Cour d’appel de Colmar, 24 janvier 2024, N° RG 22/03736
Cour d’appel de Colmar, 24 janvier 2024, N° RG 22/03736

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Colmar

Résumé

Le 28 juin 2021, la SA Graines [S] a mis en demeure M. [W] [V] de régler 6 542,91 euros pour des factures impayées. Après l’absence de paiement, la société a assigné M. [V] devant le tribunal de Mulhouse. Le 29 juillet 2022, le tribunal a rejeté les demandes de la SA Graines [S], estimant que la société n’avait pas prouvé la vente des marchandises. En appel, la cour a infirmé ce jugement, condamnant M. [V] à verser 7 959,03 euros à la SA Graines [S], tout en rejetant la demande de clause pénale.

MINUTE N° 35/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 24 janvier 2024

La greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 JANVIER 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03736 –

N° Portalis DBVW-V-B7G-H522

Décision déférée à la cour : 29 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Mulhouse

APPELANTE :

La S.A. GRAINES [S]

représentée par son représentant légal

ayant siège [Adresse 1] à [Localité 3]

représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, Avocat à la cour

INTIMÉ :

Monsieur [W] [V]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 4]

non représenté, assigné à personne le 19 janvier 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Septembre 2023, en audience publique, et, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Nathalie HERY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie HERY, Conseillère faisant fonction de Présidente

Madame Myriam DENORT, Conseillère

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE

En présence de Madame Ophélie CRAMILLY, Greffière stagiaire

ARRÊT réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie HERY, Conseillère faisant fonction de Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 28 juin 2021, la SA Graines [S], dont l’activité est la vente de semences potagères et florales et de jeunes plants, a mis en demeure M. [W] [V] de lui payer la somme de 6 542,91 euros correspondant à des factures impayées de livraison de marchandises et à l’indemnité légale en cas de retard de paiement.

Faute de règlement de cette somme et se prévalant du non-paiement de nouvelles factures, la société Graines [S], le 3 mai 2022, a fait assigner M. [W] [V] en paiement devant le tribunal judiciaire de Mulhouse lequel par jugement réputé contradictoire du 29 juillet 2022 a :

rejeté la demande de condamnation au paiement de factures couvrant la période du 31 mars 2020 au 30 juin 2021 ;

rejeté la demande de condamnation au titre d’une clause pénale ;

rejeté la demande au titre de l’article L.441-6 du code de commerce ;

rejeté la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SA Graines [S] aux dépens.

Après avoir rappelé les dispositions des articles 472 du code de procédure civile et 1353 du code civil, le tribunal a considéré que la demande de la société Graines [S] n’était pas fondée, faute pour ladite société de rapporter la preuve de la vente des matériels en cause.

Il a ainsi fait état de ce que la société Graines [S] produisait :

– la copie d’un document intitulé « grand livre » dont la sincérité comptable ne pouvait être présumée en l’absence d’autres éléments comptables,

– des factures ne comportant pas la signature du défendeur,

– des lettres de voitures avec des numéros et des numéros d’ordre différents des numéros de bons de livraison des factures précitées, lettres, par ailleurs, pour certaines, signées par des tiers et non par M. [V],

– une lettre recommandée avec accusé de réception, reçue le 2 juillet 2021 par M. [W] [V], valant mise en demeure de payer la somme de 6 542,91 euros.

Il a retenu qu’il était impossible de déterminer si les lettres de voiture correspondaient aux factures produites dites impayées et en a déduit que la société Graines [S] ne rapportait pas la preuve de la vente à M. [W] [V] des matériels visés dans les factures précitées couvrant la période du 31 mars 2020 au 30 juin 2021 et ne le mettait pas en mesure d’imputer valablement les sommes payées par M. [W] [V].

La société Graines [S] a formé appel à l’encontre de ce jugement par voie électronique le 5 octobre 2022.

L’instruction a été clôturée le 4 juillet 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 28 juin 2023, la société Graines [S] demande à la cour de :

déclarer son appel recevable et bien fondé ;

y faisant droit :

infirmer le jugement entrepris ;

statuant à nouveau :

condamner M. [W] [V] à lui payer la somme de 7 959,03 euros en principal, augmentée des intérêts au taux de la BCE majoré de 10 points à compter du 28 juin 2021 ;

condamner M. [W] [V] à lui payer une somme de l 193,85 euros au titre de la clause pénale, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2021 ;

condamner M. [W] [V] à lui payer un montant de 1 000 euros au titre de l’article L.441-6 du code de commerce augmenté des intérêts au taux légal à compter du 28 juin 2021 ;

condamner M. [W] [V] aux entiers frais et dépens ainsi qu’à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Graines [S] fait valoir que, dans le monde agricole, il existe un usage selon lequel les parties s’abstiennent d’établir un écrit au moment de la prise de commande, lequel usage, en l’espèce, trouve application puisque la commande portait sur la distribution de semences potagères florales et de jeunes plants.

Elle argue donc qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de se constituer une preuve littérale en raison des usages professionnels.

Elle en déduit qu’en vertu de l’article 1358 du code civil, hors le cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être rapportée par tout moyen, l’article 1360 du même code prévoyant que les règles de preuve prévues à l’article 1359 du même code reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ou lorsque l’écrit a été perdu par la force majeure.

Elle mentionne, d’une part, un arrêt de la cour de cassation du 28 février 1995 qui a retenu qu’il était nécessaire de rechercher si le vendeur n’avait pas été dans l’impossibilité de se procurer un écrit en raison de l’usage fréquent, en matière agricole, de conclure les contrats verbalement et de se contenter de la parole donnée et, d’autre part, un arrêt de la cour d’appel de Reims qui a retenu la pratique des parties consistant à procéder par un contrat verbal suivi d’une confirmation de commande.

Elle souligne que la pratique des parties ressort d’attestations de Mme [Y], commerciale en charge de ce client, de Mme [T], comptable et de M. [Z] [S], l’impossibilité de se pré-constituer un écrit signé par les parties rendant admissible la preuve par tout moyen et en particulier par preuve testimoniale.

Elle précise que M. [V] a passé commande à plusieurs reprises et a même demandé que soit livré du matériel directement à son client final en 2021.

Elle indique produire :

les accusés de réception de commandes, la mention des factures correspondantes à ces avis de réception de commande ayant été portée manuellement par son avocat sur les documents intitulés «accusé de réception de commande», pour permettre un rapprochement entre les factures et les avis de réception de commande,

le compte client depuis 2019 montrant la mise en place de prélèvements à compter de janvier 2020 à raison de 200 euros par mois, l’irrégularité des paiements en raison des rejets de paiements puis le paiement du 28 juin 2021 de 652,19 euros.

S’agissant des conditions générales, la société Graines [S] soutient que leur acceptation par M. [V] résulte des relations d’affaires continues entretenues entre les parties, ces conditions figurant au demeurant dans le catalogue remis à l’ensemb1e des clients sur la base duquel est passée commande, de sorte que, d’une part, le montant en principal doit être augmenté des intérêts conventionnels au taux de la BCE majorés de 10 points à compter du 28 juin 2021, date de la mise en demeure et, d’autre part, M. [V] doit être condamné à payer une somme de 1 193, 85 euros représentant 15% du montant des factures impayées au titre de la clause pénale figurant dans ses conditions générales de vente ainsi qu’un montant de 1 000 euros au titre de l’article L.441-6 du code de commerce, à savoir 40 euros de pénalité par facture impayée.

La déclaration d’appel et les conclusions d’appel ont été signifiées à M. [V] à sa personne le 19 janvier 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens de la société Graines [S] aux conclusions transmises à la date susvisée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préalable, il est rappelé que M. [V] n’ayant pas constitué avocat, il est réputé s’approprier les motifs du jugement entrepris tel que le prévoit l’article 954 du code de procédure civile.

L’article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Aux termes des dispositions de l’article 1359 du code civil, l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret soit 1 500 euros doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.

L’article 1360 du même code prévoit que les règles de l’article 1359 reçoivent exception notamment en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ou s’il est d’usage de ne pas établir un écrit.

L’analyse du grand livre auxiliaire produit par la société Graines [S] dont la sincérité comptable n’est pas à mettre en doute dès lors que sont produites toutes les factures qui y sont visées, lesquelles n’ont pas besoin d’être signées par M. [V] pour être valables, permet de constater que le premier défaut de paiement qu’elle impute à ce dernier concerne la facture du 30 juin 2020 n°200604669 qui n’a été que partiellement réglée. Ce même document permet également de vérifier qu’avant cette date, à compter du 31 mars 2020, trois factures avaient déjà été émises par la société Graines [S] libellées au nom de M. [W] [V], lesquelles sont produites, et que celui-ci a procédé à six règlements de 200 euros qui se sont imputés sur ces premières factures, ce qui tend à démontrer qu’en amont des factures litigieuses, des relations commerciales s’étaient établies entre les parties à l’occasion desquelles aucune des commandes n’avait donné lieu à la rédaction préalable d’un écrit, le bon de livraison du 27 avril 2020 témoignant de la pratique existante de la livraison directe à un tiers, en l’occurrence le GAEC Goepfert et Fils.

Il convient donc de considérer que les relations existantes entre les parties en amont des factures litigieuses, au demeurant dans un secteur d’activité rurale, sont de nature à caractériser l’impossibilité morale visée par l’article 1360 du code civil.

La société Graines [S] produit les lettres de voiture correspondant à chacune des factures impayées lesquelles attestent de la livraison des marchandises visées par lesdites factures, soit chez M. [W] [V], soit au GAEC Goepfert et Fils, aucun élément permettant de mettre en doute la capacité de leur signataire.

Il y a donc lieu de condamner M. [W] [V] à payer à la société Graines [S] la somme 7 959,03 euros.

Les factures litigieuses indiquent que les ventes effectuées par la société Graines [S] se font aux conditions de son catalogue. Cependant, lesdites conditions ne sont pas annexées auxdites factures et n’étaient pas plus annexées aux factures antérieures à celles dont le paiement est réclamé  et il n’est pas établi qu’elles aient été acceptées par M. [V] en toute connaissance de cause. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande de l’appelante au titre de la clause pénale.

En revanche, les factures antérieures à celles dont le paiement est réclamé indiquaient clairement que les sommes dues produisaient intérêts au taux de la BCE majorés de 10 points et qu’une indemnité forfaitaire de 40 euros était due de plein droit pour toute situation de retard de paiement, de sorte que M. [W] [V] a eu connaissance de la cette pratique commerciale avant les factures litigieuses du fait du paiement des factures antérieures.

Par conséquent :

la somme de 7 959,03 euros doit produire intérêts au taux de la BCE majorés de 10 points à compter de la réception de la mise en demeure du 28 juin 2021 soit le 2 juillet 2021 sur la somme de 5 410,72 euros et à compter du 3 mai 2022, date de l’assignation, pour le surplus,

M. [W] [V] est condamné à payer à la société Graines [S] la somme de 1 000 euros à titre d’indemnité pour frais de recouvrement, considération prise que l’ensemble des vingt-cinq factures émises par cette dernière soit ont été payées avec retard, soit sont restées impayées, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2022, date de l’assignation.

Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la société Graines [S] tendant au paiement des factures couvrant la période du 31 mars 2020 au 30 juin 2021 et au titre de l’article L.441-6 du code de commerce.

Il est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de condamnation au titre de la clause pénale.

Sur les dépens et les frais de procédure

Le jugement entrepris est infirmé de ces chefs.

M. [W] [V] est condamné aux dépens de la procédure de premier ressort et d’appel.

Il est condamné à payer à la société Graines [S] la somme de 2 000 euros pour ses frais de procédure exposés en premier ressort et à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 29 juillet 2022 en ce qu’il a :

rejeté la demande de condamnation au paiement de factures couvrant la période du 31 mars 2020 au 30 juin 2021 ;

rejeté la demande au titre de l’article L.441-6 du code de commerce ;

rejeté la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SA Graines [S] aux dépens ;

CONFIRME pour le surplus le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 29 juillet 2022 ;

Statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE M. [W] [V] à payer à la SA Graines [S] :

la somme de 7 959,03 euros (sept mille neuf cent cinquante-neuf euros et trois centimes) avec intérêts au taux de la BCE majorés de 10 points à compter du 2 juillet 2021 sur la somme de 5 410,72 euros (cinq mille quatre cent dix euros et soixante-douze centimes) et à compter du 3 mai 2022 pour le surplus ;

la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre d’indemnité pour frais de recouvrement avec intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2022 ;

CONDAMNE M. [W] [V] aux dépens de la procédure de premier ressort et de la procédure d’appel ;

CONDAMNE M. [W] [V] à payer à la SA Graines [S] la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure exposés en premier ressort et à hauteur d’appel.

La greffière, La conseillère,

 


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