Cour d’appel de Grenoble, 24 mars 2015
Cour d’appel de Grenoble, 24 mars 2015

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Grenoble

Thématique : Responsabilité de Google Suggest

Résumé

Un écrivain et pasteur a poursuivi Google pour diffamation en raison de suggestions de termes injurieux associés à son nom. Selon la loi française, l’injure est définie comme une expression outrageante sans imputation de fait. Google Suggest, qui génère automatiquement des suggestions basées sur des recherches fréquentes, soulève des questions de responsabilité. Bien que les termes associés soient péjoratifs, leur affichage résulte d’un algorithme sans intention malveillante de la part de Google. La liberté d’expression et le droit à l’information prévalent, surtout pour les personnages publics, rendant difficile la suppression des suggestions litigieuses.

Un écrivain, conférencier et intervenant dans le domaine de la spiritualité (pasteur d’une Eglise Essenienne chrétienne) a poursuivi la société Google pour diffamation au titre de la suggestion de termes « diffamatoires » associés à son nom.

Dispositions légales applicables

Selon l’article 29 dernier alinéa de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ». Selon l’article 33 du même texte « L’injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocations, sera punie d’une amende de 12.000 euros. »

Selon l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, modifié par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 : « Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication. Lorsque le service est fourni par une personne morale, le directeur de la publication est le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale. Selon l’article 93-3 du même texte : « Au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public ». A défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.

Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.

Application à Google suggest

Google Suggest est une fonctionnalité de saisie semi-automatique intégrée dans le moteur de recherche Google permettant d’afficher en temps réel, et au fur et à mesure que l’internaute tape sa requête, des prédictions de termes de recherches selon un algorithme prenant en compte des critères objectifs ‘ tels que la fréquence à laquelle les termes sont recherchés ‘ et destinée à faciliter la recherche. La fonctionnalité des « recherches associées » consiste dans l’affichage, sur la page de résultats, des recherches connexes à la requête initialement saisie par l’internaute, sur la base aussi de critères objectifs.

Le caractère injurieux et outrageant des termes « secte » gourou » et escroc » lorsqu’ils sont associés au nom de la victime sur le moteur de recherche « google.fr ne peut laisser de place au doute au moins sur le territoire français sur lequel il étend son emprise, compte tenu des connotations péjoratives indiscutables qui s’y attachent du fait des dérives observées et associées à ces termes, mises en lumière par des faits divers graves et abondamment commentés et les publications officielles de l’organisme mis en place pour les combattre. Le caractère automatique du choix des suggestions qui s’affichent sur l’écran de l’internaute est toutefois exclusif du caractère intentionnel – requis – de l’infraction de presse d’injure, puisque l’affichage des termes associés se fait sans la volonté de la société GOOGLE.

La négligence qui pourrait être caractérisée au regard de l’article 1383 du code civil pour défaut par la société GOOGLE d’information des utilisateurs sur le processus déterminant le choix des « recherches associées », et en raison d’une information insuffisante donnée sur le fonctionnement de « Google Suggest » n’était pas alléguée par la victime.

Le refus fautif ou l’abstention opposé par le directeur de la société GOOGLE à la demande expresse de suppression par lettre recommandée avec accusé de réception des suggestions sur le moteur www.google.fr associées au nom de la victime constitue un fait volontaire ou une négligence distincts des associations de termes générés sans volonté de la part du moteur mais néanmoins injurieux. Le droit à l’effacement ne peut trouver en l’espèce de fondement dans la loi sur la liberté de la presse.

Liberté d’informer sur les personnes publiques

Si les faits de refus de suppression peuvent apparaître abusifs et, comme tels susceptibles d’une demande sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, la liberté d’expression est légitimement invoquée par la société GOOGLE en ce que son moteur de recherche vise à mettre à disposition des internautes des suggestions, facilitant ainsi leurs recherches et leur ouvre le bénéfice d’informations et celui des recherches antérieures faites par d’autres, conformément à la définition qui en est donnée par l’article 10 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

S’agissant ici, d’un personnage public et non de la personne privée, les impératifs de protection de la vie privée ne sont pas à juste titre invoqués.  L’obligation d’une information plus poussée des utilisateurs du moteur de recherche, n’est pas demandée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil.

La suppression du moteur de recherche des associations et combinaisons au regard des faits et du préjudice subi ne se justifie pas en tout état de cause sur le fondement de ces dispositions du code civil dans cette espèce particulière au regard des impératifs de la liberté d’expression à l’égard d’un personnage public et de celle de l’accès par les internautes à l’information le concernant de sorte qu’un réouverture des débats par application de l’article 12 du code de procédure civile.

 


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