Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Lyon
→ RésuméM. [Z] [S] et Mme [J] [V] ont fondé l’EARL [Adresse 3], spécialisée dans la production de sapins. En raison de difficultés financières, Mme [V] a été licenciée économiquement le 8 novembre 2018. Contestant la légitimité de son licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon, qui a condamné l’EARL pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’EARL a interjeté appel, remettant en question la compétence du conseil. Le 8 septembre 2023, la cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Bourges, laissant les dépens à la charge de Mme [V].
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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/02653 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M6WM
E.A.R.L. EARL [Adresse 3]
C/
[V]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de lyon
du 25 Mars 2020
RG : 19/00734
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2023
APPELANTE :
Société EARL [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Thierry BRAILLARD de la SELARL THIERRY BRAILLARD ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Mathilde DERUDET, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[J] [V]
née le 21 Avril 1972 à [Localité 4] ([Localité 4])
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON substituée par Me Anne BAUJARD, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Juin 2023
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, présidente
– Catherine CHANEZ, conseillère
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Septembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
M. [Z] [S] et Mme [J] [V], son épouse, ont constitué une exploitation agricole à responsabilité limitée, l’EARL [Adresse 3], dont M. [S] est le gérant.
L’exploitation est spécialisée dans la production et la vente de sapins, notamment pour les fêtes de fin d’année.
Elle applique la convention collective régionale des exploitations agricoles de la Nièvre du 21 novembre 1997 et employait moins de 11 salariés au moment du licenciement.
Mme [V] a été engagée par l’exploitation en qualité de secrétaire comptable, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée de type contrat initiative emploi.
Par jugement du 30 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Nevers a arrêté un plan de redressement par voie de continuation de l’exploitation sur une durée de 15 ans et a nommé la SELARL [U] [H] en qualité de commissaire à l’exécution du plan.
Mme [V] a fait l’objet d’un licenciement économique par courrier recommandé avec avis de réception du 8 novembre 2018, en ces termes :
« (‘)
1° les motifs du licenciement :
Vous devez savoir que l’EARL [Adresse 3] a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire agricole devant le Tribunal de Grande Instance de NEVERS.
Par jugement en date du 7 août 2015, le Tribunal de Grande Instance de NEVERS a entériné un plan de continuation sur 15 ans. Malheureusement, nous avons eu de grandes difficultés économiques à régler le dividende 2016 et le dividende 2017 à Maître [H], commissaire à l’exécution du plan.
En effet, vous devez savoir que le bilan et le compte de résultat clôturés au 30 avril 2018 font apparaitre une dégradation de la rentabilité et de la trésorerie remettant en cause la pérennité économique de l’entreprise. Nous pensions redresser la situation économique et financière de l’entreprise pour la campagne 2017.2018. Toutefois, les comptes et les rations ont continué à se dégrader et ce malgré nos efforts constants.
Me [H], commissaire à l’exécution au plan a déposé une requête pour demander l’ouverture de la procédure de résolution du plan de continuation et ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. L’affaire a été plaidée ce matin devant la chambre civile des procédures agricoles du TGI de NEVERS. Le jugement doit être rendu le 22 novembre 2018.
Un juge enquêteur doit être désigné pour vérifier l’état du passif actuel avec Me [H].
Cette situation économique est préoccupante à partir du moment où l’Excédent Brut d’Exploitation des deux derniers exercices ne permet pas de respecter l’EBE retenu dans le prévisionnel d’activité qui a servi pour l’élaboration du plan de continuation entérinée par la 1ère chambre civile du Tribunal de Grande Instance de NEVERS. A ce jour, l’EBE de l’entreprise est très nettement inférieur à celui attendu. L’étude du CER pour l’élaboration du plan a retenu un EBE minimum de 75.000 Euros. Or, nous en sommes loin aujourd’hui. Il s’établit à la somme de 20.846 euros pour le dernier exercice comptable. L’EBE 2017 a été de -21.693 euros. L’EBE de 2016 était de 4.874 euros. De ce fait, nous nous trouvons dans une situation critique. Vous trouverez en annexe 1 le dossier gestion pour l’exercice comptable 2017/2018 intégrant le bilan et le compte de résultat.
Le résultat de l’exercice précédent clôturé au 30 avril 2017 s’établit à -59.222 euros.
Le résultat de l’exercice clôturé au 30 avril 2018 s’établit à -10.678 euros.
Les charges de main d »uvre ont augmenté. Elles étaient de 50.914 euros au 30 avril 2017. Elles sont de 61.353 euros au 30 avril 2018.
Les charges de structure ont augmenté. Elles sont passées de 145.890 euros au 30 avril 2017 à la somme de 154.458 euros au 30 avril 2018.
La capacité interne à financer des investissements est restée négative. Elle était de -60.052 euros au 30 avril 2017. Elle est de -24.293 euros au 30 avril 2018.
Le montant des dettes sociales a augmenté considérablement entre l’exercice 2017 et l’exercice 2018.
Les dettes sociales au 30 avril 2017 s’établissaient à la somme de 62.104 euros.
Les dettes sociales au 30 avril 2018 s’établissent à la somme de 78.067 euros.
Le taux d’endettement a progressé de 83,83% à 88,52%.
La trésorerie nette globale est négative (-147.123 euros au 30 avril 2017 et -157.727 euros au 30 avril 2018).
L’étude du CER France-notre cabinet d’expertise comptable-établie par Madame [F] [Y] commente les comptes clôturés au 30 avril 2017 et les comptes clôturés au 30 avril 2018. Il s’agit de l’annexe 2 jointe à la présente lettre de licenciement pour motif économique.
Son analyse établit une situation catastrophique. Nous nous approchons de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire du fait de la résolution du plan de continuation.
« 2° Les résultats comptables (analyse basée sur les deux dernières années et notamment la dernière comptabilité clôturée au 30/04/2018)
La rentabilité
L’EBE de 2017 se révèle négatif de 21 693 euros, soit en baisse de 26 567 euros par rapport à l’exercice précédent (EBE 2016=4 874 euros)
Au cours de l’année 2017, le produit issu de l’activité « sapins de Noël » s’est très fortement réduit avec une baisse des ventes de 64 000 euros notamment suite au désistement d’un client important. Ce client ne s’est pas manifesté suffisamment tôt ; ce qui ne vous a pas permis de compenser par d’autres clients. La situation s’améliore en 2018 et le produit gagne 27 000 euros.
Les charges opérationnelles ont peu varié en 2017 : -2 000 euros en lien avec le poste « semences » dont l’augmentation de 7 000 euros (plus de plantations) n’a pas été compensée par la réduction des frais d’élevage (baisse des pensions et des entrainements de chevaux) et la diminution des cotisations et des fournitures diverses. En 2018, les charges opérationnelles ont notablement baissé avec l’économie réalisée sur le nombre de plants achetés. Elles s’établissent à 90 000 euros contre 114 000 euros pour l’exercice précédent.
La trésorerie
Bien que l’EBE apparaisse en augmentation sur l’exercice, la trésorerie continue très fortement de se dégrader ; c’est la conséquence directe du manque de rentabilité de l’entreprise.
De nouvelles dettes sont apparues au cours de l’exercice notamment auprès de la MSA (cotisations de l’exploitant mais surtout cotisations salariales) ; un échéancier a d’ailleurs été mis en place. »
Je me permets de vous rappeler que l’inexécution du plan de continuation entraîne automatiquement l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
Le cabinet d’expertise comptable CER France préconise une réduction drastique de la masse salariale pour améliorer substantiellement l’EBE.
Je dois appliquer les préconisations définies par le Cabinet d’expertise comptable. A défaut, la liquidation judiciaire va intervenir incessamment sous peu comme l’a rappelé Me [H] commissaire à l’exécution au plan lors de l’audience du TGI de NEVERS de ce jeudi matin 8 novembre 2018.
« 3. Les préconisations :
Il est impératif de retrouver de la rentabilité pour garantir la pérennité de l’entreprise.
L’objectif d’EBE prévu dans le plan de redressement est loin d’être atteint.
En effet, le plan prévoit ceci :
EBE minimum : 75 000 euros devant assurer :
Paiement au plan EARL : 13 734 euros
Paiement au plan [Z] [S] : 4 435 euros
Budget privé : 35 000 euros
Soit un solde pour marge de man’uvre et autofinancement de 21 831 euros.
Les résultats des dernières clôtures comptables et la dégradation de la trésorerie doivent conduire m. [S] à agir très rapidement car les résultats sont très éloignés de ce qui était attendu dans le plan de redressement et la situation devient préoccupante.
Pour tenir les engagements financiers du plan de redressement, il faut absolument :
– Développer les ventes de sapins et viser un CA minimum de 330 000 euros en rythme de croisière,
– Maîtriser au maximum les charges. Parmi les dépenses importantes, il faut citer le coût salarié qui représente entre 20% et 25% du produit. En l’état actuel de la trésorerie, l’entreprise peut-elle raisonnablement se permettre une telle charge ‘
– L’activité équine n’apporte quasiment que des charges. Est-il judicieux de la conserver ‘ »
Nous avons arrêté définitivement l’élevage équin. Les reproducteurs sont en vente.
La réduction des charges d’exploitation ne peut concerner que la masse salariale.
Compte tenu de la situation économique et financière dégradée de l’EARL [Adresse 3], il est impossible d’envisager le reclassement dans un autre poste de l’entreprise. Aucune recherche initiée pour la création d’un nouveau poste n’a pu aboutir favorablement compte tenu de l’impossibilité d’investissement de la société.
La restauration obligatoire d’un EBE correspondant à celui arrêté pour le prévisionnel, l’amélioration impérieuse de la rentabilité et la constitution d’une trésorerie efficiente sont les motifs économiques qui nous conduisent à supprimer votre poste.
Cette décision vous est notifiée sous réserve de vos droits à adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle (‘) »
Par requête du18 mars 2019, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon afin de contester son licenciement et de solliciter diverses sommes à titre indemnitaire et salarial, notamment pour exécution déloyale du contrat de travail, absence de visite médicale d’embauche et de visites périodiques et manquement à l’obligation de formation.
Par jugement du 25 mars 2020, le conseil de prud’hommes s’est déclaré compétent territorialement et a notamment :
Condamné l’exploitation à verser à Mme [V] la somme de 18 875,64 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamné l’exploitation à verser à Mme [V] la somme de 3 145,94 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 314,60 euros de congés payés afférents ;
Enjoint à l’exploitation, sans astreinte, de procéder aux formalités liées à la prise en charge de Mme [V] par le Pôle emploi ;
Débouté Mme [V] du surplus de ses demandes ;
Condamné l’exploitation à verser à Mme [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamné l’exploitation aux dépens.
Par déclaration du 19 mai 2020, l’exploitation a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions autres que le rejet de la demande de révocation de l’ordonnance de clôture.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 6 janvier 2021, elle demande à la cour de se déclarer incompétente au profit de la cour d’appel de Bourges et en toutes hypothèses, d’infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [V] du surplus de ses demandes et en conséquence, de la débouter de ses demandes, de la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 24 avril 2023, Mme [V] demande à la cour de se déclarer compétente, de confirmer le jugement sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité compensatrice de préavis et de l’infirmer en ce qu’il l’a déboutée du surplus de ses demandes et, statuant à nouveau, de condamner l’exploitation à lui verser les sommes suivantes :
10 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
5 260,99 euros pour les jours de congés payés indument prélevés sur le salaire de juin 2018 ;
4 734,60 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation ;
14 203,80 euros de dommages et intérêts représentant l’allocation de sécurisation professionnelle à laquelle elle pouvait prétendre ;
10 000 euros de dommages et intérêts pour défaut d’accomplissement des formalités auprès du Pôle emploi ;
5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
et de condamner l’exploitation aux dépens.
La clôture est intervenue le 25 avril 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1-Sur la compétence du conseil de prud’hommes de Nevers
L’article R.1412-1 du code du travail dispose que « L’employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud’hommes territorialement compétent.
Ce conseil est :
1° Soit celui dans le ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail ;
2° Soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié.
Le salarié peut également saisir les conseils de prud’hommes du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi. »
L’article 90 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable dispose que « Lorsque le juge s’est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort, celui-ci peut être frappé d’appel dans l’ensemble de ses dispositions.
Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente.
Si elle n’est pas juridiction d’appel, la cour, en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l’affaire devant la cour qui est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance. Cette décision s’impose aux parties et à la cour de renvoi.
Même si Mme [V] justifie d’une adresse à [Localité 5] depuis 2005 et s’il ressort du document émanant du cabinet d’expertise comptable (pièce 15 de l’appelante) que les marchés sur lesquels l’exploitation exposait se situaient principalement en région lyonnaise, le lieu de travail prévu au contrat était le siège de la structure, à [Localité 2], le contrat a été signé en ce lieu et Mme [V] ne démontre pas qu’elle travaillait à [Localité 5], d’autant qu’elle occupait non seulement les fonctions de secrétaire et de comptable, mais aussi celle d’ « aide aux plantations et marchés » et qu’il est constant que les plantations se faisaient exclusivement à [Localité 2].
Le conseil de prud’hommes n’était donc pas compétent pour connaître du litige. Le jugement sera infirmé.
2-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de Mme [V].
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement prononcé le 25 mars 2020 par le conseil de prud’hommes de Lyon ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le conseil de prud’hommes de Nevers était compétent pour statuer sur les demandes présentées par Mme [J] [V] ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Bourges ;
Invite les parties à appeler en cause le commissaire à l’exécution du plan ;
Laisse les dépens de première instance et d’appel à la charge de Mme [J] [V] ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile .
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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