Contrôle de légalité des mesures de rétention administrative et obligation de motivation des requêtes.

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Contrôle de légalité des mesures de rétention administrative et obligation de motivation des requêtes.

L’Essentiel : L’affaire concerne un appel de la Préfecture d’Indre-et-Loire contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui a déclaré illégal le placement en rétention de M. [Y] [J], ressortissant marocain. Lors de l’audience du 31 décembre 2024, la Préfecture a été représentée par Me Xavier Termeau, tandis que M. [Y] [J] était défendu par Me Edouard Kobo. Le juge a constaté l’absence de pièces justificatives nécessaires à la légalité de la rétention, confirmant ainsi l’ordonnance de première instance et laissant les dépens à la charge du Trésor. Un pourvoi en cassation est possible.

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne un appel interjeté par la Préfecture d’Indre-et-Loire contre une ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans. Cette ordonnance, datée du 29 décembre 2024, a constaté l’illégalité du placement en rétention administrative de M. [Y] [J], un ressortissant marocain, et a mis fin à sa rétention.

Parties impliquées

L’appelant, la Préfecture d’Indre-et-Loire, était représentée par Me Xavier Termeau, tandis que l’intimé, M. [Y] [J], était représenté par Me Edouard Kobo. M. [Y] [J] n’a pas comparu lors de l’audience publique qui s’est tenue le 31 décembre 2024 au Palais de Justice d’Orléans.

Procédure judiciaire

L’audience a été statuée en application des articles du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Le juge a examiné la requête de la Préfecture, qui devait être accompagnée de pièces justificatives pour prouver la légalité du placement en rétention.

Arguments des parties

La Préfecture a soutenu que le juge n’avait pas le droit de soulever d’office l’absence de pièces justificatives. Cependant, le juge a rappelé que, selon la jurisprudence, il est tenu de vérifier la légalité de la mesure de rétention, même en l’absence de contestation de la part de l’étranger.

Constatations du juge

Le juge a constaté que la Préfecture n’avait pas joint à sa requête les documents nécessaires pour établir les conditions de la rétention administrative. Le premier document produit était un procès-verbal de notification, qui ne permettait pas de vérifier le respect du cadre juridique du placement en rétention.

Décision finale

En raison de l’absence de pièces justificatives, le juge a confirmé l’ordonnance de première instance, déclarant l’appel de la Préfecture recevable mais confirmant l’illégalité du placement en rétention. Les dépens ont été laissés à la charge du Trésor, et une expédition de l’ordonnance a été ordonnée pour les parties concernées.

Voies de recours

L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition, mais un pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative et au ministère public, avec un délai de deux mois pour le former.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de recevabilité d’une requête en rétention administrative selon le CESEDA ?

La recevabilité d’une requête en rétention administrative est régie par l’article R743-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Cet article stipule que :

« À peine d’irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l’étranger ou son représentant ou par l’autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2. »

Il est donc impératif que la requête soit accompagnée de toutes les pièces justificatives nécessaires pour permettre au juge d’exercer son contrôle sur la légalité de la mesure de rétention.

Le juge doit apprécier, in concreto, le caractère utile des pièces jointes à la requête, même en l’absence de contestation. Cela signifie qu’il doit vérifier si les documents fournis permettent d’évaluer les éléments de fait et de droit soumis à son appréciation.

Quel est le rôle du juge dans le contrôle de la légalité de la rétention administrative ?

Le rôle du juge dans le contrôle de la légalité de la rétention administrative est clairement établi par la jurisprudence et les directives européennes. Selon la décision de la CJUE du 8 novembre 2022, le juge national est tenu de vérifier de sa propre initiative la légalité d’une mesure de rétention.

Cette obligation découle des articles suivants :

– **Article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/115/CE** : relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

– **Article 9, paragraphes 3 et 5, de la directive 2013/33/UE** : établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

– **Article 28, paragraphe 4, du règlement (UE) no 604/2013** : établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale.

Ces articles, lus en combinaison avec les articles 6 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, imposent au juge de relever d’office tout non-respect des conditions de légalité de la rétention, même si cela n’a pas été invoqué par la personne concernée.

Quelles sont les conséquences de l’absence de pièces justificatives dans une requête de rétention ?

L’absence de pièces justificatives dans une requête de rétention a des conséquences significatives sur la recevabilité de celle-ci. Comme le souligne la jurisprudence, notamment dans l’arrêt de la 1ère Civ. du 6 juin 2012, le juge doit disposer de l’intégralité des pièces justificatives pour exercer son contrôle de légalité.

En effet, la requête et les pièces jointes doivent être mises à la disposition de l’avocat de l’étranger et de l’autorité administrative dès leur arrivée au greffe. Cela permet à toutes les parties de consulter les documents avant l’ouverture des débats.

Si la préfecture ne joint pas les documents nécessaires, comme la procédure préalable au placement en rétention, le juge ne peut pas s’assurer que le cadre juridique a été respecté. Dans le cas présent, la préfecture a omis de fournir des pièces essentielles, ce qui a conduit à la confirmation de l’irrecevabilité de la requête.

Quelles sont les voies de recours possibles après une décision de rétention administrative ?

Après une décision de rétention administrative, plusieurs voies de recours sont ouvertes. Selon les dispositions applicables, le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien de la rétention, ainsi qu’au ministère public.

Le délai pour former un pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification de la décision. Ce pourvoi doit être formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Il est important de noter que l’ordonnance rendue n’est pas susceptible d’opposition, ce qui signifie que les parties doivent agir rapidement pour exercer leur droit de recours.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers

ORDONNANCE du 31 DECEMBRE 2024

Minute N°

N° RG 24/03564 – N° Portalis DBVN-V-B7I-HECA

(1 pages)

Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 29 décembre 2024 à 11H16

Nous, Myriam de CROUY-CHANEL, présidente de chambre à la cour d’appel d’Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Axel DURAND, greffier, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

LA PRÉFECTURE D’INDRE-ET-LOIRE

représentée par Me Xavier TERMEAU, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE substitué par Me Ismael KERKENI, du cabinet ACTIS avocats, avocat au barreau du VAL DE MARNE;

INTIMÉ :

M. [Y] [J]

né le 01 Juillet 1990 à [Localité 2] (MAROC) (Maroc), de nationalité marocaine

convoqué au centre de rétention d'[Localité 1], dernière adresse connue en France

non comparant, représenté par Me Edouard KOBO, avocat au barreau d’ORLEANS ;

MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l’heure de l’audience ;

À notre audience publique tenueau Palais de Justice d’Orléans, le 31 décembre 2024 à 10 H 00 ;

Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;

Vu l’ordonnance rendue le 29 décembre 2024 à 11H16 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans constatant l’illégalité du placement en rétention et mettant fin à la rétention administrative de M. [Y] [J] ;

Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 29 décembre 2024 à 19H55 par LA PRÉFECTURE D’INDRE-ET-LOIRE ;

Après avoir entendu :

– Me Xavier TERMEAU, en sa plaidoirie ;

– Me Edouard KOBO, en sa plaidoirie ;

AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :

Il résulte de l’article R743-2 du CESEDA que ‘à peine d’irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l’étranger ou son représentant ou par l’autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2″.

Il appartient au juge d’apprécier, in concreto, le caractère utile des pièces jointes à la requête, qui lui permettront d’apprécier les éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, et d’exercer ainsi pleinement ses pouvoirs de contrôle.

Pour cela, le juge doit rechercher si les pièces justificatives utiles sont jointes à la requête, même en l’absence de contestation : 1ère Civ., 14 mars 2018, pourvoi n° 17-17.328

Le juge est bien tenu de vérifier de sa propre initiative la légalité d’une mesure de rétention.

Le 8 novembre 2022, la CJUE (en grande chambre) a rendu une décision dans les affaires jointes (C-704/20 PPU et C39/21 PPU) dans laquelle elle a dit pour droit que le juge national était tenu de vérifier de sa propre initiative la légalité d’une mesure de rétention prise à l’égard d’un ressortissant étranger en séjour irrégulier ou d’un demandeur d’asile :

« L’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil,

du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l’article 9, paragraphes 3 et 5, de la directive

2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, et l’article 28, paragraphe 4, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lus en combinaison avec les articles 6 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que : le contrôle, par une autorité judiciaire, du respect des conditions de légalité de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers qui découlent du droit de l’Union doit conduire cette autorité à relever d’office, sur la base des éléments du dossier portés à sa connaissance, tels que complétés ou éclairés lors de la procédure contradictoire devant elle, l’éventuel non-respect d’une condition de légalité qui n’a pas été invoquée par la personne concernée. »

Ainsi, contrairement à ce que soutient la préfecture, le juge avait la possibilité de soulever d’office l’absence des pièces justificatives utiles de l’article R743-2 du CESEDA permettant d’exercer son contrôle sur la régularité de la mesure de rétention.

Par ailleurs, il ne peut être suppléé à l’absence du dépôt de pièces justificatives utiles par leur seule communication à l’audience sauf s’il est justifié de l’impossibilité de les joindre à la requête (1ère Civ., 6 juin 2012, pourvoi n° 11-30.185 ; 1ère Civ., 13 février 2019, pourvoi n° 18-11.655). En effet, la requête et les pièces qui y sont jointes doivent pouvoir, dès leur arrivée au greffe du tribunal judiciaire, être mises à la disposition de l’avocat de l’étranger et de l’autorité administrative. Elles doivent également pouvoir être consultées, avant l’ouverture des débats, par l’étranger lui-même, assisté, le cas échéant, par un interprète s’il ne parle pas suffisamment la langue française.

En l’espèce, la prefecture ne joint pas à la requête la procédure préalable au placement en rétention administrative dans un local ne relevant pas de l’adminsitration pénitentiaire. Le premier document produit dans la chronologie du placement en rétention est le ‘ procés verbal de notification de décisions administratives’.

Ainsi, le juge se trouve privé de la possibilité de s’assurer que le cadre juridique du processus de placement en rétention a été respecté, s’agissant notamment du temps écoulé entre l’arrivée de [Y] [J] à la brigade de gendarmerie dans le cadre de son obligation de pointage à laquelle il était astreint, et le moment de son placement en rétention.

Si la préfecture remet en appel un procés verbal d’investigation établi le 29 décembre 2024, 16h15, il sera souligné que celui-ci a été rédigé postérieurieurement à la décision de première instance attaquée. Ce document ne peut suppléer au manque constaté en première instance, et ne fait que renforcer le fait que les parties et le magistrat ne pouvaient être mis en mesure d’effectuer un contrôle de légalité du processus de placement en rétention judiciaire.

Aussi, constatant que le ou les documents propres à établir les conditions de placement en rétention administrative n’ont pas été transmis, il sera considéré que la prefecture n’a pas produit l’intégralité des pièces justificatives utiles, et l’irrecevabilité de la requête sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

DECLARONS l’appel de la PRÉFECTURE D’INDRE-ET-LOIRE recevable,

CONFIRMONS l’ordonnance entreprise,

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;

ORDONNONS la remise immédiate d’une expédition de la présente ordonnance à LA PRÉFECTURE D’INDRE-ET-LOIRE, à M. [Y] [J] et son conseil, et au procureur général près la cour d’appel d’Orléans ;

Et la présente ordonnance a été signée par Myriam de CROUY-CHANEL, présidente de chambre, et Axel DURAND, greffier présent lors du prononcé.

Fait à Orléans le TRENTE ET UN DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE, à heures

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Axel DURAND Myriam de CROUY-CHANEL

Pour information : l’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

NOTIFICATIONS, le 31 décembre 2024 :

LA PRÉFECTURE D’INDRE-ET-LOIRE, par courriel

M. le procureur général près la cour d’appel d’Orléans, par courriel

M. [Y] [J] , copie remise au centre de rétention administrative d'[Localité 1].

Me Xavier TERMEAU, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, copie remise par PLEX

Me Edouard KOBO, avocat au barreau d’ORLEANS, copie remise par PLEX


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