Cour d’appel de Bordeaux, 24 octobre 2016
Cour d’appel de Bordeaux, 24 octobre 2016

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Bordeaux

Thématique : Je suis Charlie : une marque déposée ?

Résumé

Le dépôt de la marque « Je suis Charlie » a été refusé par l’INPI en raison de son manque de caractère distinctif, suite à plus de 140 tentatives d’appropriation à des fins mercantiles. Les juges ont confirmé que ce slogan, largement utilisé, ne pouvait pas être enregistré comme marque, car il contrevient à l’ordre public. De plus, un particulier a demandé le remboursement des frais de dépôt, mais a été débouté, l’INPI n’ayant pas déclaré le dépôt irrecevable. Ce cas illustre les enjeux liés aux dépôts frauduleux, qui, bien que fréquents, peinent à obtenir une validation.

Dépôt de marque refusé

Cette décision sur la validité du dépôt de la marque « Je suis Charlie » était attendue. L’INPI avait décidé, suite aux nombreuses demandes de dépôt à titre de marque du slogan solidaire « Je suis Charlie » (pas moins de 140 personnes ont cru pouvoir tenter de s’approprier ce slogan à des fins mercantiles), de ne pas enregistrer ces demandes de dépôt en ce qu’elles ne répondaient pas au critère du caractère distinctif. En effet, la marque a pour fonction essentielle d’identifier les produits et services du déposant, or ce slogan a fait l’objet d’une utilisation généralisée et indifférenciée.

Saisis de l’affaire, les juges ont confirmé l’impossibilité de ce dépôt en raison de l’une des conditions clés de la validité d’un dépôt de marque : ne peut être adopté comme marque un signe contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (L711-3 du code de la propriété intellectuelle).

Remboursement des frais de dépôt

Suite au refus d‘enregistrement opposé par l’INPI sur « Je suis Charlie », un particulier l’a mise en demeure de lui rembourser la somme de 200 euros qu’il avait acquittée à titre de redevance de dépôt par paiement en ligne.

Là aussi le déposant a été débouté : les frais de dossier INPI ne peuvent être remboursés qu’en cas d’irrecevabilité du dépôt. Or, en l’espèce, l’INPI n’a pas déclaré le dépôt irrecevable, mais y a fait objection, mesure provisoire avant rejet.  En cas d’opposition, le déposant dispose d’un délai de deux mois pour régulariser la demande ou contester l’objection.

Florilège de dépôts frauduleux de marques

A noter qu’en matière de dépôt de marque, les dépôts frauduleux ont le vent en poupe mais peu aboutissent. On en retiendra deux exemples récents :

« LOL » : la marque communautaire verbale « LOL » (laughing out loud) a été déclarée nulle pour défaut de caractère distinctif. Doté d’un sens autonome fort pour le consommateur moyennement attentif, il est de nature, en raison de son caractère banal et universel, à focaliser son attention sur cette signification communément admise, privant le signe de la fonction qu’il est censé remplir, à savoir celle de garantir l’origine du produit, le consommateur ne lui associant pas une origine commerciale déterminée.

« Halloween » : La Cour de cassation a jugé frauduleux et a annulé le dépôt du terme  Halloween par une société exerçant dans le domaine du conseil aux entreprises. Les juges ont retenu le caractère frauduleux de ce dépôt sur la base de mises en demeure envoyées par le déposant, à des professionnels de la confiserie et leur interdisant d’utiliser le terme « Halloween » sauf conclusion d’un contrat de licence de marque.  Cette tentative de « battre monnaie » associée à l’activité réelle du déposant ont emporté la conviction des juges : le dépôt avait été effectué dans un but étranger à la protection ou l’identification des produits/services de la société.

Fraus omnia corrumpit

En application du principe « fraus omnia corrumpit » (« la fraude corrompt tout »), un dépôt de marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou ultérieure.

La fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur d’un signe nécessaire à leur activité. Le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue. La notion de fraude est d’interprétation stricte.

Télécharger la décision

 

 


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