Cour d’appel de Douai, 6 janvier 2025, RG n° 24/00041
Cour d’appel de Douai, 6 janvier 2025, RG n° 24/00041

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Douai

Thématique : Cessation de paiements : enjeux de preuve et délais dans le cadre des procédures collectives.

Résumé

Ouverture de la procédure de conciliation

Le 17 juin 2020, le président du tribunal de commerce de Lille-Métropole a ouvert une procédure de conciliation pour la société Maxam Tan, spécialisée dans la production de nitrate d’ammonium industriel. Cette décision visait à trouver un repreneur et à éviter la fermeture du site, en raison des pertes financières importantes. La procédure a été prolongée jusqu’au 10 octobre 2020.

Conversion en redressement judiciaire

Le 26 octobre 2020, le tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire pour la SAS Maxam Tan, fixant la date de cessation des paiements au 22 octobre 2020, conformément à la déclaration de son président, M. [K] [P].

Liquidation judiciaire

Le 13 janvier 2021, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Les liquidateurs judiciaires, SELAS MJS Partners et SCP Alpha MJ, ont été nommés pour gérer la liquidation, avec une autorisation de poursuite d’activité jusqu’au 31 mai 2021 pour faciliter l’arrêt définitif de l’installation industrielle.

Expertise et assignation

À la demande des liquidateurs, le cabinet Pansart & Associés a été désigné comme expert pour déterminer la date réelle de cessation de paiement. Le 23 septembre 2021, les liquidateurs ont assigné la société Maxam Tan pour fixer cette date au 31 mars 2020, avec l’intervention de la maison mère, MaxamCorp Holding SL.

Jugement du tribunal de commerce

Le 28 novembre 2023, le tribunal a constaté l’état de cessation des paiements au 31 mars 2020 et a ordonné la publicité du jugement. Les sociétés Maxam Tan et Maxamcorp Holding SL ont interjeté appel de cette décision le 20 décembre 2023.

Actions en justice contre l’ancien dirigeant

Les liquidateurs ont ensuite assigné M. [K] [P], ancien dirigeant, et la société MaxamCorp Holding SL pour prononcer leur faillite personnelle en raison de la déclaration tardive de cessation de paiement. M. [K] [P] a intervenu dans la procédure d’appel contre le jugement du 28 novembre 2023.

Demandes des sociétés et liquidateurs

Les sociétés Maxam Tan, Maxamcorp Holding SL, et M. [K] [P] ont assigné les liquidateurs judiciaires pour faire valoir que leurs moyens d’appel étaient sérieux, demander l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement et obtenir des dommages-intérêts. Les liquidateurs ont contesté ces demandes, affirmant que les appelants ne justifiaient pas de moyens sérieux.

Position du ministère public

Le ministère public s’est opposé à l’arrêt de l’exécution provisoire, rappelant que l’ordonnance du 27 mars 2020 permettait de recourir aux dispositions du code de commerce pour le report de la date de cessation de paiements, et que la conciliation était intervenue pendant la période suspecte.

Décision finale

Le 6 janvier 2025, le tribunal a débouté les sociétés Maxam Tan, Maxamcorp Holding et M. [K] [P] de leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire. Ils ont été condamnés à verser 3 000 euros aux liquidateurs judiciaires au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de la procédure.

République Française

Au nom du Peuple Français

C O U R D ‘ A P P E L D E D O U A I

RÉFÉRÉ DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 6 JANVIER 2025

N° de Minute : 02/25

N° RG 24/00041 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VN2U

DEMANDEURS :

Monsieur [K] [P]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 9] (PROVINCE DE [Localité 12])

demeurant [Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 2] – ESPAGNE

Société MAXAM TAN

dont le siège est situé [Adresse 11]

[Localité 6]

MAXAMCORP HOLDING

dont le siège est situé [Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 2] (ESPAGNE)

représentés par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI et Me Laurent COTRET, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDEURS :

S.C.P. ALPHA MJ représentée par Me [B], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MAXAM TAN

dont le siège est situé [Adresse 3]

[Localité 5]

SELAS MJS PARTNERS représentée par Me [M] [E] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAXAM TAN

dont le siège est situé [Adresse 7]

[Localité 4]

représentées par Me Thomas DESCHRYVER, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Mélanie GABREAU

M. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE DOUAI

représenté par M. Christophe DELATTRE, substitut général

en ses réquisitions écrites

PRÉSIDENTE : Michèle Lefeuvre, première présidente de chambre désignée par ordonnance du 19 juillet 2024 pour remplacer le premier président empêché

GREFFIER : Christian Berquet

DÉBATS : à l’audience publique du 12 novembre 2024

Les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’ordonnance serait prononcée par sa mise à disposition au greffe

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ORDONNANCE : contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le six janvier deux mille vingt cinq, date indiquée à l’issue des débats, par Michèle Lefeuvre, présidente, ayant signé la minute avec Christian Berquet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE

Par ordonnance du 17 juin 2020, le président du tribunal de commerce de Lille-Métropole a ouvert une procédure de conciliation à l’égard de la société Maxam Tan, ayant pour activité la production de nitrate d’ammonium industriel et appartenant au groupe espagnol Maxam, aux fins de rechercher un repreneur et d’éviter la fermeture du site en raison des pertes financières enregistrées. La procédure de conciliation a été prolongée jusqu’au 10 octobre 2020.

Par jugement du 26 octobre 2020, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SAS Maxam Tan et fixé provisoirement au 22 octobre 2020 la date de cessation des paiements, conformément à la déclaration formée par son président, M. [K] [P].

Par jugement du 13 janvier 2021, le tribunal de commerce Lille-Métropole a converti la procédure en liquidation judiciaire et nommé la SELAS MJS Partners, prise en la personne de Me [M] [E] et la SCP Alpha MJ, prise en la personne de Me [T] [B], en qualité de liquidateurs judiciaires, une poursuite d’activité ayant été autorisée jusqu’au 31 mai 2021 afin de sécuriser la mise à l’arrêt définitive de l’installation industrielle.

A la demande des liquidateurs judiciaires, le cabinet Pansart & Associés a été nommé par ordonnance du 7 avril 2021 du juge commissaire, en qualité d’expert aux fins notamment de déterminer la date réelle de cessation de paiement de la société Maxam Tan.

Par acte du 23 septembre 2021, les liquidateurs judiciaires de la société Maxam Tan ont fait assigner la société Maxam Tan devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole aux fins de voir fixer la date de cessation des paiements au 31 mars 2020. La société MaxamCorp Holding SL, maison mère, est intervenue volontairement à la procédure.

Par jugement du 28 novembre 2023 faisant suite à une réouverture des débats pour production de différentes pièces financières, le tribunal de commerce Lille-Métropole a :

– constaté l’état de cessation des paiements au 31 mars 2020 de la société Maxam Tan ;

– fixé la date de cessation des paiements de la société Maxam Tan au 31 mars 2020 ;

– ordonné la publicité du jugement.

Par déclaration adressée au greffe de la cour d’appel de Douai le 20 décembre 2023, les sociétés SAS Maxam Tan et Maxamcorp Holding SL ont interjeté appel de la décision.

Les liquidateurs judiciaires de la société Maxam Tan ont ensuite fait assigner M. [K] [P], ancien dirigeant, puis le 10 janvier 2024 la société MaxamCorp Holding SL devant le tribunal de commerce de Lille aux fins de voir prononcer leur faillite personnelle résultant de la déclaration tardive de l’état de cessation de paiement.

Dans ce contexte, M. [K] [P] est intervenu volontairement à la procédure d’appel contre le jugement du 28 novembre 2023 par constitution du 29 février 2024.

Par actes des 14 et 21 mars 2024, les sociétés SAS Maxam Tan, Maxamcorp Holding SL, et M. [K] [P] ont fait assigner successivement la SELAS MJS Partners et la SCP Alpha MJ devant le premier président de la cour d’appel de Douai aux fins de voir, suivant leurs conclusions en réplique soutenues oralement à l’audience, au visa des articles R.661-1, L.631-8 du code de commerce, de l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 et de l’article 9 du code de procédure civile :

– juger que leurs moyens entendent faire valoir à l’appui des recours qu’ils ont formés contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille-Métropole du 28 novembre 2023 sont sérieux ;

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– arrêter l’exécution provisoire dont le jugement rendu par le tribunal de commerce Lille-Métropole du 28 novembre 2023 est assorti ;

– condamner in solidum les liquidateurs judiciaires de la société Maxam Tan au paiement de la somme totale de 9 000 euros, soit à hauteur de 3 000 euros chacun, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Ils exposent que :

– l’article R.661-1 alinéa 4 du code de commerce est applicable par dérogation aux dispositions de l’article 514-3 du code de procédure civile, de sorte qu’ils n’ont qu’à prouver l’existence de moyens sérieux,

– l’ordonnance du 27 mars 2020, constituant un texte spécial dérogeant à l’article L.631-8 du code de commerce, exclut tout report de la date de cessation des paiements à une date comprise entre le 12 mars et le 24 août 2020 dans le cas où le redressement judiciaire est ouvert après le 12 mars 2020, à l’exception du cas dans lequel une fraude est démontrée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce,

– les liquidateurs judiciaires, sur qui pèsent la charge de la preuve de la démonstration de la date de survenance de l’état de cessation des paiements, ne démontrent aucunement à quels montants s’élevaient l’actif disponible et le passif exigible au 31 mars 2020 ; ils reprochent à la société Maxam Tan d’avoir remboursé le 28 février 2020 la somme de 20 millions d’euros à la société Maxamcorp Holding versée dans le cadre de la convention de cash polling destinée à son fonds de roulement alors que préalablement, elle a encaissé la somme de 25 millions d’euros au titre du remboursement de sommes dues par ses affiliées qui accusaient un retard de paiement.

– Ils ne produisent pas de documents comptables au soutien de l’assertion selon laquelle la trésorerie de la société Maxam Tan s’élevait à 655 euros depuis plus de 45 jours au 31 mars 2020 alors que l’actif disponible doit inclure les réserves de trésorerie alimentées jusqu’au 22 mai 2020 par la société Maxamcorp Holding suivant lettre de confort, et qu’elle pouvait faire face au passif exigible, la convention de cash pooling n’ayant pris fin qu’en septembre 2020 et le retard de règlement des dettes sociales n’étant intervenu qu’en octobre 2020, à l’issue de la grève sur le site,

– les liquidateurs judiciaires ne produisent pas davantage de documents comptables au soutien de l’assertion selon laquelle le passif exigible s’élèverait à la somme de 15 millions d’euros dont ils ne détaillent pas la composition et omettent de faire état des moratoires consentis par les créanciers de la société Maxam Tan qui n’a été destinataire d’aucune assignation en paiement. Ils précisent que le passif contesté doit nécessairement être exclu du passif exigible et que la cessation de paiement n’était caractérisée qu’à la fin des moratoires accordés par les créanciers en octobre 2020,

– les liquidateurs judiciaires ne justifient pas de la prolongation d’un prétendu état de cessation des paiements pendant 45 jours et de sa persistance jusqu’à l’ouverture de la procédure collective, l’ouverture de la procédure de conciliation le 17 juin 2020 l’exonérant de l’obligation de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement, suivant l’article L631-4 du code du commerce,

Aux termes de leurs conclusions en réponse n°2, la SELAS MJS Partners et la SCP Alpha MJ, agissant en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Maxam Tan, sollicitent de voir, au visa des articles L.631-8 et R.661-1 du code de commerce:

– à titre principal, juger que la société Maxam Tan, la société Mawamcorp Holding et M. [K] [P] ne justifient d’aucun moyen sérieux de réformation ou d’annulation du jugement du tribunal de commerce en date du 28 novembre 2023 ;

– en conséquence, débouter la société Maxam Tan, la société Maxamcorp Holding et M. [K] [P] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

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– rejeter la demande d’arrêt d’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce en date du 28 novembre 2023 ;

– en tout état de cause, condamner in solidum la société Maxam Tan, la société Maxamcorp Holding et M. [K] [P] à leur verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Les liquidateurs judiciaires font valoir que :

– les demandeurs ne démontrent aucunement l’existence de moyens sérieux en se bornent à reprendre les arguments développés en première instance ;

– le moyen tiré de l’irrecevabilité de sa demande de report de la date de cessation de paiement entre le 12 mars et le 3 octobre 2020 est mal fondé dans la mesure où l’ordonnance du 27 mars 2020 n’exclut pas la possibilité de reporter la date de cessation de paiement suivant l’article L631-8 du code de commerce qui n’est pas limité à la fraude, comme le précise la doctrine,

– il a été procédé à l’analyse des différents éléments chiffrés portant sur l’activité et la trésorerie de la société Maxam Tan mettant en évidence tout à la fois la poursuite de la dégradation de sa situation économique et financière, le caractère déficitaire de son activité et l’impossibilité de garantir sa pérennité en l’absence de prolongation du soutien du groupe, la société MaxamCorp Holding ayant demandé le remboursement au 31 mars 2020 du solde de sa créance au titre de la convention de cash pooling et ne lui accordant plus de soutien financier, l’entrainant ainsi vers un état de cessation de paiement, comme l’ont signalé les commissaires aux comptes de Maxam Tan ayant refusé de certifier les comptes annuels,

– au 31 mars 2020, les disponibilités de la société Maxam Tan s’élevaient à 655 euros et son passif exigible à 15 600 636 euros, la lettre de confort évoquée destinée à l’approbation des comptes prenant fin au 31 mars 2019 et les sociétés ne produisant pas les accords de moratoires conclus avec les créanciers,

– il ressort de la comptabilité de la société Maxam Tan qu’elle ne disposait à aucun moment à compter du 31 mars 2020, date à laquelle le remboursement du cash pooling a été effectif, d’un solde bancaire suffisant pour solder ses dettes fournisseurs échues hors groupe, ainsi l’état de cessation des paiements s’est poursuivi durant plus de 45 jours ;

– l’ouverture d’une procédure de conciliation ne fait nullement obstacle à une action en report de date de cessation des paiements dès lors qu’au regard des éléments analysés, la date de cessation des paiements était antérieure à la conciliation et il appartient au débiteur de prouver que les dettes inscrites à son passif ne sont pas exigibles.

Par avis du 11 octobre 2024, le ministère public s’est opposé à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement en rappelant que l’ordonnance du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises pendant la période sanitaire prévoit la possibilité de recourir aux dispositions de l’article L631-8 alinéas 2,3 et 4 du code du commerce pour le report de la date de cessation des paiements et que la conciliation est intervenue pendant la période suspecte, les conciliateurs ayant sollicité la fin de la période de conciliation au regard de l’étendue des dettes fournisseurs.

PAR CES MOTIFS

Statuant par ordonnance contradictoire rendue après débats en audience publique,

Déboute les sociétés Maxam Tan, Maxamcorp Holding et M. [K] [P] de leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire de droit assortissant le jugement du tribunal de commerce de Lille-Métropole en date du 28 novembre 2023,

Condamne in solidum les sociétés Maxam Tan, Maxamcorp Holding et M. [K] [P] à verser à la SELAS MJS Partners, prise en la personne de Me [M] [E] et la SCP Alpha MJ, prise en la personne de Me [T] [B], en leur qualité de liquidateurs judiciaire de la société Maxam Tan, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédire civile,

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Condamne in solidum les sociétés Maxam Tan, Maxamcorp Holding et M. [K] [P] aux dépens de la présente instance.

Ainsi jugé et prononcé le 6 janvier 2025 par mise à disposition au greffe

Le greffier La présidente

C. BERQUET M. LEFEUVRE

 


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