Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Angers
Thématique : Licenciement et Harcèlement Moral : Enjeux de l’Exécution Provisoire et Garanties Financières
→ RésuméEmbauche et licenciement de Mme [V] [M]Mme [V] [M] a été engagée par l’ESTM LEBRETON en tant qu’assistante de direction à compter du 18 septembre 2000. En décembre 2019, l’établissement a été vendu à l’ASSOCIATION ESUP GROUP. Le 3 avril 2023, un médecin du travail a déclaré Mme [V] [M] inapte à tous les postes, entraînant un licenciement pour inaptitude notifié le 10 juillet 2023, après consultation du CSE et autorisation de l’inspection du travail. Procédure judiciaire et jugement du conseil de prud’hommesConsidérant son licenciement comme nul en raison d’une situation de harcèlement moral, Mme [V] [M] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers. Le jugement du 10 octobre 2024 a reconnu le harcèlement moral, déclaré le licenciement nul et condamné l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser plusieurs indemnités, y compris 46 903,06 euros pour licenciement nul et 15 000 euros pour harcèlement moral. Appel de l’ASSOCIATION ESUP GROUPL’ASSOCIATION ESUP GROUP a interjeté appel du jugement le 24 octobre 2024 et a demandé l’arrêt de l’exécution provisoire. Elle a soutenu que le conseil de prud’hommes n’avait pas établi de harcèlement moral et que les changements de poste étaient justifiés par une réorganisation. Arguments de l’ASSOCIATION ESUP GROUPL’ASSOCIATION a affirmé que les preuves de harcèlement moral étaient insuffisantes et que les attestations fournies par Mme [V] [M] n’étaient pas précises. Elle a également contesté le montant des dommages et intérêts, arguant que le conseil de prud’hommes n’avait pas justifié le quantum alloué. Réponse de Mme [V] [M]Mme [V] [M] a contesté les arguments de l’ASSOCIATION, affirmant que le jugement était bien motivé et que les preuves de harcèlement moral étaient suffisantes. Elle a également souligné sa situation financière stable et a demandé le rejet de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire. Décision sur l’exécution provisoireLe tribunal a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, considérant que l’ASSOCIATION ESUP GROUP n’avait pas démontré de conséquences manifestement excessives. Il a ordonné que l’ASSOCIATION consigne une somme de 50 000 euros à la Caisse des dépôts et consignations dans un délai d’un mois, tout en maintenant l’exécution provisoire pour les autres condamnations. ConclusionL’ASSOCIATION ESUP GROUP a été condamnée à payer des indemnités à Mme [V] [M] et à supporter les dépens de l’instance, tandis que la demande de consignation des sommes a été acceptée pour garantir les paiements en cas de confirmation du jugement en appel. |
COUR D’APPEL
D’ANGERS
REFERES
Ordonnance n° 64/24
du 31 Décembre 2024
AFFAIRE RG : N° RG 24/00059 – N° Portalis DBVP-V-B7I-FMQB
AFFAIRE : Association ESUP GROUP C/ [M]
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
DU 31 DECEMBRE 2024
Le 31 décembre 2024, nous Eric MARECHAL, premier président de la cour d’appel d’Angers, assisté de Florence BOUNABI, greffière, avons prononcé l’ordonnance suivante dans l’affaire :
ENTRE :
Association ESUP GROUP
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Aymen DJEBARI de la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON
ET :
Mme [V] [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sarah TORDJMAN de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS
Après débats à l’audience publique du 04 Décembre 2024 au cours de laquelle nous étions assisté de Ghizlane KADDOURI, greffière, il a été indiqué que la décision serait prononcée le 18 décembre 2024 prorogé au 31 Décembre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Eric MARECHAL, premier président, et Florence BOUNABI, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits, procedure et pretentions
Mme [V] [M] a été embauchée par l’ESTM LEBRETON en qualité d’assistante de direction par contrat à durée indéterminée à compter du 18 septembre 2000. L’établissement a été cédé à l’ASSOCIATION ESUP GROUP en décembre 2019.
Le 3 avril 2023, le médecin du travail a déclaré Mme [V] [M] inapte à tous les postes avec dispense de reclassement. Après consultation du CSE, réalisation d’un entretien préalable à licenciement le 5 mai 2023 et réception de l’autorisation de l’inspection du travail le 23 juin 2023, l’ASSOCIATION ESUP GROUP a notifié à Mme [V] [M] son licenciement pour inaptitude, le 10 juillet 2023.
Considérant son licenciement nul car prononcé en conséquence d’une situation de harcèlement moral, Mme [V] [M] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers, par requête en date du 9 octobre 2023, lequel par jugement du 10 octobre 2024, a statué dans les termes suivants :
« DIT que Mme [V] [M] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.
DIT que le licenciement de Mme [V] [M] est nul.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser à Mme [V] [M] la somme de 46 903.06 euros à titre d’indemnité de licenciement nul.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser à Mme [V] [M] la somme de 5 685.22 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis.
SE DECLARE INCOMPETENT concernant l’indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle et invite Mme [V] [M] à saisir la commission de recours amiable de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Maine-et-Loire, ou le Pôle Social du tribunal judiciaire d’Angers pour faire reconnaitre sa maladie comme étant d’origine professionnelle.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser à Mme [V] [M] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser à Mme [V] [M] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques de harcèlement moral.
DIT que ces sommes porteront intérêts à taux légal à compter de la présente décision, lesdits intérêts, dus au moins pour une année, produisant eux-mêmes intérêts.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP à verser à Mme [V] [M] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
RAPPELLE que Mme [V] [M] bénéficie de l’exécution provisoire de droit concernant le paiement des sommes à caractère salarial dans la limite maximum de 9 mois de salaires en application des articles R. 1454-28 et R 1454-14 du code du travail.
ORDONNE l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile concernant les créances de nature indemnitaire.
DEBOUTE l’ASSOCIATION ESUP GROUP de l’ensemble de ses demandes.
CONDAMNE l’ASSOCIATION ESUP GROUP aux entiers dépens de l’instance. »
Selon déclaration déposée au greffe de la cour d’appel d’Angers le 24 octobre 2024, l’ASSOCIATION ESUP GROUP a interjeté appel du jugement précité.
Par acte du 18 novembre 2024, l’ASSOCIATION ESUP GROUP a fait assigner Mme. [V] [M] devant le premier président de la cour d’appel d’Angers à fin d’arrêt de l’exécution provisoire.
L’ASSOCIATION ESUP GROUP reprend et développe à l’audience les termes de ces dernières conclusions auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions. Elle sollicite, en visant les dispositions de l’article 517-1 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
ORDONNER l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée par jugement du conseil de prud’hommes d’ANGERS en date du 10 octobre 2024
A titre subsidiaire,
AUTORISER la consignation par l’ASSOCIATION ESUP GROUP des sommes allouées à Mme [V] [M] par jugement du conseil de prud’hommes d’Angers en date du 10 octobre 2024 et assorties de l’exécution provisoire ordonnée, à l’ordre des avocats du Barreau de LYON, qui en sera séquestre jusqu’à l’arrêt exécutoire de la cour ou autre accord des parties,
En tout état de cause,
CONDAMNER Mme [V] [M] au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER Mme [V] [M] aux entiers dépens.
Elle soutient disposer de moyens sérieux de réformation de la décision et que les premiers juges ne pouvaient constater que Mme [V] [M] aurait été victime de harcèlement moral et déclarer le licenciement nul. Elle expose que le changement de poste et l’évolution des taches ont été justifiés par la réorganisation du service administratif lors du rachat et s’est fait en concertation avec Mme [V] [M]. Elle ajoute que le conseil de prud’hommes s’est abstenu de qualifier cette évolution de modification imposée du contrat de travail et de relever son caractère fautif, qu’il n’est pas établi que cette évolution avait eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme [V] [M] et qu’il y ait eu un caractère abusif du contrôle exercé sur son activité. Elle fait encore valoir que l’intéressée n’établit pas la réalité des faits laissant supposer l’existence de harcèlement moral, que les attestations produites n’énoncent aucun fait précis ou daté et que le certificat médical du médecin traitant ne permet pas d’attester de la dégradation des conditions de travail. Elle soutient encore que le conseil de prud’hommes ne motive pas le quantum des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement nul. Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail et les dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques de harcèlement moral, elle expose que le fondement légal des condamnations a été abrogé. Elle ajoute que le conseil de prud’homme n’établit pas la réalité d’un préjudice distinct au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et au titre de la survenance du risque de harcèlement moral, qui ne se serait pas déjà réparé par la somme allouée au titre du harcèlement moral.
Concernant les conséquences manifestement excessives, elle fait valoir que les éléments produits par Mme [V] [M] et notamment un contrat à durée déterminée dont le terme est fixé au 11 mars 2025 ne permettent pas d’assurer la restitution à première demande des sommes allouées en cas d’infirmation du jugement. Elle soutient encore qu’une procédure de saisie immobilière sur la maison à usage d’habitation, dont Mme [V] [M] est co-indivisaire, serait disproportionnée pour obtenir le remboursement des sommes dues en cas d’infirmation. Elle ajoute enfin que le montant des condamnations représente au dernier état un an et demi de revenus du foyer de Mme [V] [M].
A titre subsidiaire, elle demande la consignation des sommes, en précisant que le taux des créances des particuliers est supérieur aux taux bancaires applicables dans le cadre d’un placement ce qui constituerait une garantie pour son ancienne salariée en cas de confirmation.
Aux termes de ses dernières écritures, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [V] [M] demande, au visa des articles 517-1, 517-4 et 521 du code de procédure civile, de :
DEBOUTER l’ASSOCIATION ESUP GROUP de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
CONDAMNER l’ASSOCIATION ESUP GROUP à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
JOINDRE les dépens du référé au fond.
Elle conteste l’existence de moyens sérieux de réformation, faisant valoir que l’argumentaire développé par l’ASSOCIATION ESUP GROUP a été écarté de manière motivée par le conseil de prud’hommes et qu’il n’est produit aucun élément nouveau de nature à exclure qu’elle a été victime de harcèlement moral ayant dégradé ses conditions de travail et ayant porté atteinte à sa santé.
Elle estime que l’ASSOCIATION ESUP GROUP ne démontre un réel risque de conséquences manifestement excessives pouvant résulter de l’exécution provisoire du jugement en ce qu’elle ne verse aucun élément sur sa situation financière et son état d’endettement. Elle expose disposer elle-même de garanties de restitution des sommes en cas d’infirmation de la décision et d’une situation financière stable connue et certaine. Elle fait état d’un revenu fiscal de référence du foyer d’un montant de 57 246 euros, de la propriété d’un bien immobilier et de l’absence de crédit en cours. Elle ajoute que la somme due reste modeste pour l’ASSOCIATION ESUP GROUP au regard de son chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros.
En l’absence de risque sérieux de non-remboursement, elle s’oppose à la demande de consignation.
A l’issue des débats, les parties ont été informées de ce que la décision serait rendue par mise à disposition le 18 décembre 2024 prorogé au 31 décembre 2024.
motifs de la décision
Sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire :
Il doit être constaté que l’exécution provisoire a été ordonnée par le conseil des prud’hommes du Mans sur le double fondement de l’article 515 du code de procédure civile et de l’article R.1454-28 du code du travail.
Par ces motifs
Statuant en référé, publiquement et contradictoirement, par décision insusceptible de pourvoi,
Constatons que la demande d’arrêt de l’exécution provisoire ne peut concerner les condamnations prononcées par le jugement rendu le 10 octobre 2024 par le conseil de prud’hommes d’ANGERS (RG n°24/00438) relevant de l’exécution provisoire de droit de l’article R1454-28 du code du travail.
Rejetons la demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement rendu le 10 octobre 2024 par le conseil de prud’hommes d’ANGERS (RG n°24/00438) formulée par l’ASSOCIATION ESUP GROUP.
Ordonnons l’aménagement de l’exécution provisoire attachée au jugement rendu le 10 octobre 2024 par le conseil de prud’hommes d’ANGERS (RG n°24/00438) uniquement en ses dispositions condamnant l’ASSOCIATION ESUP GROUP à payer à Mme [V] [M] les sommes suivantes avec exécution provisoire :
46 903.06 euros à titre d’indemnité de licenciement nul.
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail.
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques de harcèlement moral.
1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Disons que le montant des condamnations ci-dessus mises à la charge de l’ASSOCIATION ESUP GROUP par ledit jugement devra être consigné par cette dernière, dans le délai de 1 mois à compter de la présente décision, à hauteur de la somme de 50 000 € à la Caisse des dépôts et consignations dans l’attente de l’arrêt à intervenir sur l’appel de la décision susvisée.
Disons que l’exécution provisoire pourra être poursuivie pour le surplus et qu’à défaut de consignation de la somme ci-dessus dans le délai imparti l’exécution provisoire pourra être poursuivie pour la totalité des condamnations visées.
Condamnons l’ASSOCIATION ESUP GROUP à payer à Mme [V] [M] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Laissons les dépens à la charge de l’ASSOCIATION ESUP GROUP.
LA GREFFIERE LE PREMIER PRÉSIDENT
Florence BOUNABI Eric MARECHAL
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