Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Caen
Thématique : La preuve est partagée en matière d’insuffisance professionnelle
→ RésuméLe licenciement de Mme [V] par la société Renault retail group pour insuffisance professionnelle a été jugé sans cause réelle et sérieuse par le conseil de prud’hommes. Malgré des allégations de carences dans son management et ses connaissances produits, l’employeur n’a pas fourni de preuves concrètes. La cour a confirmé le jugement initial, condamnant Renault à verser 7 288 euros de dommages et intérêts, ainsi qu’une somme supplémentaire pour couvrir les frais d’appel. Mme [V] a contesté le montant des indemnités, réclamant davantage pour licenciement injustifié, mais la cour a maintenu l’évaluation des premiers juges.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Caen
RG n°
23/00861
N° Portalis DBVC-V-B7H-HF6T
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 16 Mars 2023 – RG n° 21/00205
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 24 OCTOBRE 2024
APPELANTE :
S.A. RENAULT RETAIL GROUP
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Claire VOIVENEL, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Olivier GILLIARD, avocat au barreau d’AVESNES-SUR-HELPE
INTIMEE :
Madame [D] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Noémie HUET, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 24 juin 2024, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller, rédacteur
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 24 octobre 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
Le 1er novembre 2019 elle a nommé chef de groupe véhicules neufs sur l’établissement RRG de [Localité 2].
Le 16 décembre 2020, elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle avec préavis de 3 mois.
Le 29 avril 2021, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Caen aux fins de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir paiement de dommages et intérêts à ce titre.
Par jugement du 16 mars 2023 le conseil de prud’hommes de Caen a :
– dit que licenciement est sans cause réelle et sérieuse
– condamné la société Renault retail group à payer à Mme [V] les sommes de :
– 7 288 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté Mme [V] du surplus de ses demandes
– débouté la société Renault retail group de ses demandes reconventionnelles
– condamné la société Renault retail group aux dépens.
La société Renault retail group a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’ayant condamnée au paiement des sommes précitées et déboutée de ses demandes.
Pour l’exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 18 décembre 2023 pour l’appelante et du 30 mai 2024 pour l’intimée.
La société Renault retail group demande à la cour de :
– infirmer le jugement en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’ayant condamnée au paiement des sommes précitées
– débouter Mme [V] de toutes ses demandes
– condamner Mme [V] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [V] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
– l’infirmer sur le quantum des dommages et intérêts accordés et condamner la société Renault retail group à lui payer les sommes de :
– 22 500 euros à titre de dommages et intérêts
– 3 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 19 juin 2024.
La lettre de licenciement expose que l’exercice de ses fonctions par Mme [V] ne correspondant pas à ce que l’employeur est en droit d’attendre il a été fait part à cette dernière des inquiétudes quant à ses carences et qu’un plan de progrès individuel a ét émis en place en mai 2020 pour l’accompagner et la faire progresser, que néanmoins malgré l’accompagnement et les formations reçues de nombreux manquements professionnels ont été constatés quant à l’organisation et au contrôle de l’activité vente (méconnaissance de la gamme produits, désintérêt voire ignorance des offres commerciales mensuelles ne permettant pas d’accompagner les vendeurs sur le terrain dans l’acte de vente, non application des règles basiques comme par exemple sur la revente d’un véhicule de service avec un kilométrage de 184 alors qu’il doit en avoir un d’au moins 9000, absence d’accueil des clients en attente de renseignements présents dans le showroom devant son bureau), quant à l’animation de l’équipe de vente (défaillance liée à l’organisation de l’équipe en ne s’assurant pas de la planification de la présence de l’équipe, absence de suivi et de visite régulière de l’équipe Daciabox dont elle a la charge comme par exemple l’absence de mise à niveau des prix et articles présentés, manque de régularité dans la construction des plans de vente, du suivi des performances et des bilatérales vendeurs, absence de management des leads internet de l’équipe) et plus généralement quant au management (absence de management, défaut d’initiative et d’anticipation sur les besoins de l’activité et de l’équipe et nécessité permanente de lui demander de réaliser les missions via la hiérarchie) et que l’ensemble de ces incompétences a engendré une perte de crédibilité auprès de l’équipe et a eu des conséquences sur les résultats de l’activité (contreperformance de l’équipe Dacia : -36,9% commandes à fin octobre 2020 vs fin octobre 2019 pour RRG France à -29,7%, taux de satisfaction clients Renault dacia : 81,7% à fin octobre 2020 vs 87,5% à fin octobre 2019).
Il est constant que l’affectation à la fonction de chef de groupe vente véhicules neufs à [Localité 2] s’est faite à l’initiative de l’employeur.
Mme [V] soutient qu’elle avait été embauchée dans le cadre d’un graduate program qui lui permettait de bénéficier pendant deux ans d’une formation et de découvrir l’entreprise en étant accompagnée et suivie régulièrement et que c’est avant même que ce graduate program ait été achevé qu’elle a été affectée à [Localité 2] alors que ses connaissances devaient être encore approfondies.
Elle se prévaut de la définition du graduate program donnée sur le site internet qui présente celui-ci comme un accélérateur de carrière ayant pour objectif la montée en compétences sur des postes opérationnels de jeunes talents et de ma mention dans ses bulletins de salaire ‘GP chef de groupe’.
La société Renault retail group, qui conteste s’être engagée à fournir à Mme [V] une quelconque formation professionnelle, indique toutefois dans ses conclusions que les profils recrutés dans le cadre du graduate program sont intégrés à une équipe, directement placés sur des fonctions de management et accompagnés dans l’apprentissage de l’acquisition d’une autonomie et du développement du potentiel et que c’est dans ce cadre que Mme [V] a été embauchée en tant que manager.
Il s’en déduit qu’elle reconnaît l’intégration de Mme [V] à ce graduate program dont elle admet qu’à tout le moins elle impliquait un accompagnement dans l’apprentissage de l’acquisition d’une autonomie et du développement du potentiel.
Et elle ne saurait soutenir que cet accompagnement s’est réalisé par le biais du plan de progrès individuel signé le 13 mai 2020 alors qu’elle expose par ailleurs en toutes lettres que ce plan était un outil destiné à aider et accompagner un salarié qui se trouve en difficultés et qu’il a été signé en l’espèce à raison du fait que Mme [V] n’était pas aux attendus.
Les seules formations dont elle justifie sont une formation CVC-4020 d’une heure le 9 septembre 2020 et CPC-4020 de 4 heures le 14 octobre 2020 dont l’objet n’est pas plus précisément indiqué, une formation chef de groupe véhicules neufs sur le site du [Localité 6] du 2 au 5 juin 2020 dont le contenu n’est pas non plus davantage précisé et les formations école du management du 2 au 6 septembre 2009 et du 15 au 18 octobre.
Il sera encore relevé qu’aucune pièce n’est fournie sur les difficultés qu’aurait rencontrées Mme [V] entre sa prise de fonction à [Localité 2] et le début du confinement de mars 2020 et que le
plan de progrès inviduel ayant été signé le 13 mai 2020 il l’a été au retour du confinement et après seulement 4 mois et demi d’activité.
Si des documents intitulés ‘engagement de respect des standards d’activité métier’ sont produits, ils ne sont pas signés de Mme [V] pas plus qu’un quelconque document daté de mai 2020, date du conclusion du plan.
Le premier document signé de Mme [V] est un bilan au 8 juillet 2020 qui fait état d’une période de juin dense avec une charge de travail en complément de la gestion RH demandée qui entraîne une forte pression ayant conduit à réduire le nombre d’attendus, qu’un accompagnement est en place et que les sujets sont en cours d’appréhension et doivent être maîtrisés et pérennisés.
En septembre 2020 est signé un nouveau document qui indique que Mme [V] n’est pas aux attendus du poste, ne va pas spontanément au contact des clients et indique ne plus avoir la patience de le faire, que son niveau est trop faible pour la confirmer dans son poste.
Le troisième document portant bilan en octobre 2020 n’est quant à lui pas signé de Mme [V] de sorte qu’il ne peut être soutenu qu’elle a accepté et validé ce qu’il contient.
Y sont énumérées en substance les insuffisances telles que reproduites ensuite dans la lettre de licenciement (à l’exception de la question des tenues vestimentaires, des horaires et de l’utilisation du téléphone personnel), la fiche étant signée du manager Mme [H].
Il sera relevé en outre que le plan d’action énumérait des objectifs de progrès avec des indicateurs chiffrés et contenait également des éléments chiffrés au titre des points d’avancement successifs mais que ces éléments chiffrés ne sont pas ceux commentés par le manager et qu’ils ne sont pas repris ni dans la lettre de licenciement ni dans les conclusoins.
Le manager fait état d’une méconnaissance de la gamme produits et des offres commerciales, Mme [V] la conteste et aucun exemple précis n’est donné par le manager traduisant cette méconnaissance pas plus que par l’employeur dans le cadre du litige.
S’agissant du non-respect des règles de vente basiques un seul exemple est donné concernant la revente d’un véhicule de service de seulement 184 km.
À ce sujet Mme [V] expose que régulièrement des véhicules sont revendus avec moins de 9000 kms et moins de 3 mois d’ancienneté et produit trois témoignages de collègues qui attestent d’une pratique régulière et autorisée de vente de véhicules de service à peine immatriculés, témoignages non utilement contestés par l’employeur.
Le fait que Mme [V] n’aille pas spontanément vers les clients est évoqué par le manager en octobre mais sans exemple concret et aucun autre élément n’attestant de difficultés rencontrées par la clientèle sur ce point n’est produit, étant relevé que le seul fait que le bilan mentionne que Mme [V] indique ne plus avoir la patience d’aller au contact des clients et ait signé ce document dans des conditions relativement indéterminées quant à ses possibilités de faire réellement des observations ne suffit pas à considérer comme établie une insuffisance précise et quantifiable quant aux relations avec la clientèle.
Le manager évoque une absence de suivi et de visite régulière de l’équipe Dacia box mais sans indiquer quelle forme aurait dû prendre ce suivi et à quelle cadence et aucun élément n’atteste autrement de difficultés rencontrées à ce niveau.
Le manque d’organisation est décrit comme lié au fait qu’à deux reprises a été observé un manque d’anticipation dans le remplacement d’un collègue absent.
Seul un exemple précis est donné, échange de SMS à l’appui, datant du 11 mai et l’explication de Mme [V] suivant laquelle elle-même étant placée en activité partielle par suite du confinement ne pouvait entrer en contact avec ses équipes n’est pas utilement contestée.
L’absence de régularité dans la construction des plans de vente, le suivi des performances établissements et des bilatérales vendeurs est énoncé par le manager mais là encore sans indication concrète des délais qui auraient dû être respectés, des suivis qui auraient dû être effectués, de la forme qu’auraient dû prendre les plans et le suivi et Mme [V] verse à cet égard aux débats une copie de plan de vente et des documents relatifs aux bilatérales vendeurs qui n’appellent pas de critiques utiles et précises sur ce en quoi ils ne correspondraient pas aux attendus.
Il doit être encore observé que les pièces 15,16 et 17 de l’employeur (simples fiches animation réseau et mail de la directrice de transmission de chiffres sans autres commentaires) n’apportent aucune preuve de ce que celle-ci aurait été contrainte de faire des tâches qui incombaient à Mme [V] et que la pièce 28 consistant en un échange ponctuel de SMS aux termes duquel la directrice demande à Mme [V] si elle a accompli telle tâche(ce à quoi celle-ci répond que oui) n’établit pas le besoin constant d’accompagnement prétendu.
S’agissant de la perte de crédibilité auprès de l’équipe et au non-respect d’échéances essentielles il est là encore procédé par affirmations générales sans exemples précis, témoignages ou éléments chiffrés tandis que Mme [V] verse aux débats trois attestations émanant d’anciens collègues se disant satisfaits de leurs conditions de travail et du management de Mme [V] présente, impliquée et à l’écoute.
Enfin, aucune explication n’est donnée dans le cadre de l’instance sur les prétendues contre-performances visées dans la lettre de licenciement et sont encore moins produites de quelconques pièces ni la moindre démonstration du lien entre les chiffres prétendus et le comportement de Mme [V].
En cet état de production par l’employeur des seuls commentaires généraux du manager figurant dans les bilans du plan de progrès individuel à l’exclusion de tout autre élément de preuve (éléments chiffrés, témoignages, correspondances) et alors que si la preuve est partagée en matière d’insuffisance professionnelle elle ne repose pas sur la seule salariée contrairement à ce que soutient l’employeur en énonçant que Mme [V] n’apporte pas la preuve inverse concernant des griefs alors qu’il ne fait quant à lui que les évoquer sans fournir d’éléments suffisamment précis et convaincants de leur existence.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse à raison de l’absence de preuve de carences professionnelles de Mme [V].
Ceci ouvre droit à des dommages et intérêts calculés en application des dispositoins de l’article L.1235-3 du code du travail qu’il n’y pas lieu d’écarter.
En effet, d’une part, eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la charte sociale européenne révisée, les dispositions de l’article 24 de celle-ci ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
D’autre part, aux termes de l’article 10 de la Convention n°158 de l’organisation internationale du travail (OIT), les organismes mentionnés à l’article 8 de la convention doivent, s’ils arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée, que ces stipulations sont d’effet direct en droit interne, que selon la décision du Conseil d’administration de l’OIT le terme ‘adéquat’ visé à l’article 10 signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Or, les dispositions des articles L.1235-3, L.1235-3-1 et L.1235-4 du code du travail, et notamment celles de l’article L.1235-3 qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 précité avec les stipulations duquel elles sont compatibles.
En l’espèce, compte tenu de l’ancienneté (1 an à la date de notification du licenciement), du salaire perçu (montant non contesté de 3 763 euros) et de la situation postérieure au licenciement (Mme [V] a retrouvé un emploi de conseillère commerciale de mars à juin 2021, a occupé à compter de septembre 2021 un emploi de vendeuse, a entamé un processus de bilan professionnel et a créé en 2022 une entreprise sous l’enseigne Bodyhit), le montant des dommages et intérêts a été exactement évalué par les premiers juges.
LA COUR
Confirme le jugement entrepris.
Y ajoutant, condamne la société Renault retail group à payer à Mme [V] la somme complémentaire de 1 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel.
Condamne la société Renault retail group aux dépens de l’instance d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. ALAIN L. DELAHAYE
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