Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Dijon
Thématique : La régularité de la convention de forfait en jours
→ RésuméLa cour a déclaré la convention de forfait en jours de M. [Z] sans effet, constatant que la société ICE n’avait pas respecté les stipulations de suivi et de contrôle des durées de travail. En conséquence, M. [Z] a pu revendiquer le paiement de ses heures de travail selon le droit commun. De plus, le licenciement de M. [Z] a été jugé nul, car ses critiques sur la direction de l’entreprise relevaient de sa liberté d’expression. La société a été condamnée à verser 25 000 euros à M. [Z] pour licenciement nul, tout en rejetant ses demandes de rappel de prime variable.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Dijon
RG n°
22/00758
C/
S.A.S.U. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024
MINUTE N°
N° RG 22/00758 – N° Portalis DBVF-V-B7G-GCNC
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section EN, décision attaquée en date du 14 Novembre 2022, enregistrée sous le n° 21/00097
APPELANT :
[D] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Isabelle-Marie DELAVICTOIRE de la SCP GAVIGNET ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S.U. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Delphine BRETAGNOLLE de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Maître Elsa GOULLERET, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 septembre 2024 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Fabienne RAYON, Présidente de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [D] [Z] a été embauché par la société INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST (ci-après ICE) par un contrat à durée indéterminée du 1er janvier 2004 en qualité de directeur de secteur, statut cadre supérieur, niveau 5, échelon 2, coefficient 590 de la convention collective de la promotion immobilière.
Depuis janvier 2020, il exerce les fonctions de directeur de la maîtrise d’ouvrage.
Le 23 juillet 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 18 août suivant.
Le 28 août 2020, il a été licencié pour une cause réelle et sérieuse avec dispense d’exécuter son préavis.
Par requête du 16 février 2021, il a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon aux fins de contester la régularité de sa convention de forfait en jours, juger que son licenciement est nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre un rappel de salaire pour des heures supplémentaires et une prime variable et des dommages-intérêts pour non paiement des heures supplémentaires.
Par jugement du 14 novembre 2022, le conseil de prud’hommes de Dijon a rejeté l’essentiel de ses demandes, sauf en ce qui concerne un rappel de prime variable.
Par déclaration du 5 décembre 2022, M. [Z] a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 24 juillet 2024, l’appelant demande de :
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes indemnitaires afférentes tant au titre du licenciement nul qu’au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre principal,
– juger que son licenciement est nul,
– condamner la société ICE à lui verser la somme nette de 107 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
à titre subsidiaire,
– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société ICE à lui payer la somme de 107 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en toutes hypothèses,
– condamner la société ICE à lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 8 jours à compter de la notification ou de la signification du jugement à intervenir, le conseil se réservant expressément la possibilité de liquider l’astreinte,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a dit que la convention de forfait en jours est régulière et opposable et l’a débouté de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires et de dommages-intérêts pour non-paiement des heures supplémentaires,
– juger que la convention de forfait en jours appliquée par la société ICE est nulle ou à défaut inopposable au salarié,
à titre principal,
– condamner la société ICE à lui payer la somme de 35 693,44 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires sur la période de janvier 2018 à décembre 2020, outre 3569,34 euros au titre des congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
– condamner la société ICE à lui payer la somme de 32 645,18 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires sur la période de janvier 2018 à décembre 2020, outre 3 264,52 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société ICE à lui payer la somme de 3 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison du non-paiement de ses heures supplémentaires pendant 3 ans,
en toutes hypothèses,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société ICE à lui verser une prime variable mais le reformer sur le quantum,
– condamner la société ICE à lui payer la somme de 25 000 euros bruts au titre de la prime variable,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes,
– condamner la société ICE à lui remettre des bulletins de paies rectifiés pour la période août 2017 à août 2020 et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 8 jours à compter de la notification ou de la signification de la décision à intervenir,
– débouter la société ICE de toutes ses demandes, fins et prétentions,
– la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens en tant que de besoin.
Aux termes de ses dernières conclusions du 1er août 2024, la société ICE demande de :
sur le licenciement :
à titre principal,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. [Z] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires afférentes tant au titre du licenciement nul qu’au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [Z] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
– limiter le montant des dommages-intérêts alloués à la somme de 15 150 euros (3 mois de salaire brut),
Sur la durée du travail :
à titre principal,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que la convention de forfait jours est régulière et opposable à M. [Z] et l’a débouté de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires et de dommages-intérêts pour non-paiement des heures supplémentaires, et du surplus de ses demandes,
– débouter M. [Z] de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents ainsi que de dommages-intérêts supplémentaires pour le préjudice subi, M. [Z] bénéficiant d’un forfait-jours mis en ‘uvre conformément aux dispositions conventionnelles de branche,
à titre subsidiaire,
– débouter M. [Z] de sa demande de rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents ainsi que de dommages-intérêts supplémentaires pour le préjudice subi,
M. [Z] n’étayant pas sa demande d’heures supplémentaires,
à titre infiniment subsidiaire,
– limiter le montant alloué au titre du rappel d’heures supplémentaires et des congés payés afférents, M. [Z] ayant appliqué des taux horaires non conformes pour les années 2018 et 2019,
en toute hypothèse,
– le débouter de sa demande indemnitaire supplémentaire de 3 000 euros au titre de la rétention de salaire,
Sur la prime variable :
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [Z] la somme de 4 462,82 euros bruts au titre de la prime variable, a précisé que conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, la condamnation prononcée emporte intérêts au taux légal à compter de la demande de réception de la convocation de la défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 18 février 2021,
– constater que M. [Z] a bénéficié du versement de sa rémunération variable au cours de son préavis, de septembre à décembre 2020, pour un montant plus favorable que celui déterminé par les stipulations contractuelles,
– le débouter de sa demande de paiement d’une prime variable pour l’année 2020 dans la mesure où il l’a déjà perçue, de façon plus favorable, au cours de son préavis,
en tout état de cause,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamné à payer à M. [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a condamnée aux aux entiers dépens,
– débouter M. [Z] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
– le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
I – Sur la convention de forfait en jours :
Il ressort du contrat de travail produit que M. [Z] est soumis à une clause de forfait en jours à hauteur de 218 jours de travail sur une année civile complète.
Rappelant que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires et que le contrôle de ces durées de travail doit être effectif à défaut de quoi la convention forfait est nulle et le salarié fondé à solliciter les heures supplémentaires accomplies, M. [Z] soutient que la société ICE n’a pas respecté ces critères et que si un accord de branche prévoit bien l’existence d’une convention en forfait jours, celle-ci ne lui est pas opposable car la société n’a pas respecté les stipulations de l’article 2 de l’accord collectif du 2 novembre 2016 prévoyant un suivi mensuel et un échange périodique. Il n’y avait en outre aucun contrôle des durées maximales de travail, alors même que lors de ses entretiens d’évaluation il a notamment signalé le temps important que générait la gestion des distances et qu’il était compliqué de trouver un équilibre vie professionnelle-vie familiale.
Pour sa part, la société ICE oppose que la conclusion d’un forfait annuel en jours est prévue par l’avenant n°11 du 18 février 2000 et l’accord du 2 novembre 2016 pour les cadres des niveaux 4 à 6, à raison de 218 jours de travail par an (journée de solidarité comprise).
Elle ajoute que le contrat de travail prévoit bien, sur le fondement de ces stipulations conventionnelles de branche, l’application du forfait-jours à raison de 218 jours de travail (journée de solidarité incluse) et que le salarié bénéficiait chaque année d’un entretien consacré en partie au suivi de sa charge de travail et au contrôle de la durée du travail, de sorte que l’application du forfait-jours était conforme.
En premier lieu, la cour relève que le fait que la convention collective nationale et les accords de branche applicables à la relation de travail prévoient la possibilité de convenir d’une clause de forfait en jours au bénéficie de M. [Z] n’est pas discutée par la parties, pas plus que le fait que le contrat de travail et son avenant du 1er avril 2020 le prévoient effectivement.
Il ressort de l’article 1.2.2 de l’avenant n°11 du 18 février 2000 relatif à la durée et à l’aménagement du temps de travail que ‘lorsque la convention de forfait est établie en jours sur l’année, elle ne peut prévoir un nombre de jours travaillés supérieur à 217 sauf affectation de jours de repos dans un compte épargne-temps. En sont bénéficiaires les cadres des niveaux 4 à 6, à l’exception des cadres relevant des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 du code du travail. L’employeur et le salarié définiront en début d’année le calendrier prévisionnel de l’aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l’année. Une fois par an, l’employeur et le cadre établissent un bilan de la charge de travail de l’année écoulée (application du calendrier prévisionnel, organisation du travail, amplitude des journées d’activité) […]’.
L’article 2 de l’accord du 2 novembre 2016 relatif au calcul de la durée annuelle du travail en jours, pris en complément de l’avenant du 18 février 2000 précité, prévoit notamment que :
– la durée annuelle de travail est portée à 218 jours, y compris un jour de solidarité,
– cette durée suppose la prise de 25 jours ouvrés de congés annuels sur la période annuelle considérée, étant rappelé que la limitation de la durée annuelle de travail à 218 jours permet d’ajouter, selon le calendrier de l’année considérée, de 10 à 12 jours de repos au congé annuel,
– la charge de travail confiée fait l’objet d’un suivi par l’employeur au moyen d’un système mensuel auto-déclaratif précisant les jours travaillés, les jours d’absence et leur nature, sachant que l’entreprise doit permettre le suivi des jours travaillés par le salarié y compris quand ces jours coïncident avec des jours habituellement fermés dans l’entreprise mais pour lesquels l’activité de l’entreprise a requis la présence du salarié,
– le document ainsi établi par le cadre sous le contrôle de l’employeur, permet au supérieur hiérarchique du cadre d’assurer le suivi mensuel de son organisation du travail et de sa charge de travail préalablement définie. Il permet également le suivi de la prise de jours de repos,
– le salarié tient informé son responsable hiérarchique, sensibilisé à cet effet, des événements ou éléments qui accroissent de façon inhabituelle ou anormale sa charge de travail. Cette déclaration mensuelle permet d’anticiper un éventuel dépassement sur l’année des 218 jours de travail,
– ce document mensuel permet également des échanges entre l’employeur et le salarié sur l’amplitude des journées d’activité. L’employeur doit dans les 15 jours qui suivent la production de ce relevé mensuel examiner les alertes que le cadre aura pu mentionner dans ce document et doit apporter des réponses sur le plan de la charge de travail et de l’organisation du travail. La périodicité de ces échanges est fonction du contenu des documents mensuels et des ajustements de la charge de travail décidés par l’employeur,
– ces échanges périodiques de suivi de la charge de travail s’ajoutent à l’entretien annuel prévu par l’article L. 3121-46 du code du travail qui porte sur la charge de travail du salarié, sur l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié. Cet entretien annuel correspond à celui prévu par l’article 1.2.2 de l’accord du 18 février 2000, permet ainsi d’adapter la charge de travail […].
En l’espèce, si la société ICE justifie de la tenue d’un entretien annuel d’évaluation pour les années 2018 et 2019, il n’est en revanche produit aucun élément sur la période antérieure, alors même que l’embauche du salarié remonte à 2015.
En outre, l’employeur ne justifie d’aucun élément sur le suivi mensuel et les échanges périodiques sur le suivi et le contrôle de la charge et des horaires de travail du salarié prévu par l’article 2 de l’accord du 2 novembre 2016, et la mention dans les entretiens d’évaluation produits pour 2018et 2019 d’une question sur ‘la perception du collaborateur sur l’organisation du travail, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle’ ne saurait à cet égard suffire.
Dans ces conditions, peu important que M. [Z] n’ait à aucun moment informé son responsable hiérarchique d’un ou plusieurs événements ou éléments qui accroissent de façon inhabituelle ou anormale sa charge de travail, il se déduit des développements qui précèdent que la société ICE n’a pas fait application des stipulations conventionnelles applicables aux clauses de forfait en jours. La clause de forfait en jours figurant au contrat de travail de M. [Z] est donc privée d’effet et le salarié fondé à obtenir le paiement de ses heures de travail sur la base du droit commun, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
II -Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et les congés payés afférents
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, M. [Z] produit à l’appui de sa demande de rappel de salaire un décompte en pièce n°5.
Il ajoute que l’employeur ne peut se contenter de remettre en cause les heures qu’il déclare dès lors qu’il n’a rien à opposer permettant d’établir les heures effectuées.
Concernant la détermination du montant réclamé, il indique que, s’il a effectivement calculé cette somme sur la base du taux horaire appliqué en 2020 (33,30 euros), alors qu’en 2018, il était de 29,66 euros puis en 2019 de 29,96 euros, la différence reste minime, ce d’autant que l’employeur a retenu le salaire dû au salarié pendant plusieurs années. En outre, cette majoration justifiait qu’il ne sollicitait pas de dommages-intérêts pour le retard de paiement de ces salaires.
Tenant compte des taux horaires applicables année par année, il sollicite la somme de 32 645,18 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires de 2018 à 2020 en raison de la nullité de la convention de forfait , outre 3 264,52 euros au titre des congés payés afférents et ajoute une demande de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour la rétention illicite de ses revenus.
La cour considère que les éléments produits par le salarié sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments
Pour sa part, la société ICE oppose que le tableau produit par M. [Z] a été établi unilatéralement pour les besoins de la cause et qu’il indique avoir presque invariablement effectué deux heures supplémentaires chaque jour du lundi au jeudi et une heure supplémentaire le vendredi, sans aucune précision sur les horaires effectifs réalisés.
Elle ajoute qu’il a de surcroît été déchargé du management de l’activité commerciale à compter du mois de septembre 2019 et conclut au rejet de sa demande.
A titre infiniment subsidiaire, il précise que le salarié a appliqué sur l’ensemble de la période de référence un taux horaire basé sur sa rémunération mensuelle de 2020 alors qu’il percevait une rémunération mensuelle d’un montant inférieur, de sorte que si par extraordinaire le nombre d’heures allégué par le salarié était retenu, le rappel de salaire alloué devrait se limiter à 12 924,85 euros bruts pour 2018 et 13 185,20 euros bruts pour 2019.
Nonobstant le fait que la société ICE ne produit aucun décompte du temps de travail de M. [Z] sur la période considérée, ce qui s’explique par le fait que jusqu’au terme de la relation de travail une convention de forfait en jours avait été convenue et mise en oeuvre par les parties, la cour relève que le décompte du salarié se borne à énoncer un nombre d’heures supplémentaires, à raison, dans la plupart des cas, de 2 heures supplémentaires par jour du lundi au vendredi et 1 heure le vendredi, sans indication des heures de prise de fonctions et de fin de journée. Il n’est par ailleurs aucunement fait mention du moindre temps de pause pris ni d’éventuelles absence (hors congés ou RTT). Enfin, le fait qu’à de rares exception près les heures déclarées par M. [Z] soient toutes complètes interroge sur leur réalité.
En conséquence des développements qui précèdent, la cour considère que les heures supplémentaires alléguées ne sont pas établies. La demande de rappel de salaire sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Il en sera de même de sa demande de dommages-intérêts, laquelle est uniquement fondée sur le non paiement de ces heures supplémentaires, le jugement déféré étant également confirmé sur ce point.
III – Sur la prime variable :
Rappelant que sa rémunération telle que définie au contrat de travail comportait une prime variable indexée sur ses résultats et que les éléments composant cette rémunération variable et ses modalités d’application et de calcul devaient lui être communiqués au début de chaque année, ce qui n’a pas été le cas, M. [Z] soutient que pendant des années il a perçu une prime bonus au titre de sa rémunération variable sans toutefois connaître les modalités de calcul de celle-ci.
Il ajoute que si le 28 mai 2020 la société a formalisé un courrier définissant les modalités
de calcul de cette prime variable (pièce n°7), aucun avenant au contrat de travail n’a été régularisé et ce courrier ne relève pas d’un accord entre le salarié et l’employeur.
Enfin, son licenciement ne peut en rien le priver du versement de ce variable, ce d’autant que ses résultats ont toujours été bons.
Dans ces conditions, il fait sommation à la société ICE de verser aux débats les éléments comptables 2019 à 2020 de nature à établir les résultats nets avant impôts des programmes situés sur son périmètre d’affectation et à défaut sollicite a minima l’octroi d’une prime de 25 000 euros conforme à la moyenne des primes obtenues sur les 3 dernières années au titre de sa rémunération variable, affirmant en dernier lieu que le contrat de travail ne subordonne pas le versement de la partie variable à la présence du salarié dans l’entreprise ni même à un quelconque seuil minimum d’objectifs à réaliser et que la rémunération variable calculée par l’employeur dans ses conclusions est sans rapport avec celles qu’il a perçues les années précédentes.
La société ICE oppose que l’avenant au contrat de travail du 1er avril 2020, par lequel M. [Z] a été nommé directeur de la maitrise d’ouvrage, prévoit la possibilité d’une rémunération variable dont les modalités ont été fixées le 28 mai 2020 (pièce n°8), modalités acceptées par le salarié le 11 juin 2020.
Elle ajoute que le salarié ne peut valablement invoquer une différence de rémunération variable par rapport à celle perçue les années précédentes dans la mesure où il avait changé de poste et accepté cette évolution de fonctions ainsi que les modifications de rémunération afférentes.
Enfin, elle précise que selon les termes du courrier du 28 mai 2020, le salarié était bénéficiaire d’une rémunération variable assise sur l’atteinte d’objectifs et selon les résultats obtenus. Cette rémunération variable, versée au prorata en cas d’absence du salarié, se calculait comme suit :
* 1ère modalité : 1,5% des résultats nets avant impôts des programmes situés sur son périmètre d’affectation ([Localité 6]-Les Allées de Cluny, [Localité 5]-La Résidence de Troubadour, [Localité 7]-Les Résidentiales Saint-Benoît, [Localité 9]-La Sablière, [Localité 10] – La Poncelle),
* 2 ème modalité : un bonus plancher de 10 % de la rémunération annuelle fixe en cas d’atteinte par le salarié de 95 % de ses objectifs annuels.
Pour l’année 2020, M. [Z] disposait d’objectifs sur 5 programmes situés sur son périmètre d’affectation, lesquels ont été atteints sur 4 d’entre eux ([Localité 6]-Les Allées de Cluny, [Localité 5]-La Résidence de Troubadour, [Localité 7]-Les Résidentiales Saint-Benoît et [Localité 9]-La Sablière – pièce n°12), soit un ration de 80% pour l’année 2020 (4/5 de ses programmes), ce que l’intéressé n’a pas contesté (pièces n°8 et 9).
Dans ces conditions, selon les modalités ainsi définies, M. [Z] devait bénéficier en 2020 d’une prime de 2 502,18 euros bruts, soit 2 303,37 euros bruts après proratisation sur la base de 336 jours de présence jusqu’à son licenciement (modalité 1) et un bonus de 0 euros faute d’avoir rempli 95 % de ses objectifs (modalité 2). Toutefois, en dehors de toute obligation contractuelle, la société a souhaité retenir, pour l’année 2020, un calcul plus favorable aux salariés, dont M. [Z], et au lieu de garantir un bonus plancher de 10 % de la rémunération annuelle fixe en cas d’atteinte de 95 % des objectifs annuels, ce bonus plancher de 10 % a été calculé en fonction de l’atteinte par le salarié des objectifs sur chacun de ses programmes d’affectation, soit pour M. [Z] la somme de 4 848 euros bruts (60 600 euros de rémunération annuelle fixe X 10% / 5 programmes = 1 212 euros de bonus plancher par programme X 4 (nombre de programmes sur lesquels les objectifs ont été atteints), montant proratisé à 4 462,82 euros bruts sur la base de 336 jours de présence en 2020.
Enfin, cette rémunération variable a été versée y compris pendant la durée du préavis de 3 mois (pièce n°2) puisqu’à sa rémunération mensuelle brute de 5 050 euros bruts s’est ajoutée un acompte sur sa rémunération variable calculé sur la base des résultats de l’année précédente puisqu’à cette période les résultats de l’année 2020 n’étaient pas encore connus, soit un total de 5 001,01 euros bruts, montant supérieur au calcul ci-dessus exposé (4 462,82 euros bruts), lui-même déjà plus favorable par rapport aux modalités contractuelles prévues.
En l’espèce, il ressort de l’avenant au contrat de travail du 1er avril 2020 que ‘[…] Cette rémunération sera assortie d’une partie variable assise sur l’atteinte des objectifs qui lui ont été confiés et les résultats obtenus. Ces objectifs seront définis et révisés chaque année en fonction des résultats et perspectives de l’activité.
Les éléments qui composent cette rémunération variable, les modalités d’application et le calcul tiendront compte également des nécessités d’adapter les objectifs quantitatifs et qualitatifs de l’entreprise à l’évolution et aux contraintes de l’activité et du marché. Ces objectifs seront communiqués chaque année.
Il est précisé que toute prime qui pourrait éventuellement lui être versée, l’est forfaitairement et intègre les indemnités de congés payés s’y rapportant’ (pièce n°2).
La cour constate donc que cet avenant, que M. [Z] dénature en soutenant que les éléments composant cette rémunération variable et ses modalités d’application et de calcul devaient lui être communiqués ‘au début de chaque année’ puisqu’il n’est en réalité question que d’une communication annuelle, sans autre précision, prévoit le principe d’une prime variable sans en définir les modalités ni le calcul.
La lettre du 28 mai 2020, laquelle a été contre-signée par M. [Z] le 11 juin 2020, précise que ‘En tant que Directeur MOA, vous percevrez une rémunération variable annuelle correspondant à 1,5% des résultats nets avant impôts des programmes situés sur votre périmètre d’affectation.
Cette rémunération variable ne pourra dépasser 50% de votre rémunération fixe annuelle.
Un seuil minimal de 10% de votre rémunération fixe annuelle vous sera garanti en cas d’atteinte de 95% des objectifs annuels fixés en termes de signature d’acte et de réservations sur les programmes dont vous avez la charge.
Il est précisé que toute absence (hors congés payés et R.T.T.) proratisera le montant de la rémunération variable annuelle qui vous sera versée […]’ (pièce n°7).
Il ressort de ces éléments que cette lettre détermine les éléments composant la rémunération variable du salarié ainsi que ses modalités d’application et de calcul qui ne figuraient pas au contrat de travail, de sorte que si elle ajoute à celui-ci, elle n’en constitue pas pour autant une modification unilatérale, ce d’autant que par sa signature le salarié en a accepté les termes, rendant ces éléments opposables.
Par ailleurs, la cour relève que cette lettre prévoit le principe d’une proratisation en fonction de la durée de présence du salarié dans l’entreprise.
Dans ces conditions, étant observé que l’employeur justifie des résultats du salarié et du calcul effectué pour le paiement de sa prime variable, que M. [Z] ne saurait arguer d’une irrégularité à cet égard sur la seule base d’une comparaison avec les sommes précédemment versées dès lors que cette comparaison est rendue inopérante par son changement de fonctions en 2020.
En outre, peu important d’une part que ce calcul diffère de celui initialement énoncé au salarié dès lors que le résultat obtenu, et donc la somme versée, lui est plus favorable, et d’autre part que le contrat de travail ou la lettre du 28 mai 2020 ne prévoient pas de versement sous forme d’acompte, l’employeur justifie du paiement durant le préavis d’une somme supérieure à la rémunération que le salarié aurait du toucher s’il avait continuer de travailler, ce qui corrobore l’affirmation selon laquelle la différence porte sur la prime proratisée.
En conséquence, la demande de rappel de prime sera rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
IV – Sur le bien fondé du licenciement :
Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 28 août 2020 est rédigée dans les termes suivants :
‘[…] vous avez ouvertement, et à plusieurs reprises, critiqué la nouvelle politique menée par l’entreprise et par la Direction Régionale dans le but de lui ôter tout crédit auprès des autres collaborateurs.
En particulier, vous avez indiqué, au cours d’une réunion en date du 30 juin 2020, en présence de plusieurs collaborateurs Cadres de la région, que vous n’étiez pas content de la Direction Générale, que ‘tout se [décidait] entre [Localité 11] et [Localité 8]’ ou encore que ‘ça [devenait] n’importe quoi EH’. Vous avez ponctué votre intervention par ‘je t’informe qu’à partir d’aujourd’hui je cherche officiellement du travail’.
Nous ne pouvons accepter que de telles remarques acrimonieuses émanent de notre personnel d’encadrement.
Durant l’entretien préalable, vous avez reconnu les faits.
Vous avez également fait part de votre scepticisme quant au recrutement du Directeur technique Groupe, avec lequel vous entretenez de mauvaises relations, ou aux promotions de certains Cadres en maîtrise d »uvre, que vous jugez peu judicieuses ou prématurées.
Cet échange dénote un sentiment général de défiance et de profond désaccord vis-à-vis des Directions Régionale et Générale, qui s’inscrit en totale contradiction avec une saine poursuite de notre relation contractuelle.
Par conséquent, nous nous voyons contraints de vous notifier votre licenciement en raison des divergences de vues stratégiques objectivement constatées rendant impossible la poursuite de notre collaboration […]’ (pièce n°3).
M. [Z] conteste son licenciement aux motifs :
– d’une part qu’il jouit, dans l’entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d’expression, ce qui l’autorise, sauf abus, à tenir des propos sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise. Or il lui est fait grief d’avoir eu un positionnement critique lors d’une réunion et d’avoir fait part de ses doutes quant au recrutement du directeur technique de groupe et à la promotion de certains cadres, propos qu’il conteste, que l’employeur ne démontre pas et qui ne sont de toute évidence pas de nature à pouvoir caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement disciplinaire d’un salarié ayant plus de quinze années d’ancienneté,
– d’autre part qu’il a fait l’objet d’un licenciement verbal.
Pour sa part, au visa des articles 1104 du code civil et L.1222-1 du code du travail, et rappelant qu’en sa qualité de cadre de haut niveau du groupe (directeur de la maîtrise d’ouvrage) M. [Z] était l’ambassadeur de la politique du groupe, qu’il était chargé de la mettre en ‘uvre et qu’il représentait l’entreprise à l’égard des collaborateurs placés sous son autorité comme auprès des clients et partenaires institutionnels, la société ICE soutient que l’obligation de loyauté est renforcée s’agissant de salariés ayant des fonctions d’encadrement et il appartient au juge du fond d’examiner la teneur des propos, le contexte dans lequel ils ont été tenus et leur impact potentiel au regard de la qualité du salarié. Elle ajoute que le conseil de prud’hommes a justement retenu que le salarié ne justifie pas de la contestation qu’il a pu formuler, notamment à réception de la lettre de licenciement, et qu’en sa qualité de cadre de haut niveau du groupe, il occupait un poste stratégique impliquant qu’il n’affiche pas publiquement ses éventuelles divergences de vues.
Elle ajoute qu’en réalité, le salarié n’a pas supporté que M. [G] [R], plus jeune que lui, soit recruté en qualité de directeur de région, poste qu’il convoitait. A partir de là, il a été observé une dégradation de son comportement professionnel, ce qui ressort de ses compte-rendus d’entretien annuel (pièce n°7). Ne tenant manifestement pas compte des observations ainsi faites, il a eu un comportement incompatible avec la poursuite de ses fonctions de direction (pièce n°4), ce que confirme Mme [I] (pièce n°6) et M. [S], lequel a participé à la réunion concernée (pièce n°11).
A titre subsidiaire, elle indique que M. [Z] n’apporte aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle il aurait fait l’objet d’un licenciement verbal, le seul élément produit étant un échange de SMS entre lui et son supérieur, M. [B] entre le 29 août et le 1er septembre 2020, donc postérieur à la lettre de licenciement du 28 août 2020 (pièces n°4 et 10).
L’article L.1121-1 du code du travail dispose que ‘nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.’
Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
L’abus est caractérisé par l’existence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, sans quoi le salarié ne peut être ni sanctionné ni licencié au motif de l’usage de sa liberté d’expression.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, formule explicitement le grief d’un comportement déloyal du salarié pour avoir exprimé une opinion critique à l’égard de sa direction lors d’une réunion et aussi d’avoir fait part de son scepticisme quant à la pertinence de certains recrutements.
Ce grief participe incontestablement de la liberté d’expression du salarié et il convient donc de déterminer si, dans le contexte où ils ont été tenus et la qualité de leur auteur, les propos imputés à M. [Z] sont abusifs.
A cet égard, il ressort des attestations produites que si les propos imputés à M. [Z] caractérisent effectivement l’expression d’un désaccord critique vis à vis de son employeur, il n’est aucunement démontré que les propos en question ont été injurieux, diffamatoires, excessifs ou même menaçants.
En effet, Mme [I] indique seulement que ‘M. [Z] a fait savoir son mécontentement’ et qu’il a ajouté ‘pour ton info sache que je cherche ailleurs’, ‘c’est cool que la direction soit contente de nous car nous on n’est pas content d’eux’ (pièce n°6) et l’attestation de M. [S], outre la confirmation de l’expression d’une volonté de rechercher un autre emploi, est rédigée en des termes généraux et imprécis ne permettant pas de déterminer ce qu’il a réellement entendu lorsqu’il affirme que ‘Il a également fait part de son mécontentement vis-à-vis de l’entreprise et de certains de ses collaborateurs’ (pièce n°11).
Par ailleurs, s’il n’est pas contesté que M. [Z] occupe un poste hiérarchique élevé au sein de l’entreprise, les propos qui lui sont reprochés ont été tenus dans le cadre d’une réunion interne, peu important que deux salariés subalternes aient également été présents, et non publiquement vis à vis de tiers.
En conséquence des développements qui précèdent, la société ICE échouant à démontrer que les propos reprochés à M. [Z] sont injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour considère que le fait d’avoir exprimé un désaccord, même critique, vis à vis de son employeur, n’excède pas le cadre de la liberté d’expression dont le salarié jouit au sein de l’entreprise. Il s’en déduit que le licenciement fondé sur la violation d’une liberté fondamentale est nul.
Au titre des conséquences indemnitaires afférentes à un licenciement nul, et rappelant que le barème légal ne s’applique pas en pareil cas, M. [Z] sollicite la somme de 107 200 euros à titre de dommages-intérêts aux motifs qu’il est père de deux jeunes enfants, qu’il venait de souscrire un prêt immobilier pour l’achat d’une résidence principale (pièce n°18) et que son épouse a connu des problèmes de santé nécessitant des arrêts de travail de plusieurs mois et que le retentissement psychologique et financier de son licenciement brutal est particulièrement important, n’ayant retrouvé qu’un emploi moins rémunéré.
La société ICE oppose sur ce point que selon le barème prévu à l’article L.1235-3 du code du travail, un salarié justifiant de 16 années complètes d’ancienneté perçoit une indemnité comprise entre 3 mois et 13,5 mois de salaire brut au maximum, à charge pour le salarié de démontrer l’existence et l’étendue de son préjudice. Or M. [Z] sollicite une somme exorbitante correspondant à plus de 21 mois de salaire. Elle conclut à la limitation de la somme allouée à la somme de 15 150 euros bruts correspondant à 3 mois de salaire.
Compte tenu des circonstances du licenciement et de la situation du salarié, il lui sera alloué la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
V – Sur les demandes accessoires :
– Sur la remise documentaire :
La société ICE sera condamnée à remettre à M. [Z] une attestation Pôle Emploi rectifiée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
En revanche, les circonstances de l’espèce ne justifient pas que cette condamnation soit assortie d’une astreinte.
Par ailleurs, les demandes salariales de M. [Z] étant rejetée, le jugement déféré qui a rejeté sa demande de remise des bulletins de paies rectifiés pour la période août 2017 à août 2020 sous astreinte sera confirmé.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.
Les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
Aucune des parties ne succombant au principal, elles supporteront chacune la charge de leurs propres dépens de première instance et d’appel.
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 14 novembre 2022 par le conseil de prud’hommes de Dijon sauf en ce qu’il a :
– dit que la convention de forfait en jours est régulière et opposable,
– dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
– rejeté la demande de M. [D] [Z] à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
– alloué à M. [D] [Z] la somme de 4 462,82 euros à titre de rappel de prime variable,
– condamné la société International Constructions Est à payer à M. [D] [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la convention de forfait en jours est privée d’effet,
DIT que le licenciement de M. [D] [Z] est nul,
CONDAMNE la société International Constructions Est à payer à M. [D] [Z] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
REJETTE la demande de M. [D] [Z] à titre de rappel de prime variable,
CONDAMNE la société International Constructions Est à remettre à M. [D] [Z] une attestation Pôle Emploi rectifiée,
REJETTE la demande au titre de l’astreinte,
REJETTE les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel,
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024, signé par M. Olivier MANSION, président de chambre et Mme Juliette GUILLOTIN, greffier.
Le greffier Le président
Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION
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