Cour d’appel d’amiens, 17 janvier 2025, RG n° 23/03632
Cour d’appel d’amiens, 17 janvier 2025, RG n° 23/03632

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Thématique : Communication de documents administratifs : droit à la preuve et transparence des contrôles sociaux

Résumé

Exposé du litige

La société [5] a été soumise à un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires pour les années 2018, 2019 et 2020. Suite à ce contrôle, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais a mis la société en demeure de verser 1 144 509 euros, comprenant des rappels de cotisations et des majorations de retard. La société a contesté cette mise en demeure auprès de la commission de recours amiable (CRA), qui a annulé la mise en demeure mais validé la procédure de contrôle. Cependant, une nouvelle mise en demeure a été émise, entraînant une nouvelle contestation de la part de la société.

La décision dont appel

Le 3 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Lille a rendu un jugement en référé, déboutant la société [5] de sa demande de communication du rapport de contrôle de l’Urssaf et condamnant la société aux dépens. Cette décision a été notifiée à la société le 21 juillet 2023.

La déclaration d’appel

La société [5] a formé appel de cette décision le 26 juillet 2023, dans les délais et formes requis. Les parties ont été convoquées à une audience prévue pour le 17 octobre 2024.

Les prétentions et moyens des parties

La société [5] demande à la cour d’infirmer la décision du tribunal et d’ordonner à l’Urssaf de communiquer le rapport de contrôle, arguant que ce document est essentiel pour prouver les manquements procéduraux qu’elle soulève. L’Urssaf, quant à elle, demande la confirmation de la décision initiale, soutenant que le rapport de contrôle est un document interne et non communicable, et que la société a déjà reçu une lettre d’observations.

Motifs de la décision

La cour a examiné la demande de communication de pièce, notant que la société [5] a un intérêt légitime à obtenir le rapport de contrôle pour vérifier la régularité des opérations de contrôle. Bien que l’Urssaf ne soit pas obligée de communiquer ce rapport, rien ne l’en empêche. La cour a également constaté que la demande de communication ne portait pas atteinte à la vie privée ou aux secrets d’affaires. En conséquence, la cour a ordonné à l’Urssaf de communiquer le rapport dans un délai de deux mois.

Sur les dépens

L’Urssaf, ayant succombé dans ses prétentions, a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Sur les frais irrépétibles

La cour a également statué sur les frais irrépétibles, condamnant l’Urssaf à verser 1 500 euros à la société [5] au titre des frais non compris dans les dépens.

Sur l’exécution provisoire

L’arrêt étant exécutoire de plein droit, il n’y a pas lieu d’en rappeler l’exécution provisoire.

ARRET

société Legrand

C/

URSSAF Nord Pas-de-Calais

Copies certifiées conformes

-société Legrand

-URSSAF Nord Pas-de-Calais

-Me Thomas DEMESSINES

-Me Maxime DESEURE

-tribunal judiciaire

Copie exécutoire

-Me Thomas DEMESSINES

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 17 JANVIER 2025

*************************************************************

N° RG 23/03632 – N° Portalis DBV4-V-B7H-I3JB – N° registre 1ère instance : 23/00804

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (PÔLE SOCIAL) EN DATE DU 03 JUILLET 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

société [5]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée et plaidant par Me Thomas DEMESSINES, avocat au barreau de DOUAI

ET :

INTIMEE

URSSAF Nord Pas-de-Calais

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laëtitia BEREZIG, avocat au barreau d’AMIENS, substituant Me Maxime DESEURE de la SELARL LELEU DEMONT HARENG DESEURE, avocat au barreau de BETHUNE

DEBATS :

A l’audience publique du 17 octobre 2024 devant Mme Claire BERTIN, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Diane VIDECOQ-TYRAN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Claire BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe MELIN, président,

Mme Claire BERTIN, présidente,

et M. Renaud DELOFFRE, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 17 janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, greffier.

*

* *

DECISION

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

La société [5] a fait l’objet d’un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires portant sur les années 2018, 2019 et 2020.

Ensuite de ce contrôle et par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mai 2022, reçue le 10 mai 2022, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) du Nord Pas-de-Calais a mis la société [5] en demeure de lui verser la somme de 1 144 509 euros au titre des années 2018, 2019 et 2020, soit 1 035 664 euros de rappel de cotisations et 108 845 euros de majorations de retard.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet 2022, la société [5] a saisi la commission de recours amiable (CRA) afin de contester la mise en demeure du 9 mai 2022.

Le 27 juillet 2022, la CRA a accusé réception de sa saisine et notifié les voies et délais de recours.

Par décision du 29 septembre 2022, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 octobre 2022, la CRA a validé la procédure de contrôle, mais annulé la mise en demeure contestée.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 octobre 2022, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais a mis la société [5] en demeure de lui verser la somme de 1 242 255 euros due au titre des années 2018, 2019 et 2020, soit 1 035 664 euros de rappel de cotisations, 97 746 euros de majorations de redressement et 108 845 euros de majorations de retard.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2022, reçue le 19 décembre 2022, la société [5] a saisi la CRA aux fins de contestation de la mise en demeure du 13 octobre 2022.

Le 12 janvier 2023, la CRA a accusé réception de sa saisine et notifié les voies et délais de recours.

Dans le cadre de la préparation de la contestation de cette mise en demeure devant la CRA, et par courrier du 9 mars 2023, reçu le 21 mars 2023, la société [5] a demandé à l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais communication du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale.

Par courrier du 29 mars 2023, l’Urssaf a refusé de le lui communiquer.

Par courrier du 10 avril 2023, enregistré le 24 avril suivant, la société [5] a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis sur la communication de ce document.

Le 27 avril 2023, la CADA a accusé réception de sa saisine.

Par acte du 15 mai 2023, la société [5] a fait assigner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais en référé afin d’obtenir communication sous astreinte d’une copie du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale.

2. La décision dont appel :

Par « jugement » rendu le 3 juillet 2023, le président de la formation de jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille, statuant en référé, a :

débouté la société [5] de sa demande de communication du rapport de contrôle de l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais ;

condamné la société [5] aux entiers dépens de l’instance ;

débouté la société [5] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Cette décision a été notifiée à la société [5] par lettre recommandée expédiée le 21 juillet 2023.

3. La déclaration d’appel :

Par déclaration du 26 juillet 2023 reçue au greffe le 31 juillet suivant, la société [5] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de l’intégralité du dispositif de ce jugement.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 17 octobre 2024.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de ses conclusions récapitulatives visées le 17 octobre 2024, soutenues oralement par son conseil, la société [5] appelante demande à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de :

– infirmer la décision querellée en ce qu’elle l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

– condamner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais, le cas échéant sous telle astreinte qu’il plaira, à lui communiquer une copie du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale, dressé dans le cadre de la procédure de contrôle ;

– rappeler que l’arrêt à intervenir est exécutoire de plein droit ;

– condamner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens, ainsi qu’à assumer ces derniers dans le cadre de la présente instance.

A l’appui de ses prétentions, la société [5] fait valoir que :

– le rapport de contrôle institué par l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale constitue l’aboutissement de la procédure contradictoire et la dernière étape avant l’avis de recouvrement ; c’est sur ce rapport de l’agent chargé du contrôle que l’Urssaf se fonde pour décider ou non du recouvrement et de son montant ;

– le rapport de contrôle constitue son seul et unique moyen de prouver les manquements procéduraux qu’elle soulève d’ores et déjà devant la CRA, et qu’elle ne manquera pas de soulever par suite devant le tribunal judiciaire ;

– suivant décision du 1er juin 2023, la CADA a donné un avis favorable à sa demande de communication du rapport de contrôle, sous réserves notamment que celui-ci ne présente pas un caractère préparatoire à une décision administrative qui ne serait pas encore intervenue ou à laquelle l’administration n’aurait pas définitivement renoncé, et qu’il ne porte pas atteinte au secret de la vie privée de tiers ;

– le rapport de contrôle, objet de sa demande, est un document détaillant minutieusement les opérations de contrôle et précisant notamment les dates, heures, lieux, techniques utilisées lors du contrôle, les personnes interrogées, et encore les documents ou matériels informatiques prélevés ;

– ce rapport de contrôle destiné au supérieur hiérarchique de l’inspecteur peut révéler une remise de début de contrôle non formalisée, l’utilisation de clés USB, l’interrogation de tiers à la société, lesquels peuvent entraîner une nullité du contrôle et n’apparaissent pas dans la lettre d’observations ; il est le seul document permettant à un cotisant contrôlé de vérifier et plus encore de prouver que des manquements à la procédure ont été commis ;

– lors du recours devant la CRA, elle a exposé que l’Urssaf avait volontairement écarté certains documents, allant jusqu’à prétendre à tort que ceux-ci ne lui avaient pas été présentés lors du contrôle ;

– la demande de communication adressée à l’Urssaf résulte d’un motif légitime et celle-ci a compétence liée pour y répondre favorablement en application des articles L. 300-2, L. 311-1, L. 311-2, L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ; pour pouvoir faire l’objet d’une communication, les documents administratifs doivent en vertu de ces textes exister, être en possession de l’administration saisie de la demande, être achevés, et ne porter atteinte à aucun secret.

4.2.Aux termes de ses conclusions visées le 17 octobre 2024, soutenues oralement par son conseil, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais intimée demande à la cour de confirmer la décision dont appel, débouter la société [5] de ses demandes, et condamner la société [5] à lui payer la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

À l’appui de ses prétentions, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais fait valoir que :

– si, en application des articles L. 300-2, L. 311-1, L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration, et R. 243-59 IV du code de la sécurité sociale, l’inspecteur doit remettre à l’employeur, à l’issue des opérations de contrôle, une lettre d’observations sous peine de nullité desdites opérations, les textes ne lui imposent nullement de communiquer l’intégralité du rapport de contrôle ; le cotisant ne peut exiger d’y avoir accès, ni invoquer la nullité du contrôle, dès lors qu’il se trouve en possession de la lettre d’observations ;

– son rapport de contrôle est un document préparatoire interne, préalable à l’établissement de la mise en demeure, lequel ne conditionne pas la régularité de la procédure ;

– le rapport de contrôle ne fait pas partie des documents à remettre au cotisant, celui-ci devant uniquement recevoir une lettre d’observations motivant les causes du redressement ;

– la société [5] a été rendue destinataire d’une lettre d’observations, reprenant les motifs juridiques et factuels du redressement envisagé, dans le respect de la contradiction, la cotisante y répondant avant que l’inspecteur ne réplique à son tour dans une lettre du 21 mars 2022 ;

– la société [5] échoue à démontrer l’existence d’un motif légitime nécessitant la production du rapport de contrôle ; elle ne rapporte pas la preuve des manquements allégués lors du contrôle.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme en toutes ses dispositions la décision rendue en référé le 3 juillet 2023 par le président de la formation de jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille ;

Prononçant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Nord Pas-de-Calais de communiquer à la société [5] la copie du rapport de contrôle dressé par l’inspecteur du recouvrement en application de l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification de l’arrêt ;

Dit n’y avoir lieu à assortir d’une astreinte l’obligation de communication de pièce ;

Rejette les autres prétentions des parties ;

Condamne l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Nord Pas-de-Calais aux dépens de première instance et d’appel ;

La condamne en outre à payer à la société [5] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la débitrice de cette somme étant elle-même déboutée de sa demande indemnitaire à cette fin.

Le greffier, Le président,

 


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