Cour d’appel d’Amiens, 10 septembre 2024, RG n° 23/04875
Cour d’appel d’Amiens, 10 septembre 2024, RG n° 23/04875

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Amiens

Résumé

Mme [L] [A] a contesté une ordonnance en demandant le déboutement de MM. [B] et [F] [R] ainsi que de Mme [D] [R], tout en sollicitant une indemnité de 2 500 euros. En réponse, M. [B] [R] a demandé la confirmation de l’ordonnance et le paiement de 5 000 euros, tandis que M. [F] [R] a plaidé pour l’irrecevabilité de l’appel. La cour a confirmé l’ordonnance, condamnant Mme [L] [A] aux dépens et lui ordonnant de verser 2 500 euros à MM. [B] et [F] [R], tout en rejetant sa demande. La créance de salaire différé a été jugée prescrite.

Mme [L] [A] a introduit une demande auprès de la cour pour infirmer une ordonnance, se déclarer recevable dans son action, débouter MM. [B] et [F] [R] ainsi que Mme [D] [R] de leurs demandes, et obtenir une indemnité de 2 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que le remboursement des dépens. En réponse, M. [B] [R] a demandé la confirmation de l’ordonnance, le paiement de 5 000 euros par Mme [L] [A] au titre de l’article 700, et la prise en charge des dépens. M. [F] [R] a, quant à lui, demandé la déclaration d’irrecevabilité de l’appel de Mme [L] [A] et le paiement de 3 000 euros. La cour a finalement confirmé l’ordonnance, condamné Mme [L] [A] aux dépens d’appel, et ordonné le paiement de 2 500 euros à MM. [B] et [F] [R], tout en déboutant Mme [L] [A] de sa demande.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
23/04875
ARRET

[A]

C/

[R]

[R]

[R]

MS/VB/DPC

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DIX SEPTEMBRE

DEUX MILLE VINGT QUATRE

Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 23/04875 – N° Portalis DBV4-V-B7H-I5ZZ

Décision déférée à la cour : ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D’AMIENS DU SEIZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

PARTIES EN CAUSE :

Madame [L] [A]

née le [Date naissance 7] 1946 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 12]

Représentée par Me Laetitia RICBOURG de la SELARL LAETITIA RICBOURG, avocat au barreau d’AMIENS

APPELANTE

ET

Monsieur [B] [R]

né le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 14]

[Localité 10]

Représenté par Me Olympe TURPIN substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d’AMIENS

Plaidant par Me Denis GUERARD de la SELARL CABINET GUERARD, avocat au barreau de BEAUVAIS

Monsieur [F] [R]

né le [Date naissance 8] 1949 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représenté par Me Emmanuel NDOUNKEU, avocat au barreau d’AMIENS

Madame [D] [R]

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 11]

Assignée à étude le 01/02/2024

INTIMES

DEBATS :

A l’audience publique du 21 mai 2024, l’affaire est venue devant Mme Myriam SEGOND, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 10 septembre 2024.

La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Agnès FALLENOT, Présidente, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE DE L’ARRET :

Le 10 septembre 2024, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, Greffière.

*

* *

DECISION :

[J] [R] et son épouse [U] [S] sont respectivement décédés le [Date décès 3] 1998 et le [Date décès 5] 2018, en laissant pour leur succéder [L], veuve [A], [B], [F] et [D].

Mme [K], notaire, a été chargée des opérations de partage de la communauté et des successions et a dressé un procès-verbal de difficulté le 19 novembre 2021.

Par acte du 16 janvier 2023, Mme [L] [A] a assigné MM. [B] et [F] [R] ainsi que Mme [D] [R] devant le tribunal judiciaire d’Amiens afin de voir fixer sa créance de salaire différé pour la période du 29 décembre 1964 au 31 décembre 1969.

Par ordonnance du 16 novembre 2023, le juge de la mise en état a :

– déclaré irrécevable l’action en justice de Mme [L] [A],

– débouté MM. [F] et [B] [R] de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [L] [A] aux dépens.

Par déclaration du 28 novembre 2023, Mme [L] [A] a fait appel.

La déclaration d’appel a été signifiée le 1er février 2024 à Mme [D] [R] par remise à étude.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mai 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions du 22 mars 2024, Mme [L] [A] demande à la cour :

– d’infirmer l’ordonnance,

– de la déclarer recevable en son action,

– de débouter MM. [B] et [F] [R] ainsi que Mme [D] [R] de l’ensemble de leurs demandes,

– de condamner MM. [B] et [F] [R] ainsi que Mme [D] [R] à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’incident.

Par conclusions du 19 avril 2024, M. [B] [R] demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance,

– condamner Mme [L] [A] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [L] [A] à supporter les entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me Jérôme Le Roy, avocat, pour ceux dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions du 29 février 2024, M. [F] [R] demande à la cour de :

– déclarer Mme [L] [A] irrecevable en son appel,

– condamner Mme [L] [A] à lui payer une somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

MOTIVATION

1. Sur la recevabilité de l’action de Mme [L] [A]

Mme [L] [A] soutient que sa créance de salaire différé n’est pas prescrite. Elle fait valoir que ses parents étant co-exploitants, elle est réputée bénéficiaire d’un unique contrat de travail à salaire différé et peut donc exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions. Elle ajoute, sur la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, que ce principe ne peut être invoqué pour sanctionner des contradictions qui sont extérieures à l’instance. Elle précise enfin, sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée de la transaction, que le procès-verbal de difficulté du 19 novembre 2021, retenant une valeur pour la créance de salaire différé, ne vaut pas transaction puisque le partage n’a pas fait l’objet d’un accord global engageant définitivement les parties.

M. [B] [R] réplique que la créance de salaire différé revendiquée par Mme [L] [A] est prescrite. Selon lui, cette dernière n’apporte pas la preuve de la qualité d’exploitant agricole de leur mère, de sorte que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de l’ouverture de la succession de leur père seul exploitant. Il oppose, par ailleurs, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée de l’accord donné par Mme [L] [A] sur le montant des créances de salaire différé de chacun des cohéritiers dans le procès-verbal de difficulté du 19 novembre 2021, cet accord valant transaction, peu important que le partage n’ait pas fait l’objet d’un accord global.

M. [F] [R] ajoute que la remise en cause par Mme [L] [A] des accords intervenus avec ses frères et sa soeur constitue une violation du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui et conclut donc à l’irrecevabilité de sa demande de ce chef.

Sur ce, selon l’article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, lorsque des enfants participent sans rémunération à l’exploitation agricole de leur auteur, ils détiennent contre la succession de celui-ci une créance de salaire différé.

Cette créance se prescrit selon le droit commun.

Avant la réforme de 2008, elle était donc soumise à une prescription trentenaire.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, selon l’article 2224 du code civil, la prescription de droit commun est quinquennale. L’article 26 de cette loi précise que ce nouveau délai s’applique aux prescriptions en cours à partir du 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder trente ans.

Le délai de prescription court du jour de l’ouverture de la succession de l’exploitant.

En cas de co-exploitation ou d’exploitations successives par les ascendants, le descendant est réputé bénéficiaire d’un unique contrat de salaire différé et peut exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions (1ère Civ., 23 janvier 2008, n°06-21.301, publié).

Cependant, il est également jugé qu’au cas où chacun des parents a été successivement exploitant de la même exploitation, leur descendant ne peut se prévaloir d’un unique contrat de travail à salaire différé pour exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions qu’à la condition que ce contrat ait reçu exécution au cours de l’une et de l’autre des deux périodes (1re Civ., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-26.725, publié).

En l’espèce, la créance de salaire différé revendiquée par Mme [L] [A] concerne la période du 29 décembre 1964 au 31 décembre 1969.

Il résulte des attestations de la Mutualité sociale agricole (MSA) du 11 octobre 2023 que [J] [R] a été inscrit du 1er juillet 1952 au 30 juin 1988 en qualité de chef d’exploitation et que [U] [R] a été inscrite du 1er juillet 1952 au 29 juin 1988 en qualité de conjointe d’exploitant participante aux travaux et du 30 juin 1988 au 14 décembre 1992 en qualité de cheffe d’exploitation.

Si le procès-verbal de difficulté du 19 novembre 2021 et plusieurs attestations fournies aux débats confirment que les copartageants ont travaillé dans « l’exploitation agricole de leurs parents », ces éléments ne suffisent pas à démontrer que [U] [R] avait la qualité de dirigeant d’exploitation au même titre que son mari pendant la période d’exécution du contrat de travail à salaire différé.

Il y a lieu de retenir, au vu de l’attestation de la MSA, que [U] [R] n’a acquis la qualité d’exploitante agricole que le 30 juin 1988, soit postérieurement à l’exécution de la prestation de travail.

L’action de Mme [L] [A] en reconnaissance d’une créance de salaire différé a donc commencé à courir au jour du décès de son père seul exploitant au moment de la prestation de travail, le [Date décès 3] 1998, et elle est donc prescrite depuis le 18 juin 2013.

L’ordonnance est confirmée.

2. Sur les frais du procès

Les dispositions de l’ordonnance relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées.

Partie perdante, Mme [L] [A] sera condamnée aux dépens d’appel avec paiement direct au profit de M. [C], avocat, à payer à MM. [B] et [F] [R] la somme de 2 500 euros à chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt par défaut, rendu par mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,

Confirme l’ordonnance,

Y ajoutant :

Condamne Mme [L] [A] aux dépens d’appel avec paiement direct au profit de M. [C], avocat,

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [L] [A] à payer à MM. [B] et [F] [R] la somme de 2 500 euros à chacun,

La déboute de sa propre demande à ce titre.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon