Contrôle fiscal et présomption d’établissement en France : enjeux de la régularité des opérations comptables d’une société étrangère.

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Contrôle fiscal et présomption d’établissement en France : enjeux de la régularité des opérations comptables d’une société étrangère.

L’Essentiel : CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., fondée en 2019, vise à démocratiser la course à pied avec des programmes d’entraînement en ligne. Le 30 août 2024, une enquête a été ouverte pour suspicion d’activité non déclarée en France. Suite à des visites domiciliaires autorisées par un juge, la société a interjeté appel le 27 septembre, demandant l’annulation des saisies et une indemnité de 1 500 euros. Cependant, le tribunal a jugé l’appel recevable mais a rejeté les arguments de la société, confirmant la légitimité des mesures prises et soulignant des indices d’une activité en France.

Présentation de la société

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., présidée par [N] [B] et vice-présidée par [V] [P], Tristan PAWLAK et [J] ARAUJO AIRES-LEVY, a été immatriculée le 17 juin 2019 au Canada. Son objectif est de démocratiser la course à pied en proposant des programmes d’entraînement personnalisés en ligne sous le nom de CAMPUS COACH.

Procédure judiciaire initiée

Le 30 août 2024, une inspectrice des finances publiques a demandé au juge des libertés et de la détention de Bourges d’autoriser une procédure contre la société, suspectée d’exercer son activité en France sans déclarations fiscales. Le 3 septembre 2024, le juge a autorisé des visites domiciliaires dans les locaux de la société et chez un prestataire indépendant.

Appel de la société

Le 27 septembre 2024, CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. a interjeté appel de cette décision, demandant l’annulation des visites et saisies effectuées le 12 septembre 2024, ainsi qu’une indemnité de 1 500 euros pour frais de justice. Le directeur général des finances publiques a demandé la confirmation de l’ordonnance et a réclamé 2 000 euros à la société.

Recevabilité de l’appel

L’appel a été jugé recevable car la société a respecté le délai de quinze jours pour contester l’ordonnance, ayant interjeté appel par voie électronique dans le temps imparti.

Examen du bien-fondé de l’appel

L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales permet à l’administration de demander des visites en cas de présomptions de fraude fiscale. La société a contesté la légitimité de la mesure, arguant d’un manque de vérification concrète et d’une atteinte disproportionnée à la vie privée. Cependant, le juge a estimé que les éléments présentés justifiaient la mesure.

Arguments de la société

CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. a soutenu que le juge n’avait pas suffisamment vérifié la pertinence de la visite domiciliaire et que d’autres procédures auraient pu être envisagées. Elle a également affirmé que la mesure était disproportionnée et qu’elle portait atteinte à la vie privée de la responsable événementielle.

Réponse du tribunal

Le tribunal a rejeté les arguments de la société, affirmant que la demande d’autorisation de visite était fondée et que le juge avait eu le temps nécessaire pour examiner les pièces. Il a également noté que la société ne pouvait pas revendiquer une atteinte à la vie privée d’une tierce personne.

Éléments de preuve de l’activité en France

Le tribunal a relevé des indices suggérant que CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. exerçait une activité en France, notamment la résidence des dirigeants et la présence d’une majorité de l’équipe sur le territoire français. Les contrats étaient négociés et signés par des résidents français, ce qui a renforcé la présomption d’un établissement stable en France.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a confirmé la décision du premier juge, considérant que toutes les conditions pour justifier la mesure étaient réunies. La société a été condamnée à payer 1 500 euros pour les frais de justice, et ses demandes ont été rejetées.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de l’appel

L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales précise que l’appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention doit être formé par déclaration remise ou adressée au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la remise, de la réception ou de la signification de l’ordonnance.

En l’espèce, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. a interjeté appel le 27 septembre 2024, après avoir reçu l’ordonnance le 13 septembre.

Moins de quinze jours s’étant écoulés entre ces deux dates, l’appel est donc recevable.

Sur le bien-fondé de l’appel

L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales stipule que l’autorité judiciaire peut autoriser des visites lorsque des présomptions existent quant à la soustraction d’un contribuable à l’établissement ou au paiement des impôts.

Le juge doit vérifier que la demande d’autorisation est fondée et motiver sa décision en indiquant les éléments de fait et de droit qui la justifient.

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. conteste le contrôle juridictionnel effectif, arguant d’une absence de vérification concrète et d’un défaut de motivation.

Cependant, le juge a eu un jour plein pour examiner les pièces, ce qui est suffisant. Les erreurs d’analyse évoquées ne caractérisent pas un défaut de contrôle.

Sur la proportionnalité de la mesure

La société soutient que l’administration fiscale aurait pu utiliser d’autres procédures pour obtenir des informations. Toutefois, l’article L. 16 B ne subordonne pas la saisine de l’autorité judiciaire à l’épuisement d’autres voies.

De plus, le juge a légitimement autorisé la visite au domicile de [K] [S], responsable événementielle, en raison de son rôle dans l’équipe.

La recherche de preuves au domicile de [K] [S] était donc proportionnée à l’objectif recherché.

Sur la motivation de la décision

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. prétend que l’ordonnance manque de motivation propre. Cependant, les motifs et le dispositif de l’ordonnance sont réputés établis par le juge.

Le fait que le juge ait signé une ordonnance prérédigée ne constitue pas une irrégularité, car il s’est approprié les termes.

Les allégations de doublons de pièces et d’impartialité du juge ne remettent pas en cause la régularité de l’ordonnance.

Sur l’établissement stable et le cycle commercial complet

Une société de droit étranger exerçant une activité en France doit respecter les obligations des articles 54, 209 et 286, I, 3° du code général des impôts.

L’article 209 I précise que l’impôt sur les sociétés s’applique aux bénéfices réalisés en France.

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. présente des indices d’établissement stable en France, notamment la résidence de ses dirigeants et l’absence de substance au Canada.

Les activités commerciales, telles que la vente de programmes d’entraînement en ligne, indiquent un cycle commercial complet en France.

Sur l’élément intentionnel de la fraude

La société ne peut soutenir que l’élément intentionnel de la fraude n’est pas caractérisé. Lorsqu’une société de droit étranger a un établissement en France, elle est tenue aux obligations déclaratives.

La présomption de soustraction à l’établissement ou au paiement des impôts est donc fondée, et les conditions de l’article L. 16 B sont réunies.

Sur les frais irrépétibles

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. étant partie perdante, il est équitable d’allouer une indemnité de 1 500 euros au directeur général des finances publiques, conformément à l’article 700 du code de procédure civile.

Notifications par LRAR aux parties

le :

Notifications par LRAR aux parties

le :

COUR D’APPEL DE BOURGES

PREMIÈRE PRÉSIDENCE

ORDONNANCE DU 09 JANVIER 2025

– 11 Pages –

Numéro d’Inscription au répertoire général : N° RG 24/00880 – N° Portalis DBVD-V-B7I-DVX6;

NOUS, Alain VANZO, premier président de la cour d’appel de Bourges :

Statuant sur le recours formé par :

I -DEMANDEUR

Société CAMPUS RUNNING ADDICT INC société de droit canadien prise en la personne de son représentant légal Monsieur [N] [B], élisant domicile chez ce représentant légal, [Adresse 3]

représentée par Me PERE avocat au barreau de Paris

II – DÉFENDEUR

DIRECTION NATIONALE D’ENQUETES FISCALES

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me NICOLI, substituant Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS

La cause a été appelée à l’ audience publique du 10 Décembre 2024, tenue par Monsieur le premier président, assisté de Madame SOUBRANE, greffier ;

Après avoir donné lecture des éléments du dossier, Monsieur le premier président a, pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’ordonnance au 07 Janvier 2025, et à cette date a prorogé au 9 janvier 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

A la date ainsi fixée a été rendue l’ordonnance dont la teneur suit :

EXPOSE DU LITIGE

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., qui a pour président [N] [B] et pour vice-présidents [V] [P], Tristan PAWLAK et [J] ARAUJO AIRES-LEVY, a été immatriculée le 17 juin 2019 au registre du commerce et des sociétés du Canada.

Elle a pour objet social de ‘démocratiser la pratique de la course à pied par la création de programmes d’entraînement de course à pied personnalisés’ et développe des programmes d’entraînement de course à pied en ligne sous le nom commercial de CAMPUS COACH.

Le 30 août 2024, une inspectrice des finances publiques a présenté au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bourges une requête sollicitant la mise en oeuvre de la procédure de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales à l’encontre de cette société, au motif qu’elle était présumée exercer son activité sur le territoire français sans avoir souscrit les déclarations fiscales correspondantes et ainsi omis de passer ou de faire passer les écritures comptables y afférentes.

Par ordonnance du 3 septembre 2024, ce magistrat a autorisé des agents de l’administration des finances publiques à procéder à des opérations de visite domiciliaire à l’encontre de la société, autorisant la visite des locaux et dépendances situés [Adresse 1] à [Localité 6], domicile de Madame [K] [S], prestataire indépendant ‘responsable événementielle’ de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc..

Suivant déclaration au greffe du 27 septembre 2024, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. a interjeté appel de cette décision devant le premier président de la cour d’appel de Bourges.

Par conclusions développées oralement à l’audience, elle demande, au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales :

– d’infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions ;

– d’annuler les opérations de visite domiciliaire et de saisie réalisées le 12 septembre 2024;

– d’annuler les procès-verbaux de visites et de saisies du 12 septembre 2024 autorisées par cette ordonnance ;

– de condamner l’administration fiscale à lui régler la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le directeur général des finances publiques demande à la juridiction de :

– confirmer l’ordonnance entreprise ;

– rejeter toute demande adverse ;

– condamner l’appelante au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été soumise au procureur général, qui n’a pas émis d’observations.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’appel

L’article L.16 B du livre des procédures fiscales prévoit que l’appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter soit de la remise, soit de la réception, soit de la signification de l’ordonnance.

En l’espèce, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. a, par déclaration faite par voie électronique du 27 septembre 2024, interjeté appel de l’ordonnance qui lui avait été notifiée par lettre recommandée de la direction nationale d’enquêtes fiscales datée du 13 septembre précédent.

Moins de quinze jours s’étant écoulés entre ces deux dates, l’appel est nécessairement recevable.

Sur le bien-fondé de l’appel

L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales dispose notamment :

‘ I. ‘ Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires ou souscrit des déclarations inexactes en vue de bénéficier de crédits d’impôt prévus au profit des entreprises passibles de l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts, ayant au moins le grade d’inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.

II. ‘ Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter …

Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite …

Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée’.

De première part, l’appelante fait grief au juge des libertés et de la détention de l’avoir privé d’un contrôle juridictionnel effectif pour trois raisons : l’absence de vérification concrète du bien-fondé de la demande d’autorisation, l’absence de proportionnalité de la mesure et un défaut de motivation propre de sa décision.

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. entend démontrer que le premier juge n’a pas rempli son obligation légale de vérification concrète par un faisceau d’indices, soit :

– le bref délai entre le dépôt de la requête et la reddition de l’ordonnance, qui n’aurait pas permis au magistrat de se forger sa propre opinion ;

– des erreurs d’analyse juridique révélant une absence de contrôle effectif par le juge.

Cependant, la requête ayant été présentée le vendredi 30 août 2024 et l’ordonnance ayant été rendue le mardi 3 septembre à 10 heures 45, le juge a disposé d’un jour plein au moins (outre le week-end précédent le cas échéant) pour prendre connaissance des pièces produites, ce qui apparaît parfaitement suffisant eu égard à leur volume.

Par ailleurs, les erreurs d’analyse évoquées par la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. se confondent avec celles qu’elle invoque pour critiquer au fond la pertinence des motifs retenus par le premier juge pour ordonner la mesure et ne sont nullement évidentes, de sorte qu’elles ne sauraient caractériser un défaut de contrôle par ce magistrat. Il sera ajouté que, contrairement à ce que soutient l’appelante, le premier président n’a pas relevé dans la décision du juge des libertés et de la détention l’affirmation selon laquelle la société avait été constituée pour s’adresser à une clientèle française.

Le moyen tiré d’une absence de vérification concrète du bien-fondé de la demande doit donc être écarté.

Ensuite, le premier juge n’aurait pas, selon la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., questionné suffisamment la pertinence de la visite domiciliaire, dès lors que :

– l’administration fiscale avait les moyens de mettre en ‘uvre d’autres procédures pour obtenir des informations sur l’activité de la société ;

– prestataire indépendante, [K] [S] n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir dans la gestion des affaires de la société et ainsi détenir tout élément concernant cette gestion, de sorte que la mesure prise à son encontre n’était pas proportionnée à l’objectif recherché ;

– il est résulté de la mesure une atteinte disproportionnée au domicile privé garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Or, d’une part, aucun texte ne subordonne la saisine de l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales au recours préalable à d’autres procédures d’investigations offertes à l’administration fiscale.

D’autre part, il est indifférent que [K] [S] ne détienne pas de pouvoirs de gestion, le juge des libertés et de la détention ayant, à raison, motivé l’autorisation d’effectuer une visite des locaux de l’intéressée en raison de ses fonctions de responsable événementiel de l’équipe « CAMPUS COACH » depuis 2021 (l’ordonnance faisant allusion à la participation de la société à plusieurs événements sportifs importants sur le territoire français, en qualité de fournisseur officiel ou de parraineur), de sorte que [K] [S] et l’entreprise individuelle [S] [K] étaient susceptibles de détenir dans les locaux qu’elles occupent des documents et/ou supports d’information relatifs à la fraude présumée.

Dans ces conditions, la recherche d’éléments de preuve au domicile de [K] [S] était légitime et proportionnée au but recherché.

Enfin, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. n’a pas qualité pour se prévaloir d’une atteinte prétendue au droit au respect du domicile garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où ce domicile est en l’espèce celui d’une personne tierce.

Le moyen tiré du défaut de proportionnalité de la mesure ne peut donc être retenu.

Enfin, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., pour conclure à l’absence de motivation propre de la décision du juge des libertés et de la détention, soutient que :

– ce magistrat n’a pas eu le temps nécessaire pour analyser les pièces produite au soutien de la requête ;

– l’ordonnance entreprise ne justifie pas de manière suffisamment précise les raisons motivant une visite au domicile de [K] [S] ni ne démontre que celle-ci serait susceptible de détenir chez elle des documents relatifs à la fraude présumée ;

– l’ordonnance se réfère aux mêmes pièces justificatives que celles jointes à la requête et comprend les mêmes phrases, erreurs et imprécisions (le premier juge se référant dans son ordonnance à des doublons de pièces et/ou à des pièces dont l’objet est sans lien avec la société, telle la pièce numéro 3.13, qui fait référence à une école de formation professionnelle) ;

– toutes les ordonnances rendues dans le cadre de ce dossier par différents juges des libertés et de la détention sont rédigées dans les mêmes termes et se présentent comme un formulaire avec des parties manquantes à remplir par le juge sous forme manuscrite alors que les situations concernées sont distinctes ;

– enfin, il peut exister un doute sur l’impartialité objective du juge des liberté et de la détention par rapport à l’administration fiscale.

Le premier président ne partage pas cette analyse :

Il a été répondu ci-dessus sur le temps suffisant dont le premier juge avait disposé pour statuer et sur la pertinence de sa motivation relative à la nécessité de visiter les locaux de [K] [S].

Par ailleurs, les motifs et le dispositif autorisant une visite et une saisie au domicile d’une personne physique ou morale sont réputés avoir été établis par le juge qui a rendu et signé l’ordonnance.

La circonstance que le juge se soit borné à signer une ordonnance prérédigée par l’administration et vise les mêmes pièces que la requête n’entache pas ladite ordonnance d’irrégularité, le juge s’en étant nécessairement approprié les termes.

Il sera précisé à ce sujet que le premier président ne voit pas à quels doublons de pièces la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. fait allusion et que la pièce 3.13 est, contrairement à son affirmation, en rapport direct avec la présente procédure car elle présente le métier de ‘UX/UI designer’, que l’un des membres de l’équipe travaillant pour la société exerce, selon le compte LinkedIn de CAMPUS COACH.

De même, la circonstance que des décisions distinctes, visant les mêmes contribuables, aient été rendues dans des termes identiques par d’autres magistrats est sans incidence sur la régularité de l’ordonnance attaquée.

Le grief tiré de l’absence de motivation propre du juge des libertés et de la détention ne saurait donc être accueilli.

De seconde part, l’appelante soutient que le premier juge ne s’est pas fondé sur des présomptions suffisantes permettant de justifier la mesure ordonnée.

Une société de droit étranger est tenue, lorsqu’elle exerce une activité en France par l’intermédiaire d’un établissement stable, aux obligations résultant des articles 54, 209 et 286, I, 3°, du code général des impôts, qui exigent la passation d’écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables en France.

En vertu du principe de territorialité prévu à l’article 209 I du code général des impôts, l’impôt sur les sociétés s’applique aux bénéfices réalisés dans les « entreprises exploitées en France » par les sociétés de capitaux.

Selon la jurisprudence et la doctrine administrative, une entreprise exploitée en France correspond à l’exercice habituel d’une activité commerciale sur le territoire français, la localisation du siège ou la nationalité de l’entreprise étant sans incidence sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

Aux termes de la réponse ministérielle [M] (JOAN Q, 22 septembre 1980) et d’une jurisprudence constante, l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 209, I du code général des impôts s’entend de l’exercice habituel d’une activité commerciale qui peut, soit s’effectuer dans le cadre d’un établissement, c’est-à-dire d’une installation stable possédant une autonomie propre et génératrice de profits, soit être réalisée par l’intermédiaire de représentants n’ayant pas de personnalité indépendante, soit résulter de la réalisation d’opérations formant un cycle commercial complet.

En l’espèce, la plupart des personnes qui concourent à l’activité de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. travaillent pour elle en ‘freelance’, jouissent ainsi d’une véritable autonomie pour accomplir leurs prestations et doivent donc être considérées comme ayant une personnalité indépendante de la société.

Sont en revanche caractérisées des présomptions de l’existence en France d’un établissement de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. et de l’accomplissement en France d’opérations formant un cycle commercial complet.

D’une part, en effet, constituent des indices permettant de qualifier in concreto l’existence d’un établissement stable en France : la résidence en [7] des dirigeants de la société étrangère, l’absence de substance de la société étrangère (recours à une société de domiciliation à l’étranger, absence de personnel), la négociation et la signature des contrats par les employés français/résidents français au nom de la société étrangère.

En l’espèce, au moment de l’immatriculation de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., les dirigeants de l’entreprise résidaient au Canada, à l’exception de [Z] [U], qui a toujours résidé en France.

En octobre 2023, [N] [B] et [V] [P], qui étaient expatriés au Canada, sont revenus en France, où ils résident depuis lors, de sorte que seul [J] [R] réside encore au Canada.

Lors du retour de [N] [B] et [V] [P] en France, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. s’est domiciliée au [Adresse 2].

335 sociétés étaient répertoriées à cette adresse à la date du 20 août 2024.

Selon le site internet https ://www.montréalcowork.com, l’entreprise MONTREAL COWORK, également située à cette adresse, propose des services de bureaux virtuels pour la domiciliation d’entreprises ainsi que le transfert de courrier.

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. se présente comme une société ne disposant d’aucun bureau et pratiquant le travail à distance ou le télétravail.

Dans le cadre de la présente instance, elle indique que la nouvelle adresse du siège social correspond à un espace de coworking, qui lui permet d’avoir à disposition des locaux et bureaux selon ses besoins ponctuels et variables tout en lui permettant d’avoir une adresse postale fixe, sans toutefois qu’il ne soit établi qu’elle recoure ponctuellement au service de location de bureaux, ni a fortiori qu’elle ait une activité réelle en ce lieu.

En revanche, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. rappelle dans ses écritures que ‘les contrats de partenariat sont négociés, conclus et signés par [N] [B] …’, qui réside en France, ce qui conduit à penser que c’est lui qui, plus généralement, engage la société et accomplit les actes de gestion et de direction depuis la France, y prenant les décisions stratégiques et déterminant la conduite des affaires de la société dans son ensemble.

Dans ces conditions, l’affirmation de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. selon laquelle ‘les décisions de gestion sont prises physiquement au Canada’ apparaît sujette à caution.

D’autre part, il résulte de la réponse ministérielle [M] que le cycle complet d’opération correspond généralement à une série d’opérations commerciales, industrielles ou artisanales, dirigées vers un but déterminé et dont l’ensemble forme un tout cohérent.

Sur le site internet https ://www.campus.coach/, dont elle est éditrice, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. propose des abonnements gratuits ou payants à destination de particuliers ou d’entreprises, permettant l’accès en ligne à des programmes d’entraînement à la course à pied, et réalise par ailleurs la vente en ligne de produits à son effigie.

Dans une vidéo « Nouveau départ» sur la chaîne Youtube Running Addict, [N] [B] déclarait notamment le 18 octobre 2023 : ‘la majeure partie des activités se passe en France, nous sommes maintenant 25 dans l’équipe et tout le monde est en France, ou presque’.

Selon le réseau LinkedIn, CAMPUS COACH compte 52 membres associés, dont 27 sont localisés en France.

Parmi les membres associés au compte LinkeIn de CAMPUS COACH, 22 indiquent travailler pour cette entreprise sur leur profil personnel, parmi lesquels 11 déclarent résider en France au 1er janvier 2022,13 au 1er janvier 2023 et 16 au 1er janvier 2024.

Ainsi, une majorité des personnes contribuant à l’activité de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc., qu’ils soient en freelance ou non, résident en France.

Contrairement à l’affirmation de cette société, les fonctions qu’elles exercent pour elle, telles qu’elles apparaissent sur les profils, n’apparaissent pas accessoires, mais au contraire essentielles au bon déroulement de l’activité de commercialisation de programmes sportifs en ligne : chargé de projet communication et marketing, chargé de projets marketing, responsable des réseaux sociaux, développeur web, chef de produits, gestionnaire de contenu, responsable du support client, chargé de la conception générale de l’interface utilisateur, responsable de la réussite client.

Il sera ajouté qu’aucun élément ne vient corroborer l’affirmation de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. selon laquelle elle a ‘4 salariés au Canada, ce qui semble suffisant au regard de son activité’ et que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, il n’est pas justifié d’une activité effective au Canada.

Il résulte de ce qui précède qu’il peut être présumé qu’une partie significative de l’équipe permettant la réalisation de l’activité commerciale de la société se situe sur le territoire national.

Par ailleurs, le site gratuit www.running-addict.fr a été créé par [N] [B], influenceur sportif, pour dispenser des conseils en course à pied. A la rubrique ‘actualité’ de ce site, la plateforme campus.coach est présentée comme la version 2.0. de running-addict. et les utilisateurs du premier sont invités à rejoindre la seconde.

Les deux sites, qui sont de langue française, s’adressent à un même public, à savoir des francophones passionnés de course à pied désireux d’améliorer leurs performances, de sorte qu’il peut être présumé que la répartition géographique mondiale de leurs utilisateurs respectifs est sensiblement la même.

Or, un rapport publié sur le site running addict.fr pour 2021 indique que le trafic mondial des utilisateurs de ce site est de 85 % en France, 10 % au Canada, 3% en Belgique et 2% en Suisse.

Il peut donc être présumé que les souscripteurs des abonnements proposés par la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. sont, pour l’essentiel, constitués de personnes résidant en France.

De plus, l’article 8 des conditions générales de vente du site www.campus.coach,, relatifs au droit de rétractation du client, font référence à différents articles du code de la consommation français, tandis que l’article 2 des conditions d’utilisation et des conditions générales de vente du site https ://shop.campus.coach, édité par la société RUNNING ADDICT et qui commercialise en ligne des produits dérivés, précise notamment que les conditions générales de vente sont régies, interprétées et appliquées conformément au droit français, tous éléments qui, là encore, font présumer que la plupart des clients de la société sont des résidents français.

En définitive, il peut donc être présumé que la société la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. réalise son activité en France au cours d’un cycle commercial complet.

Une exploitation en France étant ainsi présumée tant en raison d’une présomption d’établissement en France que d’une présomption de cycle commercial complet en France, la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. est présumée s’être soustraite à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en omettant de passer ou de faire passer des écritures dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts en vertu des articles 54, 209 et 286, I, 3° de ce code.

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. ne peut valablement soutenir, comme elle le fait, que l’élément intentionnel de la fraude présumée ne serait pas caractérisée à son endroit, dès lors qu’une société de droit étranger qui a un établissement ou accomplit un cycle commercial complet en France étant tenue aux obligations résultant des textes précités, elle peut être présumée, lorsqu’elle a méconnu ses obligations déclaratives, avoir omis sciemment de passer ou de faire passer des écritures dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.

Les conditions énoncées à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales étant ainsi toutes réunies, la décision du premier juge doit être confirmée.

Sur les frais irrépétibles

La société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc étant partie perdante, il est conforme à l’équité d’allouer une indemnité de 1500 euros au directeur général des finances publiques.

PAR CES MOTIFS,

Le premier président, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,

– confirme la décision déférée ;

– condamne la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc à payer au directeur général des finances publiques une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejette les demande de la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. ;

– condamne la société CAMPUS RUNNING ADDICT Inc. aux dépens.

LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT

Annie SOUBRANE Alain VANZO


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