Cour d’appel de Lyon, 27 janvier 2023, N° RG 21/05482
Cour d’appel de Lyon, 27 janvier 2023, N° RG 21/05482

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Lyon

Résumé

M. [O] [M] a réalisé une donation-partage le 9 juin 2020 à ses enfants, [T], [Y] et [X], portant sur des parcelles situées à [Localité 1] et [Localité 10]. Tandis que [T] et [Y] ont accepté, [X] a refusé, entraînant un litige sur la jouissance des parcelles louées par M. [Z] [N] à son grand-père. La cour a jugé recevables les demandes contre M. [O] [M], mais a rejeté l’action en référé de M. [Z] [N], faute de preuve d’un bail rural. L’ordonnance du tribunal a été confirmée, condamnant M. [Z] [N] aux dépens.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte notarié du 9 juin 2020, M. [O] [M] a fait donation à ses trois enfants [T], [Y] et [X] d’un certain nombre de parcelles, sises notamment sur les communes d'[Localité 1] et de [Localité 10]. M. [T] [M] et Mme [Y] [M] ont accepté la donation-partage, mais pas Mme [X] [M]. Le litige concerne la jouissance des parcelles louées par M. [Z] [N] à son grand-père.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour a examiné la recevabilité des demandes à l’encontre de M. [O] [M] et l’action en référé de M. [Z] [N]. Concernant la recevabilité des demandes, la cour a jugé que les demandes à l’encontre de M. [O] [M] étaient recevables. En ce qui concerne l’action en référé, la cour a conclu que M. [Z] [N] n’avait pas prouvé l’existence d’un bail rural, justifiant ainsi le rejet de sa demande en référé.

CONCLUSION

La cour a confirmé l’ordonnance du tribunal paritaire des baux ruraux de Belley et a condamné M. [Z] [N] aux dépens de l’instance d’appel. L’application de l’article 700 du code de procédure civile a été jugée non nécessaire dans cette affaire.


AFFAIRE BAUX RURAUX

COLLÉGIALE

N° RG 21/05482 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NW4Q

[N]

C/

[M]

[M]

[M]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Tribunal paritaire des baux ruraux de BELLEY

du 14 Juin 2021

RG : 52-20-1

COUR D’APPEL DE LYON

BAUX RURAUX

ARRÊT DU 27 JANVIER 2023

APPELANT :

[Z] [N]

né en à

[Adresse 6]

[Localité 2]

représenté par Me Christine DECALF, avocat au barreau de CHAMBERY

INTIMÉS :

[T] [M]

né en à

[Adresse 8]

[Localité 10]

représenté par Me Hélène DOYEN de la SCP LE RAY BELLINA DOYEN, avocat au barreau de CHAMBERY

[O] [M]

né le 14 Mars 1933 à [Localité 9]

[Adresse 8]

[Localité 10]

représenté par Me Hélène DOYEN de la SCP LE RAY BELLINA DOYEN, avocat au barreau de CHAMBERY

[Y] [M]

née en à

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Hélène DOYEN de la SCP LE RAY BELLINA DOYEN, avocat au barreau de CHAMBERY

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

– Béatrice REGNIER, président

– Catherine CHANEZ, conseiller

– Régis DEVAUX, conseiller

assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******************************

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 9 juin 2020, M. [O] [M] a fait donation à ses trois enfants [T], [Y] et [X] d’un certain nombre de parcelles, sises notamment sur les communes d'[Localité 1] et de [Localité 10].

M. [T] [M] et Mme [Y] [M] ont accepté la donation-partage, mais pas Mme [X] [M].

Le 8 septembre 2020, M. [Z] [N] a saisi la formation des référés du tribunal paritaire des baux ruraux de Belley. Se prévalant d’un bail à ferme consenti le 25 décembre 2014 par son grand-père et portant en partie sur certaines des parcelles objets de la donation-partage, il a formé des demandes relatives à la jouissance des dites parcelles.

Par ordonnance du 14 juin 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux a:

-déclaré recevables les demandes formulées par M. [Z] [N] à l’encontre de M. [O] [M],

-débouté M. [Z] [N] de l’ensemble de ses demandes,

-condamné M. [Z] [N] à payer aux consorts [M] la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté les consorts [M] du surplus de leurs demandes,

-condamné M. [Z] [N] aux dépens.

M. [Z] [N] a interjeté appel de cette ordonnance le 25 juin 2021.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2022, il demande à la cour de :

-infirmer l’ordonnance déférée sauf en ce qu’elle a déclaré recevables ses demandes, et en conséquence,

-ordonner aux consorts [M] de lui garantir la paisible jouissance des parcelles louées,

-ordonner aux consorts [M] de cesser toute entrave à la libre jouissance des parcelles louées, sous astreinte de 200 euros par entrave constatée,

-ordonner l’expulsion des consorts [M] et de tout occupant de leur chef, des parcelles louées sous astreinte de 200 euros par jour de retard, passé un délai de 8 jours suite à la signification de l’arrêt à intervenir,

-condamner solidairement les consorts [M], à lui régler la somme de 16 500,60 euros au titre du préjudice financier subi par application des dispositions de l’article 894 du code de procédure civile,

-débouter les intimés de leur demande de paiement d’une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au règlement des dépens de première instance et d’appel,

-condamner les consorts [M] à lui régler la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner les consorts [M] aux dépens de première instance et d’appel.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 10 novembre 2022, les consorts [M] demandent pour leur part à la cour de :

-déclarer M. [Z] [N] irrecevable en ses demandes et ainsi infirmer l’ordonnance entreprise sur ce seul point,

-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a débouté M. [Z] [N] de l’ensemble de ses demandes.

Et en tous les cas,

-constater que M. [Z] [N] ne dispose d’aucun intérêt à agir à l’encontre de M. [O] [M],

-mettre hors de cause M. [O] [M] et rejeter toute demande formée à son encontre,

-déclarer que les demandes formulées par M. [Z] [N] excèdent la simple mesure conservatoire ou de remise en état,

-déclarer les contrats de bail à ferme irréguliers en la forme,

-déclarer que les consorts [M] arguent de manquements graves et délibérés aux obligations du preneur, permettant de justifier de la situation invoquée,

-déclarer qu’il n’existe aucun péril imminent ni même trouble manifestement illicite démontré par le demandeur,

-déclarer que la demande en référé se heurte à des contestations sérieuses rendant mal fondées les demandes de M. [Z] [N],

-ordonner qu’il n’y a donc pas lieu à référé,

-rejeter en conséquence l’intégralité des demandes de M. [Z] [N] et l’inviter à mieux se pourvoir,

-déclarer, en tous les cas, les astreintes demandées inutiles et les rejeter,

-déclarer irrecevable la demande indemnitaire formulée pour la première fois en cause d’appel, à tout le moins la déclarer mal fondée,

En tout état de cause,

-condamner M. [Z] [N] à leur payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

-condamner le même aux entiers dépens de première instance et d’appel.

A l’audience du 17 novembre 2022, les parties ont développé oralement leurs conclusions en déclarant ne rien y retrancher ni ajouter.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes à l’encontre de M. [O] [M]

Les consorts [M] soutiennent que les demandes à l’encontre de M. [O] [M] sont irrecevables faute d’intérêt à agir. Ils font valoir que par l’effet de la donation-partage, M. [O] [M] n’était plus propriétaire des parcelles données à bail lors de la saisine du tribunal, et avait donc perdu sa qualité de bailleur à ferme, et que l’acceptation d’au moins un des donataires rend la donation-partage opposable aux autres héritiers, et donc également aux tiers comme M. [N].

Ils ajoutent que les parcelles D[Cadastre 5] et D[Cadastre 3] n’appartiennent plus à M. [O] [M] car la parcelle D[Cadastre 5] a été vendue en 2016 et la parcelle D[Cadastre 3] n’existe pas ; si elle a été recadastrée sous le numéro D[Cadastre 7], elle appartient à Mme [Y] [M].

M. [N] réplique que les parcelles D[Cadastre 5] et D[Cadastre 3] appartiennent à M. [O] [M], et qu’il a donc un intérêt à agir à son encontre, et que la donation-partage du 9 juin 2020 ne s’impose pas à lui car elle aurait dû lui être dénoncée en sa qualité de preneur.

En tout état de cause, les consorts [M] n’apportent pas la preuve que la parcelle D[Cadastre 5] n’appartient plus à M. [O] [M], si bien que les demandes formées par M. [N] à l’encontre de celui-ci sont recevables.

Sur l’action en référé

Il résulte de l’article 893 du code de procédure civile que « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal paritaire peut, clans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

De plus, aux termes de l’article 894 du même code, « le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

M. [N] soutient qu’il subit un trouble manifestement illicite permettant la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux, en application des articles 893 et 894 du code de procédure civile.

Au soutien de sa prétention, il fait valoir que M. [T] [M] et Mme [Y] [M] lui interdisent d’accéder à certaines parcelles louées, et ce depuis une période antérieure à la donation-partage, qu’ils ont récolté le fourrage à sa place, et qu’ils ont exploité d’autres parcelles à leur profit, ce qui constituerait un différend au sens de l’article 893 du code de procédure civile.

L’urgence serait en outre caractérisée par le fait qu’il ne dispose plus d’endroit où faire paître ses animaux ni où faire stocker leur nourriture.

Les consorts [M] répliquent que les dispositions de l’article 893 du code de procédure civile ne sont pas applicables en l’espèce dans la mesure où il existe une contestation sérieuse relative à l’existence d’un bail à ferme au bénéfice de M. [N] et consenti par M. [O] [M] et que celles de l’article 894 ne le sont pas davantage, M. [N] ne démontrant pas la nécessité de prévenir un dommage imminent ou l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Même si l’article L411-4 du code rural dispose que les contrats de baux ruraux doivent être écrits, il ne s’agit que d’une règle de preuve puisque l’article L411-1 prévoit que la preuve de l’existence d’un tel bail peut être rapportée par tous moyens.

Le bail suppose la mise à disposition d’un immeuble agricole, afin de permettre l’exercice d’une activité agricole, et moyennant une contrepartie onéreuse.

Pour que cette mise à disposition puisse être qualifiée de bail rural, il convient de vérifier s’il existe une contrepartie financière. L’article L411-1 alinéa 1er du code rural ne comporte aucune indication sur le montant ou la nature de la contrepartie due au propriétaire.

M. [N] affirme avoir conclu avec son grand-père [O] [M] un bail à ferme portant sur 47 parcelles, sises sur plusieurs communes.

Il communique 7 feuillets, portant chacun l’intitulé « bail à ferme », avec comme bailleur lui-même et comme preneur M. [O] [M], la date du 25 décembre 2014 et un prix de 300 euros. Sur chacun de ces feuillets sont listées des parcelles.

Il précise avoir utilisé à 7 reprises un contrat-type car il était impossible de noter sur un seul exemplaire la totalité des parcelles.

M. [N] fait en outre valoir que la loi n’impose pas la rédaction d’un écrit et verse diverses pièces destinées à établir l’existence du bail.

Même s’il reconnait ne pas les avoir réglés avec régularité, il soutient que son grand-père a encaissé les fermages de 2015 à 2019, à hauteur de 300 euros chacun, et verse aux débats des reçus et des relevés de compte portant mention du débit de 2 chèques de 300 euros chacun le 1er avril 2019, ainsi que la copie d’un chèque de 300 euros tiré le 5 mai 2020 à l’ordre de M. [O] [M] et non encaissé.

M. [N] communique également le courrier du conseil de son grand-père en date du 18 septembre 2019 par lequel il conteste l’existence d’un bail à ferme et lui adresse un chèque de 600 euros en remboursement d’un « soit-disant fermage » que l’association ATPA, chargée un temps de la curatelle de M. [O] [M], aurait comptabilisé sans en référer au majeur protégé.

M. [N] communique aussi une « déclaration préalable à la mise en valeur d’un bien agricole de famille », signée de lui-même et de M. [O] [M], dont la date a été modifiée, mais qui a été déposée à la DDT de l’Ain le 6 février 2014, avec en annexes 6 « lettres d’information du propriétaire » datées du 20 novembre 2013 et signées des 2 parties. Ces « lettres » reprennent les parcelles figurant dans ce qu’il considère comme formant un seul bail, à l’exception de celles reprises sur le deuxième feuillet.

Il produit aussi une attestation du directeur de la MSA datée du 24 juin 2015 indiquant qu’il y est inscrit depuis le 26 mai 2015 en qualité de chef d’exploitation à titre principal pour une activité d’élevage de bovins, la superficie mise en valeur étant de 60, 7737 ha, et 3 attestations d’agriculteurs qui affirment avoir exploité des parcelles appartenant à M. [O] [M] avant d’y renoncer au début de l’année 2014 pour les deux premiers et en 2015 pour le troisième, afin que son petit-fils [Z] [N] puisse les exploiter.

Les consorts [M] contestent l’existence d’un bail rural, faisant valoir que les 7 baux produits n’ont pas été signés par les deux parties, que le prix du fermage rapporté par M. [N] est dérisoire, que le prix réel du fermage était fixé à 300 euros annuel pour chacun des 7 baux et non à 300 euros annuels pour l’ensemble des baux tel qu’il le prétend, qu’il ne s’est pas acquitté de la totalité du fermage et qu’il ne démontre pas que les parcelles louées étaient effectivement exploitées.

Ils font valoir que M. [N] verse lui-même aux débats la requête déposée devant le tribunal paritaire des baux ruraux par M. [P], qui se prévaut également d’un bail rural consenti par M. [O] [M] portant en partie sur les parcelles que M. [N] revendique comme lui ayant été données à bail, et ce depuis 1997.

La série de 7 imprimés intitulés « bail à ferme » ne porte pas mention de la signature de M. [N]. Par ailleurs, il existe un doute sérieux sur le montant du fermage puisque M. [N] soutient n’avoir convenu que d’un fermage de 300 euros pour la totalité des parcelles alors que chacun des imprimés fait mention d’un fermage de ce montant. S’agissant d’un élément essentiel du contrat, la cour ne peut donc considérer que ce document constitue un contrat de bail.

M. [N] ne rapporte pas davantage la preuve qu’il aurait exploité les parcelles en vertu d’un bail verbal, les attestations qu’il communique étant trop imprécises, tout comme la déclaration préalable à la mise en valeur d’un bien agricole de famille, qui ne reprend pas l’intégralité des parcelles. La cour relève en outre que M. [N] communique lui-même, sans en contester les termes, la requête présentée par M. [P] qui se prétend preneur d’une partie des parcelles prétendument données à bail par son grand-père.

Enfin, M. [N] ne justifie pas avoir réglé régulièrement les fermages, contrepartie à la mise à disposition des parcelles, et dans son courrier du 18 décembre 2019, le conseil de son grand-père lui-même conteste l’existence d’un bail rural.

M. [N] échouant à rapporter la preuve de l’existence d’un bail rural, il ne peut justifier ni d’une urgence, ni de l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite. Il n’y a pas lieu à référé ; le jugement sera confirmé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [N] sera condamné aux dépens de l’instance d’appel.

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance prononcée le 14 juin 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Belley et dit n’y avoir lieu à référé,

Y ajoutant,

Condamne M. [Z] [N] aux dépens de l’instance d’appel ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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