Cour d’appel d’Amiens, 14 novembre 2017
Cour d’appel d’Amiens, 14 novembre 2017

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Thématique : Convictions religieuses du journaliste : l’éthique professionnelle

Résumé

Le licenciement d’un journaliste pour avoir exprimé ses convictions religieuses dans un bulletin confessionnel a été jugé fondé par les tribunaux. Bien que la liberté d’opinion soit garantie, l’expression publique de celle-ci ne doit pas nuire aux intérêts de l’entreprise. Dans ce cas, le journaliste, se présentant comme « chrétien bouddhiste », a créé une confusion entre ses fonctions professionnelles et ses croyances personnelles, compromettant ainsi la ligne éditoriale de son employeur, un journal laïque. La faute grave a été reconnue, justifiant son licenciement pour cause réelle et sérieuse, malgré l’absence de discrimination directe liée à ses convictions.

Licenciement fondé

Les obligations déontologiques du journaliste s’étendent également à l’extérieur de sa sphère professionnelle. Le licenciement d’un journaliste qui avait manifesté ses croyances religieuses avec prosélytisme, a été confirmé par les Tribunaux. L’employeur avait vu paraître dans un bulletin confessionnel distribué sur le secteur principal de la diffusion de son journal, une longue interview de son journaliste avec photographie, réalisée dans les locaux de l’employeur et citant à plusieurs reprises, le nom du journal.

Violation des règles professionnelles

La violation des règles professionnelles en usage dans l’entreprise (Contrat de travail et  Convention collective de la presse hebdomadaire régionale) a été retenue. De surcroît, le journal titré « Le Démocrate » s’était inscrit depuis 108 ans dans le courant de la laïcité. Selon la Convention collective applicable, le journaliste dispose de sa liberté d’opinion, mais l’expression publique de cette opinion ne doit en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise de presse dans laquelle il travaille.

Faute du journaliste

Le journaliste a été licencié pour faute grave, requalifiée en cause réelle et sérieuse par les juges. La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis. La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Dans l’interview donnée, le journaliste se présentait comme « chrétien bouddhiste » et  évoquait  sa foi et sa pratique religieuse et méditative. Si aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de ses convictions religieuses (article L1132-1 du code du travail), la lettre de licenciement ne visait pas l’expression des opinions religieuses ou la pratique de celle-ci mais le choix de les exposer dans un journal confessionnel, distribué dans le même secteur que le journal employeur, aux orientations laïques revendiquées.

Si le comportement du journaliste rendait impossible la poursuite de son contrat de travail, il ne revêtait pas un caractère de gravité suffisant pour prohiber le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis. Aussi, le licenciement a été déclaré intervenu pour une cause réelle et sérieuse. Le caractère conservatoire de la mise à pied est indissociable de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement. A défaut, la mise à pied est disciplinaire et peut rendre le licenciement illégitime pour s’être fondé sur des faits déjà sanctionnés.

Clause de conscience du journaliste

La liberté d’expression reconnue au journaliste trouve une garantie en la clause de conscience et une limite dans la nécessaire préservation des intérêts de l’entreprise de presse qui l’emploie. Le fait pour le salarié d’énoncer publiquement ses opinions religieuses dans un journal confessionnel couvrant potentiellement le même lectorat que celui de son employeur, dans des propos et conditions matérielles propres à créer la confusion entre ses fonctions de journaliste salarié et le citoyen exerçant sa liberté de croyance ou de pratique, porte atteinte aux intérêts de l’entreprise, discréditant la ligne éditoriale au risque d’une perte de lecteurs.

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