Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
→ RésuméLe 21 avril 2021, la SAFER a été informée d’un projet de vente de parcelles par les consorts [L] à M. [T] [G] et M. [A] [D] pour 29 000 €. La SAFER a exercé son droit de préemption, proposant d’acheter le bien pour 6 600 €, ce qui a conduit à une contestation par les consorts et les acquéreurs. Le 27 novembre 2023, le juge a déclaré l’action en annulation recevable, condamnant la SAFER aux dépens. En appel, la SAFER a soutenu que les consorts n’avaient pas d’intérêt à contester, mais la cour a infirmé la décision précédente, déclarant les intimés irrecevables.
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Le 21 avril 2021, la SAFER a été informée d’un projet de vente de parcelles par les consorts [L] à M. [T] [G] et M. [A] [D] pour 29 000 €. Le 16 juin 2021, la SAFER a exercé son droit de préemption en proposant d’acheter le bien pour 6 600 €. Les consorts [L], M. [T] [G] et M. [A] [D] ont ensuite assigné la SAFER en annulation de cette décision le 16 décembre 2021. La SAFER a soulevé une fin de non-recevoir, mais a renoncé à un moyen de nullité. Le 27 novembre 2023, le juge a rejeté les fins de non-recevoir, déclaré recevable l’action en annulation et condamné la SAFER aux dépens. La SAFER a interjeté appel le 12 janvier 2024, demandant l’infirmation de l’ordonnance. Elle soutient que les consorts [L] et les acquéreurs n’ont pas d’intérêt à contester la préemption après le retrait du bien de la vente. Les consorts [L] et les acquéreurs, dans leurs conclusions, affirment avoir un intérêt à agir en nullité, soulignant que la décision de préemption empêche la vente aux acquéreurs de leur choix et qu’ils ont un intérêt moral à choisir l’acheteur.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
24/00450
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 SEPTEMBRE 2024
N° 2024/ 289
N° RG 24/00450 – N° Portalis DBVB-V-B7I-BMMZT
S.A. SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET D’ETABLISSEMENT R URAL PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR ‘ SAFER PACA
C/
[X] [W] [I] veuve [L]
[E] [L]
[R] [L] épouse [O]
[T] [G]
[A] [D]
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Julien DUMOLIE Me Sylvain CARMIER
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état de DRAGUIGNAN en date du 27 Novembre 2023 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 22/00296.
APPELANTE
S.A. SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET D’ETABLISSEMENT RURAL PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR ‘ SAFER PACA Représentée par son Directeur général délégué en exercice domicilié audit siège
demeurant [Adresse 10]
représentée et assistée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alexandra GOLOVANOW, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉS
Madame [X] [W] [I] veuve [L]
née le 17 Septembre 1938 à [Localité 4], demeurant [Adresse 5]
Madame [E] [N] [L]
née le 18 Mai 1960 à [Localité 9], demeurant [Adresse 1]
Madame [R] [Z] [L] épouse [O]
née le 04 Avril 1964 à [Localité 9], demeurant [Adresse 7]
Monsieur [T] [K] [S] [G]
né le 12 Février 1986 à [Localité 12], demeurant [Adresse 3]
Monsieur [A] [C] [J] [D]
né le 10 Novembre 1989 à [Localité 6], demeurant [Adresse 2]
Tous représentés par Me Sylvain CARMIER, avocat au barreau de MARSEILLE, et ayant pour avocat plaidant Me Apolline LARCHER, avocat au barreau de GRENOBLE
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COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2024
Signé par Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, pour le Président empêché et Madame Céline LITTERI,, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé des faits et de la procédure
Le 21 avril 2021, la société anonyme d’aménagement foncier et d’établissement rural Provence Alpes Côte d’Azur (la SAFER) a été informée d’un projet de vente de parcelles en nature de prés et de bois, cadastrées au Lieudit [Adresse 8] à [Localité 11], par Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O] (les consorts [L]) à M. [T] [G] et M. [A] [D], au prix de 29 000 €.
Par décision du 16 juin 2021, elle a exercé son droit de préemption, proposant d’acquérir le bien au prix de 6 600 €.
Par acte du 16 décembre 2021, les consorts [L], M. [T] [G] et M. [A] [D] ont assigné la SAFER devant le tribunal judiciaire de Draguignan en annulation de la décision de préemption.
Par conclusions d’incident notifiées le 15 juin 2022, la SAFER a saisi le juge de la mise en état afin qu’il annule l’assignation et déclare l’action irrecevable.
Dans ses dernières conclusions du 20 mars 2023, la SA SAFER a maintenu les fins de non recevoir mais renoncé au moyen de nullité.
Par ordonnance en date du 27 novembre 2023, le juge de la mise a :
– rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la SAFER ;
– déclaré recevable l’action en annulation de la décision de préemption de la SAFER du 16 juin 2023, introduite par voie d’assignation du 16 décembre 2021 ;
– condamné la SAFER aux dépens de l’incident et à payer aux consorts [L], à M. [T] [G] et M. [A] [D] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– renvoyé les parties à l’audience de mise en état du 11 mars 2024.
Pour statuer ainsi, le juge a retenu que le retrait du bien de la vente par les consorts [L] ne rend pas pour autant irrecevable l’action en nullité de la décision de préemption formée par les vendeurs qui continuent d’avoir intérêt à contester la régularité substantielle ou formelle de cette décision et que les acquéreurs évincés ont également intérêt à agir dès lors qu’aucune aliénation amiable n’a été conclue avec la SAFER après que le vendeur ait retiré le bien de la vente consécutivement à la demande de révision du prix formulée par la SAFER.
Par acte du 12 janvier 2024, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SAFER a relevé appel de cette ordonnance en visant chacun des chefs de son dispositif.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 22 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SAFER demande à la cour de :
‘ infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau,
‘ déclarer les demandes irrecevables ;
‘ débouter les intimés de leurs demandes et les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :
– en application de l’article L 143-10 du code rural et de la pêche maritime, en cas de préemption avec réfaction du prix, le vendeur a la possibilité, soit de retirer le bien de la vente, soit de saisir le tribunal d’une action estimatoire, et ce choix est alternatif et non cumulatif ;
– en l’espèce, les consorts [L] ayant retiré le bien de la vente, sont, de même que les acheteurs, irrecevables par absence d’intérêt, à contester la décision de préemption avec réfaction de prix puisque celle-ci est privée de ses effets ;
– l’existence de liens d’affection entre vendeurs et acheteurs ne la prive pas de son droit de préempter, qui relève d’une mission de service public, de sorte que les vendeurs ne peuvent utilement exciper d’une quelconque liberté de choix de l’acheteur de leur bien ;
– le droit de préemption dont elle dispose ne consacre aucune atteinte au droit de propriété dès lors qu’il n’a pas pour effet de contraindre une personne à vendre ses terres mais seulement d’éviter, par une substitution d’acheteur, la spéculation foncière.
Dans leurs conclusions d’intimés régulièrement notifiées le 23 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus exhaustif des moyens, Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O], M. [T] [G], et M. [A] [D], demandent à la cour de :
‘ débouter l’appelante de sa demande d’annulation de l’ordonnance ;
‘ confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
‘ rejeter la fin de non-recevoir ;
‘ les déclarer recevables en leur action ;
‘ condamner la SAFER à leur payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir que :
– ils ont intérêt à agir en nullité de la décision de préemption, car le bien n’a pas été vendu amiablement par la suite, qu’ils ont un intérêt moral à choisir la personne qui bénéficiera du transfert de leur droit de propriété et ce, même après avoir retiré leur bien de la vente, et que la décision de préemption continue à produire des effets en empêchant la vente des parcelles aux acquéreurs de leur choix conformément à la promesse signée ;
– l’existence de liens affectifs entre vendeurs et acquéreurs justifie l’intérêt moral dont ils se prévalent et par conséquent, leur droit d’agir en nullité contre la décision de préemption.
Ils soulignent qu’admettre la fin de non-recevoir reviendrait à les priver de leur droit de propriété en leur refusant la possibilité de céder leur bien aux acquéreurs de leur choix.
A titre liminaire, il sera relevé que si la SAFER dans les motifs de ses conclusions, demande à la cour d’annuler l’ordonnance du juge de la mise en état au motif qu’elle n’est pas motivée, cette prétention ne figure pas dans le dispositif, aux termes duquel est seule sollicitée l’infirmation de l’ordonnance.
Or, en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
A défaut pour la SAFER d’énoncer au dispositif de ses écritures une quelconque demande d’annulation de l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état, la cour n’a pas à statuer sur ce point.
Sur la fin de non recevoir
En application de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.
Si l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, il doit être né et actuel.
En application de l’article L.143-10 du code rural et de la pêche maritime, lorsque la société d’aménagement foncier et d’établissement rural déclare vouloir faire usage de son droit de préemption et qu’elle estime que le prix et les conditions d’aliénation sont exagérés, notamment en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles de même ordre, elle adresse au vendeur, après accord des commissaires du Gouvernement, une offre d’achat établie à ses propres conditions.
Si le vendeur n’accepte pas l’offre de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, il peut, soit retirer le bien de la vente, soit demander la révision du prix proposé par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural au tribunal compétent de l’ordre judiciaire, qui se prononce dans les conditions prescrites par l’article L. 412-7.
La SAFER a pour mission d’assurer la transparence du marché foncier, l’exercice de ses droits ayant notamment pour objet, dans le cadre des objectifs définis par la loi, la lutte contre la spéculation foncière et la protection de l’environnement.
En l’espèce, informée d’un projet de vente de parcelles en nature de prés et de bois à [Localité 11], au prix de 29 000 €, la SAFER a, par décision du 16 juin 2021, exercé son droit de préemption et proposé d’acquérir le bien au prix de 6 600 €.
Au regard des dispositions de l’article L 143-10 du code rural et de la pêche maritime, telles que ci-dessus rappelées, le vendeur, à défaut d’accepter l’offre de la SAFER, avait le choix, soit de retirer le bien de la vente, en faisant notifier sa décision par le notaire, soit de demander au tribunal la révision du prix proposé par la SAFER.
S’agissant d’un choix, il est nécessairement alternatif.
Par ailleurs, lorsque le vendeur décide de retirer le bien de la vente, la décision de préemption est automatiquement privée d’effet.
En l’espèce, par courrier recommandé daté du 24 novembre 2021, reçu le 26 novembre 2021, le notaire chargé de la vente a transmis à la SAFER un courrier des vendeurs en date du 23 novembre 2021, dans lequel ils indiquent refuser la proposition de la SAFER au prix de 6 600 € et, conformément aux dispositions légales en vigueur, ‘exercer notre droit de retirer les biens de la vente’.
La SAFER en a pris acte par courrier adressé aux vendeurs le 29 novembre 2021, qui leur rappelle que dans l’hypothèse où ils entendraient remettre les parcelles en vente, le projet devra faire l’objet d’une nouvelle notification.
La décision de préemption a donc été privée d’effet par le retrait du bien de la vente.
L’action en annulation d’une décision privée d’effet est sans objet, puisque la régularité substantielle ou formelle d’une décision dénuée d’effet importe peu.
En l’espèce, si un nouveau projet de vente des parcelles litigieuses voir le jour, il devra faire l’objet d’une nouvelle notification à la SAFER, à charge pour elle de prendre une nouvelle décision.
Les intimés se prévalent d’un intérêt moral à l’annulation de la décision privée d’effet, au motif que le droit de préemption continue de produire ses effets en empêchant la vente des parcelles aux acquéreurs choisis par les vendeurs en raison des liens affectifs qui les unissent.
L’intérêt au sens de l’article 31 du code de procédure civile doit non seulement être légitime, mais également né et actuel.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, la décision préemption prise par la SAFER le 16 juin 2021 ne continue pas à produire des effets.
L’atteinte qu’ils critiquent procède du droit de préemption accordé à la SAFER par la réglementation, et non de la décision de préempter du 6 juin 2021, privée d’effet par le retrait du bien de la vente.
Cette atteinte ne redeviendra d’actualité que si une nouvelle décision de préemption est prise par la SAFER.
A ce jour, une telle décision n’est qu’éventuelle et hypothétique.
Or, un intérêt éventuel et hypothétique n’est pas de nature à justifier l’exercice d’une action en justice.
Par ailleurs, si un dispositif légal ou réglementaire, même poursuivant un but d’intérêt général, peut faire l’objet de critiques devant le juge judiciaire, c’est à la condition qu’il s’incarne dans une décision faisant grief.
Un plaideur ne peut se garantir à l’avance, par une décision de justice, de la régularité d’un acte ou de la légitimité d’une situation.
En conséquence, le plaideur n’est pas recevable en sa demande d’annulation d’une décision privée d’effet, même procédant d’un dispositif dont il entend contester la légitimité.
C’est donc à tort que le premier juge a considéré que les vendeurs et les acheteurs conservaient un intérêt à agir à l’encontre de la SAFER en annulation de la décision de préemption.
La décision est donc infirmée en ce qu’elle a déclaré l’action recevable.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions de l’ordonnance relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont infirmées.
Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O], M. [T] [G] et M. [A] [D], qui succombent, supporteront la charge des entiers dépens d’appel et ne sont pas fondés à solliciter une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité justifie d’allouer à la SAFER une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 27 novembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Draguignan ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O], M. [T] [G] et M. [A] [D] irrecevables à agir ;
Les déboute de leur demande en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;
Condamne Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O], M. [T] [G] et M. [A] [D], in solidum, à payer à la SAFER une indemnité de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en première instance et en appel ;
Condamne Mme [X] [I] veuve [L], Mme [E] [L], Mme [R] [L] épouse [O], M. [T] [G] et M. [A] [D], in solidum, aux entiers dépens de première instance et d’appel et accorde aux avocats, qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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