Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Chambéry
Thématique : Dénonciation calomnieuse de l’employeur : les conditions
→ RésuméPour obtenir réparation suite à une dénonciation calomnieuse, la victime doit prouver la fausseté des faits dénoncés et démontrer que le dénonciateur agissait de mauvaise foi, conscient de l’inexactitude des accusations. Selon l’article 226-10 du code pénal, la dénonciation calomnieuse implique des faits susceptibles d’entraîner des sanctions, connus pour être faux. Dans le cas de M. [P], relaxé des accusations d’abus de confiance, la cour a confirmé que l’employeur n’avait pas agi de mauvaise foi, car des éléments justifiaient ses interrogations sur les livraisons de fioul. Ainsi, la demande de M. [P] a été rejetée.
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Pour pouvoir prétendre à la réparation de son préjudice, la victime de dénonciation calomnieuse doit non seulement prouver la fausseté des faits dénoncés, mais encore que le dénonciateur était de mauvaise foi et a agi en ayant conscience de la fausseté des faits dénoncés et du risque de sanction auquel il expose la victime.
L’article 226-10 du code pénal
En application de l’article 226-10 du code pénal, la dénonciation calomnieuse est celle, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée, soit, en dernier ressort, à un journaliste, au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
La fausseté du fait dénoncé
Les deuxième et troisième alinéas de ce texte disposent que la fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée. En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.
Un cadre relaxé d’abus de confiance
En l’espèce, il est constant que M. [P] a été définitivement relaxé des faits d’abus de confiance pour lesquels il était poursuivi au motif «qu’il ressort des éléments du dossiers et des débats qu’il convient de relaxer des fins de la poursuite [P] [H]».
Une telle formulation ne permet pas de retenir que cette relaxe aurait été prononcée «au bénéfice du doute», de sorte que c’est à tort que le premier juge a considéré que la fausseté des faits dénoncés n’est pas établie.
En effet, la décision de relaxe telle qu’elle ressort du jugement du tribunal correctionnel du 3 décembre 2020, exclut la commission de faits délictueux par M.[P].
Toutefois, pour pouvoir prétendre à la réparation de son préjudice, la victime de dénonciation calomnieuse doit non seulement prouver la fausseté des faits dénoncés, mais encore que le dénonciateur était de mauvaise foi et a agi en ayant conscience de la fausseté des faits dénoncés et du risque de sanction auquel il expose la victime.
Or en l’espèce, il résulte des éléments produits que, en présence de livraisons de fuel au domicile de M. [P], facturées à l’employeur, ce dernier était fondé à s’interroger sur cette pratique. En effet, l’avantage en nature dont M. [P] se prévaut ne résulte d’aucun écrit, ni des bulletins de salaire, de sorte que la pratique apparaît pour le moins discutable.
Par ailleurs, les pièces produites ne révèlent aucune mauvaise foi de l’employeur ou de son représentant et M. [P] affirme, sans le prouver, qu’un stratagème aurait été mis en place pour le piéger et justifier son licenciement.
En effet, si les faits dénoncés par la société Etablissements [X] ne sont pas constitutifs d’une infraction, il n’en demeure pas moins que M. [P] a reconnu s’être fait livrer du fuel à son domicile facturé à son employeur, même s’il semble avoir, par la suite, réglé la facture correspondante, après qu’elle ait été rejetée par l’employeur (pièce n° 11 des intimés: note d’audience devant le tribunal correctionnel).
Les pièces produites aux débats et les échanges entre les parties ne mettent pas en évidence que l’employeur ait cherché un motif de licenciement à l’encontre de M.[P], ni qu’il ait remis en cause sciemment, et dans ce but, une pratique antérieure connue et acceptée de lui. La plainte déposée par la société Etablissements [X] révèle que des soupçons sont apparus concernant le comportement de M. [P] à divers titres, et que, en considération des éléments qu’il avait recueillis, il n’est aucunement démontré que l’employeur aurait eu conscience de la fausseté des faits dénoncés, ni qu’il aurait alors agi de mauvaise foi.
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Mercredi 17 Mai 2023
N° RG 21/02219 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G3AW
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BONNEVILLE en date du 18 Octobre 2021, RG 1121000252
Appelant
M. [H] [P]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 6] – ESPAGNE, demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Serpil LEVET-TERZIOGLU de l’AARPI QUERE & LEVET AVOCATS, avocat au barreau d’ANNECY
Intimés
M. [V] [X]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4]
S.A.S. ETABLISSEMENTS [X], dont le siège social est sis [Adresse 4] – prise en la personne de son représentant légal
Représentés par Me Franck PARISE, avocat au barreau d’ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 14 mars 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. [H] [P] a été salarié de la société Etablissements [X] à compter de 1979. Il occupait un poste de directeur magasin et logistique, avec le statut de cadre. Il avait notamment pour fonction de veiller à l’approvisionnement en fioul des différents dépôts de la société, et à ce titre il passait les commandes auprès du fournisseur et en contrôlait les factures.
A la fin de l’année 2018, la société Etablissements [X] a découvert que M.[P] s’était fait livrer 1 567 litres de fioul à son domicile pour son usage personnel tout en faisant établir la facture à l’ordre de la société.
C’est ainsi que, après entretien préalable, la société Etablissements [X] a notifié à M. [P] son licenciement pour faute grave par courrier recommandé du 8 février 2019, fondé sur le détournement de 1 567 litres de fioul au préjudice de la société.
Parallèlement à ce licenciement, la société a déposé plainte contre M. [P] auprès du procureur de la république du tribunal de Bonneville pour abus de confiance.
M. [P] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Bonneville.
Après enquête, M. [P] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bonneville pour abus de confiance. Par un jugement du 3 décembre 2020, le tribunal correctionnel a relaxé M. [P] des fins de la poursuite.
Postérieurement, par jugement du 5 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Bonneville a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [P] et a condamné l’employeur à lui verser diverses sommes en réparation de ce licenciement. La société Etablissements [X] a interjeté appel de ce jugement.
Estimant avoir été victime d’une dénonciation calomnieuse de la part de la société Etablissements [X] et de M. [V] [X], par actes délivrés le 17 mai 2021, M. [P] les a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bonneville aux fins d’indemnisation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire rendu le 18 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Bonneville :
s’est déclaré compétent matériellement,
a débouté M. [P] de l’intégralité de ses demandes,
a débouté la société Etablissements [X] et M. [X] de leur demande de dommages et intérêts,
a condamné M. [P] à payer à la société Etablissements [X] et à M. [V] [X] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
a condamné M. [P] aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 12 novembre 2021, M. [P] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 12 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [H] [P] demande en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 226-10 du code pénal, 470 du code de procédure pénale, 1355 du code civil, 125 et 457 du code de procédure civile, 1240’et 1241 du code civil, et 700 du code de procédure civile,
déclarer l’appel recevable et bien fondé,
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– débouté M. [P] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné M. [P] à payer à la société Etablissements [X] et à M. [V] [X] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [P] aux dépens de l’instance.
en conséquence, statuant à nouveau,
déclarer les moyens, demandes et conclusions des défendeurs et intimés irrecevables par application de l’autorité de chose jugée, en tous les cas mal fondés,
déclarer les défendeurs et intimés responsables in solidum des dommages causés à M. [P] du fait des dénonciations calomnieuses qu’ils ont articulées contre lui,
condamner les défendeurs et intimés solidairement à payer à M.[P] la somme de 9 150 euros avec les intérêts de droit à compter du 23 mars 2021, date de la sommation, au titre des dommages et intérêts,
condamner les défendeurs et intimés solidairement à payer à M.[P] la somme de 6 000 euros avec les intérêts de droit au titre des frais irrépétibles prévues à l’article 700 du code de procédure civile,
condamner les défendeurs et intimés solidairement aux entiers dépens,
confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
sur l’appel incident, déclarer les demandes, moyens et conclusions des défendeurs et intimés irrecevables en tous les cas mal fondés, les en débouter.
Par conclusions notifiées le 13 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Etablissements [X] et M. [V] [X] demandent en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles L. 1411-1 et suivants du code du travail,
Vu l’article 226-10 du code pénal,
Vu les articles 1240’et 1241 du Code civil,
confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [P] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné à payer à la société Etablissements [X] et M. [X] la somme de 800 euros titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance,
l’infirmer pour le surplus,
statuant à nouveau,
condamner M. [P] à payer à la société Etablissements [X] et à M. [X] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
y ajoutant, condamner M. [P] à payer à la société Etablissements [X] et à M. [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [P] aux entiers dépens.
L’affaire a été clôturée à la date du 20 février 2023 et renvoyée à l’audience du 14 mars 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 17 mai 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
En application de l’article 226-10 du code pénal, la dénonciation calomnieuse est celle, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée, soit, en dernier ressort, à un journaliste, au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Les deuxième et troisième alinéas de ce texte disposent que la fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée. En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.
En l’espèce, il est constant que M. [P] a été définitivement relaxé des faits d’abus de confiance pour lesquels il était poursuivi au motif «qu’il ressort des éléments du dossiers et des débats qu’il convient de relaxer des fins de la poursuite [P] [H]».
Une telle formulation ne permet pas de retenir que cette relaxe aurait été prononcée «au bénéfice du doute», de sorte que c’est à tort que le premier juge a considéré que la fausseté des faits dénoncés n’est pas établie.
En effet, la décision de relaxe telle qu’elle ressort du jugement du tribunal correctionnel du 3 décembre 2020, exclut la commission de faits délictueux par M.[P].
Toutefois, pour pouvoir prétendre à la réparation de son préjudice, la victime de dénonciation calomnieuse doit non seulement prouver la fausseté des faits dénoncés, mais encore que le dénonciateur était de mauvaise foi et a agi en ayant conscience de la fausseté des faits dénoncés et du risque de sanction auquel il expose la victime.
Or en l’espèce, il résulte des éléments produits que, en présence de livraisons de fuel au domicile de M. [P], facturées à l’employeur, ce dernier était fondé à s’interroger sur cette pratique. En effet, l’avantage en nature dont M. [P] se prévaut ne résulte d’aucun écrit, ni des bulletins de salaire, de sorte que la pratique apparaît pour le moins discutable.
Par ailleurs, les pièces produites ne révèlent aucune mauvaise foi de l’employeur ou de son représentant et M. [P] affirme, sans le prouver, qu’un stratagème aurait été mis en place pour le piéger et justifier son licenciement.
En effet, si les faits dénoncés par la société Etablissements [X] ne sont pas constitutifs d’une infraction, il n’en demeure pas moins que M. [P] a reconnu s’être fait livrer du fuel à son domicile facturé à son employeur, même s’il semble avoir, par la suite, réglé la facture correspondante, après qu’elle ait été rejetée par l’employeur (pièce n° 11 des intimés: note d’audience devant le tribunal correctionnel).
Les pièces produites aux débats et les échanges entre les parties ne mettent pas en évidence que l’employeur ait cherché un motif de licenciement à l’encontre de M.[P], ni qu’il ait remis en cause sciemment, et dans ce but, une pratique antérieure connue et acceptée de lui. La plainte déposée par la société Etablissements [X] révèle que des soupçons sont apparus concernant le comportement de M. [P] à divers titres, et que, en considération des éléments qu’il avait recueillis, il n’est aucunement démontré que l’employeur aurait eu conscience de la fausseté des faits dénoncés, ni qu’il aurait alors agi de mauvaise foi.
En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M.[P] de l’intégralité de ses demandes.
Les intimés réclament des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Toutefois, l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas en soi constitutive d’une faute, et l’exercice d’une action en justice ne dégénère en abus que lorsqu’elle révèle une faute ou une erreur grave dont la commission a entraîné un préjudice pour le défendeur.
Dès lors que M. [P] a été relaxé des poursuites engagées à son encontre sur la foi de la dénonciation faite par son employeur, l’action engagée sur le fondement de la dénonciation calomnieuse, bien que mal fondée, ne peut être considérée comme abusive.
Le jugement déféré sera encore confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts des défendeurs.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Etablissements [X] et de M. [X] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de leur allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [P], qui succombe en son appel, supportera les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bonneville le 18 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [H] [P] à payer à la société Etablissements [X] et à M. [V] [X] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [H] [P] aux entiers dépens de l’appel.
Ainsi prononcé publiquement le 17 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente
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