Cour d’appel de Colmar, 22 octobre 2024, RG n° 23/03711
Cour d’appel de Colmar, 22 octobre 2024, RG n° 23/03711

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Colmar

Thématique : Conflit sur la nature du lien contractuel entre un agent commercial et une société d’éclairage public

 

Résumé

Le litige entre Monsieur [R] [N] et la SARL HP Project porte sur la nature du lien contractuel. Monsieur [R] [N] prétend avoir été salarié de la société entre janvier 2019 et février 2020, tandis que la SARL HP Project soutient qu’il était agent commercial. Le conseil des prud’hommes a jugé que l’absence de contrat écrit et de preuves de subordination ne permettait pas d’établir un contrat de travail. En appel, la cour a confirmé cette décision, soulignant que Monsieur [R] [N] exerçait son activité de manière indépendante, sans lien de subordination, et a condamné ce dernier aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

22 octobre 2024
Cour d’appel de Colmar
RG n°
23/03711

CKD/KG

MINUTE N° 24/846

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 22 OCTOBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 23/03711

N° Portalis DBVW-V-B7H-IFJ5

Décision déférée à la Cour : 21 Septembre 2023 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [R] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Aurélie BETTINGER, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMEE :

S.A.R.L. HP PROJECT

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 383 44 2 6 70 38

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Lionel BINDER, avocat au barreau de MULHOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme BESSEY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL HP Project, créée en octobre 1991, qui avait à l’origine une activité de promotion immobilière s’est reconvertie dans le domaine de l’éclairage public à compter de 2014. Le gérant de la société est Monsieur [S] [U] depuis sa création.

En septembre 2018 Monsieur [R] [N], né le 14 octobre 1958, ancien salarié d’une entreprise suisse, a rencontré Monsieur [S] [U] et lui proposait de commercialiser les produits de la SARL HP Project en Suisse, puis en Alsace.

Finalement Monsieur [R] [N] a, le 21 février 2020, signé un contrat d’agent commercial avec la SARL HP Project prévoyant notamment la possibilité de recruter des sous agents commerciaux. Il aurait dans ce contexte notamment embauché son fils Monsieur [W] [N], ainsi que Monsieur [T] [Y].

Le 26 avril 2021 la SARL HP Project a résilié le contrat d’agent commercial, puis par courrier du 28 mai 2021 a procédé à la rupture anticipée du contrat avant le terme de la période de préavis.

Le 25 octobre 2021 Monsieur [R] [N], à l’instar de Messieurs [W] [N], et [T] [Y], invoquant un contrat de travail, a saisi le conseil des prud’hommes de Mulhouse.

Monsieur [R] [N] soutient avoir conclu avec la SARL HP Project un contrat de travail du 02 janvier 2019 au 21 février 2020, et réclame de ce chef paiement de diverses sommes, dont 33.326,24 € bruts à titre de salaire.

Par jugement du 21 septembre 2023 le conseil des prud’hommes, jugeant que la preuve de l’existence d’un contrat de travail n’était pas rapportée, a désigné la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse compétente pour connaître du litige, a renvoyé l’affaire devant cette juridiction, et a réservé les dépens.

Monsieur [R] [N] a le 13 octobre 2023 interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 27 octobre 2023, l’appelant a été autorisé à assigner la société intimée à l’audience du 24 mai 2024.

Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 octobre 2023, Monsieur [R] [N] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau de dire et juger qu’il est lié à la SARL HP Project par un contrat de travail du 02 janvier 2019 au 21 février 2020, et en conséquence dire et juger que le conseil des prud’hommes est matériellement compétent pour statuer sur ses demandes, en rappelant celles-ci.

Il demande en conséquence à la cour de renvoyer les débats devant le conseil des prud’hommes de Mulhouse, et de condamner la société intimée, outre aux entiers frais et dépens de l’instance, à lui payer 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 février 2024 la SARL HP Project demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, et de condamner Monsieur [N] aux dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est, en application de l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé aux conclusions de l’appelant pour plus ample exposé des faits, et moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Le contrat de travail se définit comme une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution, et de sanctionner les manquements du subordonné.

Par ailleurs s’agissant de la charge de la preuve, en présence d’un contrat apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve, et qu’à l’inverse en l’absence de contrat apparent, il appartient à celui qui se prétend salarié d’apporter la preuve de l’existence du contrat qu’il invoque.

En l’espèce il n’existe pas de contrat écrit, pas de bulletins de paye, pas de déclaration d’embauche, ni aucun autre élément matériel qui permettrait à Monsieur [R] [N] de se prévaloir d’un contrat de travail apparent, de sorte qu’il supporte la charge de la preuve.

****

Afin d’établir l’existence d’un lien de subordination, Monsieur [R] [N] se prévaut notamment de comptes rendus d’activité journalière durant la période litigieuse (pièce 4). La société intimée conteste n’avoir jamais demandé, ni reçu ces documents. Force est de constater qu’il s’agit d’un relevé des activités de Monsieur [N] rédigé sur papier libre, ne comportant strictement aucune trace d’envoi à la société HP Project, pas même par mail, alors que les parties utilisaient couramment ce moyen d’échange.

Aucun élément ne permet d’établir que les offres de prix, devis, ou études sur des propositions d’éclairage d’un terrain de football, ou de communes effectuées par Monsieur [N] l’aient été dans le cadre d’un lien de subordination. Il n’existe pas d’ordres, ou de directives concernant ces travaux effectués par l’appelant, qui sont tout à fait compatibles avec une activité d’agent commercial.

Les échanges de mails entre Monsieur [R] [N] et Monsieur [S] [U] là encore n’établissent pas un lien de subordination, mais plutôt des échanges d’ordre technique, ou d’informations sur des précédents, compte tenu de l’expérience et de la compétence de Monsieur [U]. D’ailleurs ces messages sont parfois clôturés par des « cordialement », des « bizzz, ou tribises », étrangères à un lien de subordination.

Enfin la carte de visite de Monsieur [R] [N] en qualité de directeur commercial a été établie par lui-même, ce qu’il ne conteste pas. Elle n’est pas établie au nom de la SARL HP Project, mais sous l’intitulé « HP Proled » qui est une marque commerciale afférente à la gamme de produits vendus par la société.

À l’inverse la SARL HP Project verse aux débats en pièce 9 un mail du 27 mai 2019 dans lequel Monsieur [N] tout en envoyant deux commandes demande à Monsieur [U] de « me conserver les commissions afférentes. J’attendrais des plus gros montants pour créer ma micro-entreprise et déclarer ces montants, si tu en est d’accord ». Ainsi selon les propres écrits de Monsieur [N], celui-ci ne se considérait pas comme un salarié.

De la même manière par un mail du 19 février 2020 il envoie à la société le tableau des sept ventes effectuées entre le 19 juin 2019 et le 29 novembre 2019, en précisant : « Salut [S]. Voici l’état de mes ventes de 2019 qui normalement devraient être payées (‘) merci de me faire l’état en retour de mes commissions avec la distinction entre les fournitures et les prestations de MO. Je te remercie de me les régler par virement sur le compte dont tu trouveras en autre P.J. le RIB (je n’ai pas encore le RIB de mon nouveau compte pro ouvert sur un compte en ligne, mais ça sera pour les prochaines commissions). ». Ainsi l’appelant qui se prétend salarié n’a pas réclamé le paiement mensuel de ses commissions, les regroupant sur une période de cinq mois, en plaçant très clairement son activité sous le régime d’agent commercial. Il n’a jamais dans ses échanges évoqué l’existence d’un contrat de travail, avant la rupture du contrat postérieur d’agent commercial.

Il résulte de la procédure que Monsieur [N] exécutait sa prestation en toute indépendance, qu’il s’organisait en totale autonomie, sans contrainte horaire, et sans qu’aucun cadre ne lui soit fixé, ni que des ordres, ou des directives ne lui soient adressés, ou qu’un contrôle soit effectué par la société intimée.

C’est par conséquent à juste titre que le conseil des prud’hommes a jugé que Monsieur [R] [N] a exercé son activité en dehors de tout lien de subordination, de sorte que la preuve de l’existence d’un contrat de travail durant la période du 02 janvier 2019 au 21 février 2020 n’est pas rapportée.

En l’absence de contrat de travail, le conseil des prud’hommes est en effet incompétent pour statuer sur les demandes formulées par Monsieur [N].

Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu’il désigne la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse pour connaître du litige, ordonne le renvoi de la procédure à cette juridiction, et réserve les dépens.

L’appelant qui succombe en toutes ses prétentions est condamné aux dépens de la procédure d’appel, et sa demande de frais irrépétibles ne peut-être que rejetée.

L’équité commande par ailleurs de le condamner à payer à la SARL HP Project la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant publiquement par arrêt contradictoire

CONFIRME le jugement rendu le 21 septembre 2023 par le conseil des prud’hommes de Mulhouse en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

CONDAMNE Monsieur [R] [N] aux entiers dépens de la procédure d’appel ;

Le DÉBOUTE de sa demande au titre l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [R] [N] à payer à la SARL HP Project la somme de 1.500 € (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024 et signé par Madame Christine DORSCH, Président de Chambre, et par Madame Claire BESSEY, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


 


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