Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Lyon
→ RésuméM. [D], salarié agricole, a subi un accident du travail en 2004, entraînant une reconnaissance d’incapacité permanente partielle (IPP) de 8 % par la Caisse de Mutualité Sociale Agricole. Contestant ce taux, il a saisi le tribunal, qui a fixé l’IPP à 28 % en 2020. En appel, la caisse a demandé la confirmation du taux initial, tandis que M. [D] a réclamé un taux de 40 %. La cour a finalement établi l’IPP à 23 %, tenant compte des séquelles, et a condamné la caisse aux dépens, lui ordonnant de verser 1 000 euros à l’avocat de l’assuré.
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AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 20/03006 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M7TH
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE AIN RHONE
C/
[D]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 11 Mai 2020
RG : 16/03553
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE D – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2022
APPELANTE :
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE AIN RHONE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Mme [V] [B] rédacteur juridique, munie d’un pouvoir
INTIME :
[M] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant assisté de Me Tristan PONCET, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/028816 du 21/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Mai 2022
Présidée par Thierry GAUTHIER, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
– Nathalie PALLE, président
– Thierry GAUTHIER, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 27 Octobre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salarié agricole de la société Earl [5] (l’employeur), M. [D] (l’assuré) a été victime d’un accident le 14 octobre 2004, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse de mutualité sociale agricole Ain et Rhône (la caisse) qui, après avoir considéré que l’état de santé du salarié était consolidé au 30 juin 2016, a reconnu au salarié un taux d’IPP de 8 %.
Le 16 décembre 2016, l’assuré, contestant le taux retenu, a saisi d’un recours le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon, devenu le pôle social du tribunal de grande instance puis du tribunal judiciaire de Lyon.
Par jugement du 14 décembre 2018, le tribunal a ordonné une expertise, confiée au Dr. [U], qui a déposé son rapport.
Le dossier a été transmis au pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, puis au pôle social du tribunal judiciaire de Lyon.
Le salarié a demandé que son taux soit élevé à 35 %.
Par jugement du 11 mai 2020, le tribunal a :
– fixé à 28 % le taux d’IPP de l’assuré à la suite de l’accident du travail dont il a été victime le 14 octobre 2004 ;
– renvoyé l’assuré devant la caisse pour la liquidation de ses droits ;
– condamné la caisse aux dépens de l’instance depuis le 1er janvier 2019.
Par lettre recommandée envoyée le 11 juin 2020, la caisse a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions déposes le 8 février 2021, la caisse demande à la cour de :
– de constater que le cancer du rein et la néphrectomie ne sont pas liés à l’accident du travail dont l’assuré a été victime le 14 octobre 2004 ;
– d’infirmer le jugement entrepris ;
– d’homologuer le rapport de l’expert judiciaire fixant à 8 % le taux d’incapacité permanente partielle de l’assuré à la suite de son accident du travail ;
– condamner l’assuré aux dépens.
La caisse fait valoir que :
– il résulte clairement du rapport de l’expert que la néphrectomie n’est pas en lien avec l’accident du travail du 14 octobre 2014, tout lien de causalité direct et certain entre le défect cortical rénal droit et la tumeur apparue en 2015 ayant été exclu, ce qui est corroboré par l’urologue assurant le suivi médical de l’assuré ;
– la néphrectomie partielle qui a été pratiquée a été effectuée pour traiter le cancer rénal et non pour traiter l’encoche rénale séquellaire de l’accident du travail ;
– les conséquences de cette néphrectomie, soit les douleurs persistantes, ne peuvent pas plus être imputées à l’accident et prises en compte au titre des séquelles de l’accident du travail ;
– le tribunal ne pouvait dès lors ajouter un taux de 20 % au taux, non contesté, de 8 % et faire application du § 11.1.1 du barème indicatif d’invalidité ;
– les conclusions de l’expert judiciaire sont identiques à celles du médecin conseil de la caisse ;
– l’assuré a eu plusieurs examens médicaux à partir de 2013 mais n’a envoyé aucune prolongation de soins au titre de l’accident du travail entre le 16 octobre 2007 et le 11 novembre 2015 ;
– l’expert a en outre relevé que l’assuré présentait des lésions costo-musculaires post-traumatiques relativement invalidantes, qui ont perduré et n’ont pas été modifiées par la chirurgie rénale ;
– l’encoche rénale séquellaire de l’accident du travail reste une particularité d’imagerie sans conséquence fonctionnelle avérée et prévisible ;
– cette lésion ne peut être indemnisée dans le cadre du barème indicatif d’invalidité pour les accidents du travail qui prévoit l’indemnisation d’un traumatisme rénal lorsqu’il y a des séquelles anatomiques avec des conséquences fonctionnelles avérées ou prévisibles ;
– l’expertise judiciaire est claire et argumentée.
Dans ses conclusions déposées le 4 mai 2021, l’assuré demande à la cour de :
– débouter la caisse de ses demandes ;
– fixer le taux d’IPP à 40 % ;
– condamner la caisse à lui payer une rente de façon complète et rétroactive et l’indemniser de son préjudice lié à la durée d’attente de son paiement, avec paiement des intérêts légaux et capitalisation des intérêts ;
– condamner la caisse à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et des articles 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle.
L’assuré soutient que :
– lors de l’accident, une chute sur des fils de fer a causé la section du rein droit et c’est cette douleur longue, persistante et handicapante, qui l’a accompagnée depuis et il souffre de son rein amputé accidentellement ;
– si la néphrectomie n’est pas en lien avec son accident du travail, elle n’a pas été prise en compte pour évaluer ses douleurs et gênes ;
– les examens et consultations effectuées n’étaient pas en lien avec l’accident du travail ;
– les conclusions de l’appelante sont irrecevables en raison de la méconnaissance des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, en ce qu’elles ne comportent pas de moyens de droit ;
– il ne conteste pas que l’ablation totale liée au cancer ne soit pas en lien avec l’accident du travail, mais il a subi une ablation partielle résultant de l’accident du travail de 2004, ce qui a été constaté ;
– il se prévaut des § 11.1.1, à raison et 11.1.5 et 3.2 du barème indicatif d’invalidité, en faisant valoir avoir subi l’amputation traumatique du pôle inférieur du rein droit à la suite de sa chute, la perte partielle du parenchyme, des douleurs, incommodités et perte de capacité de gain, qu’il a subi depuis lors et réclame la reconnaissance d’un taux de 40 % ;
– si son état a été reconnu comme consolidé le 30 juin 2016, il l’aurait dû l’être depuis 2004, comme l’a établi l’expert, et il estime qu’il a subi un préjudice résultant de l’attente de la perception de sa rente pendant 17 ans, qui justifie l’allocation de la somme de 10 000 euros, outre le règlement d’intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2004, date de consolidation devant être retenue, avec capitalisation, en application des articles 1231-6 et 1154 du code civil.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur irrecevabilité des conclusions de la caisse
L’assuré demande que les conclusions de la caisse soient écartées comme ne respectant pas les prescriptions de l’article 954 du code de procédure civile, pour ne pas comporter de moyen de droit.
Toutefois, la cour retient que ce texte est inapplicable à la procédure orale, qui régit la présente instance en application des dispositions de l’article R. 142-11 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que la procédure d’appel est sans représentation obligatoire, et de l’article 946, alinéa 1er, du code de procédure civile, qui dispose que la procédure est orale.
Ce moyen d’irrecevabilité sera dès lors écarté.
Sur le taux d’incapacité permanente partielle
Selon l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.
L’incapacité permanente est appréciée en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime, sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs.
La cour relève que, dans sa lettre du 31 mars 2016, adressé à un confrère, le médecin conseil de la caisse indiquait que les séquelles de l’accident consistaient en une « amputation traumatique du pôle inférieur du rein, sans atteinte de la fonction rénale ».
Cette analyse est corroborée par l’avis de l’urologue consulté le 25 mars 2015, le Dr. [R], qui indiquait que l’échographie pratiquée le 30 novembre 2004 révélait une lésion du pôle inférieur du rein droit que le médecin considérait comme « une séquelle du traumatisme », expliquant au demeurant la persistance des douleurs par l’assuré.
Dans son rapport, l’expert judiciaire indique que le scanner abdomino-pelvien réalisé le 28 mai 2013 révélait « la probable séquelle traumatique du pôle inférieur du rein droit avec amputation corticale (….) » et que le Pr [F], le 26 avril 2016, constatait que le patient s’était « présenté à la consultation avec une lésion du pôle inférieur du rein droit, cicatricielle d’un accident de travail avec perte partielle du parenchyme », avant d’indiquer que ce rein était porteur d’une lésion tumorale devant faire l’objet d’une néphrectomie, laquelle sera réalisée le 10 juin 2016.
Il en résulte que l’assuré, avant cette intervention chirurgicale relative à une lésion tumorale du rein droit dont il est constant qu’elle est sans lien avec l’accident du travail, présente, au titre des conséquences séquellaires de celui-ci, une amputation partielle du rein droit, désignée par l’expert comme « encoche rénale », accompagnée de douleurs chroniques dorso-lombaires.
Le premier juge en a déduit qu’il y avait lieu de prendre en compte le § 11.1.1 du barème indicatif d’invalidité prévu par l’article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, consacré aux « néphrectomie ». Cependant, il résulte des termes même du barème que la néphrectomie est l’ablation consécutive à une intervention chirurgicale. L’application du barème indicatif d’invalidité sur ce point paraît inapproprié.
En revanche, le barème prévoit en son § 11.1.5 les traumatismes rénaux, soit les « séquelles anatomiques de traumatisme rénal », pouvant ouvrir droit à un taux d’IPP entre 15 et 20 %.
L’expert retient que les lésions rénales consécutives à l’accident du travail n’étaient pas fonctionnelles, relevant que le Pr [S], le 12 octobre 2006, indiquait qu’il « ne faut surtout pas toucher à ce rein traumatisé car il a une meilleur valeur fonctionnelle que l’autre et il ne faut pas lui faire courir de risque ».
L’expert considère ainsi que la « contusion rénale aigue, avec valeur fonctionnelle normale du rien, ne laisse pas de séquelles indemnisables ».
Cependant, du fait de l’amputation partielle consécutive à l’accident, l’atteinte anatomique est objectivement établie et l’avis de l’expert, en l’état des éléments médicaux indiqués et explicités ci-dessus, ne peut être suivi.
En application du barème, cette amputation directement consécutive à l’accident du travail doit entraîner la reconnaissance d’un taux d’IPP de 15 %.
En ce qui concerne les douleurs de la région lombaire droite, elle pourront donner lieu, comme l’a retenu le premier juge et dans le sens de l’analyse de l’expert sur ce point, à la reconnaissance d’un taux d’IPP de 8 %, incluant l’incidence professionnelle.
Le taux d’IPP reconnu au salarié sera dès lors de 23 % et le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les demandes indemnitaires
L’assuré soutient que c’est à tort qu’il a été déclaré consolidé le 30 juin 2016, tandis que l’expert relevait qu’il aurait du l’être le 23 décembre 2004. Il en déduit l’existence d’un préjudice consécutif à l’absence de perception de la rente depuis cette date.
Toutefois, il est constant que la date de consolidation, qui ne peut être remise en cause dans le cadre de la présente instance, reste arrêtée au 30 juin 2016, tandis que l’assuré ne justifie pas avoir contesté cette date consolidation lorsque celle-ci lui a été notifiée. L’erreur d’appréciation éventuelle de la caisse, qui doit être appréhendée à l’aune de la complexité médicale du dossier, ou même un retard dans le traitement du dossier de l’assuré ne peut en l’espèce constituer une faute que si ce dernier a usé en vain des moyens de droit extra-judiciaire mis à sa disposition et qui lui auraient permis, si son droit était fondé, d’obtenir gain de cause, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Par ailleurs, l’assuré ne donne aucune indication quant à la nature ni aux conditions dans lesquelles il a pu évaluer le montant de son préjudice, qu’il chiffre à 10 000 euros.
Dans ces conditions, la cour ne peut que retenir que l’assuré ne démontre ni l’existence d’une faute, ni la teneur du préjudice, de sorte que sa demande de réparation doit être rejetée.
Par ailleurs, l’assuré demande que la caisse soit condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2004, avec capitalisation.
Cependant, d’une part, l’assuré ne précise pas les sommes sur le paiement desquelles ces intérêts devraient courir, se bornant à indiquer « les sommes faisant l’objet de la rente d’invalidité ». D’autre part, la date de départ de ces intérêts ne correspondant pas à la seule date de consolidation qui doit être retenue, soit le 30 juin 2016, elle est sans fondement.
De troisième part, en application de l’article 1231-6 du code civil, les intérêts légaux courent à compter d’une mise en demeure, dont l’assuré ne justifie pas.
Sa demande ne peut dès lors qu’être rejetée.
Sur les autres demandes
La caisse, succombant en cette instance, devra en supporter les dépens.
Elle sera condamnée à verser à l’assuré la somme de 1 000 euros à l’avocat de l’assuré, en application de l’article 700, 2°,du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
DÉCLARE recevables les écritures de la caisse de Mutualité sociale agricole Ain-Rhône ;
CONFIRME le jugement, sauf dans le quantum du taux d’IPP reconnu à M. [D] ;
STATUANT À NOUVEAU du chef infirmé :
FIXE à 23 %, y compris l’incidence professionnelle, le taux d’incapacité permanente partielle de M. [D], à la suite de l’accident du travail dont il a été victime le 14 octobre 2004, à compter de la date de consolidation, soit le 30 juin 2016 ;
Y ajoutant,
REJETTE le surplus des demandes des parties ;
CONDAMNE la caisse de Mutualité sociale agricole Ain-Rhône aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle totale ;
CONDAMNE la caisse de Mutualité sociale agricole Ain-Rhône à payer au conseil de M. [D] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700, 2°, du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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