Cour d’appel, 16 mai 2022, n° RG 20/01730
Cour d’appel, 16 mai 2022, n° RG 20/01730

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel

Résumé

En juin 2010, la SCI Klekoon, aujourd’hui Buro Plus, a confié à Spirit Entreprises la construction d’un immeuble de bureaux avec parking. Après la réception des travaux en janvier 2012, des réserves ont été émises concernant des places de stationnement effondrées. En janvier 2012, Buro Plus a signalé des désordres, entraînant une expertise ordonnée par le tribunal en 2016. Le jugement de janvier 2020 a reconnu la responsabilité de Spirit Entreprises et condamné plusieurs parties à indemniser Buro Plus. En appel, la cour a ajusté les parts de responsabilité et confirmé les indemnités pour préjudices matériels et de jouissance.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54G

4e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MAI 2022

N° RG 20/01730 – N° Portalis DBV3-V-B7E-T2GK

AFFAIRE :

S.A.S. SPIRIT ENTREPRISES

C/

S.C.I. BURO PLUS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Janvier 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° chambre : 7

N° Section :

N° RG : 18/01607

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Dan ZERHAT

Me Julie GOURION

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Franck LAFON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. SPIRIT ENTREPRISES La Société SPIRIT ENTREPRISES, SAS au capital de 500.000 € immatriculée au RCS de [Localité 12] sous le N°: B 498 376 144 dont le siège social est situé [Adresse 3], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731

Représentant : Me Florence MARTIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1181

APPELANTE

****************

S.C.I. BURO PLUS agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 523 03 5 9 05

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Julie GOURION, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51

Représentant : Me Shérazade TRABELSI CHOULI, Plaidant, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 53

S.A.R.L. BUREAU DE PROGRAMMATION ET DE COORDINATION DES CON STRUCTIONS (B.P.C.C.) La Société BUREAU DE PROGRAMMATION ET DE COORDINATION DES CONSTRUCTIONS (B.P.C.C.), SARL inscrite au RCS de [Localité 12] sous le numéro 395 213 630, dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 395 21 3 6 30

[Adresse 3]

[Localité 7]

SMABTP, société d’assurance mutuelle à cotisations variables immatriculée au RCS de [Localité 13] sous le n° 775 684 764 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, ès qualité d’assureur de la Sté MEDINGER ET FILS

N° SIRET : 775 68 4 7 64

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732 Représentant : Me Florence CASANOVA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0541

SMA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 332 78 9 2 96

[Adresse 11]

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentant : Me Marie-laurence DABBENE de la SELAS DABBENE-LAFOY Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0269 – Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

ENTREPRISE MEDINGER ET FILS SA au capital de 530 000,00 €,

immatriculée au RCS de [Localité 10] sous le n° 582 150 868 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 582 15 0 8 68

[Adresse 14]

[Localité 6]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732 Représentant : Me Florence CASANOVA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0541

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 Mars 2022, Monsieur Emmanuel ROBIN, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Emmanuel ROBIN, Président,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Valentine BUCK, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Boubacar BARRY

FAITS ET PROCÉDURE

En juin 2010, la SCI Klekoon, aujourd’hui dénommée Buro plus, a confié à la société Spirit entreprises la construction d’un immeuble de bureaux avec aire de stationnement attenante ; les places de stationnement devaient être réalisées en grilles de type Evergreen. La société Spirit entreprises a sous-traité le lot voirie ‘ réseaux divers à la société Medinger et fils, assurée auprès de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, et a confié à la société Bureau de programmation et de coordination des constructions (société BPCC), assurée auprès de la société SMA, une mission de maîtrise d »uvre d’exécution. La réception de l’ouvrage a été prononcée le 16 janvier 2012, avec des réserves concernant notamment des places de parking effondrées ; le 31 janvier 2012, le maître de l’ouvrage a dénoncé à l’entreprise principale des désordres sur les places de stationnement.

Par ordonnance du 12 septembre 2016, le juge des référés a ordonné une expertise ; l’expert a déposé son rapport le 15 septembre 2017.

Par jugement réputé contradictoire en date du 9 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre, après avoir déclaré recevable l’appel en garantie formé par la société Spirit entreprises contre la société BPCC et l’action de la société Buro plus, mais irrecevables les demandes de celle-ci contre la société BPCC formulées par ses conclusions n°3, a :

1) débouté la société Buro plus de son action fondée sur la garantie décennale,

2) condamné in solidum la société Spirit entreprises, la société Medinger et fils et la société BPCC à payer à la société Buro plus la somme de 75 247,44 euros en réparation de son préjudice matériel et débouté la société Buro plus de sa demande au titre d’un préjudice de jouissance,

3) fixé le partage de responsabilité comme suit :

‘ société Buro plus, 10 %,

‘ société Medinger et fils, 50 %,

‘ société Spirit entreprises, 20 %

‘ société BPCC 20 %,

4) condamné la société Buro plus et la société Spirit entreprises à garantir la société Medinger et fils à concurrence de leur part de responsabilité,

5) condamné la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics à garantir la société Medinger et fils, dans les limites du contrat conclu entre elles,

6) condamné la société Medinger et fils, la société Spirit entreprises et la société Buro plus à garantir la société SMA,

7) condamné in solidum la société BPCC, la société Medinger et fils, la société Spirit entreprises, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société SMA aux dépens de l’instance au fond, mais non à ceux de la procédure de référé préalable, et à payer à la société Buro plus une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

8) fixé le partage des dépens et autres frais comme suit :

‘ société Medinger et fils, 55 %,

‘ société Spirit entreprises, 25 %

‘ société BPCC 20 %.

Pour l’essentiel, le tribunal a considéré que la société Spirit entreprises ne justifiait pas d’une signification de ses dernières conclusions à la société BPCC, défaillante ; pour écarter la forclusion opposée par la société Spirit entreprises à l’action de la société Buro plus, le tribunal a relevé que les dalles litigieuses, posées au sol, remplies de terre végétale et semées de gazon, n’étaient pas destinées à fonctionner et qu’elles ne constituaient pas des éléments d’équipement dissociables donnant lieu à une garantie de bon fonctionnement de deux ans. Quant au fond du litige, le tribunal a pris en compte les conclusions de l’expert, selon lesquelles les désordres étaient consécutifs à des défauts de mise en ‘uvre des dalles, mais a estimé que les dommages constatés ne rendaient pas l’ouvrage impropre à sa destination ; il a retenu l’existence de fautes commises par la société Medinger et fils, dont la société Spirit Entreprises devait répondre contractuellement à l’égard du maître de l’ouvrage, et de manquements de la société BPCC lors du suivi des travaux ; il a également suivi l’avis de l’expert ayant imputé à la société Buro plus un défaut d’entretien ayant contribué aux dommages. En ce qui concerne l’indemnisation du préjudice, le tribunal a estimé que, si dix places seulement étaient inutilisables, il était cependant nécessaire de remédier aux désordres qui affectaient l’ensemble de l’aire de stationnement ; enfin, il a considéré que la réalité du préjudice de jouissance n’était pas suffisamment démontrée.

*

Le 17 mars 2020, la société Spirit entreprises a interjeté appel de cette décision ; l’affaire a été enrôlée sous le numéro RG 201/1730. Le 6 mai 2020, la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics ont également interjeté appel ; l’affaire a été enrôlée sous le numéro 20/2120. Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 1er juin 2021.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 9 novembre 2021 et l’affaire a été fixée à l’audience de la cour du 21 mars 2022, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

*

Par conclusions déposées le 20 octobre 2020 (dossier n°20/1730) et le 1er février 2021 (dossier n°20/2120), la société Spirit entreprises demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement entrepris, de fixer le montant des travaux de reprise à la somme de 19 600 euros ou, subsidiairement, à celle de 67 722,70 euros, de condamner in solidum la société Medinger et fils, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, la société BPCC et la société SMA à la garantir, de rejeter toute demande à son encontre et de lui allouer deux indemnités de 4 000 et 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 4 août 2020 (dossier n°20/2120) et le 26 août 2020 (dossier n°20/1730), la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris, de dire que les désordres étaient apparents lors de la réception et de les mettre hors de cause ; subsidiairement, elles demandent de fixer l’indemnisation du préjudice matériel à la somme de 19 600 euros ou, subsidiairement, à celle de 67 722,70 euros et de mettre hors de cause l’assureur ; elles sollicitent une indemnité de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 26 novembre 2020 (dossier n°20/1730) et le 2 février 2021 (dossier n°20/2120), la société Buro plus demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de faire droit à son action fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs et de confirmer les condamnations prononcées en première instance ainsi que le partage de responsabilité, de condamner, en outre, in solidum la société BPCC, la société Medinger et fils, la société Spirit entreprises, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société SMA à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance et celle de 1 440 euros au titre des frais de sondage des sols, et de les condamner in solidum aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 7 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 26 octobre 2020 (dossier n°20/1730) et le 8 janvier 2021 (dossier n°20/2120), la société SMA demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement entrepris, notamment en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société BPCC, et de réduire à 19 600 euros ou, subsidiairement, à 67 722,70 euros l’indemnisation du préjudice matériel, de fixer la part de responsabilité de la société Buro plus à 30 % et celle de la société BPCC à 70 %, de la mettre hors de cause, de condamner la société Buro plus, la société Medinger et fils, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société Spirit entreprises à la garantir, et de condamner la société Spirit entreprises à lui payer une indemnité de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société BPCC n’a pas constitué avocat. La déclaration d’appel et les conclusions de la société Spirit entreprises lui ont été signifiées à personne le quatre juin 2020 ; la déclaration d’appel et les conclusions de la société Medinger et fils et de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics lui ont été signifiées à personne le 6 août 2020 ; les conclusions de la société SMA lui ont été signifiées à personne le 30 août 2020 ; les conclusions de la société Buro plus lui ont été signifiées à personne le 1er septembre 2020.

MOTIFS

La cour rappelle que, conformément au troisième alinéa de l’article 954 du code de procédure civile, elle statue dans les limites des prétentions des parties, telles qu’elles résultent du dispositif des conclusions d’appel, sans qu’il lui appartienne de se prononcer sur des contestations évoquées dans les motifs mais qui n’ont donné lieu à aucune demande, telles notamment que le sort des frais d’expertise évoqué par la société Buro plus.

Il n’existe pas davantage de contestation concernant les « franchises et plafonds » allégués par la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société Medinger et fils.

Sur la responsabilité

Selon l’article 1792 alinéa 1 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

L’existence de désordres affectant les emplacements de stationnement pour véhicules n’est pas contestée ; lors de ses visites des lieux, l’expert a lui-même constaté que certaines places présentaient un moussage très important en surface, au droit des cadres Evergreen, que des matériaux ne correspondant pas à de la terre végétale étaient visibles sur l’ensemble des places de parking, et que, pour ce qui concerne les dix places signalées comme endommagées, 70 % de leur surface ne présentait pas de végétation herbeuse ; l’expert a fait procéder à des carottages permettant de constater la composition du sol ainsi qu’à des analyses des matériaux ainsi prélevés.

L’expert a mis en évidence un manque de perméabilité des parkings ainsi que des défauts d’exécution en ce que la couche de fondation ne correspondait pas aux exigences de la fiche technique relative à la mise en ‘uvre du procédé, en ce que le remblaiement argileux réalisé ne correspondait pas à la nature de l’ouvrage et en ce que les dalles avaient été remplies jusqu’au nu supérieur des alvéoles au lieu de s’arrêter un centimètre en dessous de la surface.

Aucun élément ne vient étayer les affirmations de l’expert selon lesquelles les désordres qu’il décrit étaient apparents lors de la réception de l’ouvrage le 16 janvier 2012 ; au contraire, le maître de l’ouvrage profane, qui n’a pas procédé à des analyses de sol, ne pouvait identifier l’absence de couche de fondation compatible avec une charge de véhicules léger ni la présence d’un remblai argileux rendant le sol imperméable et impropre à sa fonction ; l’absence de gazon au mois de janvier, immédiatement après la réalisation des travaux, et les effondrements de certaines places de parking, signalés lors de la réception, ne pouvaient suffire à l’informer sur l’incapacité du substrat à recevoir un engazonnement ni sur la défaillance générale de la couche de fondation du parc de stationnement.

Ainsi, même si les désordres avaient commencé de se manifester à la date de la réception, ils n’étaient pas apparents dans leur ampleur et leurs conséquences pour la société Buro plus.

L’absence de couche de fondation compatible avec la charge de véhicules légers compromet la solidité de l’ouvrage ; ce désordre et l’absence d’engazonnement des dalles le rendent également impropre à sa destination, à savoir l’accueil des véhicules des utilisateurs et des visiteurs du site, en ce que certains emplacements de stationnement ne peuvent pas accueillir des véhicules légers et ne permettent pas à leurs occupants d’y circuler sans dommages à leur tenue vestimentaire.

Selon l’article 1792-1 1° du code civil, est notamment réputé constructeur de l’ouvrage tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.

La société Spirit entreprises, entreprise générale liée à la société Buro plus, maître de l’ouvrage, par un contrat de louage d’ouvrage, a la qualité de constructeur au sens des dispositions rappelées ci-dessus.

En revanche, la société Buro plus n’invoque aucun contrat qu’elle aurait elle-même conclu avec la société BPCC ; il résulte au contraire des documents produits par la société Spirit entreprises que celle-ci a elle-même contracté avec cette société pour lui confier une mission de maîtrise d »uvre.

La société BPCC, comme la société Medinger et fils, sont ainsi des sous-traitants de la société Spirit entreprises et ne sont donc pas tenues à l’égard de la société Buro plus de la responsabilité de plein droit des constructeurs prévue par l’article 1792 du code civil.

En revanche, ainsi que le tribunal l’a retenu à juste titre, elles ont commis des fautes dans l’exécution des missions qui leur avaient été confiées, la société Medinger et fils en réalisant les travaux sans respecter la fiche technique fixant les modalités de mise en ‘uvre des dalles Evergreen, et la société BPCC en s’abstenant de tout contrôle de l’exécution des travaux du parc de stationnement ou en laissant exécuter de tels travaux sans les faire immédiatement reprendre par l’entreprise. Sur ce point, la société SMA soutient en vain que les travaux ont pu être réalisés entre deux visites de chantier, alors que, si tel a été le cas et compte tenu de l’ampleur des travaux nécessaires pour réaliser trente-deux places de parking, cela suffit à démontrer que la planification par le maître d »uvre de ses visites était insuffisante pour lui permettre d’exercer effectivement le contrôle auquel il était tenu.

Ces manquements des sous-traitants à leurs obligations contractuelles à l’égard de l’entreprise principale constituent, à l’égard du maître de l’ouvrage, des fautes qui engagent leur responsabilité quasi-délictuelle et qui justifient qu’elles soient condamnées, in solidum avec la société Spirit entreprises, à indemniser la société Buro plus.

Sur la réparation du préjudice

Le préjudice matériel

Le rapport d’expertise démontre que si un tiers des places est devenu impropre à sa destination, la généralisation des désordres constatés, notamment en ce qui concerne la couche de fondation et le remblaiement argileux, à l’ensemble du parc de stationnement impose une réfection complète de celui-ci.

Si les autres parties reprochent au tribunal d’avoir statué au-delà de la demande d’indemnisation présentée par la société Buro plus au titre du coût des travaux de réfection, elles ne sollicitent cependant pas le prononcé de la nullité du jugement sur ce point ; en cause d’appel, la société Buro plus sollicite expressément une somme de 75 247,44 euros correspondant au prix des travaux tel qu’évalué par l’expert et la cour est donc tenue d’examiner cette demande.

Par ailleurs, l’évaluation du coût des travaux de réfection faite par l’expert n’est pas contestée.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a fixé à 75 247,44 euros la somme due à ce titre.

Le préjudice de jouissance

En raison des désordres affectant le parc de stationnement, la société Buro plus a été empêchée d’utiliser un tiers des emplacements prévus. Elle ne rapporte pas la preuve d’un préjudice financier certain qu’elle aurait subi de ce chef et qui serait la conséquence directe des désordres.

En revanche, elle a, en tout état de cause, été privée de la possibilité d’utiliser pour ses propres besoins un tiers de son parc de stationnement, depuis la manifestation des désordres au cours de l’année 2012 et au moins jusqu’à l’octroi d’une indemnité lui permettant d’y remédier, outre le délai nécessaire à l’exécution des travaux.

La privation de jouissance subie durant huit années justifie de fixer à 12 000 euros l’indemnité réparant ce préjudice.

La réalisation de sondages au cours de l’expertise

La société Buro plus expose avoir engagé des frais pour faire réaliser des sondages à l’occasion de l’expertise judiciaire et démontre avoir eu recours à l’aide de la société Needhelp, au prix de 1 200 euros hors taxes, soit 1 440 euros toutes taxes comprises.

Ces frais ne sont cependant pas un préjudice découlant directement des désordres, mais une dépense exposée pour les besoins de l’action en justice de la société Buro plus ; ils seront donc indemnisés à ce titre, comme il est dit ci-dessous.

Sur les appels en garantie

L’appel en garantie de la société Spirit entreprises contre la société BPCC et la société Medinger et fils

En application de l’ancien article 1147 du code civil, selon lequel le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part, la société Spirit entreprises est fondée à invoquer la responsabilité de ses sous-traitants en raison des manquements à leurs obligations contractuelles à son égard.

Ni la société Medinger et fils et son assureur, ni la société SMA, assureur de la société BPCC, ne démontrent l’existence d’une faute commise par la société Spirit entreprises susceptible de constituer une cause d’exonération au moins partielle de la responsabilité encourue par les sous-traitants. La circonstance que la société Spirit entreprises n’a pas satisfait à ses propres obligations à l’égard du maître de l’ouvrage, en raison même des fautes de ses sous-traitants, n’est pas de nature à les décharger de leur responsabilité ; ainsi la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics invoquent en vain la responsabilité contractuelle globale de la société Spirit entreprises à l’égard de la société Buro plus et la responsabilité qu’elle pourrait encourir en raison d’un manquement à son obligation de conseil lors de la réception, alors qu’un tel manquement, à le supposer constitué, n’est en rien à l’origine des malfaçons qui préexistaient aux opérations de réception.

Dès lors la société Spirit entreprises est fondée à demander d’être entièrement garantie par ses sous-traitants et leurs assureurs.

Le partage de responsabilité

La société Buro plus ne critique pas le jugement qui a mis à sa charge une part de responsabilité, fixée à 10 %, en retenant qu’elle avait utilisé le parc de stationnement avant la fin de la phase de levée des semences. La société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics sollicitent une majoration de cette part de responsabilité en invoquant également un défaut d’entretien relevé par l’expert judiciaire.

Cependant, si l’expert affirme avoir constaté un défaut d’entretien, il ne précise pas quel entretien aurait été omis et en quoi ce défaut aurait contribué à l’apparition des désordres ou à leur aggravation. Notamment, aucun élément matériel ne permet de contredire les déclarations faites à l’expert selon lesquelles la société Buro plus aurait effectué, en vain, des travaux d’entretien qu’elle énumère ; il n’est donc pas démontré que l’état de défaut d’entretien constaté par l’expert n’est pas plutôt la conséquence des désordres qu’une de leurs causes. En outre, il n’est nullement démontré qu’un éventuel défaut d’entretien a joué un rôle quelconque dans le défaut de solidité qui affecte l’ouvrage en raison de l’absence de couche de fondation compatible avec une charge de véhicules légers et, s’agissant de l’engazonnement, il n’est pas précisé quel entretien aurait permis de conférer aux places de stationnement un usage normal.

Dès lors, il n’y a pas lieu de majorer la part de responsabilité mise à la charge de la société Buro plus.

Entre les intervenants à l’opération de construction, le partage de responsabilité s’effectue en proportion de la gravité de leurs fautes respectives.

Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, aucune faute de la société Spirit entreprises n’est démontrée.

La faute commise par la société Medinger et fils, qui a totalement failli à sa mission en mettant en ‘uvre des matériaux inadaptés à la réalisation d’un parc de stationnement revêtu de dalles engazonnées et en exécutant les travaux de remplissage sans respecter les préconisations de la fiche technique applicable, est d’une gravité très supérieure à la faute d’abstention du maître d »uvre.

Dès lors, il convient de porter à 70 % la part de responsabilité de la société Medinger et fils, conformément à la demande de la société SMA, et de laisser celle de la société BPCC inchangée à 20 %.

En conséquence de ce qui précède, le jugement sera infirmé seulement en ce qui concerne la part de responsabilité respective de la société Spirit entreprises et de la société Medinger et fils.

En ce qui concerne l’indemnité complémentaire allouée par la cour au titre du préjudice de jouissance, la part de responsabilité laissée à la charge de la société Buro plus justifie de réduire à [0,9 × 12 000] 10 800 euros le montant de la condamnation à son profit, et de condamner la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, d’une part, la société BPCC et la société SMA, d’autre part, à garantir la société Spirit entreprises à concurrence des sommes respectives de [0,7 × 12 000] 8 400 euros et de [0,2 × 12 000] 2 400 euros.

La garantie due par la société SMA à la société Spirit entreprises

Le jugement déféré n’a pas statué sur la demande de la société Spirit entreprises tendant à être garantie par la société SMA par application de l’article L. 113-5 du code des assurances. Il convient de remédier à cette omission de statuer.

Par une note en délibéré déposée à la demande de la cour, la société SMA indique qu’elle est intervenue uniquement «’en qualité d’assureur de la société BPCC’». Cependant, nonobstant la pluralité de ses assurés, cette société est une personne morale unique qui était partie au litige en première instance, une demande avait alors été formée contre elle pour l’exécution d’un contrat souscrit auprès d’elle par la société Spirit entreprises et la déclaration d’appel l’a intimée sans restriction quant aux actions exercées à son encontre. Dans la mesure où l’article 414 du code de procédure civile impose aux parties d’être représentées par un seul avocat, celui-ci représente son mandant pour l’ensemble des actes de la procédure et il ne peut donc être tiré de conséquences que la SMA a conclu uniquement en réponse à l’action engagée contre elle sur le fondement du contrat conclu avec la société BPCC.

Quant au fond, la société Spirit entreprises, qui affirme avoir souscrit une assurance de responsabilité auprès de la société Sagebat, maintenant dénommée SMA, ne produit aucun élément de preuve en ce sens. La société SMA ne reconnaît pas la société Spirit entreprises comme étant son assurée.

En l’absence de tout élément de preuve d’une obligation de garantie de la société SMA à l’égard de la société Spirit entreprises, il convient de débouter celle-ci de sa demande.

La garantie due par la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics à la société Medinger et fils

Dans le dispositif des conclusions communes à la société Medinger et fils et à la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, ces sociétés demandent à la cour de juger que l’assureur ne peut être condamné à garantir son assurée sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle et « de plus fort » qu’elle ne peut être condamnée à la garantir en l’absence de désordre de nature décennale.

Cependant il résulte de leurs propres explications que la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics garantit la société Medinger et fils « lorsque l’assuré est intervenu en qualité de sous-traitant », ce qui est le cas en l’espèce, « et que sa responsabilité est engagée dans les termes des articles 1792 du code civil », ce qui est également le cas en ce sens que l’assurée est exposée au recours de son donneur d’ordre au titre de désordres relevant de la responsabilité de plein droit des constructeurs.

La Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société Medinger et fils sont ainsi mal fondées à soutenir à l’égard des autres parties que l’assureur n’est pas tenu à garantie. Il n’y a donc pas lieu de mettre la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics hors de cause.

Sur la garantie due par la société SMA à la société BPCC

Le dispositif du jugement ne contient aucune mention de condamnation de la société SMA, sauf en ce qui concerne les dépens ; néanmoins la lecture de la décision révèle que le tribunal, qui avait été saisi de demandes contre cet assureur, avait entendu faire droit aux demandes fondées sur le contrat d’assurance souscrit auprès de lui par la société BPCC, au titre de la garantie responsabilité civile exploitation, tout en tenant compte de l’existence de plafonds de garantie et de franchises ; la prétention de la société Buro plus tendant à une confirmation du jugement sur ce point doit s’interpréter comme une demande de réparation d’une omission matérielle dans le dispositif de la condamnation de l’assureur ; de même la prétention de la société SMA tendant à une infirmation du jugement « en ce qu’il a retenu que les garanties de la SMA SA étaient mobilisables alors que doivent s’appliquer ses franchises et limites contractuelles » doit s’interpréter comme une demande d’infirmation sur le principe de sa garantie mais d’application, le cas échéant des plafonds et autres limites de cette garantie.

Quant au fond, la société SMA, qui soutient à tort que les désordres ne relèvent pas de la responsabilité de plein droit des constructeurs, est mal fondée à contester devoir sa garantie à la société BPCC et à demander d’être mise hors de cause.

Par ailleurs, la société SMA invoque l’existence de plafonds de garantie et de franchises mais ne saisit la cour d’aucune demande déterminée sur laquelle il serait possible de statuer, faute de préciser quels seraient en l’espèce ces limites de garantie et quelle disposition contractuelle les prévoirait ; en outre, ses conclusions ne se réfèrent à aucun élément de preuve de l’existence de telles franchises et plafonds de garantie et le seul motif venant au soutien de cette prétention est que l’assureur est fondé à invoquer de telles limites « pour les dommages ne relevant pas de la garantie obligatoire » alors qu’en l’espèce les dommages relèvent de la responsabilité de plein droit dont sont tenus les constructeurs et pour la réparation desquels ils ont l’obligation de souscrire une assurance.

Il convient en conséquence de condamner la société SMA, in solidum avec son assurée, au paiement des sommes dues à la société Buro plus et de rejeter sa prétention relative à l’existence de limites de garantie.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La société BPCC, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, la société Medinger et fils, la société SMA et la société Spirit entreprises, qui succombent, ont été à juste titre condamnées aux dépens de première instance. Il n’y a pas lieu de modifier la répartition des dépens opérée par le tribunal entre la société Spirit entreprises, la société Medinger et fils et la société BPCC.

La société Medinger et fils, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société SMA, qui succombent à titre principal en cause d’appel, seront condamnées in solidum aux dépens de cette instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l’article 699 du même code.

Selon l’article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l’espèce justifient de condamner in solidum la société Medinger et fils, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société SMA à payer à la société Buro plus une indemnité de 5 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés, d’une part, à l’occasion des opérations d’expertise et, d’autre part, en cause d’appel ; elles seront condamnées à payer à la société Spirit entreprises une indemnité de 3 000 euros et elles seront elles-mêmes déboutées de leur demande à ce titre.

La charge des dépens et des indemnités allouées au titre des autres frais de procédure afférents à la procédure d’appel sera répartie par moitié entre la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, d’une part, et la société SMA, d’autre part.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt réputé contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a :

1) fixé à 50 % la part de responsabilité de la société Medinger et fils et à 20 % celle de la société Spirit entreprises,

2) condamné la société Spirit entreprises à garantir la société Medinger et fils et la société SMA à hauteur de 20 %,

3) débouté la société Buro plus de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance ;

L’INFIRME de ces chefs ;

Et, statuant à nouveau,

FIXE à 70 % la part de responsabilité de la société Medinger et fils dans la survenance des dommages ;

CONDAMNE la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, d’une part, la société BPCC et la société SMA, d’autre part, à garantir la société Spirit entreprises à concurrence respectivement de 70 et de 20 % de la condamnation prononcée au profit de la société Buro plus ;

CONDAMNE in solidum la société Spirit entreprises, la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics ainsi que la société BPCC et la société SMA, à payer à la société Buro plus la somme de 10 800 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;

CONDAMNE in solidum la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics à garantir la société Spirit entreprises de la condamnation ci-dessus, à concurrence de la somme de 8 400 euros ;

CONDAMNE in solidum la société BPCC et la société SMA à garantir la société Spirit entreprises de la condamnation ci-dessus à concurrence de la somme de 2 400 euros ;

Ajoutant au jugement déféré,

CONDAMNE la société SMA, in solidum avec la société BPCC, au paiement de la somme de 75 247,44 euros fixée par le jugement déféré, outre intérêts, et rejette sa prétention relative à l’application de franchises et limites contractuelles ;

DÉBOUTE la société Spirit entreprises de sa demande d’être garantie par la société SMA ;

CONDAMNE in solidum la société Medinger et fils, la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics et la société SMA aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la société Buro plus une indemnité de 5 000 euros et à la société Spirit entreprises une indemnité de 3 000 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile, et les déboute de leur demande à ce titre ;

RÉPARTIT la charge de la condamnation ci-dessus par moitié entre la société Medinger et fils et la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics, d’une part, et la société SMA, d’autre part.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président et par Monsieur Boubacar BARRY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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