Cour d’appel de Lyon, 17 janvier 2025, RG n° 22/01198
Cour d’appel de Lyon, 17 janvier 2025, RG n° 22/01198

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Lyon

Thématique : Conflit managérial et conséquences sur la relation de travail

Résumé

Contexte de l’affaire

La société B.H. Management, une holding centralisant les fonctions support de plusieurs filiales de restauration rapide, a embauché Mme [O] [B] en janvier 2013 en tant que responsable de formation. Promue superviseur opérationnel en mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave en mai 2019 après une mise à pied conservatoire.

Motifs du licenciement

Le licenciement de Mme [B] a été justifié par plusieurs comportements jugés inappropriés, notamment un management abusif, des menaces verbales, une pression excessive sur les employés, et un dénigrement de ses collègues. Des signalements de harcèlement moral ont été rapportés par plusieurs salariés, qui ont exprimé leur souffrance au travail.

Procédures judiciaires

Mme [B] a contesté son licenciement en saisissant le conseil de prud’hommes, demandant la reconnaissance d’une situation de harcèlement moral et des dommages-intérêts. Le jugement du 27 janvier 2022 a débouté Mme [B] de ses demandes pour harcèlement, tout en lui accordant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Appel de la société B.H. Management

La société a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement concernant les indemnités accordées à Mme [B] et la confirmation du débouté sur les demandes de harcèlement moral. Mme [B] a également demandé la confirmation du jugement en ce qui concerne les indemnités.

Décision de la cour

La cour a confirmé le jugement en ce qui concerne les indemnités dues à Mme [B], mais a infirmé les décisions relatives à la rupture de son contrat, considérant que les fautes graves reprochées justifiaient le licenciement. La cour a également statué sur les dépens, laissant ceux d’appel à la charge de la société B.H. Management.

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 22/01198 – N° Portalis DBVX-V-B7G-ODX6

S.A.R.L. B.H.MANAGEMENT

C/

[B]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 27 Janvier 2022

RG : 19/02632

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 17 JANVIER 2025

APPELANTE :

SOCIETE B.H.MANAGEMENT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Cédrick DUVAL de la SELARL CABINET DUVAL AVOCATS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉE :

[O] [B]

née le 30 Mars 1977 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Mélanie CHABANOL de la SELARL CABINET MELANIE CHABANOL, avocat au barreau de LYON, Me Lionel THOMASSON, avocat au barreau de VIENNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Novembre 2024

Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Béatrice REGNIER, Présidente

– Catherine CHANEZ, Conseillère

– Régis DEVAUX, Conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 Janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DU LITIGE

La société B.H. Management (ci-après, la société) est une holding qui centralise les fonctions support de 4 filiales, lesquelles exploitent des établissements de restauration rapide.

Elle applique la convention collective de la restauration rapide.

La société a embauché Mme [O] [B] à compter du 7 janvier 2013, en qualité de responsable de formation, suivant contrat à durée indéterminée, avec reprise d’ancienneté au 24 juin 1995.

Par avenant du 1er mai 2014, Mme [B] a été promue superviseur opérationnel, statut cadre autonome.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 14 mai 2019, la société a convoqué Mme [B] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 21 mai 2019, et l’a mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée du 28 mai 2019, Mme [B] a été licenciée pour faute grave en ces termes :

« (‘) Après avoir pris le temps de la réflexion, nous vous informons que nous avons décidé de vous notifier votre licenciement pour faute grave. Cette décision repose sur les motifs suivants.

En votre qualité de superviseur, vos missions se déclinent selon plusieurs axes :

1- Ressources humaines et environnement social

2- Respect de l’image de l’enseigne, des critères QSPV et de la sécurité alimentaire,

3- Ventes, gestion des budgets et financiers

4- Management, formation et motivation

Déjà, fin 2018, l’arrivée de nouveaux collègues en les personnes de [X] [NT], directeur des opérations, et [U] [M], Responsable formation et [P] [Z], responsable informatique et technique, a créé quelques difficultés de votre part, vous sentant remise en question dans votre position et nous avons ainsi dû clairement revenir sur les missions et responsabilités de chacun, afin de vous « rassurer » et de vous demander en conséquence de collaborer pleinement avec ces nouvelles personnes.

Nous avons également profité d’un entretien, le 11 février dernier, pour déterminer ensemble vos missions et vous avez ainsi vous-même finalisé votre lettre de missions 2019.

En tout état de cause, il relève de votre mission « de base » depuis de nombreuses années que vous vous devez de mettre en ‘uvre la politique sociale de l’entreprise, être la garante de celle-ci ainsi que du respect de la législation sociale.

Vous avez ainsi disposé à cette fin de plusieurs sessions de formation vous permettant de parfaire vos compétences.

Or, force est de constater que vous n’avez absolument pas pris la mesure de vos obligations, bien au contraire, puisque nous avons fait l’objet dernièrement d’un nombre conséquent de signalements de différents salariés quant à des comportements intolérables que vous avez eus envers eux et qui ne peuvent être ni justifiés, ni tolérés.

En substance, ces comportements plus que déviants ne sont exprimés de la manière suivante :

Un management totalement inadapté vis-à-vis de plusieurs salariés, révélant un véritable abus d’autorité ressenti par nombre d’entre eux comme du harcèlement :

A ce titre, il vous est reproché :

– Un management par la terreur, la pression, des menaces verbales récurrentes s’ils ne suivent pas vos directives, dans des termes inacceptables dans une relation de travail ;

– D’imposer des horaires et des jours de travail différents des plannings prévus en amont ou de déranger les salariés sans respect pour leurs jours de repos, certains d’entre eux évoquant clairement des situations à la limite du « burn-out » ;

– Une attitude irrespectueuse et humiliante à plusieurs reprises, vous permettant de donner des instructions en claquant des doigts pendant que vous êtes au téléphone ;

– Un contrôle largement excessif des faits et gestes des salariés, en leur demandant de tout vous rapporter, vous transmettre, vous faire valider ;

La souffrance exprimée ainsi clairement par certains d’entre eux a même conduit deux salariés à nous faire part de leur intention de quitter la société du fait de la pression que vous exercez sur eux et de votre comportement à leur égard.

En parallèle, du dénigrement régulier de certains de vos collègues, ou de vos supérieurs hiérarchiques, vis-à-vis des équipes, rendant leurs missions difficiles voire impossibles :

A ce titre, il vous est reproché :

– De faire obstacle voire interdiction à des salariés de communiquer directement avec vos collègues ou vos supérieurs, sans votre aval préalable ;

– De refuser toute communication avec certains salariés, tout échange, même lorsqu’ils vous sollicitent ;

– D’avoir ainsi organisé une dissimulation volontaire de vos actions vis-à-vis de la direction notamment, les salariés « terrorisés » ayant ainsi mis beaucoup de temps à s’ouvrir des difficultés rencontrées avec vous ;

Un accompagnement largement insuffisant des directeurs en formation :

A ce titre, il vous est reproché :

– De ne pas assurer un suivi pertinent et de qualité au moins vis-à-vis de certains, amenant ceux-ci à solliciter d’autres personnes ;

– De ne pas apporter en tout état de cause le soutien technique et humain attendu légitimement d’un superviseur, de sorte que certains se sont sentis totalement délaissés, la situation créant une fois beaucoup de souffrance pour ces salariés, ceux-ci n’osant pas se plaindre de la situation, craignant vos « foudres ».

Les éléments ainsi rapportés par de nombreux salariés, étayés d’exemples différents mais tous concordants, ne peut être balayés au simple motif de votre ancienneté et de l’implication que vous avez pu déployer par le passé.

D’autant que, lors de notre échange du 24 mai, loin de tenter de comprendre la situation et d’envisager une légère remise en question, ce qui aurait pu permettre d’envisager des mesures correctives, vous avez nié tout écart de votre part et avez tout simplement refusé de prendre en considération la souffrance exprimée par ces salariés.

Or, nous nous devons, face à une telle situation, d’assurer la sécurité psychologique notamment de ces salariés dont la parole s’est libérée et votre maintien dans l’entreprise, même temporairement, est inconcevable dans une telle situation. (‘) »

Par requête reçue le 14 octobre 2019, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir reconnaître l’existence d’une situation de harcèlement moral et de manquements de la société B.H. Management à ses obligations, de contester le bien-fondé de son licenciement et de voir condamner son employeur au paiement de diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement du 27 janvier 2022, le conseil de prud’hommes a notamment :

Débouté Mme [B] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l’obligation de prévention ;

Condamné la société à verser à Mme [B] les sommes suivantes :

17 705,73 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 770,57 euros de congés payés afférents ;

42 133,08 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

70 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

15 193,20 euros à titre de rappel de prime annuelle, outre 1 519,32 euros de congés payés afférents ;

1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné le remboursement à Pôle Emploi par la société B.H. Management des sommes qui auraient été versées à Mme [B] dans la limite de 3 mois du jour de son licenciement au jour du jugement ;

Débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

Condamné la société B.H. Management aux dépens ainsi qu’aux frais d’exécution de la décision.

Par déclaration du 10 février 2022, la société B.H. Management a interjeté appel des dispositions de cette décision la condamnant.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 11 novembre 2024, la société B.H. Management demande à la cour d’infirmer le jugement querellé sur les dispositions la condamnant et la déboutant de sa demande d’indemnité judiciaire, de le confirmer en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande relative au harcèlement moral ainsi qu’à l’obligation de prévention et de sécurité et, statuant à nouveau, de :

Débouter Mme [B] de ses demandes ;

Condamner Mme [B] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [B] aux dépens et frais d’instance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 8 novembre 2022, Mme [B] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société à lui verser diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rappel de prime annuelle et d’indemnité judiciaire, de l’infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

17 705,73 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 770,57 euros de congés payés afférents, outre intérêts de droit à compter de la demande ;

42 133,08 euros à titre d’indemnité de licenciement, outre intérêts de droit à compter de la demande ;

141 465,84 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, 103 283,42 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts de droit à compter de la notification de la décision à intervenir ;

17 705,73 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention, exécution fautive du contrat de travail et préjudice moral, outre intérêts de droit à compter de la notification de la décision à intervenir ;

35 411,46 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral, outre intérêts de droit à compter de la notification de la décision à intervenir ;

15 193,20 euros à titre de rappel de prime annuelle, outre 1 519,32 euros de congés payés afférents et intérêts légaux à compter de la demande ;

3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société aux dépens.

La clôture de la mise en état a été ordonnée le 12 novembre 2024.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives à la rupture (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et remboursement des allocations chômage au Pôle emploi) et en ce qu’il a condamné la société BH Management aux frais d’exécution ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [O] [B] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement ;

Laisse les dépens d’appel à la charge de la société B.H. Management ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel .

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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