L’affaire concerne la demande en nullité de la marque ‘Vite Ma Dose’, déposée par M. [L] [G] et contestée par l’association Covidtracker et M. [E] [I]. L’INPI a reconnu la demande justifiée, arguant que M. [L] [G] avait agi de mauvaise foi, cherchant à tirer profit de la notoriété de l’outil développé par M. [I]. En conséquence, la cour a rejeté le recours de M. [L] [G] et a confirmé la nullité de la marque, soulignant que le dépôt portait atteinte aux intérêts légitimes d’un tiers, sans constituer une atteinte à l’ordre public. M. [L] [G] a été condamné à verser 6 000 euros.
Déposer à titre de marque le slogan (« Vite Ma Dose ») inventé par un contact avec qui l’on a échangé sur Twitter constitue une fraude au dépôt d’une marque.
Le code de la propriété intellectuelle protège des dépôts de marque frauduleux quiconque justifie d’un intérêt sciemment méconnu par le déposant, sans qu’il soit nécessaire d’être titulaire de droits sur le signe,
Il résulte des dispositions combinées des articles L 714-3 et L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le premier faisant renvoi exprès au second, que l’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
Il est constant que la mauvaise foi ne peut être évincée de la seule connaissance de l’usage antérieur du signe par un tiers mais de données objectives pertinentes appréciées globalement, au jour du dépôt de la demande, caractérisant de manière concordante l’intention du déposant de porter atteinte aux intérêts légitimes d’un tiers et de le priver ainsi d’un signe nécessaire à son activité, le dépôt procédant dès lors d’un objectif étranger au jeu de la libre concurrence, cette connaissance de l’usage antérieur du signe par un tiers constituant cependant la condition sine qua non de la mauvaise foi.
Par ailleurs, le signe Vite Ma Dose n’est pas contraire à l’ordre public. Il résulte des dispositions combinées des articles L 714-3 et L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le premier faisant renvoi exprès au second, que l’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt porte atteinte à l’ordre public.
L’atteinte à l’ordre public doit pareillement être appréciée à la date du dépôt de la marque au regard de la perception de ce signe par le public pertinent lors de son usage en tant que marque.
Est contraire à l’ordre public le dépôt d’une marque qui comporterait en soi une contravention aux normes sociales à laquelle la société adhère remettant en cause le fonctionnement de la société, la pérennité de l’Etat et des institutions.
Résumé de l’affaire
L’affaire concerne une demande en nullité de la marque verbale ‘Vite Ma Dose’ déposée par M. [L] [G] et contestée par l’association Covidtracker et M. [E] [I]. La demande en nullité a été reconnue justifiée par l’INPI, mais M. [L] [G] a formé un recours contre cette décision. Les parties demandent respectivement la confirmation ou la réformation de la décision de l’INPI. L’INPI considère que M. [L] [G] a agi de mauvaise foi en déposant la marque pour tirer profit de la notoriété de l’outil développé par M. [I]. L’affaire a été fixée à une audience collégiale et des observations ont été échangées entre les parties.
Les points essentiels
Les montants alloués dans cette affaire: – M. [L] [G] : 6 000 euros
– M. [E] [I] et l’association Covidtracker : 6 000 euros
Réglementation applicable
– Code de procédure civile
– Code de la propriété intellectuelle
Article 15 du Code de procédure civile:
Le juge doit faire respecter et respecter lui-même en toutes circonstances le principe de la contradiction, de sorte qu’il lui est interdit de fonder sa décision sur des faits ou moyens dont les parties n’auraient pas été mises en mesure de débattre.
Article 16 du Code de procédure civile:
Le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction.
Article 803 du Code de procédure civile:
L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
Article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle:
L’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
Article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle:
L’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt porte atteinte à l’ordre public.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Gaëlle CHEVREAU, avocat postulant au barreau de BORDEAUX
– Maître Carlo BRUSA de la SELAS CAB ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
– Maître Sylvain LEROY de la SELARL LEROY AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX
– Maître Benoît LEBRETON de la SARL SPARLANN, avocat plaidant au barreau de RENNES
Mots clefs associés & définitions
– Motifs de la décision
– Procédure
– Code de procédure civile
– Principe de la contradiction
– Ordonnance de clôture
– Conclusions tardives
– Révocation de la clôture
– Déloyal
– Révocation de l’ordonnance de clôture
– Réponse aux conclusions
– Réponse au fond
– Irrecevabilité
– Recours de M. [G]
– Directeur de l’INPI
– Nullité de la marque
– Mauvaise foi
– Connaissance antérieure
– Intention de priver illégitimement
– Code de la propriété intellectuelle
– Enregistrement de marque
– Annulation de marque
– Mauvaise foi du demandeur
– Intérêt sciemment méconnu
– Atteinte aux intérêts légitimes
– Recours de M. [I] et de l’association Covidtracker
– Atteinte à l’ordre public
– Perception du public pertinent
– Normes sociales
– Etat et institutions
– Vaccination contre la Covid 19
– Rendez-vous vaccinaux
– Marque ‘Vite Ma Dose’
– Anti-vaccin
– Politique publique
– Rejet du recours
– Article 700 du code de procédure civile
– Somme de 6 000 euros
– Dépens
– Motifs de la décision: Raisons ou arguments qui justifient la décision prise par le tribunal.
– Procédure: Ensemble des règles et étapes à suivre pour régler un litige devant un tribunal.
– Code de procédure civile: Ensemble des règles régissant la procédure civile en France.
– Principe de la contradiction: Obligation pour chaque partie à un procès de pouvoir prendre connaissance des arguments de l’autre partie et d’y répondre.
– Ordonnance de clôture: Décision du tribunal mettant fin à la phase d’instruction d’un procès.
– Conclusions tardives: Conclusions présentées par une partie après la date limite fixée par le tribunal.
– Révocation de la clôture: Annulation de l’ordonnance de clôture pour permettre la présentation de nouveaux éléments.
– Déloyal: Contraire à l’équité ou à la loyauté.
– Révocation de l’ordonnance de clôture: Annulation de la décision mettant fin à l’instruction du procès.
– Réponse aux conclusions: Réplique aux arguments présentés par l’autre partie.
– Réponse au fond: Réponse aux arguments de fond présentés par l’autre partie.
– Irrecevabilité: Caractère de ce qui ne peut être reçu, notamment en référence à une demande ou une requête.
– Recours de M. [G]: Action en justice intentée par M. [G] pour contester une décision.
– Directeur de l’INPI: Responsable de l’Institut National de la Propriété Industrielle.
– Nullité de la marque: Annulation de l’enregistrement d’une marque.
– Mauvaise foi: Agir de manière délibérée et malhonnête.
– Connaissance antérieure: Fait de connaître quelque chose avant un événement ou une décision.
– Intention de priver illégitimement: Volonté de priver de manière injuste ou illégale.
– Code de la propriété intellectuelle: Ensemble des lois régissant la propriété intellectuelle en France.
– Enregistrement de marque: Procédure permettant d’officialiser l’utilisation d’une marque.
– Annulation de marque: Décision de retirer une marque de l’enregistrement.
– Mauvaise foi du demandeur: Agir de manière malhonnête lors de la demande d’enregistrement d’une marque.
– Intérêt sciemment méconnu: Ignorer délibérément un intérêt légitime.
– Atteinte aux intérêts légitimes: Porter préjudice à des intérêts justifiés.
– Recours de M. [I] et de l’association Covidtracker: Action en justice intentée par M. [I] et l’association Covidtracker pour contester une décision.
– Atteinte à l’ordre public: Action ou situation portant préjudice à l’ordre public.
– Perception du public pertinent: Opinion ou vision du public concerné.
– Normes sociales: Règles ou conventions acceptées par la société.
– Etat et institutions: Pouvoirs publics et organismes officiels.
– Vaccination contre la Covid 19: Administration de vaccins pour lutter contre la Covid-19.
– Rendez-vous vaccinaux: RDV pour se faire vacciner.
– Marque ‘Vite Ma Dose’: Nom d’une marque liée à la vaccination contre la Covid-19.
– Anti-vaccin: Personne ou mouvement opposé à la vaccination.
– Politique publique: Ensemble des actions et décisions prises par les autorités publiques.
– Rejet du recours: Décision de refuser la demande de recours.
– Article 700 du code de procédure civile: Article du code de procédure civile concernant les frais de justice.
– Somme de 6 000 euros: Montant de 6 000 euros.
– Dépens: Frais liés à une procédure judiciaire.
REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
14 mai 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
23/00065
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 14 MAI 2024
PP
N° de rôle : N° RG 23/00065 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NBYY
[L] [G]
c/
[E] [I]
Association COVIDTRACKER
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : décision rendue le 08 décembre 2022 par le Directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle de COURBEVOIE (NL 21-0266) suivant recours en date du 04 janvier 2023
DEMANDEUR :
[L] [G]
né le 27 Janvier 1972 à [Localité 5] (78)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3]
représenté par Maître Gaëlle CHEVREAU, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Carlo BRUSA de la SELAS CAB ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
DEFENDEURS :
[E] [I]
né le 28 Avril 1996 à [Localité 4] (91)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 1]
Association COVIDTRACKER prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège social sis [Adresse 1]
représentés par Maître Sylvain LEROY de la SELARL LEROY AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Benoît LEBRETON de la SARL SPARLANN, avocat plaidant au barreau de RENNES
EN PRESENCE DE :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
représenté par Madame [H] [O], juriste, munie d’un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 mars 2024 en audience publique, en double rapporteur, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Paule POIREL, Président, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,et Monsieur Emmanuel BREARD, Conseiller,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Paule POIREL
Conseiller : M. Emmanuel BREARD
Conseiller : M. Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE
Ministère Public :
L’affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 4 mars 2024.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Le 22 décembre 2021, l’association loi 1901 Covidtracker et M. [E] [I] ont présenté une demande en nullité enregistrée sous la référence NL21-0266 contre la marque verbale ‘Vite Ma Dose’ n°21/4752691, déposée le 8 avril 2021.
L’enregistrement de cette marque dont M. [L] [G] est titulaire, a été publié au BOPI du 6 août 2021.
La demande en nullité porte sur l’ensemble des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir : ‘classe 35 : service de gestion informatisée de fichiers ; optimisation du trafic pour des sites internet ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ; location d’espaces publicitaires ; diffusion d’annonces publicitaires ; conseils en communication (relations publique)’.
Les demandeurs invoquent les motifs absolus selon lesquels ‘Le signe est contraire à l’ordre public’ et ‘la marque a été déposée de mauvaise foi’.
Au cours de la phase d’instruction, des observations ont été échangées.
Par décision NL 21-0266 du 8 décembre 2022, l’INPI a :
– reconnu la demande en nullité justifiée,
– déclaré nulle la marque n°21/4752691 pour l’ensemble des services désignés dans son enregistrement.
Par déclaration enregistrée au greffe le 4 janvier 2023, M. [L] [G] a formé un recours contre la décision rendue par l’INPI.
M. [L] [G], par dernières conclusions déposées le 1er mars 2024, il demande à la cour de :
Confirmer la décision rendue le 8 décembre 2022 par l’INPI en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de la marque déposée le 8 avril 2021 par M. [L] [G] sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public ;
Réformer la décision rendue le 8 décembre 2022 par l’INPI en ce qu’il a dit que la demande en nullité de la marque déposée le 8 avril 2021 par M. [L] [G] était justifiée sur le fondement de la mauvaise foi ;
Statuant à nouveau,
A titre principal
– rejeter la demande en nullité de la marque déposée le 8 avril 2021 par M. [L] [G] formée par M. [E] [I] et l’association Covidtracker ;
A titre subsidiaire
– prononcer la nullité de la marque déposée le 1er juin 2021 par l’association Covidtracker, enregistrée sous le numéro 4772290, en raison des motifs absolus de nullités qui y sont attachés ;
En tout état de cause
– condamner M. [E] [I] et l’association Covidtracker in solidum au paiement d’une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Gaelle Chevreau, avocat au Barreau de Bordeaux.
Il avait préalablement déposé des conclusions n°1 aux mêmes fins le 31 avril 2023 dans lesquelles sil ne concluait pas toutefois à la nullité de la marque déposée le 1er juin 2021 par l’association Covidtracker, enregistrée sous le numéro 4772290, en raison des motifs absolus de nullités qui y sont attachés.
M. [I] et l’association Covidtracker, par dernières conclusions déposées le 1er février 2024, demandent à la cour de :
Confirmer la décision rendue le 8 décembre 2022 par le Directeur de l’INPI en ce qu’il a considéré que la demande en nullité de la marque déposée le 8 avril 2021 par M. [L] [G] était justifiée sur le fondement de la mauvaise foi ;
Réformer la décision rendue le 8 décembre 2022 par le Directeur de l’INPI en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de la marque déposée le 8 avril 2021 par M. [L] [G] sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public ;
Et statuant à nouveau,
– déclarer aussi la marque française « VITEMADOSE » n°4752691 nulle pour atteinte à l’ordre public,
Dans tous les cas,
– condamner M. [L] [G] au paiement d’une somme de 8.000 (huit mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Sylvain Leroy, avocat au Barreau de Bordeaux.
Le directeur général de l’INPI a présenté ses observations par courrier transmis au greffe le 29 septembre 2023, dans lesquelles il fait valoir qu’il ressort de l’ensemble des circonstances objectives entourant le dépôt de la marque contestée que M. [L] [G] était manifestement animé d’une intention de tirer profit de la notoriété de l’outil développé par M. [I] et de le priver d’un signe nécessaire à son activité. L’INPI considère en revanche que la marque contestée n’est pas susceptible de porter atteinte à l’ordre public, de sorte que le recours incident formé sur ce fondement par M. [I] et l’association Covidtracker doit être rejeté.
Le 4 mars 2024, le ministère public a indiqué s’en rapporter.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 19 mars 2024.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 5 mars 2024.
M. [I] et l’association Covidtracker ont déposé des conclusions de procédure le 15 mars 2024.
Ils ont déposé des conclusions au fond le 16 mars 2024.
Lors de l’audience des plaidoiries la cour a soulevé d’office :
-la tardiveté des conclusions n° 2 déposées par M. [G] le 1er mars 2024 présentant une nouvelle demande et de nouvelles pièces en non respect des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile et l’absence de cause grave de révocation de la clôture,
-l’irrecevabilité des prétentions nouvelles de l’appelant de voir prononcer la nullité de la marque Covidtracker n° 4772293 au regard des dispositions des articles R 411-29, R 111-37 et R 411-38 du code de la propriété intellectuelle.
Les parties ont été autorisées à faire valoir leurs observations sur ces moyens relevés d’office au plus tard pour le 3 avril 2024.
Vu la note en délibéré du directeur de l’INPI en date du 2 avril 2024,
Vu la note en délibéré de M. [I] et de l’association Covidtracker le 2 avril 2024,
Vu la note en délibéré de M. [L] [G] le 3 avril 2024,
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la procédure :
En application des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile, le juge est tenu de faire respecter et de respecter lui même en toutes circonstances le
principe de la contradiction, de sorte qu’il lui est interdit de fonder sa décision sur des faits ou moyens dont les parties n’auraient pas été mises en mesure de débattre.
Par ailleurs, en application des dispositions de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
En l’espèce, sans solliciter la révocation de l’ordonnance de clôture dans le dispositif de ses écritures, ni en conséquence faire valoir aucun motif grave qui le justifierait, M. [G] a déposé le vendredi 1er mars 2024, au soir, à quelques heures du week-end et à deux jours ouvrés de la clôture dont les parties avaient été avisées depuis le 15 novembre 2023 qu’elle serait fixée au mardi 5 mars 2024, des conclusions contenant une demande nouvelle que rien ne lui interdisait de formuler dès les premières conclusions au fond de l’appelant, ainsi que 35 nouvelles pièces, lesquelles nécessitaient une réponse, n’ayant à l’évidence pas permis, ni au Directeur de l’INPI, ni au conseil de l’intimé d’en prendre connaissance, d’en faire part à son client et d’y répondre au plus tard pour le mardi 5 mars 2024, ce en non du principe du contradictoire et de manière parfaitement déloyale.
Si l’intimé a sollicité avant l’audience, par conclusions de procédure postérieures à la dite ordonnance, la révocation de la clôture, ce n’était qu’afin de lui garantir un accès au principe du contradictoire, pour préserver ses droits et lui permettre de conclure rapidement au fond entre la clôture et l’audience des plaidoiries pour l’hypothèse où les parties se seraient entendues sur la révocation de l’ordonnance de clôture.
Or, par la présente note en délibéré, alors qu’il appartenait à l’appelant qui déposait des conclusions tardives à deux jours ouvrés de la clôture, contenant une demande nouvelle et 35 nouvelles pièces, de solliciter le rabat de la clôture pour permettre à son adversaire et au Directeur de l’Inpi d’y répondre, M. [G] n’en a rien fait, reprochant désormais à M. [I] de n’avoir pas lui même sollicité dans les quatre jours de ses conclusions, et avant la clôture, la révocation de celle-ci, pour s’opposer finalement à cette révocation et demander de déclarer irrecevables les conclusions au fond des intimés en date du 16 mars 2024, comme postérieures à la clôture.
Par ailleurs, il importe peu que les parties puissent en matière de procédure ordinaire avec représentation obligatoire faire valoir de nouveau moyens jusqu’à la clôture alors que ce qui est ici reproché à M. [G] est d’avoir fait valoir une demande nouvelle et produit de nombreuses pièces nouvelles à deux jours ouvrés de la clôture sans avoir permis aux parties d’en débattre avant la clôture.
Quelle que soit par ailleurs la recevabilité procédurale de la demande au regard des dispositions du code de la propriété intellectuelle, les conclusions déposées par M. [G] le 1er mars 2024, sans solliciter la révocation de la clôture et qui ne respectent pas le principe de la contradiction, seront écartées des débats comme tardives et dès lors, en l’absence de motif grave justifiant la révocation de la clôture, les conclusions au fond en réponse déposées par les intimés le 16 mars 2024, postérieurement à la clôture, seront également déclarées irrecevables.
Sur le recours de M. [G] :
M. [G] conteste la décision du Directeur de l’Inpi qui a fait droit à la demande de l’association Covidtracker et de M. [E] [I] en nullité de la marque verbale ‘Vite Ma Dose’ n° 21/4752691, déposée le 8 avril en classe 35, publiée au BOPI le 6 août 2021, pour mauvaise foi, en ce sens que M. [G] n’a pu ignorer au regard des pièces produites par les demandeurs et compte tenu de l’importante couverture dont a bénéficié, en pleine période de pandémie où la question de la vaccination était une préoccupation majeure des français, l’usage antérieur du signe verbal ‘Vite Ma Dose’ par les demandeurs en tant que marque et nom de domaine pour des services de promotion des dates de rendez-vous pour la vaccination, de sorte qu’au regard de ces circonstances, c’est de mauvaise foi, de manière déloyale et dans l’intention de priver illégitimement un tiers de ses intérêts légitimes sur le signe que M. [G] a déposé le signe verbal ‘Vite Ma Dose’ en tant que marque.
Il conteste que soit démontrée sa connaissance antérieure de l’outil ‘Vite Ma Dose’ au moment du dépôt de sa marque le 8 avril 2021 et partant sa mauvaise foi, prétend avoir lui même créé le signe Vite Ma Dose dont il a fait usage dès le premier confinement entre mars et mai 2020 et conteste avoir porté atteinte à un quelconque intérêt de M. [I] sur le signe alors même que celui-ci n’avait pas jugé bon déposer le signe Vite Ma Dose. Il observe ainsi, qu’au contraire, le dépôt en juin 2021 par M. [I] de la marque Vite Ma Dose visant des produits et services similaires est intervenu après que lui même ait réservé le nom de domaine ‘vitemadose’ le 3 avril 2021 et déposé la marque le 8 avril, n’ayant pas connaissance de l’outil créé par M. [I] ou l’association Covidtracker, laquelle n’avait encore pas d’existence légale n’ayant été déclarée en préfecture que le 27 avril 2021.
Il résulte des dispositions combinées des articles L 714-3 et L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le premier faisant renvoi exprès au second, que l’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
Il est constant que la mauvaise foi ne peut être évincée de la seule connaissance de l’usage antérieur du signe par un tiers mais de données objectives pertinentes appréciées globalement, au jour du dépôt de la demande, caractérisant de manière concordante l’intention du déposant de porter atteinte aux intérêts légitimes d’un tiers et de le priver ainsi d’un signe nécessaire à son activité, le dépôt procédant dès lors d’un objectif étranger au jeu de la libre concurrence, cette connaissance de l’usage antérieur du signe par un tiers constituant cependant la condition sine qua non de la mauvaise foi.
A titre liminaire, il sera rappelé que le code de la propriété intellectuelle protège des dépôts de marque frauduleux quiconque justifie d’un intérêt sciemment méconnu par le déposant, sans qu’il soit nécessaire d’être titulaire de droits sur le signe, de sorte que sont inopérantes les observations de M. [G] relatives à l’absence de dépôt antérieur du signe ‘Vite Ma Dose’ par M. [I] et l’association Covidtracker.
Sans contester la couverture médiatique dont a fait l’objet l’annonce par M. [I] de la création de l’outil ‘Vite Ma Dose’ permettant de détecter, dans chaque département, les prochains rendez-vous disponibles pour la vaccination contre la Covid 19, et notamment les parutions de cette annonce immédiatement antérieures au dépôt de la marque litigieuse (annonce sur le compte Twitter de M. [I] le 1er avril 2021, articles du Dauphiné, Parisien, France-Info, BFM Business et Midi-Libre entre le 2 et le 7 avril 2021), M. [G] fait valoir qu’ils ne suffisent à établir la connaissance qu’il en a eu personnellement alors que celle-ci ne peut relever que d’une appréciation in concreto.
Cependant, il n’émet plus devant la cour aucune contestation à l’observation des intimés et du Directeur de l’Inpi selon laquelle M. [G] a reproduit, le 3 avril 2021, sur son propre site internet ‘vitemadose.fr’ la page Web ‘Vite Ma Dose’ du site de M. [I] (Covidtracker.fr/vitemadose) comportant notamment les informations relatives à l’outil de Covidtracker ‘Vite Ma Dose’ et a eu avec M. [I] le même jour, 3 avril 2021, une conversation sur Twitter avec M. [I] à propos de ce même outil, ainsi qu’il résulte des pièces 32 et 38 des intimés et des pièces 6 et 7 de l’Inpi, constituées par des captures d’écran du site internet de M. [G] ainsi que de la conversation entre M. [I] et M. [G] des 3 et 4 avril 2021.
Quant au nom de domaine, vitemadose, M. [G] rappelle avoir déposé une demande de réservation de nom de domaine ‘vitemadose.fr’ et ‘vitemadose.com’ le 3 avril 2021, soit postérieurement à la publication sur le compte Twitter par M. [I] de la création de l’outil éponyme le 1er avril 2021 alors qu’il n’a pu ouvrir son compte Twitter avec référence à son nom de domaine ‘vitemadose.fr’ que postérieurement à cette réservation, voire le même jour 3 avril 2021.
Quant aux pièces 11, 12 13 versées aux débats par M. [G] consistant également en des captures d’écran de son site web ‘www.vitemadose.fr’, n’étant pas datées, elles ne sauraient constituer la preuve que M. [G] utilisait déjà, ainsi qu’il le prétend, le signe Vite Ma Dose qu’il aurait créé depuis le premier confinement en 2020 et en tous les cas antérieurement à M. [I].
Au contraire, les intimés observent pertinemment d’une part, et sans être utilement contredits sur ce point, que la piètre qualité du site et son absence de conformité aux dispositions légales relatives notamment à la RGPD, traduisent un site confectionné à la hâte pour les besoins de la cause et, d’autre part, qu’il est surprenant que M. [G] n’ait alors pas déposé sa marque en 2020 au moment du premier confinement, la cour observant qu’en outre ce dépôt dans la période litigieuse du début avril 2021, après que M. [I] a annoncé la création de cet outil le 1er avril 2021 et que la presse régionale et nationale s’en soit fait l’écho en suivant à compter du 2 avril 2021, apparaît d’autant plus suspect quant aux intentions de M. [G].
L’ensemble converge non seulement vers la connaissance par M. [G], dès l’annonce sur Twitter le 1er avril 2021, par M. [I], de la création de l’outil de prospection de rendez-vous de vaccination disponibles ‘Vite Ma Dose’, mais également vers sa mauvaise foi.
En effet, outre la conversation que celui ci a pu avoir, dès le 3 avril 2023, avec M. [I], marquant le très net intérêt de M. [G] pour cet outil qu’il qualifiait de ‘génial’, celui-ci s’est empressé de déposer à l’Inpi une demande d’enregistrement de la marque Vite Ma Dose, dès le 8 avril 2021, et c’est en l’espèce cette concordance de dates et le délai particulièrement court entre l’annonce de la création de l’outil par M. [I], le 1er avril, la réservation d’un nom de domaine ‘vitemadose’ le 3 avril, la teneur de la conversation qu’il a eu avec M. [I] le même jour et le dépôt de la marque, le 8 avril, pour des produits et services similaires, qui permettent de caractériser l’intention malveillante de M. [G] qui n’a agi que dans le seul souci de priver M. [I] de l’usage d’un signe nécessaire à son activité, en le prenant de court, peu important que M. [I] n’ait pour sa part pas déposé la marque ‘Vite Ma Dose’.
Le recours de M. [G] à l’encontre de la décision du Directeur de l’Inpi qui a fait droit à la demande d’annulation de la marque verbale n° 21/4752691 ‘Vite Ma dose’ sur le fondement de la mauvaise foi pour l’ensemble des services désignés dans l’enregistrement est en conséquence rejeté.
Sur le recours de M. [I] et de l’association Covidtracker :
Les intimés contestent la décision du directeur de l’Inpi en ce qu’elle a rejeté leur demande d’annulation de la marque verbale ‘Vite Ma Dose’ n° 21/44752691 sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public, au motif qu’au jour de son dépôt la marque, alors que le fort risque de confusion engendré par le dépôt de la marque entre celle-ci et l’outil créé par M. [I] telle que recherchée par M. [G] sur son site internet, ayant tout simplement ‘encapsulé’ la page ‘Vite Ma Dose’ sur son propre site, constitue une atteinte à l’ordre public, notamment dans un contexte sanitaire tendu, où l’accès aux vaccins était à la fois difficile et essentiel, où la création de cet outil se situait dans l’aide à l’action gouvernementale dans sa politique publique de vaccination, M. [I] ayant au contraire relayé un discours anti-vaccin contraire à une politique publique.
Il résulte des dispositions combinées des articles L 714-3 et L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le premier faisant renvoi exprès au second, que l’enregistrement d’une marque peut être annulé par décision de justice ou du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle lorsque le dépôt porte atteinte à l’ordre public.
L’atteinte à l’ordre public doit pareillement être appréciée à la date du dépôt de la marque au regard de la perception de ce signe par le public pertinent lors de son usage en tant que marque.
Est contraire à l’ordre public le dépôt d’une marque qui comporterait en soi une contravention aux normes sociales à laquelle la société adhère remettant en cause le fonctionnement de la société, la pérennité de l’Etat et des institutions.
Or, la marque ‘Vite Ma Dose’ créée par M. [I] est un outil permettant de gérer les rendez vous vaccinaux imposés par la pandémie de la Covid 19 ayant vocation à détecter dans chaque département des créneaux de vaccination disponibles en temps réel. Le signe verbal ‘Vite Ma Dose’ a été déposé par M. [G] en tant que marque dans la même classe visant les mêmes services et force est de constater que la marque ainsi déposée, qui constitue un outil de régularisation de la vaccination pour permettre la vaccination rapide du plus grand nombre, ne comporte en soi rien de contraire à l’ordre public et le dépôt de cette marque n’est en conséquence pas constitutif d’une atteinte à l’ordre public.
Le fait que sur son site internet vitemadose, M. [G] ait publié, à une période qui n’est pas déterminée, des propos ‘anti-vaccin’, n’est pas de nature à constituer le dépôt de la marque le 8 avril 2021 comme contraire à l’ordre public, y compris par confusion entre les propos du déposant et la politique publique sanitaire de vaccination que l’outil avait vocation à servir.
Le recours de M. [I] et de la société Covitracker contre la décision du directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle qui a rejeté la demande d’annulation de la marque verbale n° 21/4752691 ‘Vite Ma dose’ sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public est en conséquence également rejeté.
Succombant en son recours principal, M. [G] sera condamné à verser aux intimés une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile étant statué en la matière sans dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Ecarte des débats les conclusions tardives déposées par M [L] [G] le 1er mars 2024.
Dit n’y avoir lieu à révocation de l’ordonnance de clôture.
Déclare irrecevables les conclusions au fond déposées par M. [I] et l’association Covidtracker le 16 mars 2024.
Déclare les recours recevables en la forme.
Au fond :
Rejette le recours de M. [G] [L] à l’encontre de la décision du Directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle qui a prononcé la nullité de la marque verbale n° 21/4752691 ‘Vite Ma dose’ sur le fondement de la mauvaise foi.
Rejette le recours de M. [E] [I] et de l’association Covidtracker à l’encontre de la décision du Directeur général de l’institut national de la propriété intellectuelle qui a rejeté la demande de nullité de la marque verbale n° 21/4752691 ‘Vite Ma dose’ sur le fondement de l’ordre public.
Condamne M. [L] [G] à payer à M.[E] [I] et à l’association Covidtracker une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dit que la présente décision sera notifiée par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties et à M. le directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle.
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Laisser un commentaire