Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Dijon
Thématique : La légitimité des sanctions disciplinaires et du licenciement pour faute grave
→ RésuméL’affaire de M. [B] [G] contre la société BDMS DISTRIBUTION soulève des questions cruciales sur la légitimité des sanctions disciplinaires et du licenciement pour faute grave. Embauché en 2018, M. [G] a été sanctionné à deux reprises avant d’être licencié en janvier 2021. Le conseil de prud’hommes a partiellement annulé les sanctions, jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En appel, la cour a confirmé que les manquements reprochés ne constituaient pas une faute grave, tout en annulant certaines sanctions. Cette décision souligne l’importance de la preuve et du respect des droits de la défense dans le cadre des procédures disciplinaires.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Dijon
RG n°
22/00706
C/
[B] [G]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée le 24/10/24 à:
-Me DEMONT-HOPGOOD
– Me PREGNOLATO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024
MINUTE N°
N° RG 22/00706 – N° Portalis DBVF-V-B7G-GBYR
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section CO, décision attaquée en date du 04 Octobre 2022, enregistrée sous le n° F 21/00462
APPELANTE :
S.A.S. BDMS DISTRIBUTION
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Brigitte DEMONT-HOPGOOD de la SELARL HOPGOOD ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
INTIMÉ :
[B] [G]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Maître Julien PREGNOLATO, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller chargé d’instruire l’affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, président de chambre,
Fabienne RAYON, présidente de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [B] [G] a été embauchée par la société BDMS DISTRIBUTION (ci-après BDMS) par contrat à durée indéterminée à temps complet du 2 juillet 2018 en qualité de manager de rayon (boulangerie), statut agent de maîtrise, niveau V.
Les 15 juillet et 28 octobre 2020, il a été sanctionné disciplinairement.
Le 4 janvier 2021, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 suivant assorti d’une mise à pied à titre conservatoire.
Le 22 janvier 2021, il a été licencié pour faute grave.
Par requête du 23 juillet 2021, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon aux fins d’annulation des sanctions disciplinaires prononcées, juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes outre des dommages-intérêts pour préjudice moral.
Par jugement du 4 octobre 2022, le conseil de prud’hommes de Dijon a accueilli l’essentiel de ses demandes.
Par déclaration formée le 27 octobre 2022, la société BDMS a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 3 juin 2024, l’appelante demande de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a confirmé la mise à pied disciplinaire du 15 juillet 2020, débouté M. [G] de sa demande de rappel de salaires et congés afférents au titre de la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020 et de sa demande à titre de dommages- intérêts pour préjudice moral,
– l’infirmer pour le surplus,
– constater que les griefs reprochés sont fondés en fait et en droit,
– dire que le licenciement procède d’une faute grave empêchant le maintien du salarié dans l’entreprise,
– débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Aux termes de ses dernières conclusions du 31 juillet 2023, M. [G] demande de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* jugé que le licenciement ne repose pas sur une faute grave et est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
* condamné la société BDMS à lui payer les sommes suivantes :
– 4 027,16 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 402,70 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 4 027,16 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1 367,22 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 136,70 euros bruts au titre des congés payés afférents, – 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* annulé l’avertissement du 15 juillet 2020,
* débouté la société BDMS de l’intégralité de ses demandes principales, subsidiaires et reconventionnelles,
* ordonné à la société BDMS de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnité chômage, en application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,
* condamné la société BDMS DISTRIBUTION aux entiers dépens de la procédure,
* prononcé les intérêts au taux légal à compter de ‘la demande de réception la convocation défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation’, soit le 27 juillet 2021 pour toutes les sommes de nature salariale, à compter du jugement pour toutes les autres sommes,
– l’infirmer en ce qu’il :
* a condamné la société BDMS à lui payer la somme de 4 794,26 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* a confirmé la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020,
* l’a débouté de sa demande de rappel de salaire et les congés payés afférents au titre de la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020,
* l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
* l’a débouté du surplus de ses demandes,
– annuler la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020,
– condamner la société BDMS à lui payer les sommes suivantes :
* 8 389,95 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 266,29 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied disciplinaire,
* 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
– débouter la société BDMS de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires, de ses demandes de frais irrépétibles et dépens de première instance et d’appel,
– condamner la société BDMS aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
I – Sur l’annulation des sanctions disciplinaires :
Aux termes de l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige le juge apprécie la régularité de la procédure et si les faits sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin une mesure d’instruction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
‘
Il est par ailleurs constant que la faute du salarié, qui peut donner lieu à sanction disciplinaire de l’employeur, ne peut résulter que d’un fait avéré, acte positif ou abstention, mais alors dans ce dernier cas de nature volontaire, fait imputable au salarié et constituant de sa part une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.
a) sur l’avertissement du 15 juillet 2020 :
L’employeur expose que M. [G] a été averti en raison de son défaut d’anticipation en matière d’approvisionnement du rayon boulangerie/pâtisserie constaté durant plusieurs jours, les 11, 12 et 13 juillet 2020, ce malgré un courrier du directeur du magasin l’alertant sur cette situation et alors que ses entretiens individuels de 2019 et 2020 démontrent que cette lacune lui a été rappelé à de nombreuses reprises (pièces n°2, 3, 6 et 7). Il ajoute que le salarié n’a jamais jugé bon de contester cet avertissement, que ce soit dans la réalité des faits ou le choix de la sanction.
Pour sa part, M. [G] oppose que :
– des objectifs mensuels et journaliers étaient fixés sur le rayon, via un logiciel interne, et il n’avait qu’à s’astreindre au respect des volumes de production indiqués pour réaliser les bonnes quantités. Et selon la convention collective applicable, un manager de rayon de niveau 5 n’est pas responsable de l’atteinte d’objectifs chiffrés puisque c’est seulement au manager de rayon de niveau 6 que de tels objectifs peuvent être fixés,
– s’il se chargeait de l’approvisionnement des rayons, il n’était pas responsable de la quantité de production journalière à réaliser qui était décidée en amont par des directives qu’il se contentait de suivre. Il n’était donc pas responsable si, en fin de journée, toutes les baguettes avaient été vendues et s’il n’y en avait plus après 18h,
– l’avertissement porte uniquement sur le fait que le 11 juillet 2020 à 18h, il aurait été constaté que le rayon boulangerie n’aurait pas été suffisamment approvisionné. Mais pour seule preuve de ce grief, l’employeur se rapporte à des photographies non datées faisant apparaître pour les unes des paniers pleins et pour l’autre des paniers vides, clichés qui ne lui ont pas été communiqués lors de son avertissement, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer l’heure ou la date à laquelle ces photos ont été prises.
Nonobstant le fait qu’il ressort de l’annexe II de la convention collective applicable que le manager de rayon, statut agent de maîtrise de niveau 5, participe à la définition des programmes de travail et à la réalisation des objectifs de l’établissement et se trouve notamment responsable de l’approvisionnement, de la tenue et de l’animation de son rayon, et peu important que le salarié n’ait jamais contesté l’avertissement qui lui a été notifié, la cour relève que pour établir la réalité du manquement allégué, l’employeur se réfère à des rappels à l’ordre formulés en 2019 et 2020 sur le même sujet dans ses entretiens individuels, ce qui ne saurait préjuger de la réalité des faits sanctionnés en juillet suivant, et de photographies non datées et surtout non corroborées par le moindre élément de nature à confirmer qu’elles se rapportent aux faits du 11 juillet 2020 sanctionnés.
Le jugement déféré qui a annulé cet avertissement sera donc confirmé.
b) sur la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020 :
L’employeur soutient que les manquements reprochés au salarié au titre de cette mise à pied font écho aux reproches précédemment faits en matière de défaut d’exécution et d’organisation de son rayon et de son équipe et porte sur le non-respect de consignes et les résultats de son rayon, des manquements relevés dans la gestion des plannings hebdomadaires et mensuels et la répartition des tâches au sein de son équipe, un manque d’anticipation et de communication et enfin des problématiques liées au respect des promotions annoncées, faits que le salarié a reconnu lors de l’entretien préalable et qu’il n’a de surcroît jamais contesté jusqu’à son licenciement.
M. [G] oppose que le compte-rendu d’entretien réalisé par Mme [F], laquelle l’a assisté, met en évidence que l’employeur n’avait absolument rien de concret à lui reprocher et qu’en réalité il lui a été proposé de choisir entre une rétrogradation et une rupture de son contrat de travail. Cette pièce est en outre particulièrement démonstrative de la carence de l’employeur dans les formations assurées au salarié (pièce n°10).
Il ajoute que l’employeur n’apporte aucun élément pour justifier cette mise à pied disciplinaire
et se contente de déclarer qu’il a reconnu chacun des faits, ce qui est totalement faux et précise qu’eu égard la classification et à la liste des emplois repères fixés à l’annexe 2 de la convention collective applicable, aucun objectif financier ne pouvait lui être imposé en sa qualité de manager de rayon, niveau 5.
Nonobstant le fait qu’il ressort de l’annexe II précitée que le manager de rayon, statut agent de maîtrise de niveau 5, participe à la définition des programmes de travail et à la réalisation des objectifs de l’établissement, de sorte que ne pas atteindre les objectifs fixés peut, le cas échéant, lui être reproché, la cour relève en premier lieu que contrairement à ce que la société BDMS affirme, il ne ressort pas du compte-rendu d’entretien préalable rédigé par Mme [F] la démonstration d’une reconnaissance des faits par le salarié, laquelle ne saurait se déduire ni du fait que les explications qu’il donne ne caractérisent pas une contestation formelle des griefs formulés, ni du fait qu’il n’a pas contesté cette mise à pied avant son licenciement.
Par ailleurs, la société ne justifie d’aucun élément de nature à établir le bien fondé des nombreux griefs énoncé, procédant à cet égard par affirmation tant durant l’entretien préalable que dans la lettre de notification de la sanction.
Les attestations de M. [E] et Mme [Y] ne déterminent pas non plus précisément en quoi M. [G] n’appliquait pas les directives transmises et les plans d’action mis en place, se contentant de considérations d’ordre général centrées sur les motifs du licenciement survenu en 2021 et non sur la mise à pied d’octobre 2020 (pièce n°13 et 14).
Il s’en déduit que la mise à pied du 28 octobre 2020 doit être annulée et il sera alloué à M. [G] la somme de 266,29 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied disciplinaire tel qu’expressément demandé, le jugement déféré étant infirmé sur ces points.
II – Sur le bien fondé du licenciement :
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.
Il est constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La lettre de licenciement du 22 janvier 2021, laquelle fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
‘[…] A cette occasion, les faits suivants vous ont été reprochés :
– De nombreux manquements en terme de conformité de l’étiquetage et de déclaration d’ingrédients :
* Absence du pourcentage de céréales dans l’étiquetage des petits pains aux céréales, l’allergène « gluten » était en minuscules et la mention de la date de durabilité minimum était erronée,
* Absence du pourcentage de sésame dans l’étiquetage des petits pains aux sésame, l’allergène « gluten » était en minuscules et la mention de la date de durabilité minimum était erronée,
* Absence du pourcentage de pavot dans l’étiquetage des petits pains aux pavot, l’allergène « gluten » était en minuscules et la mention de la date de durabilité minimum était erronée,
* Absence de l’indication « produit issu de l’agriculture biologique » et l’allergène « gluten » était en minuscules dans l’étiquetage des baguettes bio,
* Absence du terme ingrédients et l’ingrédient allergène « emmental (lait)» était en minuscules’
– Le tableau réglementaire d’affichage des prix du pain n’était pas lisible,
– Les documents ENR-BOUL/02, 03 n’étaient pas remplis après les différentes actions de nettoyage,
– Le personnel en boulangerie portait des bijoux,
– Des toiles d’araignée étaient présentes sur le tableau des prix du pain,
– Des petites bouteilles contenant du Suma D10 transvasé étaient présentes dans la plonge mais n’étaient pas identifiées comme tel,
– Des sacs de sésame était stockés au sol dans le local économat, sol qui était encrassé,
– Absence de fiches de fabrication des pizzas au saumon fabriquées le jour du contrôle,
– Absence de date de fabrication sur une échelle de fougasse en chambre froide,
– Vous aviez fait fabriquer de la pâte à fougasse pour plusieurs jours pur ensuite en faire cuire chaque jour, en fonction de la quantité de vente et ce, alors même que cette pratique n’avait pas donné lieu à une validation de durée de vie de la pâte,
– De l’emmental ouvert le 12 décembre 2020 a été utilisé pour fabriquer des pizzas « reine » le 16 décembre 2020 alors que la durée de vie de l’emmental ouvert allait jusqu’au 14 décembre 2020,
– Absence de vérification de l’exactitude de l’étiquetage ENR-BOUL /10,
– Le planning de nettoyage ENR-BOUL/03 était incomplet,
– Absence de suivi des produits passant en surgélation ENR-BOUL/12 pour les gougères’
Ainsi, il a été constaté que l’ensemble des fabrications salées n’étaient pas maitrisées que cela soit au niveau des sandwiches, des pizzas, des pains ou des fougasses puisque les étiquetages n’étaient pas conformes, la durée de vie des ingrédients n’était pas respectée et le suivi de la traçabilité était incomplet. Les méthodes de gestion de la sécurité sanitaire des aliments n’étaient absolument pas respectées ce qui ne peut être toléré.
Lors de cet entretien, vous avez reconnu ces faits mais expliqué ne pas comprendre la gravité de ces constats.
Les explications que vous nous avez données ne sont pas de nature à justifier vos manquements et ne vient que confirmer votre mauvaise foi dans l’exécution de votre contrat de travail. Nous ne pouvons tolérer de tels manquements, qui en plus d’être répréhensibles par la DDCSPP [Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations], nuisent à la santé de nos clients et à l’image de notre établissement. Nous vous rappelons que le règlement intérieur de notre société précise que « l’ensemble des règles d’hygiène et de sécurité édictées par l’employeur doivent être respectées par chacun des membres du personnel. Le non-respect ou la violation constatée de ces prescriptions est de nature à entraîner les sanctions disciplinaires prévues au présent règlement ».
De plus l’article 4 de ce même règlement insiste sur le fait que « le personnel est tenu de respecter rigoureusement et de faire respecter, en fonction de ces responsabilités hiérarchiques, les dispositions mises en place dans l’entreprise pour l’application des prescriptions prévues par la réglementation en vigueur en matière d’hygiène et de sécurité ». Ce même article insiste sur le fait que les collaborateurs dont les fonctions impliquent de participer à la fabrication, au conditionnement ou à la vente de produits alimentaires se doivent impérativement d’« enlever leurs bijoux, y compris les piercings, leurs montres et bracelets pour éviter les risques sanitaires inhérents à un éventuel décrochage ».
Enfin, l’article 15 dudit règlement stipule que « tout salarié, quelle que soit sa position hiérarchique, est responsable des tâches qui lui sont confiées et que les règles de discipline générale précisées ci-après doivent concourir à la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, il est tenu de respecter les instructions qui lui sont données par ses supérieurs hiérarchiques directs et, de façon générale, de se conformer aux consignes et prescriptions portées à sa connaissance ».
Ces faits sont d’autant plus graves de par votre statut d’agent de maîtrise et vos fonctions de manager de rayon. De surcroît, nous vous avions déjà notifié un avertissement par courrier du 15 juillet 2020 et 3 jours de mise à pied par courrier du 28 octobre 2020 pour des manquements similaires […]’ (pièces n°5 et 9)
M. [G] conteste son licenciement et soutient que :
– il n’a pas eu communication du rapport du service qualité réalisé à la suite d’une visite du 18 décembre 2020 alors même que la Cour de cassation considère qu’un rapport non présenté au salarié lors de l’entretien préalable malgré sa demande le place dans l’impossibilité de se défendre,
– la société ne produit aucune pièce au soutien des griefs invoqués qui se veulent pourtant très précis, faisant reposer l’entière démonstration de leur bien fondé sur un compte-rendu non contradictoire réalisé par son supérieur hiérarchique. En outre, son authenticité interroge car les remarques qui y figurent ne sont corroborés par aucun autre élément, clichés photographiques des emballages ou des étiquetages ou encore attestations de témoin. Il ressort d’ailleurs de ce document que M. [E] se serait également intéressé au rayon boucherie, qui ne relève pas de son secteur, mais sans préciser ce qu’il est advenu du chef de rayon boucherie,
– ses anciens collègues de travail et membres de son équipe ont tous démissionné peu de temps après son départ,
– l’employeur n’explique pas en quoi il aurait fait preuve de mauvaise foi dans l’exécution de son travail. A hauteur d’appel, il produit une attestation de M. [E] expliquant avoir constaté des difficultés managériales et techniques, et que des points et des suivis auraient été réalisés et qu’un plan d’actions aurait été décidé. Or dans ses conclusions du 18 juillet 2023, l’employeur produit un plan d’action qualité du 24 février 2020, un rapport d’inspection des 23 et 24 novembre 2020 de l’ensemble du magasin et notamment sur la partie boulangerie/pâtisserie, un compte rendu du service qualité du 17 janvier 2020 dont il n’a jamais eu connaissance, ce qui caractérise une attitude déloyale de sa part, ces documents n’étant pas évoqués dans la lettre de licenciement ni même discutés lors de l’entretien préalable,
– si des erreurs graves en termes d’hygiène ou de respect de la réglementation sur les prix et les allergènes ont été commises, il est surprenant qu’aucune remontée ne lui ait été faite jusqu’à son licenciement. Or il ressort des documents produits que dès le mois de janvier 2020 l’employeur avait été alerté sur des problèmes liés au rayon boulangerie/pâtisserie, ainsi que sur les autres rayons du magasin, mais aurait décidé de ne pas agir. La première sanction disciplinaire infligée porte sur un problème d’approvisionnement du stock de pain et la deuxième sur un supposé manque d’organisation de l’équipe et des résultats médiocres sur le rayon, rien qui ne concerne l’hygiène ou la réglementation,
– le seul document qui lui a été communiqué est un compte rendu d’une réunion du 16 octobre 2020 qui mentionne une modification dans le fonctionnement de son rayon (pièce n°8) et le document présenté comme le plan d’action, produit pour la première fois près de 3 ans après le licenciement, ne lui a pas été communiqué et il n’en avait aucune connaissance,
– à la lecture de la lettre de licenciement, seul le compte rendu du 18 décembre 2020 sert de fondement à la rupture, ni le plan d’action ni les autres visites du service qualité n’étant évoqués ou même suggérés. M. [E] peut donc difficilement soutenir qu’il a ‘travaillé avec M.[G] sur la mise en place de plans d’actions pour l’aide à progresser et améliorer le niveau de qualité’. Au contraire, à l’aune des derniers documents produits par l’employeur, il est permis de s’interroger sur la volonté de M. [E] de le piéger en ne l’informant pas sur les documents internes relatifs à l’hygiène et la réglementation, que ce soit des comptes rendus ou du supposé plan d’action de février 2020,
– l’attestation de Mme [Y], responsable qualité, produite pour la première fois le 7 avril 2023, n’a jamais été évoquée auparavant et se contente d’indiquer qu’elle a visité le magasin AUCHAN de [Localité 5] dans le cadre de contrôle hygiène. Il ne l’a jamais rencontrée,
– la société explique que ses défaillances auraient déjà été soulevées par son manager en 2019 et 2020 or il n’a pas bénéficié de formations adaptées à ses fonctions alors qu’en tant que manager de rayon, il doit gérer une équipe, les seules formations dont il est justifié étant une formation en droit social pour l’aider à gérer les plannings de ses équipes et une formation incendie. A aucun moment il n’a reçu de formation en matière d’hygiène, de management ou encore de gestion de sa charge de travail,
– il lui est reproché d’avoir manqué aux règles d’étiquetage et de déclarations d’ingrédients, sans pour autant qu’il soit expliqué les dispositifs mis en ‘uvre pour l’aider dans sa tâche. De même, il lui est reproché de ne pas avoir respecté l’ensemble des règles d’hygiène et de sécurité édictées par l’employeur sans pour autant justifier que ces règles existent et lui ont été soumises. Enfin, il lui est reproché de ne pas maîtriser la fabrication des ‘salées’ alors qu’il n’a pas bénéficié de formation. A ce titre, le plan d’action de février 2020 produit pour la première fois à hauteur d’appel ne comporte que des actions correctives et aucune formation à mettre en ‘uvre,
– s’il a déjà travaillé dans la grande distribution en qualité de responsable de boulangerie, ses fonctions précédentes étaient totalement différentes puisqu’il n’avait qu’à s’occuper d’un terminal de cuisson pour le pain et les viennoiseries.
a) sur le bien fondé des griefs allégués :
Il ressort des pièces produites que la société BDMS a été destinataire, début janvier 2021, d’un rapport du service qualité du Groupe SCHRIEVER rédigé à la suite d’une visite sur place le 18 décembre 2020, lequel relève précisément plusieurs manquements aux règles d’étiquetage, d’affichage et d’hygiène (pièce n°8). Ce rapport faisait suite d’une part, à une précédente inspection réalisée en novembre 2020 durant laquelle divers manquements avaient déjà été constatés (moisissures sur les parois de la chambre froide positive, poussières sur les grilles et rouille sur la carrosserie de l’évaporateur de la chambre froide positive, les bas de murs de la réserve farine ne sont pas joints au sol ce qui permet le passage de nuisibles, présence de produits périmés, toiles d’araignées sur les murs et parties hautes du laboratoire, étiquetage non conforme à la sécurité des denrées alimentaires, présence de moineaux dans le laboratoire boulangerie avec déjections et picorage dans les produits, commande non manuelle de la poubelle à côté du lave-mains cassée imposant une ouverture du couvercle à la main – pièce n°17), ces deux rapports formant à un tout selon les termes de l’attestation de Mme [Y] (pièce n°14), et d’autre part à un compte-rendu du service qualité du 17 janvier 2020 évoquant déjà divers manquements (DI manquante, incomplète ou erronée pour différents produits, absence de mise en avant de l’allergène gluten, allergène gluten en minuscules et absence de mention de l’eau – pièce n°18).
La cour relève en premier lieu que M. [G] ne discute pas le contenu du rapport du 18 décembre 2020, pas plus qu’il ne discute le contenu du compte-rendu du service qualité du 17 janvier 2020 et le rapport d’inspection des 23 et 24 novembre 2020, seulement les conditions dans lesquelles le premier a été établi (il n’a pas rencontré la personne en charge de du contrôle) et l’absence d’information sur l’existence de ces trois documents.
Néanmoins, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que les éléments recueillis par l’employeur dans le cadre des vérifications ou constatations auxquelles il procède soient préalablement communiqués au salarié dès lors que la décision qu’il peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder, peuvent, le cas échéant, être discutés devant les juridictions de jugement.
Au surplus, M. [G] ne justifie pas d’avoir vainement demandé à son employeur communication du rapport du 18 décembre 2020 pourtant explicitement visé dans la lettre de licenciement. De même, le fait que M. [G] n’ait pas rencontré Mme [Y], responsable qualité, lors de sa venue le 18 décembre 2020 dans le cadre d’un contrôle hygiène n’est nullement une condition de validité de ce contrôle et en tout état de cause aucunement de nature à remettre en cause la réalité des constatations qu’elle a pu faire.
Par ailleurs, si M. [G] peut légitimement arguer que l’employeur a connaissance depuis janvier 2020 de manquements à la réglementation sur les prix et les allergènes et que les deux sanctions disciplinaires dont il a fait l’objet ensuite sont sans lien avec de tels manquements, il ne saurait être ignoré qu’au titre des griefs figurant dans le lettre de licenciement, ce type de manquement n’est qu’une partie des griefs invoqués, qu’il ont de nouveau été constatés en novembre et décembre 2020 et qu’ils s’ajoutent aux autres manquements constatés en termes d’hygiène.
Il se déduit de ces éléments que la société BDMS justifie de la réalité des manquements reprochés à M. [G].
b) sur le défaut de formation et d’accompagnement :
Selon l’article L.6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail, veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret. Il peut également proposer aux salariés allophones des formations visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret.
Sur ce point, M. [G] soutient que la société BDMS ne saurait lui faire grief d’avoir manqué aux règles d’étiquetage et de déclarations d’ingrédients et de ne pas avoir respecté l’ensemble des règles d’hygiène et de sécurité ou encore de ne pas maîtriser la fabrication des produits salés dans la mesure où il n’a bénéficié d’aucune formation autre qu’une formation en droit social pour l’aider à gérer les plannings de ses équipes et une formation incendie.
Néanmoins, la cour relève que M. [G] a été embauché le 2 juillet 2018 et licencié moins de 3 ans plus tard, ce qui est exclusif de toute nécessité pour l’employeur de veiller à son adaptation à l’évolution de son emploi, des technologies et des organisations.
Par ailleurs, M. [G] a été embauché en qualité de manager de rayon, statut agent de maîtrise de niveau 5, ce qui au regard de la convention collective applicable lui confère des fonctions de participation à la définition des programmes de travail et à la réalisation des objectifs de l’établissement, avec comme responsabilité l’approvisionnement, la tenue et l’animation de son rayon, l’organisation et l’animation de son équipe, le tout dans le respect de la politique et des instructions établies par la société dans tous les domaines (commercial, gestion, social ‘). Or M. [G] ne saurait sérieusement soutenir que l’employeur a manqué à son obligation de formation dès lors qu’il ressort de son curriculum vitae qu’au moment de son embauche, il justifiait d’une expérience antérieure dans la grande distribution (Intermarché), qui plus est dans le même secteur d’activité (responsable de boulangerie).
En outre, il est justifié par l’employeur qu’il a pu bénéficier d’une formation en droit social afin de l’aider à gérer son équipe et par ailleurs, la cour constate avec la société BDMS que certains manquements en termes d’hygiène relève du bon sens et non d’un manque de formation.
Il s’en déduit que le moyen n’est pas fondé.
Dans ces conditions, peu important d’une part que ses anciens collègues de travail et membres de son équipe aient tous démissionné peu de temps après son départ, ce qui est sans rapport avec la solution du litige, et d’autre part que M. [G] envisage que M. [E] aurait voulu le piéger, ce qui, faute d’élément de nature à l’établir ou même à le laisser supposer, relève de la supputation, il ressort des développements qui précèdent que la société BDMS rapporte la preuve qui lui incombe d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle, par leur nature et leur récurrence, et de la part d’un salarié qui, indépendamment des sanctions disciplinaires annulées, a déjà été sensibilisé sur ses carences au cours de ses entretiens individuels mais sans en tirer la moindre conséquence, qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il s’en déduit que le licenciement pour faute grave est bien fondé et les demandes de M. [G] afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce y compris à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, seront rejetées, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
III – Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral :
Compte tenu :
– d’une part des circonstances du licenciement et des allégations de son employeur qui ont profondément altéré sa confiance en soi au point de lui causer une profonde dépression liée à ses difficultés à retrouver un emploi (pièce n°15),
– d’autre part le comportement habituellement méprisant de M. [E], directeur du magasin, à l’égard de certains salariés dont lui-même,
– enfin le fait qu’il a réalisé un nombre important d’heures de travail non rémunérées car considérées comme faisant partie de ses obligations de manager (pièces n°11 et 12),
M. [G] sollicite la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Néanmoins, il ressort des développements qui précèdent que le licenciement pour faute grave est fondé, de sorte que le salarié ne saurait faire grief à son employeur de mal le vivre et d’avoir des difficultés à retrouver un emploi.
Par ailleurs, nonobstant le fait que M. [G] ne tire aucune conséquence de l’affirmation selon laquelle il aurait effectué de nombreuses heures supplémentaires non payées, les attestation produites par lui ne déterminent nullement la réalité des dites heures, les affirmations des deux témoins sur ce point, d’ordre très général, n’étant corroborées par aucun élément.
Enfin, M. [G] ne justifie d’aucun préjudice à cet égard.
La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
III – Sur les demandes accessoires :
– sur le remboursement à Pôle Emploi :
Selon l’article L.1235-4 du code du travail, ‘dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé’.
En l’espèce, le licenciement reposant sur une faute grave, le jugement déféré qui a condamné la société BDMS à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à M. [G] du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision dans la limite de six mois sera infirmé.
– sur les intérêts au taux légal :
Dans la mesure où seule la demande de M. [G] à titre de rappel de salaire sur la mise à pied disciplinaire est accueillie, il sera dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société BDMS de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
– sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.
Les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
M. [G] succombant pour l’essentiel, il sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 4 octobre 2022 par le conseil de prud’hommes de DIJON sauf en ce qu’il a
– annulé l’avertissement du 15 juillet 2020,
– rejeté la demande de M. [B] [G] à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
ANNULE la mise à pied disciplinaire du 28 octobre 2020,
CONDAMNE la société BDMS DISTRIBUTION à payer à M. [B] [G] la somme de 266,29 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied disciplinaire,
DIT que le licenciement de M. [B] [G] est fondé sur une faute grave,
REJETTE les demandes de M. [B] [G] afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, y compris à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,
DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société BDMS DISTRIBUTION de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes,
REJETTE les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] [G] aux dépens de première instance et d’appel,
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024, signé par M. Olivier MANSION, président de chambre et Mme Juliette GUILLOTIN, greffier.
Le greffier Le président
Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION
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