Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Dijon
Thématique : La notion de discrimination en milieu professionnel
→ RésuméLa notion de discrimination en milieu professionnel est cruciale pour garantir l’égalité des droits des salariés. Dans l’affaire de Mme [X], engagée par la société KP1, des allégations de discrimination à son retour de congé maternité ont été soulevées. Bien que la salariée ait évoqué une surcharge de travail et des pressions, l’employeur a démontré que les modifications apportées à son poste étaient justifiées par des éléments objectifs. La cour a ainsi conclu que les accusations de discrimination n’étaient pas fondées, et a infirmé certaines demandes de la salariée, notamment concernant l’indemnité compensatrice de préavis.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Dijon
RG n°
22/00682
C/
S.A.S. KP1
C.C.C le 24/10/24 à:
-Me
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée le 24/10/24 à:
-Me
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024
MINUTE N°
N° RG 22/00682 – N° Portalis DBVF-V-B7G-GBSN
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section IN, décision attaquée en date du 27 Septembre 2022, enregistrée sous le n° 21/00235
APPELANTE :
[C] [X]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Isabelle-marie DELAVICTOIRE de la SCP GAVIGNET ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S. KP1
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Jean-Luc LETENO, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 septembre 2024 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, président de chambre,
Fabienne RAYON, présidente de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller,
Après rapport fait à l’audience par l’un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [X] (la salariée) a été engagée le 18 mai 2016 par contrat à durée indéterminée en qualité de gestionnaire ressources humaines par la société KP1 (l’employeur).
Elle a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur le 17 avril 2020.
Estimant que cette prise d’acte de rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse , la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 27 septembre 2022, a rejeté toutes ses demandes sauf celles portant sur un rappel d’heures supplémentaires et de prime dite bonus.
La salariée a interjeté appel le 17 octobre 2022.
Elle demande l’infirmation du jugement sauf sur les sommes accordées et le paiement des sommes de :
– 686 euros de rappel de prime bonus,
– 4 262 euros d’indemnité de préavis,
– 426,20 euros de congés payés afférents,
– 1 555,63 euros d’indemnité de licenciement,
– 8 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– à titre subsidiaire, 15 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
et réclame la délivrance sous astreinte de 50 euros par jour de retard, des bulletins de paie au titre de la période de préavis et l’attestation destinée à Pôle emploi rectifiée.
L’employeur conclut à la confirmation partielle du jugement sauf sur la demande de ‘résiliation judiciaire du contrat de travail’ et sollicite le paiement des sommes de 2 131 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 22 et 29 juillet 2024.
Sur la demande en paiement de la prime bonus :
La salariée indique que l’employeur ne lui a pas transmis les éléments pour calculer la prime sur objectifs et demande donc le paiement de la prime pour le même montant que celui perçu en 2018, soit 686 euros.
L’employeur répond que cette demande est irrecevable dès lors que la déclaration d’appel porte confirmation du jugement sur sa condamnation au titre du rappel des heures supplémentaires, des congés payés afférents, de la somme de 69 euros à titre de rappel de salaire et de la prime bonus.
Le dispositif du jugement indique que : ‘Condamne la SAS KP1 à verser la somme de 2 650,93 euros bruts au titre des heures supplémentaires et 265,09 euros de congés payés y afférents ainsi que la somme de 69 euros au titre de la prime bonus’, sans préciser à qui la société doit verser ces sommes, alors que la salariée demandait 69 euros de rappel de salaire et 69 euros sur la prime bonus.
Dans les motifs du jugement, page 5, il est indiqué que le conseil de prud’hommes fait droit à la demande de rappel de salaire de 69 euros et que la demande de rappel de prime est justifiée dès lors que la salariée démontre avoir atteint les objectifs.
Il en résulte donc une omission de statuer dans le dispositif de ce jugement non pas sur la prime bonus mais sur le rappel de salaire.
La salariée indique dans le dispositif de ses conclusions devant la cour : ‘Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 27 septembre 2022 en ce qu’il a condamné la société KP1 à verser à Mme [X] la prime bonus mais y ajouter la somme que ce dernier a omis de faire figurer au titre de la condamnation et par conséquent, au titre de la prime bonus, 686 euros’.
Cependant, sa déclaration d’appel demande la confirmation du jugement sur les heures supplémentaires, les congés payés afférents et la somme de 69 euros au titre de la prime bonus.
Il en résulte que la salariée n’a pas fait appel de la somme accordée au titre de cette prime et que l’omission de statuer porte sur le rappel de salaire et non la prime bonus.
En conséquence, la demande portant paiement d’une prime bonus de 686 euros est irrecevable.
Sur la prise d’acte de rupture du contrat de travail :
La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci qui empêche la poursuite du contrat de travail.
Si les faits invoqués par le salarié justifient la rupture du contrat de travail, dans ce cas elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut, celui d’une démission.
En l’espèce, la salariée ne fonde pas sa demande de prise d’acte de rupture sur le défaut de paiement des heures supplémentaires mais invoque une surcharge de travail, des pressions pour qu’elle quitte son poste et le refus de la réintégrer dans ses fonctions lors de son retour de congés maternité ‘adoptant ainsi à son encontre une attitude discriminatoire’.
L’employeur conteste toute surcharge de travail, rappelle qu’il a aménagé l’emploi en réduisant les activités confiées initialement et se reporte à trois attestations de salariées qui confirment que la charge de travail liée au poste de la salariée était normale.
L’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 dispose : ‘Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d’autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable’.
En application des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’une discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination et à l’employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, la salariée invoque une attitude discriminatoire de la part de son employeur sans autre précision.
Par ailleurs, au titre du refus d’intégration sur le poste après retour de congé maternité, la salariée indique que sous couvert d’allégement de sa charge de travail, l’employeur a procédé à une rétrogradation en lui enlevant certaines tâches et en lui confiant celle de l’accueil qui ne figure pas dans la fiche de poste GRH.
Elle ajoute qu’elle a demandé à plusieurs reprises de ne plus effectuer une partie des tâches administratives, qu’elle pouvait accomplir des missions de gestion de paie en la déchargeant des tâches administratives et qu’elle a été ignorée lors de la nouvelle organisation mise en place en 2019 sur les paies alors que cette activité correspondait à ses compétences.
Elle se reporte à ses entretiens d’évaluation de 2017, 2018 et 2019 à un mail du 8 février 2018 concernant sa charge de travail (pièces n°8, 15, 16 et 17) et une demande pour intégrer les fonctions de gestion des paies (pièce n°26).
En novembre 2018, la salariée a été déclarée apte par le médecin du travail sous réserve d’une réévaluation de sa charge de travail.
Dans la cadre de sa grossesse, elle a été en arrêt de travail du 13 juin 2019 au 30 novembre 2019.
Un avenant au contrat de travail a été proposé le 24 octobre 2019 (pièce n°6) à la suite du recrutement d’une salariée occupant le poste de [Localité 6], ce qu’elle a refusé et alors que la reprise du travail n’était pas encore effective.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, font présumer une discrimination.
L’employeur répond que lors de son recrutement, la salariée devait occuper le poste du site de [Localité 5], et qu’après la période d’essai, il lui a été demandé de s’occuper de la gestion RH du site de [Localité 6] avec un avenant au contrat de travail. Il ajoute que la salariée n’est pas parvenue à assumer la charge de travail sur les deux sites en raison des difficultés à assumer ces deux postes.
Il lui a alors été proposé de lui enlever la tâches de saisie des primes de production du site de [Localité 6] puis de limiter ses déplacements sur ce site. Après son retour de congé maternité, l’employeur lui a proposé de lui enlever le poste de gestion RH de ce site et donc de travailler à temps partiel à 70 %, soit de compléter ce manque par une activité au service logistique sur le site de [Localité 5] et ce au regard de : ‘ses difficultés voire son incapacité à assumer normalement la tâche pour laquelle elle était employée et rémunérée’.
Mme [O] atteste que la salariée ne pouvait assumer la mission demandée d’où une réduction de son champ de travail et qu’elle a eu beaucoup de mal à intégrer l’équipe de [Localité 6] avec très peu d’échanges avec ses collègues. Elle ajoute qu’elle a redistribué beaucoup de tâches et qu’elle a passé beaucoup de temps avec la salariée pour l’aider à s’organiser mais que c’était difficile pour elle de s’adapter sereinement, d’où une affectation à plein temps sur le site de [Localité 5] et le recrutement d’une autre personne sur le site de [Localité 6].
Les modifications proposées ne correspondent pas à une rétrogradation mais à une volonté d’adapter le poste de travail de la salariée aux difficultés rencontrées notamment quant à sa capacité à s’intégrer et non au regard de son état de grossesse ou encore au retour de celle-ci après un congé maternité.
En conséquence, l’employeur renverse la présomption de discrimination et le manquement invoqué portant sur le refus de réintégrer la salariée sur son poste à l’issue du congé maternité ne peut être retenu.
Sur la surcharge de travail, il convient de relever que la salariée a accepté la mission sur deux postes, qu’elle a alerté son employeur sur ce point dès 2017, que le médecin du travail, le 20 novembre 2018, a demandé une réévaluation de la charge de travail de la salariée et que les attestations produites décrivent les charges de travail des salariées concernées et non de Mme [X] puisque Mme [K] assurait un poste de gestionnaire des services achats et RH sur le site de [Localité 5] et que Mme [O] indique qu’elle a été embauchée à mi-temps sur le site de [Localité 6] et ne s’occupait pas du site de [Localité 5].
Il en résulte que la surcharge de travail est établie.
Cependant, l’employeur a réagi en lui ôtant certaines tâches puis en lui proposant d’aménager le poste de l’intéressée ce qu’elle a refusé.
Il n’en n’en résulte donc pas un manquement suffisamment grave pour justifier la prise d’acte de rupture du contrat de travail.
Sur le dernier point, la salariée soutient que l’employeur voulait la voir partir en lui proposant une rupture conventionnelle du contrat de travail en novembre 2018, sous la menace d’un licenciement et sans entretien, d’où sa rétractation.
Cependant, la salariée ne démontre aucune irrégularité sur la rupture conventionnelle qui n’a pas produit effet en raison de sa rétractation ni n’apporte d’élément de preuve quant à la menace ayant vicié son consentement lors de la conclusion de celle rupture.
En conséquence, la salariée échoue à démontrer que les manquements graves allégués sont établis de sorte que la prise d’acte de rupture produit les effets d’une démission.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes liées à une prise d’acte de rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dès lors que la démission est acquise et que la salariée n’a pas accompli de période de préavis ni n’a été dispensée de l’effectuer, l’employeur est fondé à demander paiement de cette indemnité compensatrice soit 2 131 euros ce qui implique d’infirmer le jugement qui rejette cette demande.
En effet, la salarié n’apporte aucune explication dans ses conclusions sur ce point et le jugement retient une impossibilité d’exécuter ce préavis en raison d’un arrêt de travail pour cause de maladie.
A supposer ce motif adopté, il convient de rappeler que la date de cessation du contrat, à l’issue du préavis, ne se trouve pas reportée
en cas de maladie non professionnelle.
Dans l’hypothèse d’une démission en cours de maladie, la salariée est tenue de reprendre son travail si cet arrêt se termine avant le terme du préavis dû.
Si l’arrêt de travail cesse après le terme du préavis, celui-ci expire à l’échéance normale et aucune indemnité n’est due.
Ici, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 17 avril 2020. Il a été retenu que cette rupture produisait les effets d’une démission.
Le préavis réclamé par l’employeur correspond à un mois de salaire.
Il est également admis, par les parties, que la salariée bénéficiait d’un arrêt de travail le 17 avril 2020.
Cependant, la salariée ne produit aucune pièce concernant cet arrêt de travail (dates de début et de fin, la pièce n°21 portant sur des relevés d’indemnités journalières versées par la caisse primaire d’assurance maladie et la dernière période visée est celle du 7 au 19 avril 2020) ce qui ne permet pas de vérifier la date de cessation de cet arrêt.
Il en résulte qu’il n’existe aucun obstacle avéré à la reprise du travail et à l’accomplissement du préavis, au moins à compter du 19 avril 2020.
Celui-ci n’ayant pas été effectué, la salariée est débitrice la somme de 2 131 euros.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes :
1°) La salariée demande le paiement, à titre subsidiaire, de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité.
L’employeur conclut à l’irrecevabilité de la demande car nouvelle à hauteur d’appel.
Cette demande n’a pas été formée devant le conseil de prud’hommes.
Elle constitue donc une demande nouvelle qui n’est pas l’accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire des prétentions soumise aux premiers juges ni ne tend aux mêmes fins que les prétentions initiales lesquelles ne portaient que sur des rappels de salaire, de prime, d’heures supplémentaires et sur les effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail.
Cette demande est donc irrecevable.
2°) La salariée réclame le paiement de dommages et intérêts pour déclaration erronée à la caisse primaire d’assurance maladie , soit une demande de 500 euros de dommages et intérêts.
Elle ajoute qu’elle a dû demander à trois reprises à l’employeur une attestation de salaire pour obtenir le bénéfice des indemnités journalières, qu’il en est résulté un paiement différé de ces indemnités et qu’elle a dû vivre avec un revenu inférieur au RSA couple avec un enfant.
Si la salariée a effectué des démarches (pièce n°21) pour obtenir une régularisation de sa situation auprès de la caisse primaire d’assurance maladie à l’aide d’une déclaration de salaire appropriée, elle ne démontre pas l’existence d’un préjudice de quelque nature que ce soit en résultant.
Cette demande sera donc rejetée et le jugement confirmé.
3°) La demande de la salariée de remise de documents sous astreinte devient sans objet.
4°) Les demandes formées au visa de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La salariée supportera les dépens d’appel.
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et dans les limites de l’appel:
– Dit irrecevables les demandes de Mme [X] en paiement d’une prime bonus de 686 euros et de dommages et intérêts pour manquement par la société KP1 à son obligation de sécurité ;
– Infirme le jugement du 27 septembre 2022 uniquement en ce qu’il rejette la demande de la société KP1 en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis par Mme [X] ;
Statuant à nouveau sur ce chef :
– Condamne Mme [X] à payer à la société KP1 la somme de 2 131 euros à titre d’une indemnité compensatrice pour préavis non effectué ;
Y ajoutant :
– Rejette les autres demandes ;
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
– Condamne Mme [X] aux dépens d’appel ;
Le greffier Le président
Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION
Laisser un commentaire