Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Amiens
Thématique : Licenciement pour faute grave pour soustraction frauduleuse de marchandise
→ RésuméMme [D] a été licenciée pour faute grave en raison d’une soustraction frauduleuse de marchandises, ayant été trouvée en possession de produits d’une valeur de 94,71 euros sans preuve d’achat. L’employeur a soutenu que son comportement violait les règles internes et justifiait le licenciement. Cependant, Mme [D] a contesté ces accusations, affirmant qu’il s’agissait d’un simple oubli. La cour a jugé que les faits reprochés s’étaient déroulés en dehors du temps de travail et ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire. Par conséquent, le licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse, entraînant des indemnités pour Mme [D].
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
23/04663
N°
[D]
C/
S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE
…
DECISION :
Mme [D], née le 15 juillet 1980, a été embauchée du 10 octobre au 31 décembre 2017 dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée par la société ATAC devenue Auchan supermarché (la société ou l’employeur), en qualité d’équipier de commerce. La relation contractuelle s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2018.
La société Auchan supermarché compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle du commerce de détails et de gros à prédominance alimentaire.
Par courrier du 20 novembre 2021, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 3 décembre 2021.
Le 11 décembre 2021, elle a été licenciée pour faute grave.
Contestant la légitimité de son licenciement et ne s’estimant pas remplie de ses droits au titre de l’exécution de son contrat de travail, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’Amiens le 18 mars 2022.
Par jugement du 18 octobre 2023, le conseil a :
– dit et jugé que le licenciement de Mme [D] reposait sur une faute grave ;
– dit et jugé que le licenciement de Mme [D] était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouté Mme [D] de l’intégralité des demandes à ce titre ;
– débouté Mme [D] de sa demande d’indemnité de prime de fin d’année au titre de l’année 2021 ;
– débouté Mme [D] de sa demande de remise des documents de fin de contrat avec la modification de la date d’ancienneté au 10 octobre 2017 ;
– débouté les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– laissé les dépens à la charge respective de chacune des parties.
Mme [D], régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 août 2024, demande à la cour de :
– la dire et juger recevable et bien fondée en son appel ;
– infirmer le jugement en ce qu’il :
– a dit et jugé que son licenciement reposait sur une faute grave ;
– a dit et jugé que son licenciement était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– l’a déboutée de l’intégralité des demandes à ce titre ;
– l’a déboutée de sa demande d’indemnité de prime de fin d’année au titre de l’année 2021 ;
– l’a déboutée de sa demande de remise des documents de fin de contrat avec la modification de la date d’ancienneté au 10 octobre 2017 ;
– l’a déboutée de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à sa charge ;
Statuant à nouveau,
– dire et juger son licenciement mal fondé par une faute grave, dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société Auchan supermarché à lui payer les sommes suivantes :
– 8 341,85 euros (5 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 3 336,74 euros (deux mois) à titre d’indemnité de préavis ;
– 333,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
– 1 580 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés ;
– 1 579,24 euros à titre de primes de fin d’année, au prorata ;
– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonner à la société Auchan supermarché de lui remettre une attestation Pole emploi et un certificat de travail (date d’entrée 10 octobre 2017) conformes, sous astreinte journalière de 100 euros ;
– condamner la société Auchan supermarché aux entiers dépens.
La société Auchan supermarché, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 juillet 2024, demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
A titre principal,
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
– dit et jugé que le licenciement de Mme [D] reposait sur une faute grave ;
– dit et jugé que le licenciement de Mme [D] était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouté Mme [D] de l’intégralité des demandes à ce titre ;
– débouté Mme [D] de sa demande d’indemnité de prime de fin d’année au titre de l’année 2021 ;
– débouté Mme [D] de sa demande de remise des documents de fin de contrat avec la modification de la date d’ancienneté au 10 octobre 2017 ;
Et, statuant à nouveau, y ajoutant,
– condamner Mme [D] au versement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
– limiter toute condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum légal.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur le licenciement pour faute grave
1-1/ sur le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.
En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :
« Nous vous avons convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement par courrier du 20 novembre 2021.
Nous faisons suite à cet entretien préalable qui s’est déroulé le vendredi 3 décembre 2021 auquel vous vous êtes présentée seule.
Vous avez été embauchée par la société AUCHAN Supermarché [Localité 4] [Localité 6] sous contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2018 en qualité d’équipier de commerce secteur caisse niveau 2B, poste que vous occupez toujours à ce jour sur le périmètre de l’équipe polyvalente.
Comme nous vous l’avons expliqué au cours de l’entretien, nous avons à déplorer de votre part un manquement dans l’exercice de vos fonctions et dans l’exécution de vos obligations contractuelles, notamment en termes de respect des dispositions relatives à la soustraction frauduleuse de marchandise.
Or, dans le cadre de vos fonctions, vous devez notamment exécuter votre contrat de travail de bonne foi, respecter l’ensemble des procédures de l’entreprise et participer à la lutte contre la démarque.
En effet, le 18 novembre 2021 vous avez été contrôlé par un agent de sécurité de l’Hypermarché AUCHAN [Localité 4] Sud et vous étiez en possession de plusieurs collants.
Lors de ce contrôle, vous n’avez pas pu nous fournir de preuve d’achat. L’ensemble de ces produits représente un total de 94,71 euros.
Il n’est pas admissible que vous vous serviez dans les produits mis en vente par votre employeur et destinés à la clientèle pour vous les approprier sans les régler.
En agissant de la sorte de façon volontaire, vous êtes allée délibérément à l’encontre des procédures en vigueur dans l’entreprise et des tâches qui vous sont confiées, avez trahi notre confiance et nuit à notre fonctionnement.
Non seulement votre comportement témoigne d’une attitude d’irrespect des règles élémentaires de discipline définies par notre règlement intérieur, mais il a également pour conséquence directe de créer de la démarque inconnue. Or cela va à l’encontre même de l’objet de notre activité commerciale et de vos obligations contractuelles.
Vous vous deviez d’exécuter votre contrat de travail de bonne foi et vous avez profité de votre statue pour soustraire des produits à la vente.
Pour rappel, notre règlement intérieur, qui est affiché et dont vous avez pris connaissance, précise :
– en son article 16 : que « tout salarié, quelle que soit sa position hiérarchique, est responsable des tâches qui lui sont confiées ». Dès lors, votre responsabilité, comme celle de l’ensemble des collaborateurs de notre entreprise, est d’assurer la limitation du taux de démarque inconnue et d’adopter un comportement exemplaire.
Votre comportement constitue une soustraction frauduleuse de produit, ce que nous ne pouvons tolérer dans notre établissement car il constitue à la fois une appropriation de biens qui ne vous appartiennent pas et une mise en péril de nos résultats.
Nous ne pouvons accepter que nos collaborateurs se servent et abusent de leur fonction au détriment de la société et adoptent des comportements frauduleux alors que la confiance est la base d’une relation de travail.
Lors de l’entretien, vous avez reconnu les faits et les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Au vu de l’ensemble des éléments précisés, il apparaît évident que vous n’avez pas respecté ni vos obligations contractuelles, ni les dispositions internes à l’entreprise, alors que la relation contractuelle qui nous lie vous impose d’exécuter loyalement et de bonne fois votre contrat de travail.
Dès lors, vos manquements constituent une faute grave rendant impossible votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise. Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement, sans préavis ni indemnité de rupture ‘ ».
Mme [D] conteste avoir volé l’article en question affirmant avoir seulement oublié de le scanner, et soutient qu’il ne peut lui être reproché un fait relevant de sa vie privée, survenu en dehors de ses lieu et temps de travail, dans un supermarché n’appartenant pas à son employeur, et qui n’a causé aucun trouble objectif à ce dernier.
L’employeur répond que la salariée a elle-même reconnu les faits lors de son contrôle après les caisses, qu’il appartient au même groupe et à la même unité économique et sociale que le magasin victime et qu’un vol commis par un salarié au sein de l’entreprise provoque nécessairement un trouble objectif à son fonctionnement.
L’article L.1121-1 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
Il en résulte qu’un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement pour motif disciplinaire en l’absence de tout manquement à une obligation découlant du contrat de travail.
En l’espèce, il est constant que l’employeur de Mme [D] est la société Auchan supermarché et que le comportement reproché à la salariée dans la lettre de licenciement est survenu hors des lieu et temps de travail, soit pendant un temps consacré à sa vie personnelle.
Il ressort des extraits Kbis produits que la société Auchan supermarché et la société Auchan hypermarché, détentrice du magasin lieu des faits, sont deux personnes morales distinctes même si elles appartiennent au même groupe et à la même unité économique et sociale.
Les manquements professionnels invoqués par l’employeur ne concernant que des faits qui auraient été commis à son propre préjudice alors qu’ils ont été commis au préjudice d’une autre personne juridique, ils ne peuvent être rattachés à une obligation découlant du contrat de travail signé entre les parties et donc justifier le licenciement disciplinaire de Mme [D] pour un fait tiré de sa vie personnelle.
Il convient donc de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse par infirmation du jugement entrepris.
1-2 sur les conséquences pécuniaires du licenciement injustifié
Mme [D] sollicite des indemnités de rupture ainsi que des dommages et intérêts, et soutient qu’elle a été injustement privée de la prime de fin d’année sur le bulletin de salaire de décembre 2021.
L’employeur répond que la prime n’était due qu’autant que la salariée était présente dans les effectifs au 31 décembre 2021.
En l’espèce, le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il convient de faire droit à la demande de la salariée quant à l’indemnité compensatrice de préavis assortie des congés payés afférents dont le quantum n’est pas spécifiquement contesté.
De même, son licenciement injustifié avant le 31 décembre 2021 l’ayant privé de la chance de percevoir la prime de fin d’année à défaut d’avoir été présente dans les effectifs à cette date, il convient d’indemniser le préjudice subi en lui allouant 1 500 euros de dommages et intérêts.
Les contrats de travail à durée déterminée et le contrat de travail à durée indéterminée ne s’étant pas succédés sans interruption, l’ancienneté de Mme [D] est de 3 ans.
L’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [D] peut prétendre à une indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d’un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire.
Mme [D] justifie de son indemnisation au titre de l’assurance-chômage jusqu’au 31 mai 2022.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de sa situation professionnelle à la suite du licenciement, de son ancienneté dans l’entreprise (3 ans) et de l’effectif de celle-ci (plus de 10 salariés au moment du licenciement), la cour fixe à 6 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société devra remettre à la salariée une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la solution du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse justifié.
La salariée ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d’office des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.
2/ Sur les autres demandes
Mme [D] soutient qu’elle n’a pas perçu l’indemnité compensatrice de congés payés visée dans l’attestation Pôle emploi qui lui a été remise et que la date d’ancienneté qui y figure est erronée.
L’employeur répond qu’il ressort du solde de tout compte que la salariée a été remplie de ses droits au titre des congés payés et que la date d’ancienneté est conforme à la succession des contrats de travail.
En l’espèce, il ressort du bulletin de salaire de décembre 2021 que l’indemnité compensatrice de congés payés a été comptabilisée mais non versée du fait de la compensation avec les sommes dues par la salariée, notamment le remboursement de la prime de fin d’année réglée en novembre.
L’article 3-2 de l’accord d’entreprise du 9 juillet 1998 prévoyant que les bénéficiaires de la prime annuelle versée en novembre sont les salariés présents au 31 décembre, et la sortie des effectifs de la salariée datant du 11 décembre 2021, c’est à bon droit que l’employeur a retenu cette prime, réglée en novembre, sur le bulletin de paie de décembre par compensation avec l’indemnité compensatrice de congés payés.
Mme [D] ne saurait donc prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés.
Par ailleurs, l’ancienneté de Mme [D] datant effectivement de la prise d’effet du contrat à durée indéterminée en cours d’exécution au moment du licenciement à défaut de succession sans interruption avec les contrats à durée déterminée précédents, il n’y a pas lieu à rectification des documents de fin de contrat à ce titre.
Le jugement est donc confirmé de ces chefs.
Il serait inéquitable de laisser à Mme [D] la charge des frais engagés par elle tant en première instance qu’en appel. La société, qui est tenue aux dépens, sera condamnée à lui payer la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne les demandes de modification de la date d’ancienneté sur les documents de fin de contrat et de paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement de Mme [K] [D] sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Auchan supermarché à lui payer les sommes suivantes :
– 3 336,74 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 333,67 euros de congés payés afférents,
– 1 500 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de percevoir la prime de fin d’année,
– 6 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,
Ordonne à la société Auchan supermarché de remettre à Mme [K] [D] une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la solution du présent arrêt dans le mois de sa notification,
Ordonne à la société Auchan supermarché de rembourser à l’antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société Auchan supermarché aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
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