Cour d’appel de Grenoble, 16 septembre 2021
Cour d’appel de Grenoble, 16 septembre 2021

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Grenoble

Thématique : Activités réglementées : les starts-up dans le viseur des ordres professionnels

Résumé

L’ordre des experts-comptables a autorisé une saisie chez la SAS « Je gère ma boîte », suspectée d’exercer illégalement l’expertise comptable. Cette société propose des travaux comptables en s’appuyant sur un réseau d’experts. Le Conseil régional de l’Ordre a justifié sa demande d’instruction pour vérifier si cette activité porte atteinte au monopole des experts-comptables. Un enquêteur privé a été engagé pour recueillir des informations, confirmant que la société réalisait des travaux comptables, supervisés par un cabinet non inscrit à l’Ordre. Ces éléments soulèvent des suspicions d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable.

Saisie chez la SAS « Je gère ma boîte »

L’ordre des experts-comptables a été autorisé à procéder à une saisie chez la SAS «Je gère ma boîte». Cette dernière est soupçonnée d’exercer illégalement l’activité d’expertise comptable. La société a pour activité de proposer à ses clients tous types de travaux comptables, en faisant appel à son réseau d’experts comptables. En raison de cette seule présentation, il s’ensuit que le Conseil régional de l’Ordre des experts comptables justifiait d’un intérêt à solliciter une mesure d’instruction, afin de vérifier les conditions réelles dans lesquelles les appelants exercent leur activité, et ainsi s’il n’est pas porté atteinte au monopole institué par l’ordonnance du 19 septembre 1945 relative à la profession d’experts comptables, qu’il a pour mission de défendre.

Recours aux services d’un enquêteur privé

L’ordre des experts-comptables a eu recours aux services d’un enquêteur privé, soumis aux dispositions des articles L621-1 et suivants du code de la sécurité intérieure. Le premier de ces articles permet, à toute personne habilitée à cette fin, de recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts. Il n’est pas contesté en l’espèce que la société AR Investigations est officiellement habilitée à réaliser des enquêtes privées pour le compte de ses clients. La rédaction de l’article L621-1 précité l’autorise expressément à ne pas faire état de sa qualité ni à révéler l’objet de sa mission. Aucune disposition notamment du code de déontologie fixé par la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure, n’interdit ainsi à l’enquêteur privé d’utiliser une identité d’emprunt.

Le juge des référés a ainsi justement indiqué qu’il n’est pas établi que cette activité d’enquête serait illégale et que les moyens utilisés par l’enquêteur seraient déloyaux. La rémunération de l’enquêteur par son mandant est prévue par le code de la sécurité intérieure et n’est pas contraire à une enquête privée réalisée en toute indépendance.

Suspicions d’activité illégale

Il résulte du rapport très détaillé établi par la société AR Investigations qu’elle a d’abord recueilli les renseignements que tout public peut consulter, comme les documents officiels du registre du commerce, ou le site internet de la société Je gère ma boîte, annonçant la réalisation de travaux comptables.

Après avoir pris contact avec cette société, en annonçant son intention de créer une entreprise et de faire exécuter des travaux de comptabilité, l’enquêteur privé a obtenu un rendez-vous dans les locaux de la société Je gère ma boîte, dont l’un des salariés lui a indiqué qu’elle pouvait réaliser des travaux comptables par le biais d’une plateforme informatique, ces travaux étant supervisés par le cabinet Absidial, spécialisé dans l’expertise comptable et ayant un établissement secondaire dans les mêmes locaux que la société Je gère ma boîte, sans que cet établissement soit inscrit au tableau de l’Ordre des experts comptables. Il a été indiqué à l’enquêteur que ces travaux comprenaient la saisie et le traitement des données jusqu’à l’établissement du bilan, de la liasse fiscale et de toutes déclarations. Ce rapport a ainsi mis en lumière des faits propres à permettre de constater l’exercice d’une activité illicite d’expertise comptable.

En raison des supports utilisés pour mener à bien ces travaux, la société Je gère ma boîte utilise des supports informatiques. Le recours à une forme dématérialisée permet ainsi aisément de les dissimuler voire de les détruire. Toute investigation pertinente ne peut ainsi être exécutée qu’autant qu’il est procédé non contradictoirement, afin d’éviter tout risque de dépérissement des preuves.

En outre, l’objet des investigations à réaliser est de déterminer si une activité de comptabilité est exercée. Le recours à un membre du Conseil régional et d’un expert comptable inscrit au tableau de l’ordre, afin que l’huissier de justice puisse d’être assisté de sachants, est rendu nécessaire en raison de la nature des informations à rechercher, fixées par le juge, alors qu’en application des règles déontologiques applicables aux experts comptables, ces derniers sont astreints à exercer leur mission en toute indépendance, d’autant qu’ils devaient exécuter leur mission dans le cadre d’un mandat judiciaire. Il n’y a pas ainsi d’atteinte portée aux articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et 9 du code de procédure civile comme invoqué par les appelants.

Peu importe en l’espèce que l’huissier de justice n’ai procédé à aucune saisie de données informatiques, puisque d’une part, son constat ne peut servir à justifier a posteriori la validité de la requête par laquelle l’intimé a sollicité l’autorisation de procéder à des mesures d’investigation, le juge, y compris d’appel, ne pouvant fonder sa décision que sur les pièces remises au soutien de cette requête, alors que d’autre part, l’impossibilité de procéder à la saisie de données informatiques a résulté de l’obstruction de la société Je gère ma boîte.

Il en résulte que le juge, statuant sur requête, a régulièrement autorisé des investigations au sein de la société Je gère ma boîte. Son ordonnance, rendue au pied de la requête, en a adopté les motifs et satisfait ainsi à l’exigence de motivation prévue par l’article 495 du code de procédure civile. L’ordonnance déférée ne peut ainsi qu’être confirmée en toutes ses dispositions.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 16 SEPTEMBRE 2021

N° RG 21/00302 – N° Portalis DBVM-V-B7F-KWQD

Appel d’une ordonnance (N° RG 20/02381)

rendue par le Président du TJ de GRENOBLE

en date du 16 décembre 2020

suivant déclaration d’appel du 12 janvier 2021

APPELANTS :

M. Y-G X

né le […] à DIE

de nationalité Française

[…]

[…]

S.A.S. JE GERE MA BOITE

Société par actions simplifiée au capital de 15 000,00 ‘, immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 803 995 992, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentés et plaidant par Me Marie-Catherine CALDARA-BATTINI, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

CONSEIL REGIONAL DE L’ORDRE DES EXPERTS COMPTABLES AUVERGNE RHONE ALPES

représenté par son Président en exercice demeurant audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me ZIRN de la SELARL LINK ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffière.

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 juin 2021, M. BRUNO conseiller, a été entendu en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,

Faits et procédure :

Par requête reçue le 16 janvier 2020, le Conseil régional Rhône-Alpes de l’Ordre des experts comptables (ci après le Conseil Régional), a sollicité de la présidente du tribunal judiciaire de Grenoble, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, l’autorisation de faire dresser un constat par huissier de justice afin de vérifier, au sein de la société Je gère ma boîte, dont le président est Y-G X, si une activité d’expertise comptable est pratiquée.

Par ordonnance du 30 janvier 2020, la présidente du tribunal a autorisé le Conseil régional à faire procéder à ce constat, selon la mission sollicitée dans la requête. L’huissier de justice a exécuté cette mission le 14 mai 2020 et a déposé son rapport.

Le 19 octobre 2020, la société Je gère ma boîte et monsieur X ont assigné le Conseil régional devant le juge des référés du tribunal judiciaire, en application des articles 9, 145, 493, 845 du code de procédure civile, de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, afin notamment de voir rétracter l’ordonnance rendue sur requête et d’annuler les mesures d’instruction réalisées.

Par ordonnance du 16 décembre 2020, le juge des référés a’:

— dit n’y avoir lieu de rétracter l’ordonnance rendue sur requête’;

— débouté la société Je gère ma boîte et monsieur X de leurs demandes’;

— condamné in solidum ces derniers à payer au Conseil régional la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

— débouté la société Je gère ma boîte et monsieur X de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile’;

— condamné ces derniers aux dépens, mais n’incluant pas le coût du constat d’huissier.

La société Je gère ma boîte et Y-G X ont interjeté appel de cette décision le 12 janvier 2021.

L’instruction de cette procédure a été clôturée le 3 juin 2021.

Prétentions et moyens de Y-G X et de la société Je gère ma boîte’:

Selon leurs conclusions remises le 1er mars 2021, ils demandent, au visa des les articles 9, 145, 493 et 845 du code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’:

— d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance sur requête du 30 janvier 2020 et condamné in solidum la société Je gère ma boîte et Y-G X au paiement d’une somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens’;.

— de juger que l’intimé n’a valablement justifié d’aucun motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige’;

— de dire que l’intimé n’a justifié, dans sa requête, d’aucune circonstance propre à l’affaire permettant de déroger au contradictoire et que l’ordonnance autorisant les mesures n’a pas caractérisé ces circonstances propres à l’affaire’;

— de juger que l’ordonnance ayant autorisé les mesures de constat n’a été motivée par aucune circonstance propre à l’affaire permettant de déroger au contradictoire’;

— de dire que les mesures de constat autorisées, en ce que l’ordonnance prévoyait que l’huissier se rende sur les lieux « en s’adjoignant les services d’un membre du Conseil de l’Ordre des experts comptables et de tout expert comptable régulièrement inscrit au tableau et dûment mandaté par le Conseil régional en qualité de sachant», n’étaient pas des mesures légalement admissibles’;

— en conséquence, d’infirmer l’ordonnance entreprise’;

— de rétracter l’ordonnance rendue sur requête le 30 janvier 2020′;

— de déclarer nulle et de nul effet les mesures d’instruction réalisées en exécution de cette ordonnance’;

— de condamner l’intimé à leur payer 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance.

Ils exposent’:

— que la société Je gère ma boîte a été immatriculée au registre du commerce de Grenoble le 11 août 2014, avec une activité de conseils et gestion en entreprise’; qu’elle propose plus particulièrement à ses clients un certain nombre de services complémentaires à la gestion d’entreprise afin que ceux-ci puissent se recentrer sur leur métier’; que ces services sont proposés grâce à un réseau d’experts : expert, comptable, avocat, experts en ressources humaines, courtier’; que dans ce cadre, elle a été amenée à faire le lien avec un expert comptable chargé de la tenue et de l’établissement de la comptabilité de ses clients’;

— que dans sa requête, l’intimé a exposé que son attention avait été attirée sur l’activité illicite de la société Je gère ma boîte qui déclarait une activité de « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion »’; que cette requête était fondée sur un rapport d’enquête établi par une société AR Investigations pour le compte du Conseil régional et présenté comme confirmant la réalité de la suspicion d’exercice illégal par les concluants’;

— qu’après réalisation de la mesure d’instruction ainsi ordonnée, les concluants ont été assignés le 2 juillet 2020 par l’intimé devant le président du tribunal judiciaire aux fins de voir ordonner à la société Je gère ma boîte et à monsieur X la cessation immédiate de toutes prestations, activités ou missions de comptabilité relevant des activités visées par l’ordonnance du 19 septembre 1945, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir; d’ordonner la publication intégrale ou par extraits de l’ordonnance dans deux journaux locaux aux frais des concluants’; de condamner les concluants à payer au Conseil régional 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens qui comprendront les frais de constat’; qu’au cours de cette instance, les concluants ont ainsi saisi le juge des référés d’une demande de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête’;

— que l’intimé n’a pas justifié d’un motif légitime à voir organiser la mesure d’instruction, n’ayant versé aucune pièce justifiant son affirmation de l’exercice illicite de la profession d’expert comptable’; qu’en effet, cette affirmation n’a reposé que sur le rapport d’enquête établi par la société AR Investigations, qui constitue un moyen de preuve illégal en raison de son caractère déloyal’; que le juge des référés n’a pu retenir que la décision a été prise sur la base d’un compte-rendu de mission d’enquête réalisé par un agent de recherche privé disposant d’une carte professionnelle délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité l’autorisant à exercer cette activité, qu’il n’est pas établi que cette activité serait illégale comme le fait qu’il ait été fait usage dans le cadre professionnel d’une identité d’emprunt, ce qui est inhérent à l’activité, que le fait que ledit agent soit rémunéré par son mandant, ne saurait être contraire à ce type d’activités’; qu’au contraire, est illicite la preuve obtenue en usant d’une fausse qualité ou d’un stratagème, ce qui résulte des termes de la

requête indiquant que l’enquêteur privé a usé d’un stratagème pour recueillir la preuve qu’il recherchait puisqu’il s’est fait passer pour un client potentiel, adoptant ainsi une fausse qualité’; qu’en outre, le fait que l’enquêteur soit rémunéré par l’intimé ne permet pas de constater son indépendance’; que ce rapport ne peut ainsi être retenu comme faisant la preuve d’un motif légitime de solliciter une ordonnance sur requête’;

— que les autres pièces produites à l’appui de la requête déposée pour obtenir une mesure de constat, ne présentaient aucun intérêt et ne permettaient donc pas de rapporter la moindre preuve d’un semblant de motif légitime de solliciter une mesure d’instruction, puisqu’il s’agissait de l’extrait K-bis de la société Je gère ma boîte qui mentionne comme activité le « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion », de l’extrait du site d’offre de services de la société mentionnant qu’elle a recours à un réseau de partenaires, d’une proposition d’honoraires ne portant aucune signature, aucun tampon et dont il ne peut être soutenu avec certitude qu’elle émanerait de la société Je gère ma boîte’; que le juge des référés n’a pu ainsi retenir que l’ordonnance sur requête a été prise non seulement sur la base de l’enquête réalisée par un enquêteur privé mais également sur un extrait du site d’offre de service qui fait référence, entre autres, à une activité dans la comptabilité, puisque ce site mentionne expressément que cette société assure une mise en relation avec un réseau de professionnels dont des

experts comptables’;

— qu’en outre, il n’a pas été justifié de circonstances justifiant l’absence de débat contradictoire au sens de l’article 493 du code de procédure civile’; que le risque de disparition des éléments de preuves ou la nécessité d’un effet de surprise revêtent une trop grande généralité et ne suffisent pas, à eux seuls, à justifier une dérogation au principe de la contradiction’; que le requérant doit motiver sa requête par référence à de telles circonstances et que le juge doit également motiver son ordonnance en ce sens’; que l’instance en rétractation engagée, par la suite, à l’encontre de l’ordonnance qui y a fait droit, n’est pas de nature à purger le vice initial même si la demande en rétractation donne lieu à débats devant le juge des référés’;

— qu’en l’espèce, le juge statuant sur requête n’a pu retenir que la mesure sollicitée ayant pour objet la conservation des preuves dont il convient d’éviter le dépérissement, il est justifié de procéder par voie de requête et d’exclure en l’état le débat contradictoire d’une procédure de référé pour permettre un effet de surprise compte tenu de la dissimulation manifeste de l’activité illicite en présentant dans les documents publicitaires son intervention comme celle d’un intermédiaire mettant en relation les clients avec les professionnels alors qu’elle assure directement les prestations, sans préjudice du risque de dissimulation ou de destruction des pièces sur support informatique’; que ces prétendues circonstances étaient inexistantes dans la mesure où il est impossible à une société de faire disparaître ou de dissimuler toutes les pièces existantes y compris celles sur support informatique, puisqu’elle ne peut réduire à néant son fichier client, ses factures’; que le président statuant sur requête n’a pu énoncer qu’à supposer que les concluants souhaitent cacher un exercice illégal de la profession d’experts comptables, le seul moyen de l’établir est de se procurer les éléments de comptabilité des clients en leur possession, ce qui passe nécessairement par une fouille des fichiers informatiques qui ne peuvent être obtenus que par surprise au regard des dissimulations que permet ce type de fichier, puisque l’huissier de justice n’a pas opéré cette fouille des fichiers informatiques’;

— qu’il résulte des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat doit être indépendante de la partie requérante, alors qu’en la cause, il a été sollicité par le requérant que l’huissier puisse s’adjoindre les services d’un membre du Conseil de l’Ordre des experts comptables et de

tout expert comptable régulièrement inscrit au tableau et dûment mandaté par le Conseil régional en qualité de sachant’; que le juge des référés n’a pu considérer que la mission retenue était précise et se limitait aux seuls éléments relatifs à la tenue de comptabilité, respectant ainsi le secret des affaires et qu’ainsi la présence d’un expert comptable aux côtés de l’huissier était justifiée pour limiter le constat uniquement aux éléments relatifs à un exercice illégal d’opérations d’expertise comptable, l’ordonnance autorisant les mesures ne contenant pas pareille motivation’; que la présence d’un représentant du requérant aux côtés de l’huissier qui mène les opérations de constat est hautement critiquable et injustifiable’;

— que lorsque l’ordonnance ayant ordonné la mesure d’instruction est rétractée, le rapport du technicien établi en exécution de cette décision ne peut produire aucun effet’; qu’il appartient ainsi au juge qui prononce la rétractation d’une ordonnance sur requête de constater la perte de fondement juridique des mesures d’instruction exécutées sur le fondement de cette ordonnance et la nullité qui en découle.

Prétentions et moyens du Conseil régional de l’Ordre des experts comptables Auvergne Rhône-Alpes’:

Selon ses conclusions remises le 2 avril 2021, il demande’:

— de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déféré;

— de condamner les appelantes à lui payer 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre le dépens incluant les frais de constat, dont distraction au profit de maître Z (Selarl Link Associés).

Il soutient’:

— que par exploit du 2 juillet 2020, il a assigné les appelants devant le président du tribunal judiciaire de Grenoble sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile afin qu’il ordonne la cessation du trouble manifestement illicite constitué par leur exercice illicite de la profession d’expert comptable’; qu’après deux renvois et alors que le dossier était fixé à l’audience du 21 octobre 2020, les appelants ont, à des fins purement dilatoires, assigner le concluant par exploit du 19 octobre 2020 en rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 30 janvier 2020 et exécutée le 14 mai 2020′;

— que l’attention du concluant a été attirée sur l’activité illicite de la Société Je gère ma boîte, déclarant exercer une activité de « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion  »’; que le rapport d’enquête établi par la société AR Investigations pour le compte du concluant confirme la réalité de la suspicion d’exercice illégal des appelants, puisque lors d’un rendez-vous sur place, l’enquêteur a constaté qu’une dizaine de personnes travaillaient à des postes informatiques et que deux personnes étaient identifiées comme devant être salariées de la société Je gère ma boîte, messieurs A B et C D’; qu’interrogés sur la possibilité de prendre en charge une mission de comptabilité jusqu’à l’établissement du bilan, le premier, salarié de la société Je gère ma boîte, a expliqué qu’il était en charge de l’aspect créations d’entreprises, mise en place, conseils et suivi alors que l’aspect comptabilité était gérée par le second’; que ce dernier et son équipe traitaient les pièces comptables remises par les clients via une plateforme internet du nom de Quadratus et procédaient à leur saisie, supervisée par le cabinet d’expertise comptable Absidial dont le siège social est à Bordeaux et dont l’établissement secondaire situé à Voiron n’est pas inscrit au tableau de l’Ordre des experts comptables’; que ces éléments constituent une suspicion d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable’;

— que sa requête était légitime et bien fondée, puisque s’agissant de la remise de documents et de l’audition de plusieurs personnes pouvant se concerter, la mission confiée à l’huissier de justice avait plus de chances de succès si elle était exécutée alors que la partie adverse n’en était pas avertie’; que cet effet de surprise est indispensable lorsqu’il permet d’écarter tout risque de dépréciation de la preuve, notamment par la destruction de fichiers ou de courriers électroniques qui ne manquerait pas d’être opérée si la partie adverse était informée de la procédure’; que lorsque les mesures d’instruction, quelle qu’ait pu être leur étendue, sont circonscrites aux faits litigieux, elles ne s’analysent pas en une mesure générale d’investigation’; que l’ordonnance sur requête a pu ainsi déroger au principe du contradictoire, en raison de la crainte de destruction de documents’;

— que l’exigence de motivation de l’ordonnance est parfaitement remplie puisqu’elle consiste dans le constat des travaux de comptabilité exécutés par la société Je gère ma boîte, sur la base des extraits du site internet, de la lettre de mission établie par la société Je gère ma boîte, du rapport d’enquête établi par la société AR Investigations’; qu’il convenait de vérifier si les travaux exécutés par les appelants constituaient ou non des prestations interdites de tenue, vérification, appréciation, surveillance ou redressement des comptes, travaux résultant principalement de l’enregistrement informatique des tâches accomplies’; que des manipulations aisées, aussi rapides qu’indétectables, permettaient la dissimulation voire la destruction des données et informations, ce qui nécessitait un effet de surprise; que ce risque de dépérissement des preuves était réel et sérieux puisque qu’ayant conscience de son exercice illégal, monsieur X dissimulait la réalité de son activité en déclarant des prestations de « conseils pour les affaires et autres conseils de gestion  »’;

— que le juge a également relevé que la requête était bien fondée au regard de la lettre de mission émanant de la société Je gère ma boîte et dans laquelle étaient détaillées les tâches accomplies pour le compte du client : « tenue comptable de l’ensemble des pièces, déclarations fiscales, établissement

des comptes annuels et liasse fiscale  »’;

— que le rapport d’enquête établi par la société AR Investigations confirme la réalité de la suspicion d’exercice illégal ainsi que rappelé ci-dessus’; que ce rapport est licite puisqu’il constitue un document confidentiel qui ne peut être transmis qu’à son mandant ou à l’avocat du requérant pour les besoins d’une action judiciaire afin d’établir la matérialité des faits reprochés’; que l’enquêteur est un agent de recherches privées qui est à la fois astreint au code de la sécurité intérieure et à la déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité, de sorte qu’il est autorisé à recueillir des informations sans faire état de sa qualité ou révéler l’objet de sa mission au sens de l’article L621-1 du code de la sécurité intérieure’; qu’en la cause, le Conseil national des activités privées de sécurité a délivré à E F sa carte professionnelle lui permettant d’exercer en toute légalité son activité d’agent de recherches privées’; que la loi autorise l’enquêteur privé à ne pas révéler sa profession et à prendre toute identité qui lui parait nécessaire pour obtenir les informations souhaitées dans le respect de la vie privée’; qu’il ne peut ainsi être reproché à l’enquêteur privé de s’être fait passer pour un client dans la mesure où il peut lui être nécessaire de changer d’apparences dans le cadre d’infiltrations’; que le fait qu’il soit rémunéré par son mandant est sans incidence’; que le juge des référés a ainsi justement retenu que l’activité d’agent de recherche n’est pas illégale, que la prise d’une identité d’emprunt est inhérente à cette activité et qu’ainsi, l’obtention d’une proposition d’honoraires à l’en tête de la société Je gère ma boîte par l’agent de recherche ne saurait ressortir d’un procédé déloyal’;

— concernant l’absence de contradiction, que la requête et l’ordonnance rendue reprennent l’ensemble des circonstances propres à la situation des appelants justifiant l’absence de contradiction et la nécessité de faire procéder à un constat par un huissier de justice alors qu’il s’agissait du seul moyen d’établir cette situation et de se procurer les éléments de comptabilité des clients en leur possession, passant nécessairement par une fouille des fichiers informatiques qui ne peuvent être obtenus que par surprise au regard des dissimulations que permet ce type de fichiers’; que si les appelants indiquent que l’huissier n’a pas opéré de fouille de fichiers informatiques, cela résulte du fait que les personnes rencontrées sur place ont fait preuve d’une particulière résistance et d’une mauvaise foi pour empêcher les vérifications prévues dans l’ordonnance rendue sur requête, puisque l’huissier n’a pu appréhender aucun document, alors qu’il ne s’était pas adjoint d’expert informatique et n’avait pas sollicité la force publique pour l’aider dans la réalisation de sa mission’;

— que le fait d’être accompagné par un membre du Conseil régional de l’Ordre des experts comptables ou par un expert comptable régulièrement inscrit permet d’identifier rapidement les seuls éléments comptables et de cantonner la recherche de l’huissier au but recherché’; que le fait que cet expert-comptable soit un membre du Conseil régional ou désigné par ce dernier ne l’empêche pas d’être indépendant, dans la mesure où il ne rend aucunement compte à l’Ordre, n’est pas rémunéré par ce dernier et n’est pas sous sa subordination.

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Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Motifs’:

Concernant l’existence d’un motif légitime à voir organiser une mesure d’instruction, il résulte des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Selon l’article 493 du même code, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

En l’espèce, le juge des référés a exactement indiqué que les appelants n’ont pas le titre d’expert comptable. La société Je gère ma boîte, dont monsieur X est le président, est inscrite au registre du commerce dans le secteur d’activité du conseil pour les affaires et autres conseils de gestion. Selon la présentation de cette société sur son site internet, elle a cependant pour activité de proposer à ses clients tous types de travaux comptables, en faisant appel à son réseau d’experts comptables. En raison de cette seule présentation, il s’ensuit que le Conseil régional de l’Ordre des experts comptables justifiait d’un intérêt à solliciter une mesure d’instruction, afin de vérifier les conditions réelles dans lesquelles les appelants exercent leur activité, et ainsi s’il n’est pas porté atteinte au monopole institué par l’ordonnance du 19 septembre 1945 relative à la profession d’experts comptables, qu’il a pour mission de défendre.

En outre, l’intimé a eu recours aux services d’un enquêteur privé, soumis aux dispositions des articles L621-1 et suivants du code de la sécurité intérieure. Le premier de ces articles permet, à toute personne habilitée à cette fin, de recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts. Il n’est pas contesté en l’espèce que la société AR Investigations est officiellement habilitée à réaliser des enquêtes privées pour le compte de ses clients. La rédaction de l’article L621-1 précité l’autorise expressément à ne pas faire état de sa qualité ni à révéler l’objet de sa mission. Aucune disposition notamment du code de déontologie fixé par la partie réglementaire du code de

la sécurité intérieure, n’interdit ainsi à l’enquêteur privé d’utiliser une identité d’emprunt. Le juge des référés a ainsi justement indiqué qu’il n’est pas établi que cette activité d’enquête serait illégale et que les moyens utilisés par l’enquêteur seraient déloyaux. La rémunération de l’enquêteur par son mandant est prévue par le code de la sécurité intérieure et n’est pas contraire à une enquête privée réalisée en toute indépendance.

Il résulte du rapport très détaillé établi par la société AR Investigations qu’elle a d’abord recueilli les renseignements que tout public peut consulter, comme les documents officiels du registre du commerce, ou le site internet de la société Je gère ma boîte, annonçant la réalisation de travaux comptables. Après avoir pris contact avec cette société, en annonçant son intention de créer une entreprise et de faire exécuter des travaux de comptabilité, l’enquêteur privé a obtenu un rendez-vous dans les locaux de la société Je gère ma boîte, dont l’un des salariés lui a indiqué qu’elle pouvait réaliser des travaux comptables par le biais d’une plateforme informatique, ces travaux étant supervisés par le cabinet Absidial, spécialisé dans l’expertise comptable et ayant un établissement secondaire dans les mêmes locaux que la société Je gère ma boîte, sans que cet établissement soit inscrit au tableau de l’Ordre des experts comptables. Il a été indiqué à l’enquêteur que ces travaux comprenaient la saisie et le traitement des données jusqu’à l’établissement du bilan, de la liasse fiscale et de toutes déclarations. Ce rapport a ainsi mis en lumière des faits propres à permettre de constater l’exercice d’une activité illicite d’expertise comptable.

En raison des supports utilisés pour mener à bien ces travaux, la société Je gère ma boîte utilise des supports informatiques. Le recours à une forme dématérialisée permet ainsi aisément de les dissimuler voire de les détruire. Toute investigation pertinente ne peut ainsi être exécutée qu’autant qu’il est procédé non contradictoirement, afin d’éviter tout risque de dépérissement des preuves.

En outre, l’objet des investigations à réaliser est de déterminer si une activité de comptabilité est exercée. Le recours à un membre du Conseil régional et d’un expert comptable inscrit au tableau de l’ordre, afin que l’huissier de justice puisse d’être assisté de sachants, est rendu nécessaire en raison de la nature des informations à rechercher, fixées par le juge, alors qu’en application des règles déontologiques applicables aux experts comptables, ces derniers sont astreints à exercer leur mission en toute indépendance, d’autant qu’ils devaient exécuter leur mission dans le cadre d’un mandat judiciaire. Il n’y a pas ainsi d’atteinte portée aux articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et 9 du code de procédure civile comme invoqué par les appelants.

Peu importe en l’espèce que l’huissier de justice n’ai procédé à aucune saisie de données informatiques, puisque d’une part, son constat ne peut servir à justifier a posteriori la validité de la requête par laquelle l’intimé a sollicité l’autorisation de procéder à des mesures d’investigation, le juge, y compris d’appel, ne pouvant fonder sa décision que sur les pièces remises au soutien de cette requête, alors que d’autre part, l’impossibilité de procéder à la saisie de données informatiques a résulté de l’obstruction de la société Je gère ma boîte.

Il en résulte que le juge, statuant sur requête, a régulièrement autorisé des investigations au sein de la société Je gère ma boîte. Son ordonnance, rendue au pied de la requête, en a adopté les motifs et satisfait ainsi à l’exigence de motivation prévue par l’article 495 du code de procédure civile. L’ordonnance déférée ne peut ainsi qu’être confirmée en toutes ses dispositions.

Ajoutant à l’ordonnance déférée, la cour condamnera les appelants, succombant en leurs prétentions, à payer à l’intimé la somme complémentaire de 4.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d’appel, par application de l’article 696 du code de procédure civile, mais n’incluant pas les frais de constat, à liquider à l’occasion de l’instance pouvant être ultérieurement engagée.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 9, 145, 493 et suivants du code de procédure civile, L621-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme’;

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions’;

Y ajoutant’;

Condamne les appelants à payer au Conseil régional de l’Ordre des experts comptables Auvergne Rhône-Alpes la somme complémentaire de 4.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne les appelants aux dépens exposés en cause d’appel, avec distraction au profit de maître Z, Selarl Link Associés, avocat’;

SIGNE par M. BRUNO, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Conseiller

 


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