
20 mai 2021
F 20/00024
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Dix janvier deux mille vingt quatre
APPELANTE :
S.A.R.L. SODERBAT prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Cyrille GUENIOT, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉ :
M. [I] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Laetitia LORRAIN, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 avril 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [J] a été embauché par la SARL Soderbat à durée déterminée et à temps complet selon deux contrats de travail successifs couvrant la période du 4 juin 2015 au 28 février 2016, moyennant une rémunération de 1 600 euros brut par mois.
La relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée.
La convention collective applicable était celle des industries de transformation des métaux de Meurthe-et-Moselle.
Par courrier du 12 avril 2019 assorti d’une mise pied à titre conservatoire, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 avril 2019.
Par lettre du 3 mai 2019, M. [J] a été licencié pour faute grave pour avoir accepté la publication par sa compagne de propos diffamatoires à l’encontre de l’entreprise et avoir eu une démarche active de dénigrement à l’encontre de son employeur.
Estimant le licenciement infondé, M. [J] a saisi, le 14 janvier 2020, la juridiction prud’homale.
Par jugement contradictoire prononcé le 20 mai 2021, la formation paritaire de la section industrie du conseil de prud’hommes de Metz a notamment :
– jugé la demande de M. [J] recevable ;
– dit que le licenciement de M. [J] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [J] les sommes suivantes :
* 3 200 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
* 320 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
* 1 600 euros net à titre d’indemnité de licenciement ;
– dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter de la notification du présent jugement à la société Soderbat ;
– ordonné à la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, de délivrer à M. [J] une attestation Pôle emploi conforme au jugement ;
– condamné la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [J] la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– ordonné l’exécution provisoire en application de l’article R. 1454-28 du code du travail;
– rappelé que le salarie mensuel moyen de M. [J] s’élève à 1 600 euros brut ;
– condamné la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, ‘aux entiers frais et dépens d’instance en vertu des dispositions de l’article 696 du Code de Procédure Civile, y compris aux éventuels frais d’exécution du présent jugement’.
Le 18 juin 2021, la société Soderbat a interjeté appel par voie électronique.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 16 mars 2022, la société Soderbat requiert la cour :
au titre de l’appel principal et en réponse à l’appel incident,
sur la légitimité du licenciement pour faute grave,
– d’infirmer le jugement, en ce qu’il a requalifié le licenciement de M. [J] en faute simple et en ce qu’il a dit le licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse ;
statuant à nouveau,
– de juger que le licenciement de M. [J] repose sur une faute grave ;
en conséquence,
– d’infirmer le jugement, en ce qu’il a condamné la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [J] la somme de 3 200 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 320 euros brut au titre des congés payés y afférents et 1 600 euros net à titre d’indemnité de licenciement, en ce qu’il a dit que ces sommes porteraient intérêt légal à compter de la notification du jugement à la société Soderbat, puis ‘Dans la mesure où aucune somme n’est due’, en ce qu’il a ordonné à la société Soderbat, prise en la personne de son représentant légal, de délivrer à M. [J] une attestation Pôle emploi conforme, en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire par application de l’article R. 1458-28 du code du travail et en ce qu’il a rappelé que le salaire moyen de M. [J] s’élève à 1 600 euros brut ;
– de confirmer le jugement, en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
sur la régularité de la procédure,
– de constater que la cour d’appel n’est pas saisie du chef de demande relatif à l’octroi de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier ;
– de débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes ;
sur les frais irrépétibles et les dépens,
– d’infirmer le jugement, en ce qu’il l’a condamnée, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [J] la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en ce qu’il l’a déboutée de sa demande sur le fondement de ce même article, en ce qu’il l’a déboutée du surplus de ses demandes et en ce qu’il l’a condamnée, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers fais et dépens d’instance en vertu des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, y compris aux éventuels frais d’exécution du jugement ;
statuant à nouveau,
– de débouter M. [J] de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner M/. [J] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
A l’appui de son appel, elle expose :
– que la compagne de M. [J] a répondu publiquement à une annonce d’emploi postée sur le compte Facebook de l’entreprise en des termes intolérables et calomnieux à l’égard de celle-ci;
– que le salarié s’est vanté des propos injurieux tenus par sa compagne ;
– qu’un des vecteurs de communication les plus importants de la société est celui des réseaux sociaux ;
– que M. [J] s’est approprié les propos de sa compagne sur une page de Facebook accessible au public, en ne les niant pas et en ne présentant aucune excuse;
– que le salarié a même expliqué qu’il éprouvait de la haine envers l’entreprise ;
– que le commentaire calomnieux a eu des répercussions sur l’image de la société et sur le nombre de commandes effectuées sur les chantiers, car il laissait penser aux clients que le climat au sein de l’entreprise n’était pas serein ;
– que M. [J] critiquait la direction, ce qui est confirmé par les témoignages d’anciens collègues ;
– que l’attitude du salarié a créé une mauvaise ambiance de travail.
Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 16 décembre 2021, M. [J] sollicite que la cour :
– déclare l’appel interjeté par la société Soderbat mal fondé ;
– déclare son appel incident recevable et bien fondé ;
en conséquence,
– confirme le jugement, sauf les dispositions ayant requalifié son licenciement en faute simple, dit son licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse, puis rejeté le surplus de ses demandes ;
statuant à nouveau sur ces chefs,
– dise son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamne la société Soderbat à lui payer les somme de 6 400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce avec intérêt au taux légal à compter de la demande ;
– condamne la société Soderbat à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il réplique :
– qu’il conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés ;
– qu’il n’a jamais fait l’objet de la moindre sanction disciplinaire avant son licenciement pour faute grave ;
– que le commentaire rédigé par sa compagne ne lui est pas imputable personnellement et n’est resté qu’environ 1h30 en ligne ;
– que l’employeur ne rapporte pas les termes de l’entretien du 11 avril 2019 avec son collègue et qu’en tout état de cause, les propos tenus relevaient d’une conversation de nature privée ;
– qu’il n’utilise pas le terme ‘seum’ ;
– qu’il n’a fait qu’user de sa liberté d’expression, sans en abuser.
Le 13 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de constater qu’aucune demande d’indemnité pour procédure irrégulière de licenciement n’est présentée par M. [J] en cause d’appel.
Il n’est donc pas statué sur ce point.
Sur le licenciement pour faute grave
Par courrier du 3 mai 2019, la société Soderbat a licencié pour faute grave M. [J], dans les termes suivants :
» (…) L’activité de notre société dépend fortement de notre image et ce, notamment sur les réseaux sociaux.
En effet, travaillant avec les particuliers, nous avons besoin de nous faire connaître et de véhiculer un certain attrait pour nos clients.
Dans ce cadre, nous nous servons notamment des réseaux sociaux, de type Facebook, pour diffuser des annonces.
En l’occurrence, le 10 avril 2019, nous avons posté une annonce pour rechercher un charpentier.
Or, le même jour mais un peu plus tard, un commentaire, sous le pseudonyme » Louloute D’Amoure » a été posté.
Nous en reprenons le contenu parfaitement diffamatoire et injurieux :
» Se qui n’est pas précisé dans l’annonce c’est qu’il faut se battre chaques mois pour que la paye soit transmise aux ouvriers, ils galèrent à payer leurs propres ouvriers et ils recrutent en CDI.
Je finirai par Bien venue chez soderbat qui peut te battre.
Annonce parfaite pour les personnes qui veulent travailler et qui n’ont aucunes factures a charges histoire de pas être dans le rouge chaque mois « .
Ces propos intolérables et calomnieux qui plus est, ont été publiés par votre compagne.
D’ailleurs, vous ne vous en êtes pas caché.
Pire encore, dès le lendemain, soit le 11 avril 2019, vous avez même revendiqué les termes employés en vous les appropriant.
Vous sembliez fier de ce commentaire, selon les propos rapportés par les témoins de votre attitude ce jour.
Par ailleurs, vous avez également dit haut et fort avoir le » seum » (la haine, en argot) contre l’entreprise.
Nous avons tenté de discuter avec vous pour vous calmer et de simples excuses nous auraient contentés.
Malheureusement, vous avez persisté dans votre comportement provocateur en vous inscrivant comme solidaire avec votre compagne et le commentaire posté la veille.
Vous avez donc reconnu avoir participé et/ou accepté la publication de tels propos diffamatoires à l’encontre de la société pour qui vous travaillez depuis presque 4 ans.
Entreprise, qui plus est, qui se fait force de respecter le Droit du travail à l’encontre de ses collaborateurs.
Par exemple, nous n’avons jamais eu de difficultés à payer votre salaire.
Nous sommes donc plus que choqués par l’image de notre société que vous entendez renvoyer à l’extérieur.
Contraints de prononcer une mise à pied conservatoire à votre encontre, les langues se sont déliées en votre absence et nous avons appris que depuis plusieurs mois, vous vous étiez inscrit dans une démarche active de dénigrement de l’entreprise.
Nous comprenons encore moins votre attitude vis-à-vis de notre société dans la mesure où votre père est lui-même salarié de notre structure et ce, depuis plus de 6 années.
Il nous a été notamment rapporté que vous n’en aviez rien à faire de l’entreprise, que vous vouliez quitter l’entreprise, que vous traitiez la direction de « cons »…
Vous aviez notamment sollicité une rupture conventionnelle le mois dernier.
Néanmoins et comme nous vous l’avons indiqué, n’ayant pas l’intention de nous séparer de vous, nous n’étions pas disposés à vous verser une indemnité à l’occasion d’un départ dont vous prendriez l’initiative.
A bon droit, nous n’avons donc pas entendu donner de suite à votre demande.
Il est malheureux de constater le seul comportement que vous ayez cru bon d’adopter par la suite.
Pour toutes ces raisons, nous vous indiquons que nous avons pris la décision de ne pas poursuivre nos relations contractuelles et de prononcer votre licenciement pour faute grave (…).’
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en ‘uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués.
En cas de faute grave, la charge de la preuve repose sur l’employeur qui doit établir à la fois la réalité et la gravité des manquements du salarié.
Le comportement fautif reproché à un salarié dans le cadre d’un licenciement doit lui être imputable personnellement.
En l’espèce, la société Soderbat ne saurait reprocher à M. [J] le commentaire qui a été posté sur Facebook dans les termes rappelés ci-dessus dans la lettre de licenciement, dès lors que ce message – qui émane d’un tiers – n’est pas personnellement imputable au salarié, étant observé que la société Soderbat ne conteste pas l’affirmation de la partie adverse selon laquelle les commentaires litigieux ne sont restés qu’environ 1h30 en ligne.
L’employeur verse aux débats l’attestation de M. [L] [S], assistant de gestion, qui indique qu’à la découverte du commentaire rédigé par la compagne de M. [J] sous l’annonce mise en ligne, il a contacté celui-ci par téléphone afin de lui demander des explications et que, pendant l’entretien, M. [J] lui a déclaré avoir ‘le seum après la boîte’, M. [S] précisant que le ‘seum’ signifie haine en argot (pièce n° 9 de l’appelante).
L’employeur produit aussi une attestation d’un autre salarié, M. [X] [O], électricien, qui relate qu’il déjeunait tous les midis avec M. [J] et que, le 11 avril 2019, celui-ci s’est vanté des propos de sa compagne et en était même fier (pièce n° 10).
M. [J] conteste les déclarations de M. [S], en soulignant qu’il ‘n’utilise pas ce type de vocabulaire’.
En tout état de cause, à les supposer avérées, les déclarations des deux témoins établissent que M. [J] n’a pas désapprouvé sa compagne, mais non que ce salarié ait été directement à l’origine ou ait suscité le message litigieux sur Facebook.
Par ailleurs, il convient de rappeler que conformément à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et les libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d’expression.
Les contours du droit d’expression des salariés sont définis par les dispositions des articles L. 1121-1 et L. 2281-1 et suivants du code du travail.
Le droit d’expression n’est pas absolu et, si le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle ci, d’une liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.
En l’espèce, M. [O] relate, dans son écrit du 26 avril 2019, que, depuis le 18 mars 2019, M. [J] n’arrêtait pas de critiquer la direction, parlant même ‘des cons’.
Sur ce point, le témoignage de M. [O] n’est corroboré par aucun autre élément précis, de sorte qu’il s’agit d’une attestation isolée.
Au demeurant, les propos relatés auraient été tenus par M. [J] dans le cadre d’une conversation strictement privée entre deux collègues de travail se côtoyant quotidiennement. L’employeur n’allègue pas que M. [J] se serait exprimé dans des termes similaires publiquement ou devant le personnel en formation ou encore devant des clients, voire des fournisseurs, de l’entreprise.
Quant à l’attestation de Mme [F] [U], responsable logistique, qui se contente d’exposer ‘Il critiquait la société, ses dirigeants et ses collègues. C’était un faux-cul parce qu’il rapportait tout à la direction (…)’ (pièce n° 12 de l’appelante), elle est trop vague, notamment sur l’identité du salarié concerné qui n’est même pas précisée, pour être utile à la solution du litige.
La cour relève qu’avant le 10 avril 2019, l’employeur n’a jamais eu connaissance des propos et man’uvres de dénigrement de l’entreprise reprochés à M. [J] dans le courrier de rupture, ce qui confirme que le salarié n’a jamais formulé publiquement ni diffusé de critiques à l’encontre de son employeur et qu’il a, au contraire, toujours échangé de manière confidentielle avec certains collègues uniquement.
Il n’apparaît donc pas qu’un abus de sa liberté d’expression soit établi à l’encontre de M. [J].
En outre, M. [J] n’a jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires durant les presque quatre années précédant l’introduction de la procédure de licenciement, l’employeur étant au contraire satisfait du travail fourni par son salarié, puisqu’il écrivait dans la lettre de licenciement qu’il n’entendait pas se séparer de M. [J], lorsqu’une rupture conventionnelle du contrat de travail a été sollicitée par celui-ci.
En définitive, l’employeur est défaillant dans la démonstration des griefs, étant rappelé que le doute profite à M. [J].
En conséquence, le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé sur ce point et en ce qu’il a rejeté la demande subséquente d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
Le salarié qui est licencié abusivement subit nécessairement un préjudice dont le juge apprécie l’étendue que le salarié n’est pas tenu de prouver pour obtenir indemnisation.
En l’espèce, à la date d’envoi de la lettre de licenciement, M. [J] comptait trois années complètes d’ancienneté.
La société Soderbat employait habituellement moins de onze salariés, de sorte que M. [J] relève du régime d’indemnisation de l’article L. 1235-3 alinéa 3 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause qui prévoit une indemnité minimale d’un mois de salaire et, au vu de l’alinéa 2 du même article, une indemnité maximale de quatre mois de salaire.
Compte tenu de l’âge du salarié lors de la rupture du contrat de travail (25 ans), de son ancienneté (3 années complètes) et du montant de son salaire mensuel brut (1 600 euros) et alors qu’il justifie avoir perçu des indemnités de Pôle emploi jusqu’au 10 janvier 2020 au moins (pièce n° 13 de l’intimé), il convient de condamner la société Soderbat à payer à M. [J], à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, un montant de 5 000 euros à augmenter des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents et l’indemnité de licenciement
Aux termes de l’article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.
Il résulte de l’article L. 1234-9 du code du travail que le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement et de l’article R. 1234-2 du même code, en sa version applicable à l’espèce, que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
En l’espère, l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents et l’indemnité de licenciement sont contestées dans leur principe, mais non dans les montants alloués par le conseil de prud’hommes, de sorte que le jugement est confirmé s’agissant de ces trois indemnités.
Sur la remise de documents de fin de contrat
Selon l’article R 1234-9 du code du travail, l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.
Le jugement est donc confirmé, en ce qu’il a ordonné à la société Soderbat de délivrer à M. [J] une attestation Pôle emploi conforme.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement entrepris est confirmé, en ce qu’il a condamné la société Soderbat à payer à M. [J] la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a condamné cette société aux dépens de première instance.
La société Soderbat est déboutée de sa demande présentée en application de ce même article.
Elle est condamnée à payer à M. [J] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci en cause d’appel.
Elle est condamnée aux dépens d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement, en ce qu’il a requalifié le licenciement de M. [I] [J] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [I] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Condamne la SARL Soderbat à payer à M. [I] [J] les sommes suivantes à augmenter des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Déboute la SARL Soderbat de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Soderbat aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente
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