Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Caen
Thématique : Affaire France travail : les obligations d’information de l’assuré social et la notion d’indu
→ RésuméDans l’affaire opposant Mme [B] [P] à Pôle emploi Normandie, la cour a confirmé le jugement initial qui déclarait recevable l’opposition de Mme [P] à la contrainte de remboursement de 7461,14 euros pour des allocations indûment perçues. Pôle emploi n’a pas prouvé le caractère indu des allocations, et Mme [P] a respecté ses obligations d’information concernant sa formation. La cour a également condamné Pôle emploi aux dépens de la procédure d’appel, déboutant les deux parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles. Cette décision souligne l’importance de la preuve dans les litiges relatifs aux allocations.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Caen
RG n°
21/01925
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZEM
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 17 Mai 2021- RG n° 20/04083
COUR D’APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 22 OCTOBRE 2024
APPELANTE :
FRANCE TRAVAIL, anciennement POLE EMPLOI NORMANDIE,
[Adresse 4]
[Localité 3]
pris en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Jean-Jacques SALMON, substitué par Me BAUGE, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉE :
Madame [B] [P]
née le 10 Octobre 1967 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée et assistée de Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022021008231 du 09/12/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CAEN)
DÉBATS : A l’audience publique du 20 juin 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAUBIER, Conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 22 Octobre 2024 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [B] [P], bénéficiaire de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, a suivi une formation délivrée par l'[6] du 17 juillet 2017 au 30 juin 2018.
Le 23 novembre 2020, Pôle emploi Normandie a émis une contrainte à l’encontre de Mme [P] pour avoir remboursement d’une somme totale de 7461,14 euros correspondant à un indu d’allocation d’aide au retour à l’emploi versée au titre de la période du 17 juillet 2017 au 30 juin 2018.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 4 décembre 2020, Mme [P] a formé opposition à cette contrainte notifiée par courrier recommandé avec avis de réception reçu le 26 novembre 2020.
Par jugement du 17 mai 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
– déclaré recevable l’opposition formée par Mme [P] à l’encontre de la contrainte en date du 23 novembre 2020 ;
– débouté Pôle emploi Normandie de sa demande en paiement diligentée à l’encontre de Mme [P] ;
– condamné Pôle emploi Normandie au paiement des dépens.
Par déclaration du 1er juillet 2021, Pôle emploi, prise en établissement Pôle emploi Normandie, a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 mai 2023, France travail, prise en son établissement France travail Normandie (anciennement Pôle emploi Normandie) demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau, de :
– déclarer Mme [P] irrecevable en sa demande tendant à voir juger partiellement prescrite sa créance ; à titre subsidiaire, la déclarer mal fondée en son moyen de prescription ;
En tout état de cause,
– condamner Mme [P] à lui payer la somme de 7 461,62 euros au titre des allocations indûment perçues entre le 17 juillet 2017 et le 30 juin 2018 et ce avec intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2020 ;
– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes, y compris de délais de paiement ;
– condamner Mme [P] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– condamner Mme [P] aux entiers dépens, en ce compris les frais afférents à la procédure de contrainte.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 23 juin 2022, Mme [P] demande à la cour de :
– dire Pôle emploi Normandie mal fondé en son appel ;
A titre principal,
– confirmer le jugement en date du 17 mai 2021 en ce qu’il a :
* déclaré recevable l’opposition formée par elle à l’encontre de la contrainte en date du 23 novembre 2020 ;
* débouté Pôle emploi Normandie de sa demande en paiement diligentée à son encontre ;
* condamné Pôle emploi Normandie aux dépens ;
– débouter Pôle emploi Normandie de l’ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– lui accorder un délai de deux ans pour s’acquitter de sa dette ;
En tout état de cause,
– condamner Pôle emploi Normandie à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Pôle emploi aux dépens.
Par ordonnance du 17 mai 2023, le président de chambre chargé de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [B] [P] au titre de la prescription de la créance du Pôle emploi de Normandie, débouté ce dernier de sa demande de communication de pièces, débouté les deux parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et dit que le sort des dépens de l’incident suivra celui des dépens de l’instance au fond.
L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 22 mai 2024.
Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Liminairement, il sera observé que si France travail Normandie sollicite l’infirmation du jugement dont appel en toutes ses dispositions, elle ne formule aucune demande tendant à voir déclarer Mme [P] irrecevable en son opposition et ne développe au demeurant aucun moyen à l’appui de sa demande d’infirmation.
Dès lors, le jugement ne pourra qu’être confirmé en ce qu’il a déclaré Mme [P] recevable, celle-ci ayant valablement formé opposition à la contrainte émise le 23 novembre 2020 par Pôle emploi par lettre recommandée avec avis de réception reçue au greffe le 4 décembre 2020, soit dans le délai de quinze jours prévu par l’article R. 5426-22 du code du travail, nonobstant l’absence de production de l’accusé de réception de la notification de la contrainte faite par l’établissement.
Par ailleurs, il sera constaté que dans le dernier état de ses prétentions, Mme [P] ne soulève plus aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance de France travail, celle-ci ayant été rejetée par ordonnance du président de la présente chambre du 17 mai 2023, de sorte que la demande de l’appelant tendant à voir déclarer Mme [P] irrecevable et subsidiairement mal fondée de ce chef, est sans objet.
– Sur la répétition de l’indu :
Le tribunal a débouté Pôle emploi Normandie de sa demande au motif que ‘l’établissement ne justifiait pas des raisons l’ayant conduit à considérer que des prestations indues avaient été versées à Mme [P].’
France travail Normandie soutient au contraire justifier de sa créance à l’égard de Mme [P], laquelle ne pouvait pas cumuler l’allocation versée par la Région dans le cadre de sa formation et les allocations versées au titre de l’aide au retour à l’emploi. Elle reproche à l’intimée de pas l’avoir avisée de sa demande de rémunération faite auprès de la Région, alors que le président du conseil régional avait informé Mme [P] par courrier du 7 septembre 2017 que celle-ci serait rémunérée avec effet à compter du 17 juillet 2017. Elle rappelle au demeurant que Mme [P] a reconnu lui être redevable de la somme réclamée et a déjà bénéficié d’un échelonnement de sorte qu’elle devra être en tout état de cause déboutée de sa demande de délais de paiement.
A titre confirmatif, Mme [P] réplique avoir parfaitement rempli ses obligations en informant Pôle emploi de son entrée en formation alors que l’appelante ne justifie pas davantage en cause d’appel les motifs pour lesquels elle ne pouvait pas percevoir d’allocations au titre de l’aide au retour à l’emploi pendant la durée de sa formation ce, alors que le cumul de l’allocation chômage et de la rémunération d’une formation est possible.
A titre subsidiaire, l’intimée demande qu’un délai de paiement de deux ans lui soit accordé pour s’acquitter de sa dette.
Sur ce,
Aux termes de l’article R5411-6 du code du travail dans sa version en vigueur du 25 mai 2014 au 1er juillet 2024 et applicable au cas d’espèce, ‘Les changements affectant la situation au regard de l’inscription ou du classement du demandeur d’emploi et devant être portés à la connaissance de l’opérateur France Travail, en application du second alinéa de l’article L. 5411-2, sont les suivants :
1° L’exercice de toute activité professionnelle, même occasionnelle ou réduite et quelle que soit sa durée ;
2° Toute période d’indisponibilité due à une maladie, une maternité, à un accident de travail, une incorporation dans le cadre du service national ou une incarcération ;
3° La participation à une action de formation, rémunérée ou non ;
4° L’obtention d’une pension d’invalidité au titre des 2° et 3° de l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ;
5° Pour le travailleur étranger, l’échéance de son titre de travail.’
L’article 1302 du code civil dispose que ‘Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. La restitution n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.’
L’article 1302-1 du même code précise que ‘Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.’
Aux termes de l’article 1353 du code civil, ‘Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.’
En l’espèce, il ressort des pièces produites par France travail que le 28 avril 2017, Pôle emploi a notifié à Mme [P] l’ouverture de ses droits à l’allocation d’aide au retour à l’emploi, en l’informant du montant net de l’allocation journalière, du calcul de ses droits et de ses obligations, lui rappelant notamment son obligation de signaler un changement de situation dans les termes de l’article R.5411-6 du code du travail précité.
Il apparaît en outre que par courrier du 24 juillet 2017, la même institution a informé Mme [P] que sa demande de formation d’orientation professionnelle avait été validée dans le cadre de son projet professionnel et acceptée, celle-ci d’une durée 35 heures hebdomadaire (847 heures au total) devant se dérouler du 17 juillet 2017 au 19 janvier 2018, l’organisme financeur en étant la Région.
Le courrier précisait que l’organisme de formation avait l’obligation de lui remettre un descriptif de cette formation, ainsi qu’un devis détaillé, notamment s’il restait des frais à sa charge, l’invitant à se rapprocher de l’organisme de formation à cette fin.
En outre, il était expressément indiqué : ‘Vous percevrez l’allocation d’aide au retour à l’emploi jusqu’à la fin de formation.
L’indemnisation est conditionnée notamment par : l’entrée effective du stage, l’assiduité du stagiaire, l’actualisation en fin de mois.’
Enfin, il est constant que par courrier du 6 septembre 2017 le Président de la Région Normandie a informé Mme [P] que la Région avait décidé de lui accorder une rémunération pour la formation qu’elle suivait pour la période comprise entre le 17 juillet 2017 et le 19 janvier 2018.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments, qu’en premier lieu, Pôle emploi avait été informé de la participation de Mme [P] à la formation suivie du 17 juillet 2017 au 19 janvier 2018 alors que l’institution avait elle-même notifié à l’allocataire son inscription de sorte qu’aucun grief ne peut être dirigé à l’encontre de Mme [P] de ce chef.
En second lieu, si l’article R5411-6 du code du travail impose au demandeur d’emploi d’informer Pôle emploi de sa participation à une action de formation, rémunérée ou non, elle ne l’oblige pas rigoureusement à informer l’organisme d’éventuels revenus complémentaires perçus à cette occasion ce, alors que le courrier de notification adressé par Pôle emploi le 24 juillet 2017 renseignait Mme [P] du versement de l’allocation de retour à l’emploi pendant toute la durée de la formation, sans que celui-ci ne soit conditionné par l’absence de perception de quelques autres revenus par ailleurs.
En dernier lieu, ainsi que le premier juge l’a relevé, au-delà du respect de l’obligation d’information à laquelle est tenue l’allocataire, Pôle emploi ne démontre pas le caractère indu
des allocations dont il réclame le remboursement, aucun texte n’étant visé de nature à établir que Mme [P] ne pouvait pas continuer de percevoir l’allocation de retour à l’emploi alors qu’une rémunération lui était versée par la Région au titre de la formation suivie.
Il sera au demeurant relevé que Pôle emploi a émis une contrainte au titre d’un indu correspondant à la formation suivie du 17 juillet 2017 au 30 juin 2018 alors que la dite formation était prévue jusqu’au 19 janvier 2018 et que rien ne vient établir que Mme [P] ait poursuivi sa formation au-delà de cette date. De surcroît, l’attestation de fin de formation produite par France Travail au soutien de sa demande (pièce 3), fait état d’une toute autre formation rémunérée par la Région (cap métiers de la cuisine)suivie par Mme [P] du 20 juillet 2018 au 21 juin 2019, soit durant une période non concernée par l’indu invoqué.
Au regard de ces éléments, le document signé par Mme [P] par lequel celle-ci reconnaît devoir la somme réclamée de 7461,62 euros, et qui ne sera suivi d’aucun règlement, ne saurait suffire à fonder la demande de France Travail au titre de la répétition de l’indu.
Il en résulte que l’action en répétition de l’indu engagée par Pôle emploi Normandie devenue France travail Normandie n’est pas fondée.
En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement sera confirmé s’agissant des dépens.
Succombant en appel, France travail Normandie sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel et déboutée de sa demande présentée au titre de ses frais irrépétibles.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 en faveur de l’une ou l’autre des parties, étant rappelé que Mme [P] bénéficie de l’aide juridictionnelle totale.
La cour,
Statuant dans les limites de l’appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déclare sans objet la demande de France travail Normandie tendant à voir déclarer Mme [B] [P] irrecevable et subsidiairement mal fondée en sa demande tendant à ‘voir juger partiellement prescrite la créance de Pôle emploi Normandie en raison de la prescription de sa créance’ ;
Déboute France travail Normandie de toutes ses demandes, en ce compris de celle formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [B] [P] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne France travail Normandie aux entiers dépens de la procédure d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON
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