Cour d’appel d’Amiens, 17 janvier 2025, RG n° 23/03733
Cour d’appel d’Amiens, 17 janvier 2025, RG n° 23/03733

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Thématique : Reconnaissance de l’imputabilité d’un accident mortel sur le lieu de travail

Résumé

Contexte de l’accident

Le 26 octobre 2021, un salarié de la société [5], [M] [U], exerçant en tant que chauffagiste, a subi un malaise alors qu’il contrôlait un thermostat d’ambiance. Il a été déclaré décédé le lendemain, le 27 octobre 2021.

Reconnaissance de l’accident par la CPAM

Suite à une enquête administrative, la CPAM de l’Oise a reconnu, par courrier du 25 janvier 2022, le caractère professionnel de l’accident mortel de [M] [U].

Contestation par la société [5]

La société [5] a contesté cette décision en saisissant la commission de recours amiable (CRA) le 5 avril 2022. Par la suite, elle a introduit une requête au tribunal judiciaire de Beauvais le 13 juillet 2022, contestant le rejet implicite de la CRA.

Jugement du tribunal judiciaire

Le 27 juillet 2023, le tribunal a rejeté la demande d’inopposabilité de la société [5] concernant la décision de la CPAM et l’a condamnée aux dépens de l’instance.

Appel de la société [5]

Le 22 août 2023, la société [5] a interjeté appel du jugement, demandant la réformation de la décision et soutenant que le décès de [M] [U] n’était pas lié à son travail.

Arguments de la société [5]

La société [5] a affirmé que le travail de [M] [U] n’avait pas contribué à son décès, citant des antécédents médicaux et des observations d’un médecin qui indiquaient que la cause du décès était étrangère à l’activité professionnelle.

Position de la CPAM

La CPAM de l’Oise a demandé la confirmation du jugement, arguant que le décès survenu au travail bénéficiait de la présomption d’imputabilité, et que la société [5] n’avait pas prouvé que l’accident avait une cause totalement étrangère au travail.

Analyse du tribunal

Le tribunal a constaté que le malaise de [M] [U] était survenu au travail et a jugé que la société [5] n’avait pas réussi à renverser la présomption d’imputabilité, en raison de l’insuffisance des preuves fournies concernant une cause étrangère.

Décision finale

La cour a confirmé le jugement du 27 juillet 2023, déboutant la société [5] de sa demande d’inopposabilité et la condamnant aux dépens de l’instance d’appel.

ARRET

Société [5]

C/

CPAM DE L’OISE

CCC adressées à :

-Société [5]

-CPAM DE L’OISE

-Me BARRE

Copie exécutoire délivrée à :

-CPAM DE L’OISE

Le 17 janvier 2025

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 17 JANVIER 2025

*************************************************************

N° rg 23/03733 – n° portalis dbv4-v-b7h-i3ow – n° registre 1ère instance : 22/00403

Jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 27 juillet 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Société [5], agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et plaidant par Me Juliette BARRE de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me CHOLLET, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIME

CPAM DE L’OISE, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par Mme [N] [W], dûment mandatée

DEBATS :

A l’audience publique du 17 octobre 2024 devant Mme Claire BERTIN, président, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Diane VIDECOQ-TYRAN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Claire BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe MELIN, président,

Mme Claire BERTIN, président,

et M. Renaud DELOFFRE, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 17 janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, greffier.

*

* *

DECISION

Le 27 octobre 2021, la société [5] ([5]) a régularisé une déclaration d’accident du travail survenu le 26 octobre 2021 au préjudice de son salarié, [M] [U], exerçant au moment des faits la profession de chauffagiste, dans les circonstances ainsi décrites’:’«’alors que M. [U] effectuait un contrôle sur un thermostat d’ambiance, il aurait dit se sentir mal, se serait assis puis (a eu un) malaise’».

[M] [U] est décédé le 27 octobre 2021.

A l’issue de son enquête administrative, la CPAM de l’Oise a, par courrier du 25 janvier 2022, reconnu le caractère professionnel de l’accident mortel de [M] [U].

Contestant cette décision, la société [5] a saisi le 5’avril 2022 la commission de recours amiable (CRA).

Par requête expédiée le 13 juillet 2022, la société [5] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais d’une contestation de la décision implicite de rejet de la commission.

Par jugement rendu le 27 juillet 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais a’:

– rejeté la demande d’inopposabilité formée par la société [5] de la décision de la CPAM de l’Oise de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident dont a été victime [M] [U] le 26 octobre 2021,

– condamné la société [5] aux dépens de l’instance.

Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 22 août 2023, la société [5] a interjeté appel de l’ensemble des chefs de ce jugement qui lui avait été notifié le 31 juillet 2023.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 17 octobre 2024.

La société [5], aux termes de ses conclusions visées par le greffe le 17 octobre 2024 et soutenues oralement à l’audience, demande à la cour de’:

– la recevoir en son appel et la dire bien fondée,

– réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

– statuant à nouveau, juger que la décision de prise en charge de la CPAM de l’Oise lui est inopposable,

– dire n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la CPAM de l’Oise aux dépens.

Elle soutient que le travail de [M] [U] n’a joué aucun rôle dans la survenue de son décès. Elle considère que les premiers juges ont fait une appréciation erronée des faits et de la cause en écartant les observations du professeur [B], spécialiste en chirurgie viscérale et digestive, selon lesquelles la rupture d’un anévrisme de l’artère splénique dont a été victime [M] [U] aurait pu survenir en dehors de tout contexte professionnel.

La société [5] estime que l’accident du travail n’est pas caractérisé lorsque l’affection dont souffre le salarié est en lien avec des prédispositions constitutionnelles ou l’évolution d’un état pathologique antérieur, sans lien avec l’activité professionnelle.

Elle fait observer qu’il ressort du questionnaire renseigné par l’épouse de [M] [U] que celui-ci bénéficiait d’un traitement médical régulier, ce qui démontre l’existence d’antécédents médicaux.

Elle indique que, selon les personnes présentes le jour du malaise, il n’accomplissait aucun effort particulier, et qu’il ne présentait aucun traumatisme abdominal.

La société appelante fait valoir que les conclusions du professeur [B] sont dépourvues d’ambiguïté et attestent du fait que la cause du décès de [M] [U] survenu à l’hôpital, dans les suites de son malaise, est étrangère au travail. La décision de prise en charge de l’accident mortel de [M] [U] doit donc lui être déclarée inopposable.

La CPAM de l’Oise, aux termes de ses conclusions visées par le greffe le 17 octobre 2024 et soutenues oralement à l’audience, demande à la cour de’:

– confirmer le jugement entrepris,

– débouter la société [5] de sa demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge.

Au visa des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, elle soutient que le décès survenu au temps et au lieu du travail bénéficie de la présomption d’imputabilité. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, pour renverser la présomption d’imputabilité, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve que l’accident a une cause totalement étrangère au travail, autrement dit que le travail n’a joué aucun rôle dans la survenance de l’accident.

Elle fait observer que la présomption d’imputabilité s’applique puisque [M] [U] est décédé dans les 24 heures des suites d’un malaise survenu au temps et au lieu du travail. Son enquête administrative confirme, d’une part, la survenance du décès au temps et au lieu du travail, d’autre part, l’absence d’une cause totalement étrangère au travail.

Elle souligne que la société [5] échoue à rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail permettant de renverser la présomption d’imputabilité. L’employeur se prévaut du rapport du professeur [B] qui ne permet en aucun cas d’exclure totalement un lien entre le malaise mortel de l’assuré et son travail. L’existence d’un état pathologique antérieur avancée par l’employeur ne permet pas de détruire la présomption d’imputabilité, dès lors qu’il n’est pas établi que cet état pathologique serait la cause exclusive de l’accident mortel. Les premiers juges ont, à juste titre, écarté les éléments médicaux relatés par le professeur [B] puisqu’il n’émet que des suppositions.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

Sur la matérialité de l’accident et son caractère professionnel

Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée, ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

Pour bénéficier de la présomption d’imputabilité de l’accident au travail instituée par l’article précité, la caisse, dans’ses rapports avec l’employeur, doit rapporter la preuve d’un fait soudain au travail. Selon la jurisprudence, l’accident est suffisamment caractérisé par la brusque apparition d’une lésion au temps et sur le lieu du travail.

En l’espèce, il ressort de la déclaration d’accident du travail complétée le 27 octobre 2021 par la société [5] que [M] [U] a été victime d’un malaise sur son lieu de travail, le 26 octobre 2021, à 16 heures 40, soit pendant ses horaires de travail alors qu’il effectuait un contrôle sur un thermostat d’ambiance.

Ce malaise’survenu de manière soudaine’est constitutif du fait accidentel à l’origine de la lésion mentionnée dans le compte-rendu d’hospitalisation rédigé par Mme le docteur [S] [G], à savoir une rupture d’anévrisme de l’artère splénique chez un patient porteur d’une hépatopathie.

La caisse démontrant ainsi’la survenance d’un accident au temps’et au lieu du travail, la présomption d’imputabilité de l’accident au travail trouve à s’appliquer et il appartient’à l’employeur’pour la renverser’de’démontrer que la cause du malaise est totalement étrangère au travail.

La société [5] tire argument des observations du 10 mars 2022 de son médecin conseil, le professeur [B], qui conclut que la cause du décès de [M] [U] est étrangère à son travail, en relevant notamment que les «’antécédents de tabagisme et de diabète de [M] [U] avaient certainement des altérations vasculaires par macro et microangiopathies’», et qu’«’il n’est pas impossible que [M] [U] cumulât plusieurs facteurs de risque comme une hypertension portale possible, liée à son hépatopathie, et une athérosclérose due à son tabagisme et son diabète’».

Les premiers juges ont, à juste titre, relevé que les éléments médicaux fondant les conclusions du professeur [B] sur l’absence de lien entre le décès et le travail étaient purement dubitatifs puisque ce médecin se contentait d’évoquer sans certitude des probabilités de cause étrangère du décès, lesquelles sont totalement impropres à renverser la présomption d’imputabilité.

De plus, les antécédents de diabète et de tabagisme’ne permettent pas de conclure, ni de laisser supposer que ces derniers auraient été à l’origine du’décès’et sont à tout le moins’insuffisants à rapporter’la preuve d’une cause totalement étrangère à l’accident.

Par ailleurs, l’employeur se prévaut des déclarations de l’épouse de [M] [U] lors de l’enquête de la CPAM selon lesquelles son époux était «’très fatigué depuis [quelque] temps’» et qu’il «’avait un traitement médical régulier’».

Toutefois, ces seules affirmations ne permettent pas de caractériser l’existence d’une pathologie antérieure évoluant pour son propre compte ou d’une cause totalement étrangère au travail du malaise.

Enfin, les témoignages des collègues de [M] [U] produits par l’employeur, lesquels relatent que «’tout allait bien’le matin’» du fait accidentel, ne sont pas non plus de nature à remettre en cause l’origine professionnelle du malaise.

En considération de l’ensemble de ces éléments, la société [5] échoue à rapporter la preuve que le malaise mortel dont a été victime [M] [U] a une cause totalement étrangère au travail.

Par conséquent, la société [5] sera déboutée de sa demande d’inopposabilité et le jugement confirmé en toutes ces dispositions.

Sur les dépens

La cour d’appel est saisie par la société [5] d’un appel des dispositions du jugement qui lui font grief, incluant les dispositions relatives aux dépens.

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société [5] succombant en ses demandes, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance et, y ajoutant, elle sera condamnée aux dépens d’appel.

 


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