Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Thématique : Rétention Administrative : Nullité de la Procédure Confirmée
→ RésuméLe 9 mai 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a examiné l’affaire de Monsieur [U] [P], placé en rétention administrative suite à un contrôle de police. L’appel a été interjeté par le Procureur de la République de Nice, contesté par la défense qui a soulevé des nullités de procédure. La Cour a constaté que le contrôle d’identité de M. [P] avait été effectué hors cadre légal, portant atteinte à ses droits. En conséquence, elle a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de Nice, annulant la procédure de rétention. Les parties peuvent se pourvoir en cassation.
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9 mai 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
22/00431
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 09 MAI 2022
N° 2022/0431
Rôle N° RG 22/00431 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJLM3
Copie conforme
délivrée le 09 mai 2022 par courriel à :
-l’avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD de Nice
-le retenu
-le MP
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Nice en date du 07 mai 2022 à 13h19.
APPELANT
Monsieur Le Procureur de la République de Nice
Représenté par M. Denis VANBREMEERSCH, Avocat général près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence
INTIME
Monsieur [U] [P]
né le 25 novembre 1994 à [Localité 3]
de nationalité algérienne
Comparant en personne, assisté de Me Yann LE BRAS, avocat choisi au barreau de Paris
Monsieur le préfet des Alpes-Maritimes
Représenté par Maître Grégory ABRAN, avocat au barreau de Nice
DÉBATS
L’affaire a été débattue en audience publique le 09 mai 2022 devant Madame Laurence DEPARIS, Conseillère à la cour d’appel déléguée par le premier président par ordonnance, assistée de Mme Lydia HAMMACHE, greffière,
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 09 mai 2022 à 15H19,
Signée par Madame Laurence DEPARIS, Conseillère et Mme Lydia HAMMACHE, greffière,
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ;
Vu l’arrêté d’expulsion pris le 27 avril 2022 par le ministre de l’intérieur et, notifié le 5 mai 2022 à 16h00 ;
Vu la décision de placement en rétention prise le 5 mai 2022 par le préfet des Alpes- Maritimes notifiée le même jour à 16h10;
Vu l’ordonnance du 07 mai 2022 rendue par le juge des libertés et de la détention de Nice décidant la mainlevée de la mesure de rétention administrative de Monsieur [U] [P],
Vu l’appel suspensif interjeté le 07 mai 2022 par Monsieur le Procureur de la République du Tribunal judiciaire de Nice ;
M. [P] déclare : ‘le policier m’a demandé si j’avais le permis, j’ai dit oui car il avait interpellé le conducteur, il m’a demandé ce que j’avais comme papiers, j’ai répondu que j’avais mon permis en original, ma carte vitale, ma carte bleue et des photocopies qui vont avec, ils m’ont ensuite pris et m’ont mis les menottes. Ils m’ont laissé dans le flou jusqu’à 23h30 et ensuite ils m’ont dit tu es placé en rétention. Je ne sais pas pourquoi ils ont contrôlé si j’avais le permis car je l’avais sur moi. Ils ont regardé la carte bancaire de ma société et ont parlé que de cela. Mes documents ne sont pas confisqués. J’ai réussi à aller à [Localité 4] et j’ai fait des actes à titre professionnel avec mes papiers.’
Monsieur L’AVOCAT GÉNÉRAL demande l’infirmation de l’ordonnance déférée. Il fait valoir que la consultation du FPR a été justifiée par l’absence de document d’identité de M. [P] ; en l’absence de tel document, les policiers devaient s’assurer que M. [P] était effectivement la personne titulaire du permis de conduire telle que cela résultait de la consultation du fichier des permis de conduire, qu’il s’agit d’un contrôle de permis de conduire et non d’identité. Nous sommes dans le cadre d’une vérification d’identité. Il ajoute que la conduite au poste s’est effectuée sans contrainte, que la notification des droits a été effectuée dans un délai raisonnable tout comme l’information du parquet, qui en outre n’a causé aucun grief. Il précise que la notification du placement en rétention pouvait se faire à tout moment de même que l’arrêté d’expulsion. Sur le fond, il ajoute que l’intéressé ne présente pas de garanties de représentation suffisantes et conclut à l’infirmation de la décision déférée. Il s’en rapporte sur le fond.
M. Le Préfet des Alpes-Maritimes, représenté par Me ABRAN, sollicite l’ infirmation de l’ordonnance déférée. Il fait valoir : la seule difficulté est le cadre de l’interpellation. S’il avait dit ne pas avoir de permis et que les policiers l’avait passé aux différents fichiers il y aurait eu une difficulté. Là il a dit ne pas avoir de papiers d’identité et ne pas avoir son permis sur lui. Les policiers l’ont donc passé aux fichiers car il n’avait pas de documents d’identité, donc la consultation du fichier des personnes recherchées est justifiée. Le contrôle est donc régulier.
Je fais un parallèle avec les interpellations en préfecture où l’on considère que le contrôle est régulier.
Sur les autres moyens de nullité, je verse de la jurisprudence où ce qui est important ce n’est pas l’interpellation mais la présentation de la personne devant l’officier de police judiciaire et il ne démontre aucun grief. Le parquet a été consulté en amont du placement en retenue et a donné des instructions aux policiers. Je ne sais pas si c’est une erreur des policiers qui parlent de rétention au lieu de retenue car les documents concernent bien une retenue.
Sur la requête en contestation, elle est hors de votre compétence.
Le premier moyen n’est pas justifié car le consulat algérien est plus coopératif avec les autorités françaises.
Tous les éléments contenus dans la décision de déchéance de nationalité et la décision d’expulsion sont compilés par la DGSI. Il n’y a aucun élément montrant qu’il ait coopéré avec les services de la DGSI.
Cette démonstration est hors sujet.
Sur les garanties de représentation, il n’avait aucun document d’identité au moment de son interpellation et son placement. Il a un passeport mais il n’a pas la nationalité française et donc n’a pas de passeport en cours de validité et son passeport algérien est périmé, il est en situation irrégulière sur le territoire français.
Son conseil produit une page d’un document du ministère indiquant que la déchéance de nationalité ne le place pas en situation irrégulière.
Il dit avoir fait des démarches en préfecture et qu’il est dans l’attente, cela va à l’encontre des déclarations de son conseil disant qu’il peut se maintenir sur le territoire français.
On n’a pas de preuve de ses démarches.
Il n’a pas de résidence stable et effective car il dit habiter chez sa mère mais verse une attestation d’hébergement de sa compagne. Il ne verse pas de documents justifiant la réception des courriers chez sa mère, il faut montrer une adresse réelle et effective.
Il a un comportement extrêmement dangereux et l’arrêté ministériel reprend le faits retenus à son encontre, la procédure de déchéance de nationalité n’est pas ordinaire, elle concerne seulement une personne qui n’est pas digne d’être française. Ce monsieur présente toujours un danger pour la société.
Maître LE BRAS, conseil de M. [U] [P] a été régulièrement entendu ; il conclut à la nullité de la procédure eu égard aux conditions d’interpellation et au contrôle d’identité en-dehors de tout cadre légal, à la notification tardive de sa retenue et des droits y afférents, au caractère tardif de l’avis à parquet, à la notification tardive et irrégulière de l’arrêté ministériel d’expulsion et de l’arrêté préfectoral de placement en rétention.
Il conteste la décision de placement en rétention administrative faisant valoir l’absence de perspective d’éloignement de M. [U] [P] qui ne dispose pas de documents d’identité algérien et au vu des relations entre la France et l’Algérie, fait valoir le caractère disproportionné de la mesure eu égard à l’absence de menace pour la sécurité intérieure et l’atteinte à sa vie privée et familiale. Il demande l’annulation des effets de l’arrêté de placement en rétention et à titre subsidiaire, son placement sous assignation à résidence.
Il ajoute que M. [U] [P] est parti avec 20 autres jeunes de son quartier dont le fils d’une policière et l’état islamique n’existait pas. Il est le premier niçois à partir et à revenir. Il est sorti au bout de 4 mois et le premier majeur de retour de Syrie placé sous contrôle judiciaire. La CHAP de Paris n’a pas validé le premier projet de sortie mais la juge de l’application des peines le libère en 2019. A sa sortie, il fait une demande de CNI en 2019 (pièce 31) et le passeport est renouvelé le 11 décembre 2020, depuis il est commerçant et a une autorisation préfectorale pour vendre des boissons alcoolisées.
On vérifie que le numéro de téléphone est actif et a un rendez-vous avec un opj tous les deux mois. L’arrêté d’expulsion est du 19 avril et son opj de suivi n’est pas au courant ‘
On a un article de mediapart faisant part du refus de l’Algérie de reprendre les ressortissants expulsés. Il est depuis le [Adresse 1], on a des factures à son nom. Sa compagne qui est étudiante en Médecine habite dans un quartier plus calme. Le mémoire du ministère de l’intérieur du 11décembre 2021 indique que la déchéance de nationalité n’emporte pas mesure d’éloignement.
Vous avez l’attestation du journaliste de complément d’enquête qui indique que l’homme floutté dans le reportage sur la Syrie est bien M. [P]. On a eu un accord donnant donnant pour qu’il n’aille pas en quartier dédié dans le cadre de sa détention. La DGSI a poursuivi dans le cadre du FIJAIT la procédure du donnant donnant. On a une situation qui mérite de se poser la question d’une assignation à résidence avec une personne qui doit justifier de son numéro de téléphone, de son domicile et avec des rendez-vous avec son opj FIJAIT. Le seul document d’identité dont je dispose est son passeport français.
Il est dans une situation d’apatride. On a la consultation du consulat d’Algérie où il est indiqué son intervention en Syrie, on peut se demander ce que va faire l’Algérie de ce M. [P]. On va contester l’arrêté d’expulsion devant le Conseil d’Etat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l’appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention n’est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d’irrégularité.
Sur les nullités de procédure
L’article L. 743-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d’une demande sur ce motif ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger.
Sur les conditions d’interpellation de M. [U] [P]
Il résulte de la procédure établie par les services de police de [Localité 2] que le 4 mai 2022, ils ont procédé au contrôle du conducteur d’un véhicule MERCEDES BENZ immatriculé FX 843ZH dans la mesure où ce dernier faisait usage de son téléphone portable. Le contrôle a révélé que le conducteur, M. [Y] [X], n’était pas titulaire du permis de conduire et il a été verbalisé. Afin d’envisager de remettre le véhicule en circulation, les policiers ont demandé à M. [U] [P] s’il était titulaire du permis de conduire ce qu’il a confirmé, ce dernier démuni de document d’identité a alors remis sa carte bancaire supportant son identité. Les policiers ont alors procédé alors à la consultation du SNPC confirmant cette information. Ils ont, à l’issue, procédé à la consultation du Fichier des Personnes Recherchées révélant que M. [P] faisait l’objet de deux fiches de recherches et l’ont invité à le suivre au commissariat, ce à quoi il a consenti.
M. [P] affirme à l’audience avoir été en possession dans sa sacoche de son permis de conduire, de sa carte vitale, de sa carte bancaire et de la copie de son passeport et de sa carte nationale d’identité. Cependant, ces déclarations ne sont étayées par aucun autre élément et ne résultent pas du procès-verbal établi par les policiers.
Il convient de relever que le procès-verbal intitulé ‘saisine interpellation de M. [P] [U]’ ne vise aucun texte encadrant le contrôle du conducteur et cette ‘interpellation’.
En l’espèce, il apparaît qu’en demandant un élément d’identité au passager du véhicule qui ne répondait à aucun des critères justifiant un contrôle prévu les dispositions de l’article 78 alinéa 2 à 6 du code de procédure pénale alors que seul le conducteur avait commis une infraction et en le soumettant à la consultation de deux fichiers, les policiers ont de fait procédé à un contrôle d’identité de M. [U] [P] hors de tout cadre légal ainsi que relevé par le premier juge . Il convient d’ajouter que si le but poursuivi n’était que de remettre le véhicule en circulation, on peut légitimement s’interroger sur le fait que les policiers ont, après consultation du fichier des permis de conduire, poursuivi leur contrôle en interrogeant le Fichier des Personnes Recherchées qui a pour finalité de faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles effectués, dans le cadre de leurs attributions respectives par les services de la police nationale (…)selon l’article 1 du décret 28 mai 2010 relatif au FPR. A ce titre, il convient de relever que le troisième passager qui a été autorisé à conduire le véhicule, n’a été soumis à aucun contrôle sur le Fichier des Personnes Recherchées, quand bien même il a présenté un permis de conduire qui aurait pu également faire l’objet de vérifications. On ne peut dès lors soutenir qu’il s’agit d’un simple contrôle du permis de conduire. On ne peut soutenir par ailleurs comme le fait le ministère public, que les opérations effectuées par les agents de police judiciaire se sont apparentées à une seule ‘vérification d’identité’ destinée à remettre le véhicule en circulation, cette vérification ne pouvant s’opérer hors de tout cadre légal. Enfin, s’il a pu être jugé, notamment par la présente cour, que la consultation du fichier des personnes recherchées n’était pas soumise à l’existence d’une infraction, il importe de noter que le cas d’espèce soumis concernait la consultation de ce fichier opérée dans le cadre d’un contrôle routier prévu par la loi et, en l’occurrence, le code de la route.
Ces conditions de contrôle ont porté atteinte aux intérêts de M. [P] [U], placé en retenue et en rétention par la suite.
Dans ces conditions, il convient d’accueillir l’exception de nullité soulevée, de constater la nullité de la procédure et de confirmer la décision du premier juge en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Confirmons l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de NICE en date du 07 mai 2022.
Les parties sont avisées qu’elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d’Etat ou de la Cour de cassation.
La greffière,La présidente,
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