Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Grenoble
Thématique : Réorganisation de l’entreprise : recours abusif aux algorithmes
→ RésuméLa Cour d’appel de Grenoble a ordonné la suspension d’un projet de réorganisation de la plateforme de distribution du courrier de La Poste, soulignant un recours abusif aux algorithmes pour évaluer les cadences de travail. L’employeur n’a pas associé les salariés à la définition des paramètres des logiciels utilisés, négligeant ainsi une confrontation entre les données théoriques et les réalités du terrain. Cette absence de consultation a conduit à une désorganisation significative et à une surcharge de travail pour les employés, mettant en lumière des risques pour leur santé et leurs conditions de travail.
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Les juges ont ordonné la suspension d’un projet de réorganisation d’une plateforme de préparation de distribution du courrier du groupe La Poste.
Recours aux logiciels
Dans le cadre d’un projet de réorganisation d’un établissement, l’employeur peut parfaitement s’appuyer sur un ou plusieurs logiciels comme l’a fait LA POSTE pour évaluer et fixer les cadences de travail et est libre de ne pas fournir les documents ayant prévalu à leur conception, en particulier s’agissant des algorithmes mis en oeuvre , tant à l’expert qu’au Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail.
Confrontation préalable des résultats des algorithmes
Toutefois, il ne peut dans ce cas de figure faire l’économie lorsqu’il n’a pas associé les salariés individuellement ou par l’intermédiaire de leurs représentants à la définition des paramétrages desdits logiciels, d’une confrontation préalable avant la mise en oeuvre du plan de réorganisation, des résultats théoriques obtenus s’agissant des cadences et rendements attendus des salariés dans le cadre de son pouvoir de direction aux réalités concrètes et quotidiennes, notamment par des essais ou des mises en situation, afin de s’assurer que les données théoriques et pratiques ne présentent pas de discordances anormalement élevées.
Désorganisation de la distribution du courrier
En l’espèce, la confrontation entre les données théoriques et les réalités concrètes de chaque nouvelle tournée afin de vérifier l’absence de discordances n’avait manifestement pas été menée au préalable puisque la SA LA POSTE se proposait de le faire a posteriori.
L’employeur ne justifiait pas avoir mis en oeuvre les actions pourtant annoncées à l’inspection du travail, qui a constaté une désorganisation de la distribution du courrier et une surcharge significative de travail pour de nombreux salariés dans le cadre de la nouvelle organisation ‘ ce qui, en soi, constitue la réalisation d’un risque au vu de la dégradation des conditions de travail décrites par les salariés à l’inspecteur – qui ne peut s’analyser, eu égard à la multiplication des témoignages concordants, aux constatations sur site de l’inspection du travail, en un simple risque hypothétique ou la manifestation d’un ressenti subjectif de certains salariés comme le soutient l’employeur.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Cour d’appel de Grenoble
Ch. sociale -section b
8 avril 2021
N° RG 18/05115
N° Portalis DBVM-V-B7C-JZQF
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Sidonie LE BLANC
la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN
Appel d’une décision (N° RG 18/03807) rendue par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 05 novembre 2018 suivant déclaration d’appel du 14 Décembre 2018
APPELANTS :
Syndicat SUD PTT ISERE-SAVOIE
[…]
[…]
Syndicat CGT FAPT 18
[…]
[…]
Organisme COMITÉ D’HYGIÈNE DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL (Y) DE LA POSTE Z-A
[…]
[…]
représentés par Me Sidonie LEBLANC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulante,
et par Me Julien RODRIGUE de la SELARL DELLIEN Associés, avocat au barreau de PARIS,
plaidant
INTIMEE :
SA LA POSTE prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[…]
[…]
représentée par Me Maryline U’REN-GERENTE de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE, postulante
et par Me Sophie REY substituée par Me Claudia LEROY, avocate au barreau de PARIS, plaidante
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Blandine FRESSARD, Présidente,
M. Frédéric BLANC, Conseiller,
M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 Février 2021,
M. Frédéric BLANC, conseiller, chargé du rapport, et M. Antoine MOLINAR-MIN, conseiller, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 08 Avril 2021, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 08 Avril 2021.
EXPOSE DU LITIGE :
Courant 2017, la SA LA POSTE a lancé un projet de réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier (PDC) de SAINT MARCELLIN portant notamment sur la modification des tournées des facteurs et des horaires de travail.
Le Comité d’Hygiène et de Sécurité des Conditions de Travail (Y) de LA POSTE CHARTREUSE/A a été consulté conformément à l’article L 4612-8-1 du code du travail et au cours de la réunion du 15 juin 2018, a voté le recours au cabinet ERGONOMIA, en qualité d’expert, avec pour mission d’analyser l’impact du projet et de sa conduite sur l’ensemble des dimensions relatives aux conditions de travail des personnels concernés, d’évaluer l’impact en matière d’exposition aux risques professionnels, et d’aider le Y à formuler un avis utile et éclairé et à avancer des propositions concernant le contenu et les modalités de mise en oeuvre du projet.
Le cabinet ERGONOMIA a remis son rapport le 2 août 2018.
Le Y a été convoqué à une réunion le 24 août 2018 afin de discuter des recommandations issues du rapport d’expertise final et du plan d’actions proposé en réponse par la SA LA POSTE.
Au terme de cette réunion, le Y a adopté une résolution faisant état des conclusions estimées alarmantes de l’expert sur la mise en œuvre de la réorganisation, formulant ses préconisations et annonçant une action en justice, à défaut de leur prise en compte.
La mise en place de la nouvelle organisation sur le site de SAINT MARCELLIN a été reportée au 2 octobre 2018.
Par assignation délivrée à jour fixe le 1eroctobre 2018 sur autorisation du président de la juridiction, le Y de la plateforme de préparation et de distribution du courrier (PDC) Z/A et les syndicats SUD PTT ISERE/SAVOIE et CGT FAPT 38 ont attrait la SA LA POSTE devant le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE, aux fins de faire interdiction ou à tout le moins de suspendre le projet de réorganisation.
La SA LA POSTE a conclu au rejet, à titre principal, des prétentions adverses et, subsidiairement, demander l’organisation d’une expertise judiciaire.
Par jugement en date du 5 novembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE a :
— rejeté les demandes du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail de la Plateforme de Préparation et de Distribution du courrier Z/A et des syndicats SUD PTT ISERE/SAVOIE et CGT FAPT 38 aux fins de faire interdiction, à titre principal, à la POSTE de mettre en oeuvre le projet de réorganisation de SAINT MARCELLIN ou, à titre subsidiaire, d’en ordonner la suspension
— rejeté la demande d’exécution provisoire
— condamné la SA LA POSTE à verser au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail de la Plateforme de Préparation et de Distribution du courrier Z/A la somme de 4800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
— condamné la SA LA POSTE à payer aux syndicats SUD PTT ISERE/SAVOIE et CGT FAPT 38 la somme de 1200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
— condamné la SA LA POSTE aux entiers dépens de l’instance
Par déclaration en date du 14 décembre 2018, le syndicat SUD PTT ISERE/SAVOIE, le syndicat CGT FAPT 38 et le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la POSTE Z/A ont interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Le syndicat SUD PTT ISERE/SAVOIE, le syndicat CGT FAPT 38 et le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la POSTE Z/A s’en sont remis à leurs conclusions transmises le 27 janvier 2021 et entendent voir :
— Révoquer l’ordonnance de clôture du 21 janvier 2021,
— Recevoir le Y Z-A, le Syndicat SUD PTT ISÈRE-SAVOIE et le Syndicat CGT FAPT 38 en leurs appels,
— Réformer le jugement du Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE du 5 novembre 2018 en ce
qu’il a rejeté les demandes du Y et des syndicats SUD PTT Isère-Savoie et CGT FAPT 38,
Statuant à nouveau,
— Rejeter les demandes, principale et subsidiaire, de LA POSTE,
— Dire et juger que LA POSTE n’a pas pris les mesures nécessaires – évaluation loyale de la charge et du temps de travail des facteurs impactés, respect des préconisations du cabinet ERGONOMIA et du Y – afin de garantir les agents des risques ainsi révélés par le rapport,
— Dire et juger que le projet de réorganisation du site de SAINT-MARCELLIN comporte des risques pour la santé et la sécurité des salaries,
En conséquence,
— Ordonner la suspension de la réorganisation de SAINT-MARCELLIN tant que les mesures garantissant les agents impactés des risques constatés n’auront pas été prises, et notamment :
. Une évaluation loyale et conforme du temps et de la charge de travail
. Le respect des préconisations du cabinet ERGONOMIA, reprises par le Y requérant dans sa délibération du 24 août 2018 (consultation sur les prochaines normes et cadences afin de trouver un accord sur une méthodologie attentive aux conditions de travail tenant compte des particularités locales ; les calculs en amont (le comptage notamment) doivent être repris et recalculés ; les découpages doivent être rediscutés avec les agents, garants d’une équité entre tournées, en termes de charge de travail, de conditions géographiques, de particularités locales et de durée raisonnable de réalisation ; les découpages prévus par le projet doivent être révisés en concertation avec tous les acteurs ayant « pratiqué » les portions de voies inhérentes à chaque future tournée)
— Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en ce qu’il a condamné LA POSTE à verser 4 800 € au Y au titre de ses frais judiciaires et 1 200 € aux syndicats SUD PTT 38/73 et CGT FAPT 38 au titre de l’article 700 CPC et aux dépens de première instance,
En tout état de cause,
— Condamner LA POSTE à verser au Y Z-A la somme de 6 000 € TTC au titre des frais engagés par le Y dans le cadre de l’appel, outre les frais de postulation d’un montant de 1200,00 € TTC,
— Condamner LA POSTE à verser au syndicat SUD ISÈRE SAVOIE et au Syndicat CGT FAPT 38 la somme de 1 200 € chacun au titre de l’article 700 du CPC en cause d’appel,
— La condamner aux dépens d’appel.
La SA LA POSTE s’en est rapportée à ses conclusions transmises le 21 janvier 2021 et entend voir :
Vu les articles L.4612-1 et -2, L.4614-8 et L.4614-12 et suivants du code du travail,
Vu l’article 232 du code procédure civile
Vu la jurisprudence citée aux présentes écritures,
Vu les pièces versées aux débats,
Il est demandé à la Cour d’appel de Grenoble, de :
A titre principal
‘ DIRE ET JUGER que les demandes des syndicats et du Y sont désormais sans objet,
En conséquence,
‘ DEBOUTER les syndicats et le Y de l’intégralité de leurs demandes,
Subsidiairement :
‘ CONSTATER que le Y et les syndicats SUD et CGT FAPT 38 ne démontrent nullement l’existence d’un risque concret et avéré, pour la santé et la sécurité des agents,
‘ CONSTATER que le Y et les syndicats SUD et CGT FAPT 38 ne démontrent nullement le non-respect par la Poste de son obligation de prévention des risques et de la santé et sécurité de ses salaries,
En conséquence,
‘ CONFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté le Y et les syndicats SUD et CGT FAPT 38 de l’ensemble de leurs demandes,
‘ INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné La Poste à verser à chacun des syndicats la somme de 1 200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau,
‘ CONDAMNER les syndicats SUD et CGT FAPT 78, à verser chacun à la Société la Poste, la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-vises.
La clôture du 21 janvier 2021 a été rabattue à l’audience puis prononcée le 10 février 2021, jour de l’audience, avant l’ouverture des débats.
EXPOSE DES MOTIFS :
Sur la fin de non-recevoir tendant à voir dire sans objet les prétentions des syndicats et du Y :
Au visa de l’article 122 du code de procédure civile, la SA LA POSTE ne rapporte pas la preuve suffisante que les prétentions du syndicat SUD PTT ISERE SAVOIE, du syndicat CGT FAPT 18 et du Y de la SA LA POSTE CHARTREUSE-A, visant à ordonner la suspension de la réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier mise en oeuvre à compter du 2 octobre 2018, sont devenues sans objet dès lors qu’il résulte des pièces n°23, 24 et 25 et 26 que l’organisation mise en place dans le cadre de la pandémie de COVID-19 est qualifiée de transitoire, la SA LA POSTE n’indiquant au demeurant pas qu’elle aurait définitivement abandonné la réorganisation mise en oeuvre le 2 octobre 2018.
Il convient, en conséquence, de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SA LA POSTE.
Sur la demande de suspension du projet de réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier de SAINT MARCELLIN :
L’article L4612-1 du code du travail prévoit que :
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission :
1° De contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure;
2° De contribuer à l’amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l’accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ;
2° bis De contribuer à l’adaptation et à l’aménagement des postes de travail afin de faciliter l’accès des personnes handicapées à tous les emplois et de favoriser leur maintien dans l’emploi au cours de leur vie professionnelle ;
3° De veiller à l’observation des prescriptions légales prises en ces matières.
L’article L4612-8-1du même code dispose que :
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
L’irrégularité affectant le déroulement de la procédure d’information-consultation permet aux institutions représentatives du personnel d’obtenir la suspension du projet de l’employeur, si la procédure de consultation est toujours en cours ou la réparation du préjudice si elle est terminée.
D’une première part, le projet de réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier de SAINT MARCELLIN a donné lieu, dans un premier temps, à des informations de la part de l’employeur du Y, lors des réunions des 13 mars 2017, 5 juillet 2017, 27 décembre 2017, 28 mars 2017 et 15 juin 2018.
A l’occasion de cette dernière réunion, le Y a décidé du recours à un expert, en application de l’article L 4614-12 alinéa 2 du code du travail, avec le dépôt du rapport le 2 août 2015.
La SA LA POSTE a décidé, non plus d’une information mais d’une consultation du Y, en application de l’article L 4612-8-1 du code du travail, sur le projet lors d’une réunion du 24 août 2018, présentant par ailleurs un plan d’actions en 6 points en réponse aux préconisations du rapport d’expertise.
Lors de cette réunion, les membres du Y, estimant, en substance, que l’employeur n’avait pas pris en compte les risques professionnels engendrés par la réorganisation en se basant notamment sur les conclusions de l’expert qui avait été désigné, ont présenté une résolution en sollicitant le report de la consultation du Y pour la réorganisation de la plateforme de la préparation et de la distribution du courrier de SAINT MARCELLIN et donné pouvoir à l’un de ses membres pour ester en justice.
D’après le procès-verbal, le représentant de l’employeur a indiqué in fine que « l’expertise est une aide pour les RP afin qu’ils puissent rendre un avis éclairé, elle n’est que consultative. Si vous ne donnez pas d’avis, un relevé de décision sera établi ».
Après plusieurs reports, l’employeur a mis en œuvre le projet de réorganisation à compter du 2 octobre 2018, suspendu ensuite temporairement à raison d’une organisation transitoire liée à la pandémie de la COVID-19.
L’employeur n’a tiré aucune conséquence juridique, dans le cadre de la présente instance, du refus, par les membres du Y, de rendre un avis lors de la réunion d’information/consultation.
Il s’ensuit qu’il convient de considérer que la procédure d’information/consultation du Y de la LA POSTE Z A est toujours en cours, nonobstant la mise en oeuvre du projet, si bien que les demandeurs à l’instance, en particulier le Y, peuvent encore demander la suspension du projet de réorganisation.
D’une seconde part, les demandeurs à l’instance établissent de manière suffisante que le projet de réorganisation de la plateforme de préparation et de la distribution du courrier de SAINT MARCELLIN a pour conséquence de générer des risques graves, en particulier psycho-sociaux, non évalués de manière suffisante par l’employeur et qui ne sont pas seulement hypothétiques mais certains, et ce indépendamment du fait qu’ils se soient ou non d’ores et déjà réalisés, que le plan d’actions proposé par l’employeur lors de la réunion du 24 août 2018 n’est pas de nature à permettre d’éviter, d’évaluer, de combattre ou, à tout le moins, de limiter lesdits risques dans les conditions énoncées à l’article L 4121-2 du code du travail.
En effet, dans son rapport du 2 août 2018, l’expert ne s’est pas limité à indiquer que « cette organisation ne peut être mise en oeuvre en l’état sans exposer les salariés à des niveaux de risques inacceptables ».
Il a également formulé diverses recommandations.
Si la SA LA POSTE apporte un certain nombre de réponses concrètes et précises dans son plan d’actions au titre de la formation des facteurs qualités, du projet concernant les services arrière et du matériel mis à disposition, celles concernant la mise en oeuvre de la distribution pilotée, de l’évaluation réelle de la charge de travail et de la mise en oeuvre de la pause méridienne n’apparaissent pas constituer les mesures préventives nécessaires lui incombant de prendre dans le cadre de son obligation de sécurité à l’égard de son personnel.
Dans le détail, s’agissant de l’évaluation de la nouvelle répartition de la charge de travail dans le cadre du projet de réorganisation, au-delà du ressenti nécessairement subjectif de chacun des facteurs qui ne peut en soi faire obstacle à la mise en oeuvre du projet de l’employeur, l’expert a pour autant objectivé un biais certain et sérieux dans la méthodologie mise en oeuvre au préalable par la direction locale de la SA LA POSTE.
Alors que dans le cadre d’un projet de réorganisation d’un établissement, l’employeur peut parfaitement s’appuyer sur un ou plusieurs logiciels comme l’a fait la SA LA POSTE pour évaluer et fixer les cadences de travail et est libre de ne pas fournir les documents ayant prévalu à leur conception, en particulier s’agissant des algorithmes mis en oeuvre , tant à l’expert qu’au Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail, il ne peut dans ce cas de figure faire l’économie lorsqu’il n’a pas associé les salariés individuellement ou par l’intermédiaire de leurs représentants à la définition des paramétrages desdits logiciels, d’une confrontation préalable avant la mise en oeuvre du plan de réorganisation, des résultats théoriques obtenus s’agissant des cadences et rendements attendus des salariés dans le cadre de son pouvoir de direction aux réalités concrètes et quotidiennes, notamment par des essais ou des mises en situation, afin de s’assurer que les données théoriques et pratiques ne présentent pas de discordances anormalement élevées.
Or, d’après les explications données par l’expert, corroborées par les éléments produits aux débats sur les étapes suivies par l’employeur pour y associer le personnel, la SA LA POSTE n’a pas vérifié
concrètement et sérieusement si la réduction de 38 à 35 des tournées avec un redécoupage, et le passage d’un horaire collectif en service continu à un horaire collectif en service discontinu avec une pause méridienne de 45 minutes, étaient de nature ou non à créer une surcharge de travail pour les agents, directement à l’origine de risques professionnels, notamment psycho-sociaux.
La SA LA POSTE a, certes, effectué des écoutes individuelles, des comptages de courriers sur un temps déterminé, des mises à jour de bases de données en y associant le personnel et une restitution du diagnostic bilan réalisé par le logiciel avec un système de fiches navettes remises aux facteurs pour effectuer des demandes de modification et faire des remarques.
Toutefois, la SA LA POSTE a opposé de manière systématique les résultats théoriques fournis par ses logiciels aux remarques formulées par les facteurs, notamment sur un nombre de colis sous-estimé, des temps de tri minorés ou des tournées trop chargées ne permettant pas de respecter l’horaire collectif de travail, sans jamais que les données théoriques, au moins pour celles contestées par les facteurs, n’aient été vérifiées en pratique, préalablement à la mise en oeuvre du projet de réorganisation, étant relevé que le projet a fait l’objet d’une opposition massive de la part du personnel à travers la signature d’une pétition et que les facteurs/factrices du centre ont, pour la plupart, témoigné dans le cadre de la présente instance en mettant en avant une surcharge de travail, à laquelle l’employeur n’est pas tenue de souscrire mais qu’il a pour autant l’obligation de vérifier dans le cadre de son obligation de sécurité.
La proposition faite par la SA LA POSTE, dans son plan d’actions, de faire un bilan à 6 mois puis 12 mois pour étudier/corriger les écarts éventuels avec des accompagnements managériaux des facteurs, en application de l’article 3.5 de l’accord d’entreprise du 7 février 2017 ‘sur l’amélioration des conditions de travail et sur l’évolution des métiers de la distribution et des services des factrices/facteurs et de leurs encadrantes/encadrants de proximité’ ne peut être considérée comme une mesure suffisante incombant à l’employant dans le cadre de son obligation de sécurité, dès lors que cette procédure visant à prévenir et corriger les dépassements fréquents des horaires de travail correspond à un des principes de gestion des organisations à la distribution de l’article 3 mais ne concerne pas les réorganisations de service traitées à l’article 2.3.
Une telle mesure visant seulement à corriger, a posteriori, une surcharge de travail n’est de toutes façons pas jugée suffisante dans le cadre d’un projet de réorganisation qui doit s’accompagner d’une évaluation préalable loyale et réaliste de la charge de travail qui va résulter de la nouvelle organisation pour prévenir toute surcharge.
Des motifs similaires sont adoptés, s’agissant de la distribution pilotée, dans la mesure où l’expert signale que celle-ci est de nature à intensifier la charge de travail. Or, des explications données, a posteriori, lors de planifications sur site du responsable organisation pour apporter des éclaircissements supplémentaires, mesure proposée par l’employeur dans son plan d’actions, ne sont pas jugées comme une mesure nécessaire et suffisante, dans le cadre de l’obligation incombant à l’employeur de prévenir les risques, la SA LA POSTE ne devant pas intervenir que pour y remédier lorsqu’ils se matérialisent.
Contrairement à ce que soutient la SA LA POSTE le risque de surcharge n’est pas qu’hypothétique mais bien réel puisqu’il est, au cas d’espèce, corroboré par les constatations de l’inspection du travail, lors d’un contrôle qu’il a effectué le 5 octobre 2018, ayant donné lieu à plusieurs observations à l’employeur dans un courrier du 18 octobre 2018 et notamment :
« Madame X m’a déclaré que les horaires collectifs affichés sont appliqués et qu’il n’y a pas d’heure supplémentaire autorisée ni payée par la direction pour les agents de l’établissement. Il m’a suffi d’interroger une vingtaine de salariés contractuels pour constater que les horaires collectifs affichés ne sont pas respectés, ni lors de l’activité du tri courrier, du fait de la nouvelle organisation et des nouveaux casiers, ni pour les activités extérieures de distribution du courrier, les agents découvrant leur tournée (voir le secteur pour les personnels extérieurs : FACT’aide). Plusieurs salariés m’ont déclaré ne pas avoir pris de pause pour ne pas finir après 14h. Or, cette pause de 20 minutes minimum est obligatoire après 6 h de travail (article L 3121-33 du code du travail, issue d’une direction européenne). Plusieurs salariés déclarent avoir largement dépassé un retour au centre de distribution après 14 h (une salariée en CDD a fini son travail après 17 h).
(‘) 4) organisation du travail perturbée, conditions de travail dégradées et conséquence pour la santé des salariés.
(‘) Vous avez décidé d’imposer la mise en place de cette réorganisation dès le 2/10, avec une modification des tournées, une suppression de 3 tournées, d’une organisation du temps de travail imposant une coupure méridienne aux agents de distribution, d’où mon courrier du 02/10/18 ; cette réorganisation imposée dans la précipitation a entraîné une grève à partir du 2/10 ;
Lors de mon contrôle le 5/10 à 8h, j’ai pu constater la tension et le désarroi (et même le désespoir, exprimé par plusieurs salariés devant ce qu’ils vivent comme un manque évident de considération et de respect) des salariés entendus sur leur poste de travail.
Aucun salarié ne m’a fait part d’une amélioration de ses conditions de travail, au contraire, beaucoup ont fait état d’un très fort ressenti de désorganisation, d’improvisation et de dégradation de leurs conditions de travail, alors même qu’ils expriment et prouvent leur attachement à leur mission de service public de distribution des courriers aux usagers (volonté de finir la distribution quitte à ne pas prendre de pause au cours de la journée de travail).
Parmi les griefs qui m’ont été exprimés, je vous en retranscris pour l’essentiel :
-absence d’information et d’accompagnement sur les nouvelles tournées : découverte le 2/10 de la nouvelle tournée et du nouveau mobilier de tri (casier inadapté) avec organisation de la tournée incohérente (plusieurs facteurs évoquent que leur tournée telle que programmée les amène à arriver dans les zones industrielles et commerciales à une heure où la plupart des commerces sont fermés (12h30 -14h)
-plusieurs salariés font état d’une charge supplémentaire excessive ajoutée à leur tournée, sans concertation ni moyen de discussion ;
(‘)
-suppression de tournée et sentiment d’être mis en situation de « bouche-trou »
-non-respect des cycles et des rythmes de récupération
-dépassement récurrent du temps de travail depuis mardi 2/10 lors des tournées obligeant plusieurs salariés à ne pas prendre de pause, à dépasser l’horaire de fin de service, pour ne pas revenir avec du courrier non distribué dans le temps imparti »
L’inspecteur du travail a relancé l’employeur par courrier du 7 novembre 2018.
La réponse apportée par l’employeur, du 21 novembre 2018, ne permet aucunement de juger que l’employeur avait pris les mesures nécessaires dans le cadre de son obligation de sécurité préalablement à la mise en oeuvre du projet de réorganisation.
En effet, l’employeur confirme l’existence de nouveaux horaires collectifs de 7h15 à 14h34 avec coupure méridienne de 12h15 à 13h00 et précise « 1) si un facteur rentre de sa tournée avec des restes de courrier, il devra expliquer à son encadrant les difficultés qu’il a rencontrées dans son travail extérieur. Il a été précisé de respecter l’heure de fin de service et que les départs anticipés n’étaient pas autorisés.
2) Pour permettre de mieux répartir la charge de travail, des contrôles de cadence au tri seront organisés au casier. De même des tours de terrain seront programmés. Ceci afin de pouvoir engager des actions correctrices ».
Il se déduit de la réponse de l’employeur que la confrontation entre les données théoriques et les réalités concrètes de chaque nouvelle tournée afin de vérifier l’absence de discordances n’avait manifestement pas été menée au préalable puisque la SA LA POSTE se propose de le faire a posteriori.
Or, l’employeur n’allègue et encore moins ne justifie dans le cadre de la présente instance avoir mis en oeuvre les actions qu’elle a pourtant annoncées à l’inspection du travail, qui a constaté une désorganisation de la distribution du courrier et une surcharge significative de travail pour de nombreux salariés dans le cadre de la nouvelle organisation ‘ ce qui, en soi, constitue la réalisation d’un risque au vu de la dégradation des conditions de travail décrites par les salariés à l’inspecteur – qui ne peut s’analyser, eu égard à la multiplication des témoignages concordants, aux constatations sur site de l’inspection du travail, en un simple risque hypothétique ou la manifestation d’un ressenti subjectif de certains salariés comme le soutient l’employeur.
La SA LA POSTE oppose de manière inopérante l’absence alléguée de risques professionnels à raison d’une absence d’augmentation des arrêts de travail et accidents de travail suite à la mise en oeuvre du projet de réorganisation, dès lors que la réalisation du risque n’est pas une condition, les demandeurs devant seulement démontrer sa réalité et que surtout, il appert que la nouvelle organisation n’a, en définitive, fonctionné que quelques mois puisqu’elle a ensuite dû être suspendue dans le cadre de la mise en oeuvre d’une organisation transitoire faisant suite à la pandémie de covid 19, de sorte que ces indicateurs ne sont pas pertinents.
S’agissant du point plus spécifique du passage unilatéral à l’initiative de l’employeur d’un horaire de travail continu à un horaire de travail discontinu, sans qu’il soit nécessaire de trancher le point étranger au litige collectif de savoir s’il s’agit d’une modification du contrat de travail qui requérait l’accord individuel de chaque salarié, l’expert avait recommandé de clarifier les conditions de mise en oeuvre de la pause méridienne de 45 minutes venant se substituer à une pause rémunérée de 40 minutes.
A ce titre, l’inspecteur du travail a noté dans son courrier du 18 octobre 2018, outre que certains salariés ne la prenaient pas dans les faits pour pouvoir terminer leur service dans le cadre des horaires collectifs, « une absence de réflexion sur les conséquences des pauses méridiennes imposées et sur le choix des lieux de prise de repas programmée : un salarié me précise qu’on lui a prévu une pause au Mc Donald ! un autre me dit qu’il fait sa pause au milieu de la campagne, en mangeant un sandwich sur un banc, plusieurs me disent que les cadres leurs ont interdit de rentrer manger au CDC au réfectoire, ce qui est contraire à la définition même de « pause » : qui est un temps où le salarié peut vaquer à ses occupations ».
L’employeur ne lève absolument pas l’ambiguïté sur la nature de cette pause méridienne non rémunérée au cours de laquelle le salarié n’est plus supposé être sous la subordination juridique de son employeur et doit pouvoir vaquer librement à ses occupations puisque, dans le plan d’actions, la possibilité, pour les facteurs, de déjeuner à leur domicile est soumise à une condition d’accord préalable de l’employeur et aucune réponse n’est faite à l’inspecteur du travail à ce titre.
Le procès-verbal de réunion du Y du 6 octobre 2018 ainsi que les développements de l’expert
mettent en réalité en évidence que les salariés restent au moins en partie sous la subordination de leur employeur pendant ce temps qui n’est pourtant pas rémunéré, et que celui-ci s’immisce dans le choix de l’endroit et les conditions selon lesquelles les salariés peuvent prendre leur repas, sans se limiter à leur offrir une possibilité de restauration collective ou un avantage salarial sous forme de titres-restaurants.
L’opposition à la mise en place de cette pause méridienne n’est, dès lors, pas subjective mais s’appuie bien sur des difficultés concrètes et sérieuses de nature à générer un conflit persistant entre l’employeur et les salariés et, partant, un risque psycho-social.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la consultation du Y n’apparaît pas avoir été loyale et complète dès lors que l’employeur n’a pas clarifié les conditions de mise en oeuvre de la pause méridienne et complété l’évaluation du temps et de la charge de travail des salariés par la confrontation des données théoriques du projet de réorganisation déjà collectées à la situation pratique et réelle pour chacune des tournées, y compris pour la distribution pilotée.
Infirmant le jugement entrepris, il convient, en conséquence, d’ordonner la suspension du projet de réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier (PDC) de SAINT MARCELLIN tant qu’il n’aura pas été procédé, par l’employeur, à une consultation loyale et complète du Y de LA POSTE Z A dans les conditions de l’article L 4612-8-1 du code du travail, la Cour ayant exposé dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle juge la consultation irrégulière car insuffisante mais n’ayant pas à se substituer à l’employeur s’agissant des diligences à accomplir pour reprendre la consultation du Y Z-A, de sorte que les syndicats et le Y de la POSTE Z-A, qui ne sollicitent pas la communication de pièces, sont, en revanche, déboutés du surplus de leurs prétentions visant à imposer à l’employeur des conditions précises à la levée de la suspension du projet de réorganisation dans le cadre de la consultation du Y.
S u r l a p r i s e e n c h a r g e d e s f r a i s e n g a g é s p a r l e C H S C T d e l a P O S T E CHARTREUSE-A:
Au visa de l’article L 4614-13 du code du travail, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SA LA POSTE à payer au Y de la POSTE CHATREUSE-A la somme de 4800 euros au titre de la prise en charge de ses frais de procédure de première instance et y ajoutant, de condamner la première à payer au second une somme complémentaire de 6000 euros au titre des frais d’appel d’après la pièce n°79, le surplus de la demande à hauteur de 1200 euros non justifié étant rejeté.
L’équité commande de confirmer l’indemnité de procédure allouée en première instance aux syndicats SUD ISERE SAVOIE et CGT FAPT 39 et de rejeter le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la SA LA POSTE, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS’:
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
— condamné la SA LA POSTE à verser au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail
de la Plateforme de Préparation et de Distribution du courrier Z/A la somme de 4800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
— condamné la SA LA POSTE à payer aux syndicats SUD PTT ISERE/SAVOIE et CGT FAPT 38 la somme de 1200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
— condamné la SA LA POSTE aux entiers dépens de l’instance
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la SA LA POSTE tirée du fait allégué que les prétentions adverses au principal sont devenues sans objet
ORDONNE la suspension du projet de réorganisation de la plateforme de la préparation de distribution du courrier (PDC) de SAINT MARCELLIN tant qu’il n’aura pas été procédé par la SA L A P O S T E à u n e c o n s u l t a t i o n l o y a l e e t c o m p l è t e d u C H S C T d e L A P O S T E CHARTREUSE-A dans les conditions de l’article L 4612-8-1 du code du travail
DEBOUTE le Y de la POSTE CHARTEUSE-A et les syndicats SUD ISERE SAVOIE et CGT FAPT 38 du surplus de leurs prétentions au principal
CONDAMNE la SA LA POSTE à payer au Y de la POSTE CHARTREUSE-A la somme de 6000 euros au titre du remboursement de ses frais exposés en cause d’appel
REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SA LA POSTE aux dépens d’appel
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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