Cour d’appel de Dijon, 24 octobre 2024, RG n° 24/00166
Cour d’appel de Dijon, 24 octobre 2024, RG n° 24/00166

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Dijon

Thématique : Exécution déloyale du contrat de travail : les délais pour agir

 

Résumé

M. [W], salarié licencié en janvier 2017, a contesté son licenciement et demandé des dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, qui avait rejeté sa demande. La cour a souligné que l’employeur n’avait pas consulté le salarié avant d’appliquer une déduction forfaitaire, entraînant une exécution déloyale. M. [W] a estimé sa perte de salaire à 5 990 euros, avec une minoration de sa pension de retraite de 31 651,45 euros. La cour a fixé sa créance à 37 641,45 euros, confirmant la garantie de l’AGS.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 octobre 2024
Cour d’appel de Dijon
RG n°
24/00166

[P] [W]

C/

Association UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA DE NANCY

S.A.S. [S] ET ASSOCIES – MANDATAIRES JUDICIAIRES

Association CGEA DE NANCY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024

MINUTE N°

N° RG 24/00166 – N° Portalis DBVF-V-B7I-GL3I

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de DOLE, décision attaquée en date du 08 Novembre 2019, enregistrée sous le n° 17/00045

APPELANT :

[P] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Maître Christine TAPIA, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉES :

Association UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA DE [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représentée par Me Antoine VIENNOT de la SELARL LEONARD VIENNOT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE substituée par Maître Isabelle-Marie DELAVICTOIRE, avocat au barreau de DIJON

S.A.S. [S] ET ASSOCIES – MANDATAIRES JUDICIAIRES Es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Société Générale du livre et du patrimoine, société en cours de liquidation, ayant son siège social [Adresse 5], inscrite au RCS de Colmar sous le n°441 446 614

[Adresse 1]

[Localité 6]

non comparante ni représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 septembre 2024 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, président de chambre,

Fabienne RAYON, présidente de chambre,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller,

Après rapport fait à l’audience par l’un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [W] (le salarié) a été engagé le 29 septembre 2009 par contrat à durée indéterminée en qualité d’attaché commercial VRP par la société générale du livre et du patrimoine (l’employeur), laquelle a bénéficié d’une liquidation judiciaire par jugement du 15 décembre 2020, la société [S] et associés (le mandataire) a été désignée comme liquidateur judiciaire.

Il a été licencié le 24 janvier 2017.

Estimant être créancier et contestant ce licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 10 septembre 2019, a rejeté toutes ses demandes sauf celle portant sur l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par arrêt du 30 novembre 2021, la cour d’appel de Besançon a confirmé cette décision sauf sur le montant des dommages et intérêts accordés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par arrêt du 29 novembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt uniquement en ce qu’il rejette la demande du salarié en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le salarié a saisi la cour d’appel de renvoi le 2024.

Il demande l’infirmation partielle du jugement et la fixation au passif de la liquidation judiciaire des créances suivantes :

– 45 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le mandataire à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 18 avril 2024, à personne habilitée à la recevoir, a dit qu’il ne constituerait pas avocat en l’absence de fonds disponibles.

L’AGS CGEA de Nancy (l’AGS) qui a bénéficié de la même signification le 19 avril 2024, à personne habilitée à la recevoir, a constitué avocat et conclut à la confirmation du jugement, indique que l’indemnité éventuellement allouée n’est pas prévue par les articles L. 2253-8 et suivants du code du travail.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 29 mai et 1er août 2024.

MOTIFS :

Sur l’exécution du contrat de travail :

L’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005 modificatif, prévoit que les professions, prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du dispositif prévu aux articles précédents peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique.

Cette déduction est, dans la limite de 7 600 euros par année civile, calculée selon les taux prévus à l’article 5 de l’annexe IV du code précité.

L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif du travail l’a explicitement prévue ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

A défaut, il appartient à chaque salarié d’accepter ou non cette option. Celle-ci peut alors figurer soit dans le contrat de travail ou un avenant au contrat de travail, soit faire l’objet d’une procédure mise en oeuvre par l’employeur consistant à informer chaque salarié individuellement par lettre recommandée avec accusé de réception de ce dispositif et de ses conséquences sur la validation de ses droits, accompagnée d’un coupon-réponse d’accord ou de refus à retourner par le salarié.

Lorsque le travailleur salarié ou assimilé ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord définitif.

En l’espèce, le salarié demande paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, en indiquant qu’il n’a jamais donné son accord sur la mise en oeuvre de la déduction forfaitaire spécifique et qu’il n’existe aucune convention ni accord collectif pour l’application d’une déduction forfaitaire pour les frais professionnels au sein de l’entreprise.

L’AGS répond que cette demande est prescrite, la salarié ayant connaissance de l’abattement depuis le début de l’exécution du contrat de travail.

Elle ajoute que les calculs effectués par le salarié sont erronés en ce qu’il se basent sur des statistiques et non des faits vérifiables.

Le salarié indique que la demande n’est pas prescrite, que l’AGS ne vise pas de délai de prescription et que son action ne porte pas sur la rupture du contrat de travail ni sur l’exécution du contrat de travail ni sur le paiement ou la répétition de salaire mais sans plus préciser le délai alors applicable.

Sur la prescription, la cour relève que l’arrêt de cassation ne s’est pas prononcé sur la fin de non-recevoir liée à la prescription alors que la cour d’appel avait repris la motivation du premier juge.

Par ailleurs, force est de constater que le salarié demande le paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ce qui implique nécessairement que son action est soumise au délai de prescription de l’action en exécution dudit contrat soit le délai prévu à l’article L. 1471-1 du code du travail lequel dispose que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

En l’espèce, le silence du salarié ne vaut pas acceptation de l’abattement même s’il figure sur les bulletins de paie depuis le début de l’exécution du contrat.

Or, cette connaissance ne peut être datée dès la remise du premier bulletin de paie, ce document ne permettant pas de déterminer l’assiette de l’abattement mais seulement l’existence de celui-ci.

A défaut de démontrer que le salarié a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de ce fait avant la saisine du conseil de prud’hommes le 23 juin 2017, l’AGS ne peut se prévaloir de la prescription de l’action.

Au fond, la cour constate que l’employeur ne justifie pas avoir consulté le salarié, préalablement à la mise en oeuvre de la déduction forfaitaire spécifique, ni de l’avoir informé des conséquences de celle-ci sur la validation de ses droits, de sorte qu’il ne pouvait mettre en oeuvre la déduction forfaitaire litigieuse.

Il en résulte une exécution déloyale du contrat de travail.

Le salarié indique qu’en raison de cette déduction, il en résulte une perte de salaire de 5 990 euros et une minoration de la pension de retraite évaluée, compte tenu d’une espérance de vie estimée à 85 ans, à 31 651,45 euros.

Il n’appartient pas à la cour d’appel de renvoi de revenir sur le licenciement et son indemnisation lesquels sont irrévocablement jugés.

Par ailleurs, le salarié ne prouve pas l’existence d’un préjudice moral indemnisable.

En conséquence, la créance indemnitaire du salarié sera évaluée à la somme de 37 641,45 euros, sur la base de l’espérance de vie calculée par le salarié qui permet de chiffrer le préjudice subi selon une méthode statistique adaptée.

Sur les autres demandes :

1°) Sur la garantie de l’AGS, l’article L. 3253-8 du code du travail détermine les créances incluses dans cette garantie.

Il est jugé que celle-ci porte sur les dommages et intérêts dus au salarié en raison de l’inexécution par l’employeur d’une obligation résultant du contrat de travail.

Tel est le cas en l’espèce, les dommages et intérêts alloués résultant d’une exécution déloyale du contrat de travail, cette créance naissant après l’ouverture de la liquidation judiciaire du 15 décembre 2020.

La garantie de l’AGS est donc due.

2°) Il n’y a pas lieu de ‘condamner’ l’AGS à garantir les condamnations prononcées dès lors qu’il s’agit de fixation de créance et que la garantie est due dans la limite du plafond légal tel que fixé aux articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

3°) Le mandataire supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et dans les limites de la cassation intervenue par arrêt du 29 novembre 2023 :

– Rejette la fin de non-recevoir liée à la prescription de l’action de M. [W] en paiement de dommages et intérêts ;

– Infirme le jugement du 8 novembre 2019 uniquement en ce qu’il rejette la demande de M. [W] en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;

Statuant à nouveau sur ce chef :

– Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société générale du livre et du patrimoine la créance suivante de M. [W] : 37 641,45 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Y ajoutant :

– Rappelle que la garantie de l’AGS CGEA de Nancy est due dans la limite du plafond légal tel que fixé aux articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail ;

– Condamne la société [S] et associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société générale du livre et du patrimoine aux dépens d’appel ;

Le greffier Le président

Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION


 


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