Cour d’appel de Lyon, 12 septembre 2024, RG n° 24/00441
Cour d’appel de Lyon, 12 septembre 2024, RG n° 24/00441

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Lyon

Résumé

M. [K] [W] a signé un bail rural avec M. [J] [T] le 11 novembre 2009, concernant des parcelles à [Localité 24]. En mai 2023, M. [W] a assigné M. [T] pour son expulsion des parcelles non incluses dans le bail et a réclamé une indemnité d’occupation. M. [T] a contesté la compétence du tribunal judiciaire. Le 14 décembre 2023, le juge a rejeté cette contestation et a condamné M. [T] à payer 3 000 euros pour les frais de justice. En appel, le tribunal a confirmé l’ordonnance, réduisant la somme à 1 000 euros, M. [T] n’ayant pas prouvé l’existence d’un bail verbal.

M. [K] [W] a signé un bail rural avec M. [J] [T] le 11 novembre 2009 pour certaines parcelles à [Localité 24]. M. [T] exploite également d’autres parcelles appartenant à M. [W], non mentionnées dans le bail, à la demande de ce dernier. Le 2 mai 2023, M. [W] a assigné M. [T] en justice pour le faire expulser des parcelles non incluses dans le bail et demander une indemnité d’occupation pour la période de 2018 à 2022, ainsi qu’à partir de 2023. M. [T] a contesté la compétence du tribunal judiciaire, plaidant pour celle du tribunal paritaire des baux ruraux. Le GAEC de [Adresse 25] a rejoint M. [T] dans la procédure. Le 14 décembre 2023, le juge a rejeté l’exception de procédure de M. [T], a débouté sa demande de provision, et a condamné M. [T] à payer 3 000 euros à M. [W] pour les frais de justice. M. [T] et le GAEC ont fait appel de cette décision le 17 janvier 2024, demandant l’infirmation de l’ordonnance et la reconnaissance de la compétence du tribunal paritaire des baux ruraux. M. [W] a demandé la confirmation de l’ordonnance et a soutenu que M. [T] avait exploité d’autres parcelles sans son consentement. Le tribunal a confirmé l’ordonnance, sauf pour la condamnation de M. [T] à payer 3 000 euros, et a ordonné à M. [T] de verser 1 000 euros à M. [W] pour les frais de justice.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Lyon
RG n°
24/00441
N° RG 24/00441 – N° Portalis DBVX-V-B7I-PNHT

Décision du Juge de la mise en Etat du TJ de BOURG EN BRESSE

du 14 décembre 2023

RG : 23/01440

[T]

G.A.E.C. GAEC DU [Adresse 25]

C/

[W]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 12 Septembre 2024

APPELANTS :

M. [J] [T]

né le [Date naissance 13] 1969 à [Localité 23]

[Adresse 25]

[Localité 24]

GAEC DU [Adresse 25]

[Adresse 12]

[Localité 24]

Représentés par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

assisté de Me Michel DESILETS de la SCP AXIOJURIS-LEXIENS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE SUR SAONE

INTIME :

M. [K] [N] [W]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 26]

[Adresse 22]

[Localité 24]

Représenté par Me Benoît MEILHAC de la SELARL MEILHAC FARAUT-LAMOTTE, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

* * * * * *

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 Juin 2024

Date de mise à disposition : 12 Septembre 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Joëlle DOAT, présidente

– Evelyne ALLAIS, conseillère

– Stéphanie ROBIN, conseillère

assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Par acte du 11 novembre 2009, M. [K] [W] a consenti à M. [J] [T] un bail rural portant sur certaines parcelles de terrain situées à [Localité 24] (Ain).

M. [T] fait valoir qu’il exploite également d’autres parcelles appartenant à M. [W], lesquelles n’ont pas été mentionnées dans le bail rural, à la demande du bailleur.

Par acte d’huissier en date du 2 mai 2023, M. [W] a fait assigner M. [T] devant le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse pour s’entendre constater que celui-ci est occupant sans droit ni titre, ordonner son expulsion des parcelles non mentionnées dans le bail rural et le condamner à lui payer une indemnité d’occupation pour les années 2018 à 2022 inclus, ainsi qu’à compter du 1er janvier 2023, jusqu’à complète libération des lieux.

M. [T] a soulevé devant le juge de la mise en état l’incompétence du tribunal judiciaire au profit de celle du tribunal paritaire des baux ruraux.

Par conclusions récapitulatives d’incident, le GAEC de [Adresse 25] est intervenu volontairement aux côtés de M. [T].

Par ordonnance en date du 14 décembre 2023, le juge de la mise en état a :

– rejeté l’exception de procédure soulevée par M. [T]

– débouté M. [T] de sa demande de provision

– enjoint à Maître Desilets d’avoir à déposer ses conclusions au fond

– condamné M. [T] à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné M. [T] aux dépens de l’incident.

M. [T] et le GAEC de [Adresse 25] ont interjeté appel de cette ordonnance, le 17 janvier 2024.

Ils ont été autorisés à faire assigner à jour fixe M. [W] pour l’audience du 18 juin 2024, par ordonnance en date du 22 janvier 2024.

L’assignation a été délivrée le 2 février 2024 et remise au greffe de la cour le 14 février 2024.

M. [T] et le GAEC du [Adresse 25] demandent à la cour :

– d’infirmer l’ordonnance

statuant à nouveau,

– de débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes

– de dire que le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse est incompétent au profit du tribunal paritaire des baux ruraux

– d’ordonner le renvoi du dossier devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Bourg en Bresse

– à défaut, de renvoyer M. [W] à mieux se pourvoir devant le tribunal paritaire des baux ruraux

– de condamner M. [W] à leur verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice subi en raison de la présente procédure abusive

– de condamner M. [W] à leur verser la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Ils font valoir que :

– en matière rurale, le bail conclu entre un propriétaire et son fermier peut être verbal et la preuve d’un bail verbal peut être rapportée par tous moyens

– le caractère onéreux d’une convention peut être constitué par le paiement des charges afférentes à l’exploitation et de la taxe foncière

– M. [T] a toujours exploité les parcelles litigieuses avec l’accord de M. [W] et ce dernier lui remboursait le dégrèvement de la taxe foncière sur l’ensemble des parcelles et non pas seulement sur celles figurant expressément dans le bail

– M. [T] a réglé en contrepartie des parcelles la somme de 197 euros par semestre jusqu’en 2007, puis la somme de 500 euros à compter de 2008

– le fermage qu’il paie englobe en fait les parcelles non visées au bail, de sorte que le caractère onéreux du bail rural verbal est établi

– la disposition des parcelles qui forment entre elles deux îlots principaux montre la cohérence d’une location globale et les parcelles prétendûment occupées sans droit par M. [T] sont entremêlées avec les parcelles mentionnés dans le bail écrit, l’ensemble constituant une unité géographique et économique dans le cadre de son exploitation

– le bailleur a expressément désigné M. [T] comme son fermier dans une convention de travaux d’entretien portant sur les parcelles C [Cadastre 10] et C [Cadastre 11] du 29 septembre 2011.

M. [W] demande à la cour :

– de confirmer l’ordonnance

subsidiairement,

– de dire que l’exception d’incompétence est irrecevable car ne faisant pas état de la juridiction dont la compétence est revendiquée dès le dépôt de ses conclusions aux fins d’incompétence

– de rejeter les demandes de M. [T]

en tout état de cause,

– de condamner M. [T] à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.

Il affirme que le fermier, de sa propre initiative, sans son consentement, a décidé d’exploiter, en sus des parcelles louées, d’autres parcelles, qu’il lui a demandé, sans succès, de libérer lesdites parcelles et lui a fait délivrer une sommation interpellative par huissier de justice, le 26 juillet 2022.

Il soutient qu’il appartient à M. [T] de rapporter la preuve du bail rural dont il revendique l’existence, ce qu’il ne fait pas.

Il relève que les attestations parcellaires de la MSA le désignent comme celui jouissant des parcelles que M. [T] s’est approprié sans droit ni titre.

Il fait valoir que le fermage de 1 000 euros par an correspond uniquement aux parcelles comprises dans le bail et que M. [T] ne lui verse rien pour les autres parcelles, de sorte que le critère du caractère onéreux de l’occupation n’est pas rempli.

Il ajoute que les juridictions ne sont pas liées par les termes utilisés par les parties et que le fait qu’il ait mentionné M. [T] comme son fermier dans un formulaire non daté retourné au syndicat des rivières ne démontre pas que les conditions du statut du fermage sont réunies.

SUR CE :

L’article L411-1 du code rural énonce que toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l’article L311-1 est régie par les dispositions du titre ‘statut du fermage et du métayage’, sous les réserves énumérées à l’article L411-2 et que cette disposition est d’ordre public.

L’exploitant qui sollicite la reconnaissance d’un bail rural a la charge de la preuve de la réunion des conditions nécessaires à cette qualification et du caractère onéreux de la mise à disposition qui lui a été consentie.

Le bail rural signé entre les parties le 11 novembre 2009 porte sur les sept parcelles C[Cadastre 5],C[Cadastre 6],C[Cadastre 7],C[Cadastre 8],C[Cadastre 9],C[Cadastre 14],C[Cadastre 21] désignées à l’article 1er de l’acte, situées sur la commune de [Localité 24], pour une contenance totale de 3 hectares 73 ares et 38 centiares (si l’on additionne les contenances mentionnées pour chacune des parcelles) et stipule un fermage annuel de 1 000 euros, soit 500 euros par semestre, payable le 11 mai et le 11 novembre de chaque année, ainsi que le remboursement au bailleur de la moitié des frais de chambre d’agriculture et du cinquième des taxes foncières afférentes au domaine.

M. [T] revendique un bail rural verbal sur les parcelles C [Cadastre 10], C[Cadastre 11], C[Cadastre 15], C[Cadastre 16], C[Cadastre 17], C [Cadastre 18], C [Cadastre 19], C[Cadastre 20], C [Cadastre 2], C [Cadastre 3], C[Cadastre 4] situées sur la même commune, non visées au bail écrit.

Les deux avis de dégrèvements consécutifs à des pertes de récoltes d’un montant respectif de 177 euros et de 190 euros, relatifs aux sinistres ‘sécheresse du 1er juin 2015″ et ‘sécheresse du 1er août 2018″, prononcés pour les parcelles dont le propriétaire est M. [W], le premier avis visant les sept parcelles louées selon le bail du 11 novembre 2009 et neuf des parcelles sur lesquelles M. [T] soutient qu’il bénéficie d’un bail rural, revêtu de la mention manuscrite chèque le 31 mai 2016, le second avis visant cinq des sept parcelles louées selon le bail du 11 novembre 2009 et sept des parcelles sur lesquelles M. [T] soutient qu’il bénéficie d’un bail rural, revêtu de la mention manuscrite chèque le 31 mai 2020 ne permettent pas de démontrer que M. [W] a remboursé à M. [T] la totalité des deux dégrèvements dont il a bénéficié et non pas seulement la part afférente aux parcelles exploitées en vertu du bail écrit.

La copie d’un relevé d’un compte courant ouvert au Crédit agricole montrant une remise de chèque de 177 euros le 23 juin (année non déterminable) et la copie d’un bordereau de remise de chèques daté du 14 mars 2022, comportant un chèque de 190 euros émis par M. [W] ne sont pas probantes à cet égard.

M. [T] verse également aux débats des reçus manuscrits signés par M. [W] :

– pour bétail en pension : 197 euros 2ème semestre 2005 le 11 mai 2005, deux fois 197 euros 1er et 2ème semestre 2006 le 24 mai 2006 et le 19 novembre 2006, deux fois 197 euros 1er et 2ème semestre 2007 le 19 mai 2007 et le 14 novembre 2007

– pour bétail en pension : deux fois 500 euros 1er et 2ème semestre 2008 le 17 mai 2008 et le 16 novembre 2008, 500 euros pour bétail en pension 1er semestre 2009 le 21 mai ‘2008″

et des reçus dactylographiés intitulés ‘fermage’ pour chacun des deux semestres des années 2012 à 2022 inclus (500 euros par semestre).

Selon M. [T], l’augmentation du prix est corrélative à l’augmentation du nombre des parcelles exploitées pour correspondre à l’intégralité des parcelles listées dans le bail, ainsi qu’aux parcelles litigieuses.

Dans la mesure toutefois où aucune précision n’est apportée sur les parcelles concernées par les paiements du second semestre 2005 au premier semestre 2009, que l’augmentation du prix est antérieure à la signature du bail du 11 novembre 2009 et que le montant des fermages figurant sur les reçus dactylographiés correspond au prix mentionné sur le bail écrit, ces reçus ne permettent pas de rapporter la preuve du caractère onéreux de l’exploitation des parcelles revendiquées.

M. [T] produit le courriel suivant de Mme [P] daté du 23 mai 2023 : ‘je vous confirme par la présente que M. [W], lorsque nous l’avons sollicité pour l’entretien du bois situé le long de la Chalaronne sur la parcelle C[Cadastre 10] à [Localité 24], nous a indiqué que vous étiez son fermier sur cette parcelle. Je vous joins en appui à cette affirmation la copie des documents signés à l’époque en 2011 dans le cadre de l’exécution du programme de restauration de la ripisylve (NB ensemble des formations boisées présentes sur les rives d’un cours d’eau) porté par le syndicat.’

Sont joints à ce courriel :

– un document renseigné et signé par M. [W] mais non daté qui autorise le syndicat des rivières des territoires de Chalaronne à entretenir la végétation sur les berges des parcelles C[Cadastre 10] C[Cadastre 11], souhaite que le bois soit retiré de ses parcelles et donne les coordonnées de son fermier M. [J] [T]

– une convention de travaux établie entre le syndicat des rivières et M. [W], propriétaire des parcelles cadastrales C[Cadastre 10], C[Cadastre 11] le 29 septembre 2011, en vertu de laquelle le propriétaire autorise sur ses parcelles la réalisation de travaux nécessaires à l’entretien des berges et du lit du cours d’eau et le libre passage des intervenants.

Ces documents ne sont pas de nature à démontrer que les deux parcelles C[Cadastre 10] et C[Cadastre 11] non visées au bail écrit du 11 novembre 2009 sont exploitées à titre onéreux par M. [T], au demeurant désigné de manière générale dans le premier document comme fermier de M. [W], sans aucune précision quant aux dénominations des parcelles exploitées par lui.

Aux termes de son attestation en date du 22 janvier 2018, M. [W], en qualité de bailleur à fermage sur diverses parcelles de terres et prés agricoles sur la commune de [Localité 24] d’une superficie totale de 3 hectares 73 ares 38 centiares déclare être informé de la demande d’autorisation d’exploiter les parcelles louées sus-relatées déposée par la société GAEC de [Adresse 25].

La superficie ainsi mentionnée correspond très exactement à la surface exploitée en vertu du bail écrit du 11 novembre 2009.

Enfin, l’unité géographique et économique des parcelles invoquée par M. [T] n’est pas un critère de détermination de l’existence d’un bail rural.

Dans ces conditions, la preuve d’un bail rural verbal dont bénéficierait M. [T] sur les parcelles concernées par la demande d’expulsion formée par M. [W] à son encontre n’est pas rapportée.

Il convient de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état qui a rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal paritaire des baux ruraux soulevée par M. [T].

Dans la mesure où il n’est pas fait droit à l’exception d’incompétence et que le tribunal ne s’est pas encore prononcé sur le bien-fondé des demandes, c’est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la demande de provision ‘à titre de dommages et intérêts à valoir sur la réparation relative au préjudice subi par cette procédure hasardeuse et abusive’ formée par M. [T].

M. [T], partie perdante à l’incident, doit être condamné aux dépens de première instance et d’appel et ne peut prétendre à une indemnité de procédure.

Pour des raisons d’équité, la demande de M. [W] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel doit être réduite à la somme de 1 000 euros pour les deux instances.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME l’ordonnance, sauf en ce qu’elle a condamné M. [T] à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE M. [T] aux dépens de première instance et d’appel

CONDAMNE M. [T] à payer à M. [W] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


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