L’Essentiel : Un étranger, désigné ici comme un retenu, a été soumis à un arrêté d’obligation de quitter le territoire français, émis par un préfet. Cet arrêté a été notifié au retenu le 6 janvier 2024. Par la suite, un préfet a décidé de placer le retenu en rétention administrative le 1er février 2025. Ce dernier a contesté la prolongation de sa rétention, soulevant des arguments tels que l’interpellation déloyale. Le représentant de la préfecture a soutenu la demande de prolongation. Cependant, le juge a relevé une irrégularité dans le procès-verbal d’interpellation et a déclaré la procédure irrégulière, rejetant ainsi la demande de prolongation.
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Contexte de l’affaireUn étranger, désigné ici comme un retenu, a été soumis à un arrêté d’obligation de quitter le territoire français, émis par le préfet de l’Ain. Cet arrêté a été notifié au retenu le 6 janvier 2024. Par la suite, le préfet de l’Aude a décidé de placer le retenu en rétention administrative le 1er février 2025, décision qui a également été notifiée le même jour. Demande de prolongation de la rétentionLe préfet de l’Aude a sollicité le prolongement de la rétention du retenu pour une durée de 26 jours, ce qui a été enregistré au greffe du juge des libertés et de la détention. En réponse, le retenu a contesté cette prolongation en soulevant plusieurs moyens, notamment l’interpellation déloyale et le défaut de motivation de la décision. Arguments du retenuLors de l’audience, le retenu a exprimé son souhait d’être libéré pour regagner son pays d’origine. Son conseil a mis en avant l’irrégularité de la rédaction du procès-verbal d’interpellation, arguant qu’elle ne permettait pas d’évaluer le cadre juridique de l’interpellation. De plus, il a contesté la motivation de la requête du préfet, la jugeant insuffisante. Position de la préfectureLe représentant de la préfecture a demandé le rejet des arguments du retenu et a soutenu la demande de prolongation de la rétention. Analyse de la régularité de la procédureLe juge a examiné la régularité de la procédure en se basant sur les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Il a noté que les réquisitions du procureur de la République autorisaient des contrôles d’identité dans des zones spécifiques, mais a relevé une irrégularité dans le procès-verbal d’interpellation, qui mentionnait un contrôle effectué en dehors des lieux autorisés. Décision du jugeEn raison de l’illégalité de l’interpellation, le juge a déclaré la procédure irrégulière et a rejeté la demande de prolongation de la rétention du retenu. Il a également informé le retenu qu’il resterait à la disposition de la justice pour une période de 24 heures après notification de la décision, tout en lui rappelant son obligation de quitter le territoire français. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la régularité de la procédure d’interpellationLa question soulevée par le conseil de la personne interpellée concerne l’imprécision du procès-verbal d’interpellation, qui, selon lui, ne permet pas d’apprécier le cadre juridique de l’intervention. En vertu de l’article 78-2 alinéa 7 du code de procédure pénale, il est stipulé que : « Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. » Dans cette affaire, il est établi que les réquisitions écrites du procureur de la République de Narbonne, datées du 23 janvier 2025, autorisaient des contrôles d’identité sur des portions spécifiques de l’autoroute. Le conseil de la personne interpellée soutient que la rédaction du procès-verbal est insuffisante pour établir la légalité de l’interpellation. Cependant, la jurisprudence a précisé que les fonctionnaires de police ne sont pas tenus de caractériser le comportement de la personne contrôlée, tant qu’ils agissent dans le cadre des réquisitions du procureur. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que le constat d’extranéité de la personne contrôlée n’avait pas à être préalable au contrôle d’identité, mais pouvait en résulter. En conséquence, bien que le conseil ait soulevé des arguments sur l’imprécision du procès-verbal, la régularité de la procédure d’interpellation ne peut être remise en cause sur ce fondement. Sur la légalité de la prolongation de la rétentionLa question de la légalité de la prolongation de la rétention de la personne interpellée est également soulevée, notamment en raison de l’irrégularité de l’interpellation. L’article L. 743-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) stipule que : « L’interpellation d’un étranger en situation irrégulière est soumise aux règles de droit commun. Toutefois, l’interpellation est illégale si elle est effectuée en violation des dispositions légales. » Dans le cas présent, il a été établi que le procès-verbal d’interpellation mentionnait un contrôle d’identité effectué au péage EST de l’autoroute A9, alors que ce lieu ne figurait pas parmi ceux autorisés par les réquisitions du procureur. Cette irrégularité substantielle constitue une atteinte au droit de l’étranger, rendant ainsi la procédure de prolongation de la rétention illégale. En conséquence, la demande de prolongation de la rétention de la personne interpellée a été rejetée, et la procédure a été déclarée irrégulière, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par les parties. Ainsi, la décision de ne pas prolonger la rétention repose sur la constatation d’une interpellation illégale, en violation des droits garantis par le CESEDA. |
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COUR D’APPEL DE TOULOUSE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOULOUSE
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LE VICE-PRESIDENT
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Cabinet de Monsieur COLOMAR
Dossier n° N° RG 25/00305 – N° Portalis DBX4-W-B7J-TYE5
ORDONNANCE STATUANT SUR LE CONTRÔLE DE LA RÉGULARITÉ D’UNE DÉCISION DE PLACEMENT EN RÉTENTION ET SUR LA PROLONGATION D’UNE MESURE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE
Nous, Matthieu COLOMAR, vice-président désigné par le président du tribunal judiciaire de TOULOUSE, assisté de Virginie BASTIER, greffier ;
Vu les dispositions des articles L731-1, L741-1, L741-10, L742-1 à L742-3, L743-1 à L743-17, R743-1 à R743-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ;
Vu l’arrêté de M. LE PREFET DE L’AIN en date du 2 janvier 2024 portant refus de renouvellement d’un titre de séjour, obligation de quitter le territoire et fixation du pays de renvoi concernant Monsieur [U] [D], né le 1er Mars 1984 à [Localité 7] (MAROC), de nationalité Marocaine ;
Vu la décision de placement en rétention de l’autorité administrative concernant M. [U] [D] né le 1er Mars 1984 à [Localité 7] (MAROC) de nationalité Marocaine prise le 1er février 2025 par M. LE PREFET DE L’AUDE notifiée le 1er février 2025 à 12 heures 55 ;
Vu la requête de M. [U] [D] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative en date du 04 Février 2025 réceptionnée par le greffe du vice-président le 04 Février 2025 à 10 heures 57 ;
Vu la requête de l’autorité administrative en date du 4 février 2025 reçue et enregistrée le 4 février 2025 à 10 heures 33 tendant à la prolongation de la rétention de M. [U] [D] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée de vingt-six jours ;
Vu l’extrait individualisé du registre prévu à l’article L744-2 du CESEDA émargé par l’intéressé ;
DÉROULEMENT DES DÉBATS
A l’audience publique, le vice-président a procédé au rappel de l’identité des parties ;
En présence de Mme [K] [T] [S], interprète en arabe, qui prête serment conformément à la loi ;
Le Procureur de la République, préalablement avisé, n’est pas présent à l’audience ;
Le représentant du Préfet a été entendu ;
TJ TOULOUSE – rétentions administratives
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La personne retenue a été entendue en ses explications ;
Me Guillaume LEGUEVAQUES, avocat de M. [U] [D], a été entendu en sa plaidoirie.
Monsieur [C] [D], né le 1er mars 1984 à [Localité 7] (Maroc), de nationalité marocaine, a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire, prononcé par le préfet de l’Ain le 2 janvier 2024 et régulièrement notifié à l’intéressé le 6 janvier 2024.
[C] [D], alors placé en retenue administrative, a fait l’objet, le 1er février 2025, d’une décision de placement en rétention dans un local ne relevant pas de l’administration pénitentiaire prise par le préfet de l’Aude et notifiée à l’intéressé le même jour à 12h55.
Par requête reçue au greffe du juge des libertés et de la détention le 04 février 2025 à 10h33, le préfet de l’Aude a demandé la prolongation de la rétention de [C] [D] pour une durée de 26 jours (première prolongation).
Par requête reçue au greffe du juge des libertés et de la détention le 4 février 2025 à 10h57, [C] [D] a soulevé les moyens suivants :
interpellation déloyaledéfaut de motivation et erreur d’appréciation dans l’examen de sa situation personnelle dans l’arrêté
A l’audience de ce jour :
[C] [D] indique qu’il souhaite être libéré afin de regagner le Maroc par ses propres moyens
Le conseil de [C] [D] soulève in limine litis l’irrégularité tirée de l’imprécision de la rédaction du procès-verbal d’interpellation, ne permettant pas d’apprécier le cadre juridique dans lequel il est intervenu. Il soutient encore l’irrecevabilité de la requête de la préfecture en ce que celle-ci est insuffisamment motivée. Quant à la contestation de l’arrêté de placement en rétention, il maintient ses moyens, à l’exception de celui tiré de l’incompétence du signataire de l’acte. Enfin, il allègue de l’absence de diligences de l’administration directement à l’endroit des autorités marocaines.
Le représentant de la préfecture conclut au rejet des moyens et prétentions adverses et soutient la demande de prolongation présentée par le préfet de l’Aude.
Vu les dispositions de l’article L. 743-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et ayant été saisi à la fois par [C] [D] aux fins de contestation de la décision le plaçant en rétention en application de l’article L. 741-10 du CESEDA et par le préfet de l’Aude aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L. 742-1 du même code, l’audience ayant été commune aux deux procédures, il convient de statuer par ordonnance unique.
I. Sur la régularité de la procédure
Le conseil de [C] [D] soutient in limine litis que l’imprécision de la rédaction du procès-verbal d’interpellation de son client ne permet pas d’apprécier le cadre juridique dans lequel il est intervenu, et doit dès lors être annulé, ainsi que tous les actes subséquents.
En vertu de l’article 78-2 alinéa 7 du code de procédure pénale, « Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »
En l’espèce, il n’est pas contesté que sont versées au dossier les réquisitions écrites du procureur de la République de Narbonne en date du 23 janvier 2025 et autorisant des contrôles d’identité, visites de véhcules et de navire et l’inspection visuelle ou la fouille des bagages sur l’autoroute A 61 sur la portion d’autoroute et aires de repos comprises entre le péage de [Localité 4] sortie 25 et l’aire de [Localité 5] [Localité 3], sur l’autoroute A 9 sur la portion d’autoroute et aires de repos comprises entre l’aire [Localité 5] [Localité 6] et l’aire de [Localité 2], et sur l’aire de co-voiture de [Localité 5] [Localité 1].
Si le conseil de [C] [D] soutient que la rédaction sibylline et laconique du procès-verbal d’interpellation de son client ne permet pas d’en connaître le contexte et de s’assurer de sa légalité, il convient de relever qu’à la déifférence des autres contrôles de police, l’article 78-2 alinéa 7 du code de procédure pénale a créé un cadre de contrôles de police judiciaire qui n’impliquent pas de lien avec le comportement de la personne.
Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 2016, pourvoi n°15-27.812, a pu retenir que les fonctionnaires de police ne sont pas tenus de caractériser le comportement de la personne contrôlée dès lors qu’ils interviennent dans les circonstances de temps et de lieu des réquisitions du procureur de la République.
De même, le Conseil constitutionnel est venu préciser que l’absence de conditions quant aux personnes constituait une garantie contre les contrôles au faciès, l’art. 78-2 al. 7 CPP « n’instituant par lui-même aucune différence de traitement dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant une période déterminée par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d’identité » (Conseil Constitutionnel, 24 janv. 2017, n°2016-606/607 QPC).
Enfin, dans un important arrêt du 17 mai 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé que le constat d’extranéité de la personne contrôlée n’avait pas à être préalable au contrôle d’identité, mais pouvaitt en résulter (1re Civ., 17 mai 2017, pourvoi n°16-15.229 / jurinet).
Ainsi, dès lors que le contexte du contrôle et le comportement de la personne contrôlée en vertu des articles 78-2 alinéa 7 et 782-2 du code de procédure pénale est sans effet sur sa régularité, il y a lieu d’écarter ce moyen.
Toutefois, par moyen relevé d’office, il apparaît que le PV litigieux fait état d’un contrôle d’identité survenu sur réquisitions du Procureur de la République de Narbonne « au péage EST, autoroute A9 à [Localité 5] ». Or, une rapide vérification de localisation dudit péage EST permet de relever que celui-ci ne fait pas partie des lieux de contrôle expressément visés par la réquisition du procureur de la République de Narbonne du 23 janvier 2025.
Ainsi, dès lors que le l’atteinte au droit de l’étranger apparaît nécessairement établie par une interpellation illégale et par définition substantielle au sein de l’article L. 743-12 du CESEDA, il convient de déclarer la procédure irrégulière.
En conséquence, sans répondre aux autres moyens et demandes soulevées par les parties, devenues sans objet ou inopérantes, il convient donc de rejeter la demande de prolongation de la rétention de [C] [D] .
Statuant par ordonnance unique sur les requêtes présentées par [C] [D] aux fins de contestation de la décision de placement en rétention et par le préfet de l’Aude aux fins de prolongation de la rétention,
publiquement et en premier ressort, par décision assortie de l’exécution provisoire,
DECLARONS la procédure irrégulière ;
DISONS n’y avoir lieu à la prolongation du maintien en rétention de [C] [D] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ;
INFORMONS [C] [D] qu’il est maintenu a disposition de la justice pendant un délai de vint-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance au procureur de la République, lorsqu’il est mis fin a sa rétention ou lors d’une assignation à résidence,
INFORMONS [C] [D] qu’il peut, pendant ce délai de vingt-quatre heures, contacter un avocat et un tiers, rencontrer un médecin et s’alimenter,
RAPPELONS que l’intéressé a l’obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Fait à TOULOUSE Le 05 Février 2025 à
LE GREFFIER LE VICE-PRÉSIDENT
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