Cour d’appel de Grenoble, 8 octobre 2024, RG n° 24/00609
Cour d’appel de Grenoble, 8 octobre 2024, RG n° 24/00609

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Grenoble

Résumé

Le 3 janvier 2024, le juge des référés a ordonné aux propriétaires d’un hangar agricole, transformé en habitation sans autorisation, de restaurer son usage agricole dans un délai de six mois, sous astreinte de 100€ par jour de retard. En appel, M. [P] et Mme [U] ont contesté cette décision, invoquant une tolérance de la commune et la prescription de l’action. Cependant, la cour d’appel a infirmé la décision initiale, condamnant Mme [W] [P] à verser 1.500€ à la commune et confirmant l’obligation de remise en état du hangar, statuant ainsi en faveur de la commune.

Mme [M] [P] épouse [O], Mme [W] [P] épouse [U] et Mme [J] [P] sont propriétaires d’un hangar agricole à [Localité 7]. La commune a cité M. [N] [P] et ses filles devant le juge des référés pour remettre le bâtiment dans son état initial, alléguant un changement de destination en habitation. Par ordonnance du 3 janvier 2024, le juge a rejeté les demandes contre M. [P], a constaté la modification illégale de la destination du hangar, et a ordonné aux propriétaires de restaurer l’usage agricole dans un délai de 6 mois, sous astreinte. M. [P] et Mme [U] ont fait appel, demandant la réformation de la décision, arguant d’une tolérance de la commune et d’une prescription de l’action. La commune a demandé la confirmation de la décision, sauf sur certains points. La cour a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer, a infirmé la décision sur la recevabilité des demandes contre M. [P], et a condamné Mme [W] [P] épouse [U] à verser 1.500€ à la commune.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

8 octobre 2024
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
24/00609
N° RG 24/00609

N° Portalis DBVM-V-B7I-MD5E

C2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Stéphane GRENIER

la SELARL RETEX AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 08 OCTOBRE 2024

Appel d’une décision (N° RG 23/00707)

rendue par le Président du tribunal judiciaire de Valence

en date du 03 janvier 2024

suivant déclaration d’appel du 05 février 2024

APPELANTS :

M. [N] [P]

né le 27 avril 1944 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 7]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-000999 du 26/02/2024 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de GRENOBLE)

représenté par Me Stéphane GRENIER, avocat au barreau de VALENCE

Mme [W] [P] épouse [U]

née le 14 avril 1981 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphane GRENIER, avocat au barreau de VALENCE

INTIMEE :

LA COMMUNE DE [Localité 7] prise en son maire en exercice

Mairie

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentée par Me Céline CASSEGRAIN de la SELARL RETEX AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Catherine Clerc, présidente,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 juin 2024 madame Blatry, conseiller chargé du rapport en présence de madame Clerc président de chambre, assistées de Alice RICHET, greffière, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

En présence de Mesdames [F] [Y] et [R] [S] auditrices de justice, qui ont siégé en surnombre et participé avec voix consultatives au délibéré.

Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

*****

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Mme [M] [P] épouse [O], Mme [W] [P] épouse [U] et Mme [J] [P] sont propriétaires sur la commune de [Localité 7] (26) de la parcelle cadastrée ZA [Cadastre 1] sur laquelle a été édifié un hangar agricole.

Alléguant le changement de destination du hangar dans lequel M. [N] [P] réside, la commune de [Localité 7] l’a fait citer avec ses trois filles, suivant exploits d’huissier des 26 septembre et 4 octobre 2023, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Valence en remise en l’état initial du bâtiment sous astreinte.

Par ordonnance du 3 janvier 2024, le juge des référés de cette juridiction a :

rejeté les demandes de la commune de [Localité 7] à l’encontre de M. [P],

dit que le hangar litigieux a vu sa destination modifiée pour partie en habitation sans autorisation et en violation des règles d’urbanisme,

enjoint aux propriétaires, Mme [O], Mme [U] et Mme [P] d’entreprendre les travaux nécessaires à la restitution des lieux dans leur vocation agricole et donc à supprimer les aménagements et équipements relevant de l’habitat et ce dans un délai de 6 mois suivant la signification du jugement et sous astreinte de 100€ par jour de retard,

dit n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte,

dit n’y avoir lieu à indemnité de procédure,

condamné in solidum Mme [O], Mme [U] et Mme [P] à payer à supporter les dépens de l’instance.

Suivant déclaration en date du 5 février 2024, M. [P] et Mme [U] ont relevé appel de cette décision en intimant uniquement la commune de [Localité 7].

Au dernier état de leurs écritures du 6 mars 2024, M. [P] et Mme [U] demandent la réformation de l’ordonnance déférée et, à titre principal, le rejet des demandes de la commune de [Localité 7], à défaut, un sursis à statuer dans l’attente de la procédure pendante devant le tribunal administratif de Grenoble et, encore plus subsidiairement, de leur accorder un délai de grâce de 24 mois au titre de la remise en état et une réduction du montant de l’astreinte à 5€ par jour de retard.

Ils font valoir que :

il n’est démontré aucun trouble manifestement illicite au regard de la longue tolérance de la Commune,

si la Commune reconnaît que M. [P] habite dans le hangar litigieux depuis 2014, les travaux sont en réalité plus anciens,

depuis la construction en 1980, il y avait une partie habitation,

il y a donc manifestement prescription de l’action,

le tribunal administratif a été saisi par M. [P] le 27 juin 2023 suite au refus du maire de régulariser la situation administrative du bâtiment,

il y a également une atteinte disproportionnée au droit au domicile conformément à l’article 8 de la CESDH puisque un domicile même illégal est protégé par cette convention,

le rapport de constatation est nul faute d’autorisation de rentrer sur leur propriété.

Suivant uniques conclusions du 6 mars 2024, la commune de [Localité 7] demande la confirmation de la décision entreprise sauf sur le rejet de ses demandes à l’encontre de M. [P] ainsi que sur le défaut de condamnation à indemnité de procédure et de’:

ordonner à Mmes [P] en qualité de propriétaires et de M. [P] en qualité d’occupant la remise en état et la suppression du changement de destination sous astreinte de 100€ par jour de retard,

condamner solidairement les mêmes à lui payer une indemnité de procédure de 3.000€ et à supporter les dépens.

Elle expose que :

la demande de sursis à statuer est irrecevable faute d’avoir été soulevée avant toute défense au fond,

son action n’est pas prescrite puisque le délai de prescription ne court qu’à compter du constat de l’infraction,

l’attestation de l’ancien maire, dénuée de toute précision, est non probante,

il est impensable que le hangar disposait d’une partie logement avant 2014,

M. [P] lui-même reconnaît qu’il n’a habité le hangar qu’à partir d’avril 2019,

il n’est absolument pas démontré de tolérance de la commune depuis les années 2000,

au vu de la végétation présente sur les lieux, il était absolument impossible d’avoir connaissance des travaux réalisés,

dès qu’elle a eu connaissance des travaux en 2022, elle a écrit aux propriétaires pour solliciter leurs observations,

par ce changement de destination illégal, M. [P] rend impossible toute exploitation agricole du bâtiment,

les actions tendant à la remise en en état sont autonomes et ne nécessitent pas la démonstration d’un préjudice personnel et direct causé par les constructions irrégulières,

les dispositions de l’article L.461-2 du code de l’urbanisme ne prévoient l’autorisation que de l’occupant et non des propriétaires,

M. [P] a été informé par lettre recommandée de la visite programmée, a reçu le courrier le 3 novembre 2022 et a signé le recueil de consentement le 8 novembre 2022.

La clôture de la procédure est intervenue le 11 juin 2024.

MOTIFS

La décision est définitive à l’égard de Mmes [M] [O] et [J] [P] qui n’ont pas interjeté appel de la décision, n’ont pas été intimées par leur s’ur et leur père ni appelées à la cause par la Commune.

M. [P], n’étant pas propriétaire de la parcelle ZA [Cadastre 1], aucune demande ne peut prospérer à son encontre, de sorte que les demandes de la Commune à son égard doivent être déclarées irrecevables et non rejetées.

En outre, M. [P], n’ayant pas qualité à agir, doit être déclaré irrecevable en ses prétentions.

sur la demande en sursis à statuer

Mme [U] forme une demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir de la juridiction administrative.

S’agissant d’une exception de procédure devant être soulevée, aux termes de l’article 74 du code de procédure, avant toute défense au fond, cette demande tardive doit être déclarée irrecevable.

sur la demande de remise en état de la Commune

La Commune fonde sa demande sur les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile selon lesquelles, même en cas de contestation sérieuse, peuvent être ordonnées les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Mme [U] prétend que l’action de la Commune est prescrite, qu’il n’y a pas de trouble manifestement illicite, que le PV de constatation est entaché de nullité et qu’il existe une atteinte disproportionnée au droit au domicile et au droit de mener une vie familiale normale.

L’action de mise en conformité de l’article L.480-14 du code de l’urbanisme se prescrit par 10 ans à compter de l’achèvement des travaux.

Il est établi qu’un permis de construire pour un hangar agricole a été délivré le 29 octobre 1984, qu’une demande d’aménagement du hangar a été rejetée le 24 octobre 2014 et, enfin, qu’une demande de régularisation déposée le 20 février 2023 a fait l’objet d’une opposition par arrêté du 3 mars 2023.

Au soutien de sa position, l’appelante produit deux attestations insuffisamment précises et non corroborées par des éléments extrinsèques.

Par ailleurs, il se déduit de la demande d’aménagement du hangar qui a été rejetée en 2014 que les travaux litigieux n’étaient pas encore effectués, qu’ils ne l’ont été que postérieurement au mépris du refus d’aménagement ce qui a justifié la demande de 2023 en régularisation des travaux non autorisés.

Dès lors, sans que l’appelante ne rapporte la preuve lui incombant de la date d’achèvement des travaux, celle-ci ne peut dater, au plus tôt que de la fin 2014.

A cet égard, le logement occupé précédemment par M. [P] n’a été vendu qu’en 2016.

En outre, la commune produit en pièce 16 une attestation de M. [P] selon laquelle il a déclaré occuper le logement litigieux depuis avril 2019.

Ainsi, l’action introduite par la commune les 26 septembre et 4 octobre 2023 n’est pas prescrite.

Mme [U] prétend encore que la longue tolérance de la part de la Commune exclut le trouble manifestement illicite.

Outre que la Commune a expressément refusé la transformation du hangar agricole en habitation puis a fait opposition à la demande en régularisation, l’appelante ne démontre nullement qu’entre ces deux événements la Commune ait été informée de la transformation illicite des locaux et ait manifesté une quelconque tolérance.

La transformation des locaux agricoles en habitation malgré le refus express de la Commune et en contravention avec les règles d’urbanisme constitue le trouble manifestement illicite.

Mme [U] allègue également la nullité du rapport de constatations au motif du défaut d’autorisation écrite de la part tant des propriétaires que de l’occupant.

Toutefois, l’article L.461-2 du code de l’urbanisme stipule que les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d’habitation ne peuvent être visités qu’en présence du seul occupant et avec son assentiment.

En l’espèce, il est justifié que M. [P], régulièrement informé de la visite programmée le 22 novembre 2023, a donné, le 8 novembre 2022, son assentiment écrit à ladite visite selon pièce 21 communiquée par la Commune et qu’il était présent lors des constatations selon pièce 11.

Ainsi, le rapport de constatation est parfaitement valable pour fonder la demande de la Commune en mise en conformité.

Enfin, alors que Mmes [P] ont vendu le logement familial pour 420.000€ pour loger à moindre coût leur père sans pour autant démontrer l’impossibilité de relogement et sans qu’aucune démarche n’ait été entreprise dans cet objectif, il n’est justifié d’aucune atteinte disproportionnée au droit au domicile et à mener une vie familiale.

Par voie de conséquence, la condamnation des propriétaires à la mise en conformité sous une astreinte adaptée de 100€ par jour de retard passé le délai suffisant de 6 mois qui rend non pertinente la demande subsidiaire d’octroi d’un délai de grâce de 24 mois, sera confirmée.

sur les mesures accessoires

L’équité commande de faire application en appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de la Commune.

Enfin, M. [P] et Mme [U] supporteront in solidum les dépens de la procédure d’appel, et les mesures accessoires de première instance sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Déclare irrecevable la demande en sursis à statuer,

Infirme la décision déférée uniquement sur la recevabilité des demandes formées par M. [N] [P] et à l’encontre de M. [N] [P],

Statuant à nouveau sur ces points,

Déclare M. [N] [P] irrecevable en ses demandes,

Déclare la commune de [Localité 7] irrecevable en ses demandes à l’encontre de M. [N] [P],

Y ajoutant,

Condamne Mme [W] [P] épouse [U] à payer à la commune de [Localité 7] la somme de 1.500€ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne in solidum Mme [W] [P] épouse [U] et M. [N] [P] aux dépens de la procédure d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de la procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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