Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Lyon
Thématique : Licenciement pour inaptitude : Évaluation des obligations de sécurité et de loyauté de l’employeur face à la santé du salarié
→ RésuméLe licenciement de Mme [J] pour inaptitude physique a été jugé fondé par la cour d’appel de Lyon. Après un arrêt de travail prolongé, un médecin du travail a déclaré son inaptitude sans possibilité de reclassement. Contestant cette décision, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes, demandant des dommages et intérêts pour licenciement abusif. Toutefois, la cour a confirmé que l’employeur avait respecté ses obligations de sécurité et de loyauté, rejetant les demandes de la salariée. En conséquence, Mme [J] a été condamnée à verser une indemnité à la société et à supporter les dépens de l’instance.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Lyon
RG n°
21/05064
RAPPORTEUR
N° RG 21/05064 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NV4E
[J]
C/
S.A.S. REGARD
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 11 Mai 2021
RG : 19/00369
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2024
APPELANTE :
[K] [J]
née le 05 Juillet 1963 à [Localité 5] (TUNISIE)
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Enchouroi KARI, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 69123/2/2021/17416 du 17/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉE :
Société REGARD
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Olivier GRET de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Juin 2024
Présidée par Catherine MAILHES, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Catherine MAILHES, Présidente
– Nathalie ROCCI, conseillère
– Anne BRUNNER, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 Octobre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [J] (la salariée) a assuré une mission d’intérim pour le compte de la société d’exploitation des établissements Regards (la société) à compter du 1er février 2000 à l’issue de laquelle elle a été engagée par la société le 2 mai 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de manutentionnaire échantillonnage.
La société, qui applique la convention collective du personnel des industries du cartonnage, employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.
La salariée a été placée en arrêt de travail d’origine non professionnelle à compter du 5 mars 2014, régulièrement renouvelé jusqu’au 7 janvier 2018.
A l’issue de la visite de reprise du 8 janvier 2018, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste de travail et a émis l’avis suivant : ‘l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise ou dans le group ‘.
Par courrier remis en main propre le 30 janvier 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’une mesure de licenciement, pour le 6 février 2018.
La société lui a notifié son licenciement par courrier du 12 février 2018, dans les termes suivants :
‘ /…/ A l’issue de votre visite médicale de reprise qui s’est déroulée le 8 janvier 2018, vous avez été déclarée définitivement inapte à votre poste de travail par le Docteur [V], médecin du travail.
L’avis d’inaptitude est rédigé en ces termes :
« L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise
ou dans le groupe ».
Par courrier en date du 26 janvier 2018, nous vous avons informé qu’en raison des restrictions médicales posées par le médecin du travail nous étions dans l’impossibilité de procéder à votre reclassement. Raison pour laquelle, par courrier du 29 janvier 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable, initialement prévu le 6 février 2018 à 17 heures. A votre demande, nous avons reporté cet entretien au 7 février 2018 à 11h00 auquel vous vous êtes présentée non assistée.
Conformément à l’article L.1226-2-1 du code du travail, nous sommes contraints de procéder
à votre licenciement en raison de votre inaptitude physique médicalement constatée et des restrictions posées par le médecin du travail qui rendent impossible votre reclassement.
Par conséquent, nous vous informons que votre contrat de travail sera rompu à compter de la première présentation de la présente lettre de licenciement. /…/ ‘.
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Le 11 février 2019, contestant son licenciement, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir la société Regard condamnée à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (30.000 euros), une indemnité compensatrice de préavis (4.495,50 euros), et congés payés afférents (449,55 euros), des dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail (13.000 euros) et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (2.500 euros).
Mme [J] a modifié ses demandes et a porté à 3.000 euros le montant de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société a été convoquée devant le bureau de conciliation et d’orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 15 mars 2019.
La société s’est opposée aux demandes de la salariée et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celle-ci au versement de la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
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Par jugement du 11 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Lyon a :
déclaré prescrite la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail presentée par Mme [J] ;
dit que le licenciement de Mme [J] pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement est bien fondé et repose sur une cause réelle et sérieuse;
en conséquence,
débouté [J] de l’integralité de ses demandes ;
débouté la société Regard de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
condamné Mme [J] aux entiers dépens de l’instance.
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Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 10 juin 2021, Mme [J] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement, aux fins d’infirmation en ce qu’il a déclaré prescrite la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail présentée par Mme [J], dit et jugé que le licenciement de Mme [J] pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement est bien fondé et repose sur une cause réelle et sérieuse, débouté Mme [J] de l’intégralité de ses demandes et condamné Mme [J] aux entiers dépens de l’instance.
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Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 10 septembre 2021, Mme [J] demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
dire et juger que son inaptitude résulte des agissements fautifs de l’employeur ;
en conséquence,
condamner la société Regard à lui payer les sommes suivantes :
4.495,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
449,55 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
30.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
13.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail ;
condamner la société Regard à payer à Me [X] [E] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 alinéa 2 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et en cause d’appel, outre les entiers dépens;
débouter la société Regard de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions plus amples et contraires.
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Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 12 février 2024, la société d’exploitation des établissements Regards demande à la cour de :
à titre principal, sur la demande au titre de la requalification du licenciement et ses conséquences:
confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon en date du 11 mai 2021 en ce qu’il a jugé que licenciement de Mme [J] reposait sur une cause réelle et sérieuse;
en conséquence,
débouter Mme [J] de sa demande de dommages intérêt pour licenciement abusif d’un montant de 30.000 euros nets ;
débouter Mme [J] de sa demande de rappel de salaire au titre de l’indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 4.495,50 euros outre 449,55 euros au titre des congés payés y afférents ;
à titre subsidiaire, sur la demande au titre de la requalification du licenciement et ses conséquences :
si par extraordinaire, la cour d’appel de Lyon venait à infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande au titre de la requalification de son licenciement en licenciement abusif :
a/ sur la conventionnalité du barème d’indemnisation instauré par l’article L. 1235-3 du code du travail :
statuant à nouveau,
déclarer que le barème d’indemnisation instauré par l’article L.1235-3 du code du travail répond à l’exigence de réparation adéquate en cas de licenciement injustifié prévue par l’article 10 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail et l’article 24 de la charte sociale européenne ;
en conséquence,
statuant à nouveau,
rejeter les prétentions de Mme [J] relatives à l’inconventionnalité prétendue du barème instauré par l’article L.1235-3 du code du travail ;
statuant à nouveau,
dire que l’article L. 1235-3 du code du travail est conforme aux articles 10 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail, 24 de la charte sociale européenne ;
b/ sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:
statuant à nouveau,
déclarer que Mme [J] disposait, au moment de son licenciement, d’une ancienneté de 17 années complètes au sein de la société Regard,
statuant à nouveau,
déclarer que le barème d’indemnisation instauré par l’article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnisation comprise entre 3 et 14 mois de salaire, à savoir, un montant compris entre 4 640,19 euros et 21.654,22 euros pour les salariés disposant d’une ancienneté de 17 années complètes au sein de l’entreprise ;
statuant à nouveau,
dire que Mme [J], à qui incombe la charge de la preuve, ne justifie d’aucun préjudice particulier justifiant l’allocation de 30.000 euros nets (soit plus de 20 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
en conséquence,
statuant à nouveau,
cantonner à 4.640,19 euros, soit 3 mois de salaire, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse éventuellement alloués à Mme [J] ;
en tout état de cause, sur les autres demandes,
confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon en date du 11 mai 2021 en ce qu’il a :
fixé la moyenne des salaires bruts de Mme [J] à la somme de 1.546,73 euros,
jugé que la Société REGARD a respecté son obligation de loyauté,
jugé que la demande de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail est prescrite,
débouté Mme [J] de sa demande de dommages intérêts d’un montant de 13.000 euros nets pour exécution déloyale du contrat de travail,
débouté Mme [J] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 3.000 euros ;
condamner en cause d’appel Mme [J] au paiement d’une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner Mme [J] aux entiers dépens,
La clôture des débats a été ordonnée le 16 mai 2024, et l’affaire a été évoquée à l’audience du 17 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail
La salariée conteste la prescription de sa demande de dommages et intérêts en faisant valoir que c’est à la date à laquelle le médecin du travail a rendu son avis d’inaptitude qu’elle a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit au titre des manquements successifs de l’employeur à son obligation de sécurité, qui ont définitivement compromis son état de santé.
Sur le fond, elle soutient sur le fondement des articles L. 4121-1 et L.1222-1 du code du travail que :
– elle a subi une réelle souffrance au travail qui trouve son origine dans la dégradation de ses conditions de travail en l’absence de toute prise en compte de sa situation par son employeur et en présence de directives susceptibles de compromettre sa santé et sécurité ;
– le comportement fautif de la société lui a causé un préjudice moral important ayant impacté sa santé physique et mentale.
La société réplique que :
– en application de l’article L. 1471-1 du code du travail, la demande de dommages et intérêts est prescrite depuis le 4 mars 2016, les manquements qui lui sont reprochés étant nécessairement antérieurs au dernier jour effectif de la requérante soit le 4 mars 2014, et l’instance ayant été engagée le 11 février 2019 ;
– les faits qui lui sont reprochés sont donc prescrits en raison de leur ancienneté, la prescription étant appréciée à la date de la prétendue commission des manquements allégués ; compte tenu de l’arrêt de travail dont a fait l’objet la requérante à compter du 5 mars 2014, à l’issue duquel elle n’a jamais repris ses fonctions, lesdits manquements sont nécessairement antérieurs ;
– non seulement elle n’a pas manqué à ses obligations en matière de sécurité, mais la salariée ne produit aucun élément probant démontrant que le comportement de la société serait à l’origine de la dégradation de ses conditions de travail, pas plus qu’elle ne fait la démonstration de l’existence et de l’étendue de son préjudice.
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Selon les dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
En l’occurrence, la salariée a été en arrêt de travail à compter du 5 mars 2014 sans jamais reprendre son poste de travail avant son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 12 février 2018.
Les manquements invoqués par la salariée au titre de sa demande de dommages et intérêts sur le double fondement de l’obligation de sécurité et de l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail, s’agissant du non-respect par l’employeur des préconisations du médecin du travail à l’issue des divers avis d’aptitude avec réserves qui ont émaillé la relation contractuelle, étaient connus de la salariée au fur et à mesure de leur accomplissement et au plus tard le jour le l’arrêt de travail, pour les manquements répétitifs et continus. La salariée n’invoque aucun manquement pendant la période d’arrêt de travail.
Il s’ensuit que c’est au lendemain du dernier jour de travail effectif que la prescription commence à courir au plus tard.
Ainsi, lors de la saisine du conseil de prud’homme le 11 février 2019, alors que la salariée était en arrêt de travail depuis le 5 mars 2015, l’action en réparation du préjudice causé par les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail est prescrite.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré prescrite la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail présentée par Mme [J].
Sur la rupture du contrat de travail
La salariée fait grief au jugement de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et fait valoir que :
– l’action en contestation du licenciement est recevable par application des dispositions de l’article L.1471-1 du code du travail au motif que c’est le licenciement qui constitue le fait générateur de l’action ;
– l’inaptitude procède des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité : il lui a confié des travaux de manutentions lourdes et/ou l’astreignant à des positions contraignantes incompatibles avec son état de santé en dépit des contre-indications et préconisations du médecin du travail ; il a en outre attenté à sa santé physique et mentale lors qu’elle se voyait prescrire des mesures de mi-temps thérapeutique ; il lui a imposé des conditions de travail volontairement dégradées ;
– contestant les assertions de la société qui prétend que ses problèmes de santé seraient préexistants à son embauche, antérieurs à ses conditions de travail et directement liés à son hospitalisation pour hernie discale intervenue 5 mois après son embauche, elle indique avoir travaillé pour son compte pendant plus de 4 mois avant son embauche en contrat à durée indéterminée ;
– en 17 années de carrière son employeur ne s’est soucié de son état de santé qu’à trois reprises, dans le but de changer son temps de travail, de la maintenir à un poste aux postures contraignantes à titre de représailles ou de la faire déclarer inapte à son poste de travail ; aucun des auteurs des attestations produites par la société n’est en mesure de décrire les mesures concrètes prises par l’employeur pour aménager son poste ou d’attester du respect des restrictions et préconisations émises par le médecin du travail, malgré leur connaissance de ses problèmes de santé ;
– elle n’a jamais été ménagée dans ses fonctions, ni bénéficié d’un traitement particulier eu égard à son état de santé ; ses conditions de travail allaient à l’encontre des prescriptions émises par le médecin du travail et les travaux répétés, nuisibles pour sa colonne vertébrale et ses lombaires, ne pouvaient que nuire à son état de santé ;
– l’ensemble des ouvrières ayant été amené à travailler avec elle, en début, milieu ou fin de carrière, est unanime sur le fait qu’elle a toujours été exposée à des conditions de travail très rudes impliquant des manutentions et ports de charges lourdes, des stations debout prolongées et des contraintes positionnelles évidentes qui ont progressivement été à l’origine de la dégradation de son état de santé, son employeur n’ayant jamais daigné aménager son poste ou à respecter les prescriptions du médecin du travail ;
– c’est au cours de la période de travail effectif de février 2000 à mars 2014 qu’elle s’est vu diagnostiquer des lombalgies, une sciatique et une hernie discale liée aux manutentions de charges lourdes de travail et aux postures de tronc, autant d’éléments médicaux établissant un lien direct entre son activité professionnelle et son inaptitude ;
– la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle déposée le 7 septembre 2018 n’a pu aboutir en raison des délais administratifs contraignants de prise en charge, et non pas en raison du défaut de preuve que son affectation du rachis lombaire n’était pas provoquée par la manutention manuelle de charges lourdes ;
– le conseil de prud’hommes a rendu une décision partiale, exclusivement basée sur les allégations et pièces produites par la société et ne faisant état ni de ses arguments ni de ses pièces.
La société fait valoir que :
– la salariée a été déclarée apte sans réserve par la médecine du travail à l’occasion de son embauche, après avoir assurer une période d’intérim ;
– dans sa décision de refus de prise en charge de la maladie de la salariée, la Caisse primaire d’assurance maladie et le CRRMP ont exclu tout lien entre cette affection et son travail habituel en son sein, les problèmes de santé de cette dernière n’ayant donc aucun lien avec sa période d’intérim ; elle a toujours été soucieuse du bien-être ainsi que de la sécurité de l’ensemble de son personnel, y compris de ses intérimaires ;
– la fragilité de l’état de santé de la salariée n’est pas en lien avec ses conditions de travail;
– elle est exempte de tout reproche concernant le suivi de l’état de santé de la salariée, ayant demandé l’organisation à plusieurs reprises de visites médicales occasionnelles, alerté la médecine du travail le 3 novembre 2017 sur l’état de santé de la salariée, s’étant toujours assuré que la salariée était bien suivie dans le cadre de la visite médicale annuelle et périodique ;
– la permanence des restrictions et préconisations médicales posées par le médecin du travail dans le cadre des différents avis d’aptitude ne sont pas liées à sa méconnaissance de celles-ci mais à l’état stationnaire de l’état de santé de la salariée ;
– la salariée n’a été affectée à aucun poste impliquant de la manutention lourde au sens des articles R. 4541-1 à R.4541-9 du code du travail et a uniquement réalisé des opérations de surfilage d’échantillonnage, de découpage, de collage et accessoirement d’emballage/vérification ;
– elle a réalisé des investissements qui ont permis une amélioration significative des conditions de travail de ses salariés, notamment par l’automatisation des procès de fabrication ;
– elle a assuré une alternance des positions assises et débout sur les postes occupés par la salariée, conformément aux restrictions du médecin du travail, ce dont attestent plusieurs salariés ;
– contrairement aux allégations de la salariée, les témoignages qu’elle produit respectent les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile et leur contenu est parfaitement probant ; de nombreux salariés attestent de la qualité des conditions de travail au sein de l’entreprise ; les attestations adverses ne correspondent en revanche pas à la réalité, ce dont il ressort des photographies de l’environnement de travail qu’elle verse aux débats, des fiches de travail pour le client SOFIC, des feuilles d’expédition des colis ; les affirmations de la salariée quant aux travaux qu’elle lui reproche d’avoir effectué ne reposent sur aucun élément sérieux ;
– les avis médicaux des professionnels de santé produits par la salariée sont dépourvus de valeur probante ;
– les arrêts de travail de la salariée, entre le 5 mars 2014 et le 31 mai 2016, ne sont pas liés à une sciatique et une hernie discale engendrées par les manquements de la société comme le soutient la salariée mais à une tumeur osseuse ; la maladie professionnelle déclarée postérieurement au licenciement n’a pas été engendrée par ses conditions de travail, mais est antérieure à son embauche ;
– quelle que soit l’issue de la procédure engagée par la salariée devant le pôle social du tribunal judiciaire, les effets du caractère définitif de refus notifié par la caisse primaire d’assurance maladie lui sont acquis et n’entraînent aucune conséquence sur le litige en cours.
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Il appartient à la salariée qui soutient que l’inaptitude résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité d’en rapporter la preuve.
Selon les dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions de d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Selon les dispositions de l’article L. 4121-2 du code du travail, l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques à la source ;
3° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état de l’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorités sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
En l’occurrence, l’employeur a régulièrement soumis la salariée aux visites médicales de la médecine du travail. C’est ainsi que la salariée a été déclarée par le médecin du travail :
– apte au poste de manutentionnaire cartonnage échantillonnage selon visite médicale du 3 mai 2000 ;
– apte à un poste aménagé à mi-temps avec contre indication à la manutention lourde le 27 novembre 2001- à revoir dans 6 mois (visite annuelle plus de reprise de maladie non effectuée);
– apte sous réserve – contre indication manutention lourde- à revoir dans deux mois le 3 septembre 2002 (visite médicale à la demande de l’employeur);
– apte sous réserve de contre indication à la manutention lourde- à revoir dans deux mois le 15 novembre 2002 ;
– apte sous réserve contre indication manutention lourde, le 16 janvier 2003 ;
– apte avec contre indication de la manutention lourde, le 2 mars 2004 (visite annuelle);
– apte avec contre indication de la manutention lourde le 29 novembre 2005 (visite annuelle);
– apte avec restriction- contre indication de la manutention lourde ; selon les tâches liées au poste, faire alterner si possible au ours de la journée, des activités en station debout et des activités en station assise ; l’aptitude au travail de surfilage sera formulée après étude de poste le 9 novembre 2006 (visite occasionnelle à la demande de l’employeur) ; par courrier du 15 novembre 2006, le médecin du travail a complété son avis d’aptitude après l’étude de l’installation de la salariée au poste de surfilage en indiquant qu’elle peut effectuer des tâches de surfilage dans la limite d’une demi-journée par jour, l’autre demi-journée sera de préférence consacrée à un travail en station debout en alternant station debout et position assise ;
– apte au poste avec restrictions : la manutention lourde est contre indiquée ; peut travailler en station debout en alternant station debout et station assise ; peut effectuer des travaux de surfilage sans dépasser une demi-journée par jour le 6 novembre 2007 (visite périodique) ;
– apte à un poste avec restrictions : la manutention lourde est contre indiquée ;peut travailler en station debout, alternant station debout et station assise ;peut effectuer des travaux de surfilage sans dépasser une demi-journée par jour, selon visite médicale systématique du 21 janvier 2010;
– apte au poste avec restrictions : contre indication de la manutention lourde ; alterner la station debout et la station assise (selon visite médicale systématique su 24 juillet 2012).
En considération de ces avis d’aptitude avec réserve, la cause de l’inaptitude est à rechercher non pas dans des manquements tout au long de la relation contractuelle mais seulement entre le dernier avis d’aptitude avec réserve du 24 juillet 2012 et le dernier jour de travail précédent l’arrêt de travail du 5 mars 2014, à la suite duquel la salarié a été déclarée inapte le 8 janvier 2018.
Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable, le port de charge lourdes est, pour les femmes, celui des charges supérieures à 25kg en application des dispositions des articles R.4541-9 du code du travail.
Selon le diagnostic des risques professionnels pour le poste en atelier effectué par le médecin du travail le 22 février 2017 :
– les machines et matériels utilisés (massicot, thermo-colleuse, riveteuse, perceuse, centrale vapeur, fraiseuse, surjeteuse…) sont automatiques ou semi-automatiques avec un contrat de maintenant auprès d’un organisme agréé ; la table de coupe et le plan de travail à hauteur d’homme dispose d’un siège assis-debout ; les informations et recommandations des bonnes postures sont transmisses par le chef d’entreprise ;
– la réception des marchandises/stockage, préparation des commandes et expédition est assurée au moyen de cinq réceptions et expéditions de marchandises par jour, acheminées par un transporteur extérieur, en quantités variables, avec conditionnement en colis ou palettes filmées ; il est précisé que la manutention manuelles maximale est de 20 030 kg, que le poids d’un rouleau de tissus est de 3 à 4 kg en moyenne, le stockage étant assuré sur dévidoirs, sur des étagères stables non surchargées par référence ; un chariot élévateur électrique est utilisé par un salarié titulaire d’un Caces ; il y a un transpalette manuel et un chariot à roulette ; le médecin du travail a noté de poursuivre l’utilisation des moyens de manutention mécanique et la diversification des tâches de travail aussi souvent que possible; le jour de la visite, il a noté l’absence d’encombrement au sol.
Les témoignages précis et concordants de Mmes [H] (entrée en fin d’année 2012 dans la société), [D] (depuis 32 ans dans l’entreprise en qualité d’échantillonneuse) et de M. [L], lesquelles ne sont pas utilement remis en cause par les témoignages de Mmes
[M], [P] et [W] produits par Mme [J], permettent d’établir que :
– le poste d’échantillonneuse est polyvalent,
– pour le collage des échantillons de cuir, la manipulation et le soulèvement des plaques de carton se fait sans problème ; il y a des chariots pour les cartons plus lourds ; pour les dossiers lourds et imposants, il existe une aide, la manipulation est alors assurée par la personne s’occupant de la logistique ; lorsque Mme [J] était à la coupe, elle faisait le ramassage assise, elle exécutait la découpe au moyen d’un petit massicot électrique ;
– Mme [J] ne portait pas de charges lourdes ; M. [L] indique qu’il faisait en sorte que pour tous les produits qu’elle préparait dans les cartons, elle n’ait rien à porter ; il avait donné ordre au responsable des expéditions de porter tous les cartons qu’elle préparait et s’il ne s’en occupait pas personnellement, son bureau se trouvait juste en face son poste de travail lui permettant de voir et prévoir ce qu’il fallait pour lui donner les bonnes conditions de travail et éviter toute surcharge, au besoin de désigner une autre personne pour faciliter son travail ;
– Mme [J] faisait aussi du collage et de la vérification ; les travaux de découpe et de collage se faisaient à sa convenance en position assise ou debout, dans la meilleure position qu’elle souhaitait.
La manutention mécanique et la diversification des tâches indiquée par le médecin du travail au sein de la fiche de poste de 2017 est corroborée par les témoignages versés aux débats, de même que l’alternance des tâches en position débout (repassage dans l’atelier du haut) et en position assise et il est ainsi établi que ces méthodes de travail existaient entre 2012 et 2014.
Même si la fiche d’expédition des colis concerne ceux entre 2017 et 2019, soit postérieurement à l’arrêt de travail de la salariée, elle corrobore l’absence de port de charges lourdes au sens de l’article R.4541-9 du code du travail.
Il s’ensuit que l’employeur justifie avoir respecté son obligation de sécurité, peu important soit la décision d’invalidité de catégorie 2 accordée à compter du 1er juin 2016 par la caisse primaire d’assurance maladie, pour lombalgie et tumeur osseuse selon le courrier du Dr [B], médecin traitant de la salariée.
Par ailleurs, la salariée n’apporte aucun élément objectif au soutien de son assertion selon laquelle elle a subi les ‘stigmatisations et les tentatives de déstabilisation de son employeur lorsqu’elle se voyait prescrire des mesures de reprise à mi-temps thérapeutique’.
Il s’ensuit que la salariée ne justifie pas que l’inaptitude médicalement constatée procède des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ni même à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail. Aussi, le licenciement pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse et Mme [J] sera déboutée de l’intégralité de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Mme [J] succombant sera condamnée aux entiers dépens. De première instance et d’appel. Elle sera déboutée en conséquence de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande de faire bénéficier la société de ces dispositions et de condamner Mme [J] à verser à la société d’exploitation des établissements Regards une indemnité de 500 euros à ce titre.
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
CONFIRME le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [K] [J] à verser à la société d’exploitation des établissements Regards une indemnité de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE Mme [K] [J] de ses demandes ;
CONDAMNE Mme [K] [J] aux entiers dépens de l’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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