Cour d’appel d’Amiens, 23 octobre 2024, RG n° 23/04475
Cour d’appel d’Amiens, 23 octobre 2024, RG n° 23/04475

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Thématique : Les obligations dans le cadre d’un contrat de professionnalisation

 

Résumé

Dans le cadre d’un contrat de professionnalisation, M. [N] a contesté la rupture anticipée de son contrat pour faute grave, arguant que la lettre de licenciement manquait de motivation. L’employeur a présenté des témoignages attestant d’un comportement irrespectueux et d’une utilisation abusive de l’outil informatique à des fins personnelles. Selon le code du travail, un contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant son terme qu’en cas de faute grave. La cour a jugé que les éléments fournis par l’employeur justifiaient la rupture, confirmant ainsi le jugement du conseil de prud’hommes et déboutant M. [N] de ses demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
23/04475

ARRET

[N]

C/

S.A.R.L. BATECO PRO

DECISION :

M. [N], né le 23 décembre 2000, a été embauché à compter du 25 octobre 2021 dans le cadre d’un contrat de professionnalisation à durée déterminée par la société Bateco pro (la société ou l’employeur), en qualité d’assistant conducteur de travaux.

La société emploie habituellement plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des ouvriers du bâtiment.

Par courrier du 10 février 2022, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable en vue de l’éventuelle rupture anticipée de son contrat à durée déterminée, fixé au 18 février 2022.

Le 1er mars 2022, il s’est vu notifier la rupture anticipée de son contrat de professionnalisation pour faute grave.

Contestant la légitimité de la rupture anticipée et ne s’estimant pas rempli de ses droits au titre de l’exécution de son contrat de professionnalisation, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Creil, le 27 octobre 2022.

Par jugement du 2 octobre 2023, le conseil a :

– jugé que la rupture anticipée du contrat de professionnalisation à durée déterminée de M. [N] pour faute grave était bien fondée ;
– débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné M. [N] aux dépens.

M. [N], régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 juin 2024, demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la rupture anticipée de son contrat de professionnalisation à durée déterminée pour faute grave était bien fondée et l’a débouté de ses demandes,

En conséquence,

– condamner la société Bateco pro à lui verser la somme de 12 315,20 euros à titre d’indemnité du fait de la rupture fautive de son contrat de professionnalisation ;
– condamner la société Bateco pro à lui verser la somme de 630 euros au titre de la perte de l’allocation de logement social ;
– condamner la société Bateco pro à lui garantir toute somme qui pourrait lui être réclamée par l’OPCO ou l’ESCT au titre du financement de l’année scolaire 2021-2022 ;
– condamner la société Bateco pro à lui verser la somme de 668 euros brut à titre de rappel d’indemnités de repas ;
– dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes ;
– ordonner à la société Bateco pro de lui remettre le bulletin de paie correspondant et les documents de fin de contrat (solde de tout compte et attestation d’employeur destinée à Pôle emploi), sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document ;
– débouter la société Bateco pro de ses demandes ;
– condamner la société Bateco pro à lui verser 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

La société Bateco pro, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 juillet 2024, demande à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

En conséquence,

– juger que la rupture anticipée du contrat de professionnalisation à durée déterminée de M. [N] prononcée pour faute grave est parfaitement fondée ;

En conséquence,

– débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture fautive de son contrat de professionnalisation à hauteur de 12 315,20 euros ;
– débouter M. [N] de sa demande au titre de la perte de l’allocation de logement social à hauteur de 630 euros ;
– débouter M. [N] de sa demande qu’elle le garantisse de toute somme qui pourrait lui être réclamée par l’OPCO ou l’ESCT au titre du financement de son année scolaire 2021-2022 ;

En tout état de cause,

– débouter M. [N] de sa demande de rappel d’indemnité de repas à hauteur de 668 euros brut ;
– débouter M. [N] de sa demande de communication sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document d’un bulletin de paie et des documents de fin de contrat (solde de tout compte et attestation Pôle emploi) ;
– débouter M. [N] de sa demande de condamnation aux entiers dépens ;
– débouter M. [N] de sa demande de calcul des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour l’ensemble des condamnations sollicitées ;
– débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2 000 euros ;

A titre reconventionnel,

– condamner M. [N] au paiement d’une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l’exécution du contrat de travail

M. [N] soutient qu’il n’a pas été rempli de ses droits au titre des indemnités de repas prévues par l’article 8-15 de la convention collective, qui lui ont pourtant été versées pendant quelque temps.

L’employeur répond que le salarié ne pouvait prétendre à cette indemnité en l’absence de déplacement sur les chantiers conformément aux dispositions de la convention collective, et que les versements faits étaient une erreur.

L’article 8-15 de la convention collective des ouvriers du bâtiment prévoit que l’indemnité de repas a pour objet d’indemniser le supplément de frais occasionné par la prise du déjeuner en dehors de la résidence habituelle de l’ouvrier. Elle n’est pas due par l’employeur lorsque :

– l’ouvrier prend effectivement son repas à sa résidence habituelle ;
– un restaurant d’entreprise existe sur le chantier et le repas est fourni avec une participation financière de l’entreprise égale au montant de l’indemnité de repas ;
– le repas est fourni gratuitement ou avec une participation financière de l’entreprise égale au montant de l’indemnité de repas.

Aux termes des articles 8-11 et 8-12 de cette convention, l’indemnité de repas fait partie du régime d’indemnisation des petits déplacements dont bénéficient les ouvriers non sédentaires occupés sur les chantiers et non ceux qui travaillent dans une installation fixe permanente de l’entreprise.

En l’espèce, bien que M. [N] ait perçu des indemnités de repas d’octobre à décembre 2021, il ressort de son courrier à l’employeur du 10 février 2022 que ses déplacements sur des chantiers n’ont concerné que quatre demi-journées.

Ce peu de déplacements ne permettant pas de le qualifier de salarié non sédentaire, c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes l’a débouté de sa demande de ce chef.

2/ Sur la rupture du contrat de travail

2-1/ sur le bien-fondé de la rupture

M. [N] soulève l’absence de motivation de la lettre de licenciement et conteste la réalité du grief d’insubordination qui n’est étayé par aucun fait précis ainsi que la gravité du grief relatif à l’utilisation de l’outil informatique à des fins personnelles au regard de la quantité et des horaires des recherches concernées et alors que l’employeur ne lui fournissait pas de travail ou sans rapport avec sa formation.

L’employeur, qui conteste le caractère imprécis de la lettre de licenciement, se prévaut des témoignages de plusieurs salariés de l’entreprise concernant l’attitude irrespectueuse de M. [N], et de l’historique de navigation de ce dernier faisant apparaître une utilisation de l’outil informatique à des fins personnelles 29 jours sur 37 jours travaillés en violation du règlement intérieur de l’entreprise.

L’article L.6325-1 alinéa 1 du code du travail dispose que le contrat de professionnalisation a pour objet de permettre d’acquérir une des qualifications prévues à l’article L. 6314-1 et de favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle.

En application des dispositions de l’article L.6325-3 du même code, l’employeur s’engage à assurer une formation au salarié lui permettant d’acquérir une qualification professionnelle et à lui fournir un emploi en relation avec cet objectif pendant la durée du contrat à durée déterminée ou de l’action de professionnalisation du contrat à durée indéterminée. Le salarié s’engage à travailler pour le compte de son employeur et à suivre la formation prévue au contrat.

L’article L.1243-1 alinéa 1 de ce code dispose que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

C’est à l’employeur qui invoque la faute grave et s’est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu’ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

En l’espèce, le contrat de travail à durée déterminée signé par les parties a été rompu pour faute grave dans les termes suivants :

« Comme suite à notre entretien du 18 février 2022, nous vous informons que nous sommes conduits à vous notifier la rupture anticipée de votre contrat de professionnalisation pour faute grave pour les motifs qui vous ont été exposés à savoir votre comportement irrespectueux tant vis-à-vis de vos collègues que de votre hiérarchie faisant en outre la démonstration de votre insubordination caractérisée.

Ainsi a de nombreuses reprises, vous vous êtes permis d’utiliser des termes inappropriés envers la secrétaire de direction qui ne voulait pourtant que vous accompagner dans votre apprentissage.

Pourtant nous vous avons rappelé à l’ordre à plusieurs reprises vous sommant d’adopter à l’avenir un comportement et un langage plus courtois mais en vain.

Récemment, vous vous êtes permis de vous adresser de manière déplacée envers le gérant de la société qui vous demandait d’adopter une attitude plus respectueuse et professionnelle.

En outre, nous avons pu constater que vous passiez beaucoup de temps à effectuer des recherches personnelles sur internet pendant vos heures de travail au lieu d’effectuer les travaux qui vous étaient confiés.

Il apparaît donc impossible de maintenir votre contrat de professionnalisation, une telle situation qui dégrade nécessairement le climat de travail ne pouvant plus être tolérée.

Nous mettons donc un terme de manière anticipée et immédiate à votre contrat de travail pour faute grave ».

L’employeur visant expressément dans ce courrier un comportement irrespectueux à l’égard des collègues et de la hiérarchie, ainsi qu’un temps important de recherches personnelles sur internet pendant les heures de travail au détriment des travaux confiés, il ne peut lui être reproché un défaut de motivation de la rupture.

Concernant le grief tiré de l’usage à des fins personnelles de l’outil informatique mis à sa disposition pendant les heures de travail, le règlement intérieur de l’entreprise prévoit que l’utilisation des outils informatiques sur le lieu et pendant le temps de travail est en principe professionnelle ; toutefois, une utilisation ponctuelle à usage personnel, dans le cadre de la vie courante et familiale, est tolérée à condition de demeurer raisonnable.

Or, il ressort de l’historique de navigation de l’ordinateur professionnel confié à M. [N] que sur 37 jours de présence dans l’entreprise, ce dernier a régulièrement opéré des connexions manifestement sans rapport avec le travail pour des durées allant de la minute à 1h40, et notamment à 13 reprises pour une durée moyenne de 40 minutes, ce qui ne saurait être considéré comme raisonnable.

En effet, les recherches de logement, les consultations des sites telegram et youtube, l’achat d’un véhicule et la souscription d’une assurance, mais également les démarches relatives à sa santé, sa scolarité, la recherche d’emploi ne relèvent pas de l’activité professionnelle.

Au vu de l’activité globale de navigation depuis l’ordinateur professionnel sur cette période, il n’apparait pas que M. [N] se soit trouvé dans une telle situation d’oisiveté à défaut de travail confié qu’il pouvait se permettre de consacrer plusieurs dizaines de minutes à des démarches personnelles.

Par ailleurs, il ne lui appartenait pas de décider a priori que les tâches auxquelles il était affecté ne correspondant pas à son objectif de formation, il pouvait vaquer à des occupations sans rapport avec ces tâches.

Concernant le grief tiré du comportement irrespectueux et inadapté au sein de la communauté de travail, bien que les attestations produites par l’employeur ne relatent pas d’évènement précis et que le témoignage de Mme [L] soit à replacer dans un contexte d’inimitié affichée, la cour relève que les témoignages de M. [P] et [B], associés de la société, sont corroborés par celui de M. [C], conducteur de travaux, qui écrit : « le manque de respect récurrent était de plus en plus difficile à vivre, il ne respectait pas la hiérarchie et les liens de subordination qui en découlait ».

Le manque d’implication professionnelle et de respect des consignes internes à l’entreprise que dénotent les longues et nombreuses connexions sur internet sans rapport avec les tâches confiées, associé à un positionnement inadapté à l’égard de la hiérarchie, alors que M. [N] était en situation de formation dans le cadre du contrat de professionnalisation, caractérisent un manquement professionnel suffisamment grave pour justifier la rupture anticipée du contrat.

Il convient donc de débouter le salarié de ce chef de demande ainsi que des demandes indemnitaires et de garantie subséquentes, par confirmation du jugement entrepris.

3/ Sur les autres demandes

M. [N] succombant en ses demandes principales, il n’y a pas lieu à remise d’un bulletin de paie et de documents de fin de contrat rectifiés.

M. [N], tenu aux dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris, est également tenu aux dépens d’appel.

L’équité commande de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] [N] aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon