Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Thématique : Divisibilité et interdépendances de contrats de progiciels
→ RésuméDans le cadre de contrats de développement de progiciels, la question de l’indivisibilité et de l’interdépendance des contrats a été soulevée. Bien que les logiciels aient été conçus pour être compatibles, il n’a pas été prouvé que l’absence de l’un d’eux rendait impossible l’exécution des autres. Ainsi, la cour a conclu que les contrats étaient juridiquement autonomes. En vertu de l’article 1184 du code civil, la résolution d’un contrat n’est pas automatique en cas d’inexécution, laissant à la partie lésée le choix entre exiger l’exécution ou demander la résolution avec dommages et intérêts.
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Des contrats portant sur le développement de progiciels (logiciel de comptabilité et de paie, un second logiciel dédié à la gestion des stocks et approvisionnements et un troisième logiciel de gestion des temps de travail) peuvent être appréhendés individuellement (exclusion d’une indivisibilité contractuelle).
En l’occurrence, le déploiement d’une solution informatique a signalé des dysfonctionnements. Pour autant, si les logiciels développés avaient pour objectif d’être compatibles entre eux, conformément à la demande initiale du client, en vue d’une solution globale, aucun élément n’établissait que la disparition de l’un de ces logiciels rendait impossible l’exécution des autres.
Dès lors, l’interdépendance des différents contrats, ou à tout le moins leur indivisibilité, n’a pas été retenue, peu important à cet égard que le prestataire (la société Cegid) ait été à l’initiative de l’offre et ait pu coordonner la compatibilité des différents applicatifs, cette circonstance étant indifférente à caractériser l’interdépendance des contrats dans leur modalités d’exécution.
Aux termes de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT DU 05 MAI 2022
N° RG 18/16647 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDG7H
SARL DEPOTITO
SARL MERIMOUT
C/
SAS SEQUOIASOFT
SASU CEGID
SAS OCTIME
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d’ANTIBES en date du 14 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2017/00004.
APPELANTES
SARL DEPOTITO, dont le siège social est sis […]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Benoît LAFOURCADE, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Natalia RICHARDSON, avocat au barreau de BORDEAUX, plaidant
SARL MERIMOUT, dont le siège social est sis […]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN
CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Benoît LAFOURCADE, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Natalia RICHARDSON, avocat au barreau de BORDEAUX, plaidant
INTIMEES
SAS SEQUOIASOFT, dont le siège social est sis immeuble […], […]
représentée par Me Paule ABOUDARAM, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assistée de Me Florent CUTTAZ., avocat au barreau de CHAMBERY, plaidant
SASU CEGID, dont le siège social est sis […]
représentée par Me Philippe KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Caroline BRUMM, avocat au barreau de LYON, plaidant
SAS OCTIME, dont le siège social est sis […]
représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Arnaud DIMEGLIO, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant
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COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 14 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022,
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
L a s o c i é t é D e p o t i t o d i s p o s e d e p l u s i e u r s é t a b l i s s e m e n t s d e r e s t a u r a t i o n e n r é g i o n Nouvelle-Aquitaine, dont l’un situé à Mérignac et exploité sous forme de franchise par la société Merimout.
En 2014 la société Depotito s’est rapprochée de la société Cegid, spécialisée dans les logiciels professionnels, dans l’objectif de se doter d’un système de traitement automatisé et centralisé des données entre les différents restaurants exploités et son siège social, notamment pour assurer une remontée en temps réel et optimiser la gestion à distance. L’objectif était également de se doter d’une solution de gestion des ressources humaines.
Ainsi, en 2014 et 2015 quatre contrats ont été conclus avec la société Cegid, la société Sequoiasoft et la société Octime, portant sur un logiciel de comptabilité et de paie, un second logiciel dédié à la gestion des stocks et approvisionnements et un troisième logiciel de gestion des temps de travail.
Dès le déploiement de la solution informatique en mai 2015 sur le site de Mérignac, choisi comme site pilote, la société Depotito a signalé des dysfonctionnements.
Plusieurs échanges sont intervenus postérieurement entre les parties pour la mise en oeuvre des logiciels et par ailleurs, certaines factures sont restées impayées par les sociétés Depotito et Merimout.
En l’absence d’accord, plusieurs procédures ont alors été introduites devant le tribunal de commerce d’Antibes, d’une part à l’initiative de la société Sequoiasoft en paiement de factures, avec l’intervention forcée des société Cegid et Depotito et d’autre part, à l’initiative des sociétés Merimout et Depotito en résiliation des contrats et indemnisation de leurs préjudices par actes des 27 décembre 2016 et 16 août 2017.
Par jugement en date du 14 septembre 2018 le tribunal de commerce d’Antibes a joint les trois affaires et a :
-déclaré irrecevable l’action de la société Merimout à l’encontre de la société Octime,
-débouté la société Depotito et la société Merimout de leur demande d’indivisibilité de la solution informatique et des contenus signés avec la société Sequoiasoft, la société Octime et la société Cegid,
-dit les logiciels et les contrats respectifs des sociétés la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime techniquement et juridiquement autonomes et indépendants les uns des autres,
-condamné la société Depotito et la société Merimout à payer à la société Sequoiasoft la somme en principal de 10.787,64 euros majorée des seuls intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 juillet 2017 sans capitalisation des intérêts, outre la somme de 240 euros à titre d’indemnité forfaitaire et 539,39 euros au titre de la clause pénale,
-débouté la société Depotito et la société Merimout de leurs demandes à l’encontre de la société Sequoiasoft,
-débouté la société Depotito et la société Merimout de leur demande à l’encontre de la société Cegid et la société Octime au titre de l’obligation d’information et de conseil,
-débouté la société Depotito et la société Merimout de leur demande de résolution des contrats et de restitution des sommes versées à l’encontre de la société Cegid,
-rejeté l’exception d’inexécution à l’encontre de la société Cegid,
-condamné reconventionnellement la société Depotito à payer à la société Cegid la somme de 9.941,91 euros au titre des factures impayées sans majoration d’intérêts et sans capitalisation, outre la somme de 1.440 euros au titre de l’indemnité forfaitaire,
-débouté la société Depotito et la société Merimout de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions à l’encontre de la société Cegid,
-rejeté l’exception d’inexécution à l’encontre de la société Octime,
-débouté la société Depotito de sa demande de résolution des contrats et de restitution des sommes versées ainsi que de toutes ses autres demandes, fins et conclusions à l’encontre de la société Octime,
-condamné la société Depotito et la société Merimout à payer à la société Sequoiasoft la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, 3.000 euros à la société Cegid et 3000 euros à la société Octime au même titre et a condamné la société Depotito et la société Merimout aux entiers dépens
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Par déclaration en date du 19 octobre 2018 la société Merimout et la société Depotito ont interjeté appel du jugement.
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Par ordonnance d’incident du 5 novembre 2019 le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d’expertise judiciaire formée par la société Merimout et la société Depotito et a assorti le jugement de l’exécution provisoire sur laquelle le tribunal de commerce avait omis de statuer.
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Par dernières conclusions du 11 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Depotito (SARL) et la société Merimout (SARL), au visa notamment des articles 1134, 1146, 1184, 1186, 1187, 1219 et 1226 du code civil, font valoir que le jugement doit être réformé en premier lieu en ce qu’il a rejeté la qualification d’interdépendance contractuelle en méconnaissant l’économie générale de l’opération, laquelle doit être considérée dans son ensemble.
En second lieu, les sociétés appelantes invoquent la réformation du jugement en ce qu’il n’a pas tenu compte des manquements commis par la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime tant dans la mise en place technique de la solution informatique que dans leur obligation de conseil et d’information.
Les sociétés Merimout et Depotito contestent par ailleurs toutes fautes qui leur seraient imputables et soulèvent l’exception d’inexécution au profit de la société Depotito à l’égard de la société Sequoiasoft et de la société Cegid.
Enfin, les sociétés appelantes demandent la résolution des contrats conclus avec les trois sociétés intimées à leurs torts exclusifs et sollicitent l’indemnisation de leurs préjudices.
Les sociétés appelantes demandent à la cour d’infirmer en tous points le jugement rendu et statuant à nouveau, de prononcer la résolution des contrats conclus avec la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime aux torts exclusifs de ces dernières, et en conséquence de les condamner solidairement à payer les sommes suivantes :
– 169.902,79 euros au titre de la restitution à la société Depotito de l’intégralité des sommes versées par la société Depotito au titre des contrats Sequoisoft Siège, Cegid et Octime,
– 17.981,45 euros au titre de la restitution à la société Merimout de l’intégralité des sommes versées par la la société Merimout au titre du contrat Sequoia soft Site,
– 49.000 euros à la société Depotito au titre du préjudice subi en raison des pertes d’exploitation,
– 10.000 euros chacune à la société Depotito et la société Merimout en réparation du préjudice d’image,
Subsidiairement,
-condamner la société Cegid à rembourser à la société Depotito l’intégralité des sommes réglées par cette société pour le déploiement des applicatifs convenus au titre du contrat Cegid soit la somme de 113.646,44 euros,
-condamner la société Sequoiasoft à rembourser à la société Depotito les sommes suivantes :
. 25.164,60 euros pour le déploiement des applicatifs convenus au titre du contrat Sequoiasoft
. 49.000 en raison du préjudice subi au titre des pertes d’exploitation
-condamner la société Sequoiasoft à rembourser à la société Merimout la somme de 17.981,45 euros pour le déploiement des applicatifs convenus au titre des contrats Sequoiasoft Siège,
-condamner la société Octime à rembourser à la société Merimout la somme de 31.091,75 euros pour le déploiement des applicatifs convenus au titre du contrat Octime,
-condamner « solidairement » la société Sequoiasoft à payer à la société Depotito et la société Merimout la somme de 10.000 euros chacune en réparation du préjudice d’image,
En tout état de cause,
-débouter la société Sequoiasoft, et la société Cegid de leurs demandes de condamnation de la société Depotito au paiement des factures et pénalités,
-débouter la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime de l’intégralité de leurs demandes,
-condamner solidairement la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime au paiement de la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens dont distraction
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Par dernières conclusions du 24 janvier 2022 et auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Cegid (SASU) conteste l’interdépendance des contrats et souligne que les griefs invoqués par la société Depotito et la société Merimout ne portent que sur le logiciel métier acquis auprès de la société Sequoiasoft avec laquelle elle conteste tout lien, rappelant qu’elle lui a cédé la branche d’activité hôtellerie-restauration.
La société Cegid ajoute que les solutions logicielles sont compatibles entre elles mais sont indépendantes et peuvent fonctionner de façon autonome.
Elle conteste par ailleurs toute participation aux contrats signés avec les sociétés Sequoiasoft et Octime de même qu’aux pourparlers, et souligne que la société Depotito a d’ailleurs tenu sa comptabilité pendant trois ans avec le logiciel acquis auprès de ses services et n’a résilié le contrat qu’en mars 2018.
La société Cegid conteste par ailleurs un quelconque rôle de maître d’oeuvre ou de coordination du dossier commercial et des opérations de mise en place des trois solutions et dénie tout manquement à une obligation de conseil et d’information.
Elle reconnaît néanmoins que la solution paie n’a pas été mise en place et qu’elle a proposé une résiliation à ce titre (solution Y2RH).
A titre reconventionnel la société Cegid demande le paiement des factures relatives à la solution comptabilité utilisée par la société Depotito.
La société Cegid demande ainsi à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter la société Merimout et la société Depotito de l’intégralité de leurs prétentions, et y ajoutant, de condamner la société Depotito au paiement de la facture actualisée pour un montant de 19.435, 06 euros outre intérêts au taux de trois fois le taux légal à compter des factures et de condamner in solidum la société Depotito et la société Merimout au paiement des entiers dépens de l’appel outre une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
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Par dernières conclusions du 11 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Octime (SAS) expose in limine litis que la société Merimout est irrecevable à agir à son encontre dès lors qu’elle n’a pas qualité pour ce faire en l’absence de relation contractuelle entre les parties.
Sur le fond, la société Octime rappelle que le contrat signé avec la société Depotito contient des clauses d’exclusion de responsabilité dans les hypothèses visées aux articles 7, 8, 9 et 10 et qu’elle a rempli ses obligations de conseil et d’information au regard des pièces remises à la société Depotito et a, en outre, fourni une solution logicielle conforme aux besoins de cette dernière.
La société Octime fait valoir par ailleurs qu’il n’existe aucune indivisibilité de ses contrats avec ceux de la société Sequoiasoft et de la société Cegid, tant juridiquement que techniquement.
Enfin, la société Octime soutient qu’aucun motif ne justifie la résolution du contrat dès lors qu’aucune faute grave dans l’exécution des prestations n’est établie à son égard et qu’il n’existe aucune interdépendance justifiant la résolution du fait des éventuels dysfonctionnements du contrat conclu avec la société Sequoiasoft. Elle invoque en outre l’absence de préjudice des sociétés appelantes.
La société Octime demande ainsi à la cour de confirmer le jugement entrepris et en conséquence, de débouter la société Depotito et la société Merimout de l’intégralité de leurs demandes et de les condamner au paiement d’une somme de 10.000 euros pour procédure abusive outre au paiement in solidum de la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de l’appel.
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Par dernières conclusions du 18 avril 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Sequoiasoft (SAS) rappelle qu’elle a signé un contrat de solution logicielle « Win Rms Multi établissements siège » de 36 mois avec la société Depotito et que la société Merimout, exploitant un restaurant à Mérignac a été choisie comme site test.
La société Sequoiasoft dénonce le non-paiement par la société Depotito des factures et conteste toute indivisibilité entre les contrats conclus.
Elle conteste par ailleurs l’exception d’inexécution invoquée par la société Depotito et la société Merimout et souligne que ces dernières ne peuvent se fonder sur un rapport d’intervention non établi contradictoirement et rédigé exclusivement à charge sur le simple point de vue des requérantes, de fait inopposable.
La société Sequoiasoft fait valoir que les lenteurs du logiciel de caisse et les problèmes de gestion des stocks sont imputables à la société Merimout et elle rappelle que l’utilisation du logiciel suppose des pré-requis techniques et de réseaux qui ont été confiés à une autre société (Supertek).
La société Sequoiasoft demande ainsi la confirmation de la décision du tribunal de commerce dans toutes ses dispositions « et » la condamnation de la société Depotito et la société Merimout à lui payer les sommes suivantes :
-13.030,74 euros à titre principal outre intérêts au taux de trois fois le taux légal à compter de la mise en demeure du 21 juillet 2016,
-240 euros à titre d’indemnité forfaitaire telle que prévue aux articles L441-3 et L441-6 du code de commerce,
-539,39 euros au titre de la clause pénale prévue à l’article 11-5 des conditions générales de vente,
-3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel outre les dépens dont distraction,
le tout avec capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil
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Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance du 14 février 2022 et a fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 14 mars 2022.
A cette date l’affaire a été retenue et mise en délibéré au 05 mai 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler que les mentions insérées au dispositif des conclusions tendant à voir « constater » « donner acte » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions mais des moyens et seront dès lors examinées comme tels.
En outre, la cour n’est pas tenue de statuer sur les demandes en restitution de sommes mises à la charge des parties par les premiers juges, ces demandes découlant de fait d’une éventuelle décision de réformation.
Sur la résiliation des contrats :
Aux termes de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
En l’espèce, quatre contrats ont été signés concernant trois progicels :
-contrat du 28 octobre 2014 entre la société Sequoiasoft et la société
-contrat du 19 décembre 2014 entre la société Cegid et la société Depotito
-contrat du 31 décembre 2014 entre la société Octime et la société Depotito
-contrat du 19 janvier 2015 entre la société Sequoiasoft et la société Depotito
Il ressort des échanges entre les parties, au cours des pourparlers, que la société Depotito, qui avait d’ores et déjà recours aux services de la société Cegid, a sollicité cette dernière pour le déploiement de nouveaux logiciels dans l’optique de se doter d’un système de traitement automatisé et centralisé des données entre les différents restaurants exploités et son siège social.
Il n’est pas contesté qu’à cette occasion, la société Cegid a elle-même communiqué à la société Depotito le nom de ses « partenaires » et qu’à l’issue de la présentation des éditeurs de logiciels les quatre contrats ont été signés, portant sur un logiciel de gestion des ressources humaines, de comptabilité et de paie (contrat Cegid), un second logiciel dédié à la gestion des stocks et approvisionnements destiné aux établissements ayant plusieurs sites et spécialisé pour les métiers de la restauration et de l’hôtellerie (Sequoiasoft) et un troisième logiciel de gestion des temps de travail avec un système de badgeuse (Octime).
Ces logiciels ont été mis en place auprès de la société Merimout, société franchisée en charge d’un restaurant à Mérignac, et désignée comme site « test ».
Pour autant, si ces logiciels avaient pour objectif d’être compatibles entre eux, conformément à la demande initiale de la société Depotito en vue d’une solution globale, aucun élément n’établit que la disparition de l’un de ces logiciels rendait impossible l’exécution des autres.
Au demeurant, la société Depotito et son franchisé la société Merimout ne justifient pas avoir été dans l’impossibilité d’user des logiciels dès lors que le contrat conclu avec la société Cegid s’est poursuivi jusqu’en mars 2018 (pièce 58 de Cegid), celui conclu avec la société Octime jusqu’en février 2017 et qu’il n’est pas établi que le contrat avec la société Sequoiasoft ait été résilié en dépit des difficultés dénoncées.
Dès lors, l’interdépendance des différents contrats, ou à tout le moins leur indivisibilité, ne peut être retenue en l’espèce, peu important à cet égard que la société Cegid ait été à l’initiative de l’offre et ait pu coordonner la compatibilité des différents applicatifs, cette circonstance étant indifférente à caractériser l’interdépendance des contrats dans leur modalités d’exécution.
En outre, la société Depotito et la société Merimout ne peuvent invoquer a posteriori la résiliation de contrats qui, compte-tenu du déploiement des logiciels, ont débuté en mai 2015 et ont reçu exécution a minima jusqu’en 2017, et au-delà s’agissant des sociétés Cegid et Sequoiasoft.
Si les sociétés Depotito et Merimout se prévalent d’une mise en demeure datée du 26 juin 2017 (pièce 50) par laquelle elles se réservaient le droit de prononcer la résolution elles n’ont pas communiqué ce courrier aux débats, la pièce numérotée 50 étant relative aux sommes réglées par la société Depotito à la société Cegid en 2018.
En tout état de cause, il convient de relever que les sociétés Depotito et Merimout ont attendu le 16 août 2017, date de l’assignation délivrée par leurs soins, en réponse à l’assignation délivrée par la société Sequoiasoft le 27 décembre 2016 devant le tribunal de commerce, pour invoquer la résiliation des quatre contrats, attestant à tout le moins que l’inexécution invoquée par les requérantes n’était pas telle qu’elle aurait justifié une résiliation avant le mois d’août 2017, soit plus de deux ans après la mise en place des logiciels.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Depotito et la société Merimout de leurs demandes tendant à la résiliation des contrats susvisés et à la restitution des sommes versées en exécution des quatre contrats.
Sur les demandes indemnitaires de la société Depotito et de la société Merimout :
Au visa du même article 1184 ancien du code civil, il a été jugé que l’inexécution par l’une des parties de ses obligations peut justifier que l’autre partie s’affranchisse de ses propres obligations dès lors que l’inexécution revêt un caractère de gravité suffisant.
En outre, aux termes de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, le débiteur d’une obligation est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En l’espèce, il ressort des multiples courriels échangés entre les sociétés Depotito, Cegid (Monsieur X Y), Supertek et Sequoiasoft (Mme Z A) entre les mois de mai 2015 et octobre 2016 et des compte-rendus de réunion que des dysfonctionnements ont été pointés dès le début de la mise en oeuvre de l’installation des logiciels et ont donné lieu à diverses interventions et solutions afin d’y remédier.
Ces dysfonctionnements ont affecté essentiellement le logiciel déployé par la société Sequoiasoft nonobstant le fait que par courrier joint au mail daté du 18 juin 2015 adressé à la société Cegid les difficultés concernant les logiciels de gestion des ressources humaines, et la gestion des temps étaient également mises en exergue.
Ainsi, étaient pointés : des lenteurs de caisse et un défaut d’autonomie du logiciel s’agissant de la société Sequoiasoft, des problèmes de paramétrage de badgeuses pour la société Octime et un retard de livraison de la part de la société Cegid.
Le compte-rendu de réunion rédigé par la société Cegid (Monsieur X Y) le 4 mai 2016 relève ainsi toujours des « lenteurs » s’agissant du « front office », relève également que « la gestion de stock ainsi que le calcul des besoins n’est pas déploy(é) », que « certaines anomalies restent en suspens » s’agissant du « back office » et il préconise certains ajustements (pages 4 et 5).
La société Cegid a reconnu au demeurant que la solution dite « Y2RH » correspondant au logiciel de paie n’a pas pu être déployée et aurait donné lieu à une offre de résiliation.
Un autre compte-rendu « final » a été établi le 4 octobre 2016 par la société Sequoiasoft attestant de l’existence persistante d’anomalies, soit un an et demi après l’installation des logiciels.
Ces dysfonctionnements, qui n’étaient pas contestés au demeurant par les sociétés Cegid et Sequoiasoft, aux termes de leurs échanges, ressortent par ailleurs clairement du rapport établi le 14 juin 2017 par la société Axone Managment.
Si ce rapport a été émis à la demande unilatérale de la société Depotito, il n’en reste pas moins qu’il constitue un élément de preuve au même titre que les autres pièces au dossier et vient corroborer précisément les griefs énoncés par les sociétés Depotito et Merimout.
Les sociétés Depotito et Merimout ont par ailleurs fait preuve d’une patience certaine dès lors qu’en dépit des efforts effectués par la société Sequoiasoft et la société Cegid pour pallier les défaillances, il apparaît qu’un an et demi après son installation les logiciels étaient toujours en phase d’adaptation. Leur déploiement sur d’autres sites que celui de Mérignac n’est d’ailleurs pas évoqué.
Si l’inadaptation des pratiques propres au restaurant de Mérignac ont pu expliquer certaines lenteurs dans la mise en oeuvre des logiciels, essentiellement de caisse ou de badgeage, il n’en demeure pas moins que d’une part, il appartenait aux sociétés prestataires de services, dans le cadre de leurs obligations d’information et de conseil, d’assurer une formation adéquate des salariés aux nouveaux outils informatiques, ce qui ressort en outre des stipulations contractuelles au regard du poste de facturation dédié à cette formation.
D’autre part, s’agissant de prestations de services, il appartenait également aux sociétés Sequoiasoft, Cegid et Octime d’apporter la preuve de la bonne exécution de leurs obligations indépendamment des ajustements nécessaires à ce type d’installations.
A cet égard, la société Cegid, hormis la liste de ses factures, ne produit aucun élément technique attestant qu’elle a rempli ses obligations de déploiement d’un logiciel pérenne.
La société Octime ne justifie pas davantage avoir rempli l’ensemble de ses obligations et la production de témoignages de satisfaction d’autres clients ne saurait à elle seule l’exonérer de toute responsabilité à l’égard des sociétés Depotito et Merimout.
Enfin, la société Sequoiasoft ne communique pas non plus de rapport technique attestant du bon fonctionnement de ses logiciels, de nature à infirmer les dysfonctionnements relevés par la société Depotito et attestés par les échanges de courriels, les audits et compte-rendus établis par les prestataires de service eux-mêmes.
Pour autant, en dépit de ces défaillances la société Depotito et la société Merimout n’ont jamais conditionné le paiement des factures restant en souffrance à la bonne exécution des prestations, de sorte que les condamnations prononcées par les premiers juges au titre des factures impayées doivent être confirmées. Il convient de relever à cet égard que la société Sequoiasoft a sollicité la confirmation du jugement « dans toutes ses dispositions » la concernant et est donc mal-fondée à solliciter dans le même temps la réformation de ses demandes financières.
En revanche, il ressort du rapport de la société Axone que la gestion des dysfonctionnements a mobilisé les employés de la société Depotito : implication du directeur des ressources humaines pour le déploiement du logiciel de gestion des ressources humaines qui n’a pas abouti, mobilisation de deux comptables et du directeur financier pour le déploiement du logiciel comptable, ressources diverses au niveau des équipes d’approvisionnement, des équipes du restaurant et la direction technique, soit un coût total évalué à 49.000 euros (page 14).
En l’état de la demande formulée au seul bénéfice de la société Depotito il y a donc lieu de condamner in solidum la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime au paiement de cette somme à l’égard de la société Depotito, en réparation du dommage découlant de l’inexécution de leurs obligations.
Les demandes au titre du préjudice moral subi par la société Depotito et la société Merimout sont en revanche rejetées considérant qu’aucune pièce ne vient corroborer l’existence d’une perte d’image auprès de la clientèle et d’un détournement de celle-ci en raison des lenteurs de la caisse.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation formée par la société Depotito à hauteur de la somme de 49.000 euros.
Sur les demandes en paiement de factures de la société Cegid :
La société Cegid a amplié ses demandes en cause d’appel en précisant qu’elle sollicitait les factures émises postérieurement à celles réclamées en première instance pour un total supplémentaire de 9.493,15 euros.
En l’état de la lettre de résiliation adressée par la société Depotito le 15 mars 2018 et des dysfonctionnements avérés des logiciels fournis par la société Cegid cette demande sera rejetée, étant relevé que par courrier du 6 avril 2018 la société Cegid se prévaut de dates de résiliations ultérieures (échéances 2019), sans en justifier pour autant la pertinence au regard des clauses contractuelles.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Au visa de l’article 1241 du code civil l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne peut constituer un abus de droit susceptible de donner lieu à dommages-intérêts que dans des circonstances particulières le rendant fautif, et notamment lorsqu’est caractérisée une intention malveillante ou une volonté de nuire de la part de celui qui l’exerce.
En l’espèce, le renvoi aux motifs adoptés ci-dessus conduit à considérer que la procédure initiée par la société Depotito et la société Merimout présente un caractère fondé excluant tout abus de procédure.
La société Octime sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les frais et dépens :
La société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime conserveront in solidum la charge des entiers dépens de première instance et d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Elles seront également tenues in solidum de payer à la société Depotito et la société Merimout la somme totale de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 14 septembre 2018 sauf en ce qu’il a débouté la société Depotito de sa demande au titre des pertes d’exploitation à hauteur de 49.000 euros et sauf en ce qu’il a condamné la société Depotito et la société Merimout aux dépens et au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne in solidum la société Sequoiasoft, la société Cegid et la société Octime à payer à la société Depotito la somme de 49.000 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute la société Cegid de ses demandes au titre des factures actualisées,
Déboute la société Octime de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne in solidum les sociétés Sequoiasoft, Cegid, et Octime aux entiers dépens de première instance et d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés Sequoiasoft, Cegid, et Octime à payer à la société Depotito et la société Merimout la somme totale de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Rejette le surplus des demandes.
Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
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