Conflit de voisinage et enjeux de mitoyenneté : la preuve de l’empiétement en question.

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Conflit de voisinage et enjeux de mitoyenneté : la preuve de l’empiétement en question.

L’Essentiel : Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] ont assigné Madame [N] [C] pour obtenir la reconnaissance de la mitoyenneté de leur propriété et l’arrêt d’un empiétement lié à la surélévation de la maison de cette dernière. Ils soutiennent que cet empiétement constitue un trouble manifestement illicite, entraînant divers préjudices. En réponse, Madame [C] conteste la compétence du juge des référés, arguant que la question de la mitoyenneté relève du fond. Le juge a finalement rejeté les demandes des demandeurs, estimant qu’ils n’avaient pas prouvé l’existence d’un empiétement illicite, les condamnant ainsi aux dépens.

Contexte de l’affaire

Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] ont assigné Madame [N] [C] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux le 13 mai 2024. Ils demandent la reconnaissance de la mitoyenneté de leur propriété et l’arrêt d’un empiétement causé par une surélévation de la maison de Madame [C]. Ils réclament également des provisions pour préjudice de jouissance, préjudice d’immobilisation, préjudice moral, ainsi que des frais de justice.

Arguments des demandeurs

Les demandeurs soutiennent avoir acquis leur maison en 2019, découvrant par la suite que la surélévation de Madame [C] empiétait sur leur propriété. Ils affirment que cet empiétement constitue un trouble manifestement illicite et contestent la légalité des autorisations de travaux de Madame [C]. Ils estiment subir des préjudices en raison de l’arrêt de leurs propres travaux et accusent Madame [C] de résistance abusive.

Réponse de la défenderesse

Madame [N] [C] conteste la compétence du juge des référés et demande à être renvoyée devant le juge du fond. Elle argue que la question de la mitoyenneté et de l’empiétement est un débat de fond et que les demandes de provisions des demandeurs sont abusives. Elle réclame également une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Décision du juge des référés

Le juge des référés a statué sur la compétence, affirmant que les demandes des consorts [V]/[X] étaient fondées sur un trouble manifestement illicite, permettant ainsi au juge de statuer. Cependant, il a constaté que les demandeurs n’avaient pas prouvé de manière suffisante l’existence d’un empiétement illicite, ni justifié leurs préjudices. Par conséquent, toutes leurs demandes ont été rejetées.

Conséquences de la décision

Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] ont été déboutés de l’ensemble de leurs demandes et condamnés aux dépens de l’instance. Madame [C] a également été déboutée de ses demandes reconventionnelles. La décision a été signée par la vice-présidente et le greffier du tribunal.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de compétence du juge des référés selon l’article 835 du Code de procédure civile ?

L’article 835 du Code de procédure civile stipule que :

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Ainsi, le juge des référés est compétent pour statuer sur des demandes visant à faire cesser un trouble manifestement illicite, même en présence de contestations sérieuses.

Il est donc essentiel que le demandeur prouve l’existence d’un trouble manifestement illicite pour que le juge puisse agir.

Dans le cas présent, les consorts [V]/[X] ont fondé leur demande sur l’article 835, ce qui a permis au juge des référés de se déclarer compétent pour examiner leur requête.

Comment se définit le trouble manifestement illicite selon la jurisprudence ?

Le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente de la règle de droit.

Il appartient au demandeur de démontrer les fautes du défendeur comme cause du trouble invoqué.

Cette définition est essentielle pour comprendre les enjeux de la décision rendue par le juge des référés.

Dans le cas présent, les consorts [V]/[X] ont allégué que la surélévation de Madame [C] empiétait sur leur propriété, ce qui constituerait un trouble manifestement illicite.

Cependant, le juge a estimé que les preuves fournies, notamment le constat de l’empiétement, n’étaient pas suffisantes pour établir l’illicéité manifeste du trouble.

Il a donc rejeté les demandes des requérants, considérant que l’illicéité du trouble n’était pas évidente et nécessitait des débats de fond.

Quelles sont les implications de l’article 545 du Code civil dans le cadre de la mitoyenneté ?

L’article 545 du Code civil dispose que :

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Cet article souligne le principe fondamental de la protection de la propriété privée.

Dans le contexte de la mitoyenneté, il est crucial de déterminer si un empiétement sur une propriété constitue une violation de ce droit.

Les consorts [V]/[X] soutiennent que la surélévation de Madame [C] empiète sur leur propriété, ce qui pourrait constituer une atteinte à leur droit de propriété.

Cependant, le juge a noté que les preuves d’empiétement n’étaient pas suffisamment claires pour établir une violation manifeste des droits des requérants.

Ainsi, l’application de l’article 545 n’a pas été retenue, car le trouble n’a pas été jugé manifestement illicite.

Quelles sont les conséquences de la résistance abusive selon l’article 700 du Code de procédure civile ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que :

« La partie qui perd le procès peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. »

Cet article vise à compenser les frais engagés par la partie qui a dû défendre ses droits en justice.

Dans le cas présent, les consorts [V]/[X] ont demandé des provisions pour préjudice moral en raison de la résistance abusive de Madame [C].

Cependant, le juge a estimé que les demandes des requérants n’étaient pas fondées et a débouté Madame [C] de sa demande sur ce fondement.

Cela signifie que, bien que la résistance abusive puisse justifier une indemnisation, dans ce cas précis, le juge a considéré que les conditions pour l’appliquer n’étaient pas réunies.

Ainsi, les consorts [V]/[X] ont été déboutés de l’ensemble de leurs demandes, y compris celles fondées sur l’article 700.

TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE BORDEAUX

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

70B

Minute n° 25/

N° RG 24/01143 – N° Portalis DBX6-W-B7I-ZCES

3 copies

GROSSE délivrée
le 06/01/2025
à Me Pierre LANDETE
Me Lionel POMPIERE

COPIE délivrée
le 06/01/2025
à

Rendue le SIX JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ

Après débats à l’audience publique du 02 Décembre 2024,

Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Par Sandra HIGELIN, Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Charlène PALISSE, Greffière.

DEMANDEURS

Monsieur [Z] [V]
né le 17 Juillet 1986 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [P] [X]
née le 01 Mars 1987 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Tous deux représentés par Maître Lionel POMPIERE, avocat au barreau de BORDEAUX

DÉFENDERESSE

Madame [N] [C]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représentée par Maître Pierre LANDETE, avocat au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de commissaire de justice délivré 13 mai 2024, Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] ont fait assigner Madame [N] [C] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de voir:
– dire que la mitoyenneté est établie,
– condamner Madame [N] [C], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à faire cesser tout empiétement sur leur propriété sise [Adresse 2] à [Localité 5] et cadastrée section BD n°[Cadastre 3], et ce par la démolition de sa surélévation, à tout le moins sur la partie en empiétement, objet de la déclaration préalable de travaux du 24 mars 2015,
– condamner Madame [B] [C] à leur verser une provision de 259 euros par mois à compter du 29 février 2024, à valoir sur leur préjudice de jouissance, soit 518 euros à ce jour, somme à parfaire au jour de la décision à intervenir,
-condamner Madame [N] [C] à leur verser une provision basée sur le taux d’intérêt légal à compter du 29 février 2024 et à valoir sur leur préjudice d’immobilisation de la somme de 7.726,13 euros soit 103,43 euros à ce jour, somme à parfaire au jour de la décision à intervenir,
– condamner Madame [N] [C] à leur verser une provision de 2.500 euros à valoir sur leur préjudice moral pour résistance abusive,
– condamner Madame [N] [C] à leur verser une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris le coût du constat de commissaire de justice du 18 mars 2024 pour un montant de 249,20 euros.

Aux termes de leurs dernières écritures, Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] ont maintenu leurs demandes, indiquant qu’à ce jour, les sommes à valoir sur leur préjudice de jouissance et leur préjudice d’immobilisation s’élèvent respectivement à 1.813 euros et 365,73 euros.

Au soutien de leurs prétentions, ils indiquent avoir, selon acte authentique du 22 février 2019, acquis une maison à usage d’habitation située [Adresse 2] à [Localité 5], dont les clôtures et les murs sont mitoyens avec les constructions situées aux 14 et 18 de la même rue. Ils précisent avoir découvert à l’occasion de leur projet de surélévation au-dessus de leur garage que le bardage ainsi que le bâti de la surélévation voisine, appartenant à Madame [C], propriétaire du bien situé au n°14, empiétaient sur leur fonds, constituant un trouble manifestement illicite. Ils contestent les autorisations dont se prévaut Madame [C] pour justifier la légalité de sa surélévation et rappellent qu’ils n’ont jamais revendiqué son caractère mitoyen. Ils ajoutent qu’un empiétement peut être aérien et seulement minime. Au soutien de leurs demandes de provisions, ils allèguent subir un préjudice de jouissance en raison de l’arrêt des travaux du fait de l’empiétement ainsi qu’un préjudice d’immobilisation. Concernant l’incompétence du juge des référés soulevée par la défenderesse, ils font remarquer qu’ils fondent leur demande, non pas sur l’article 834 du Code de procédure civile avec un motif d’urgence mais sur le trouble manifestement illicite prévu aux dispositions de l’article 835 du Code de procédure civile. Enfin, ils soutiennent que Madame [C] a fait preuve d’une particulière mauvaise foi en résistant aux prétentions légitimes des requérants et qu’elle doit donc être condamnée à leur verser une provision au titre de sa résistance abusive.

Madame [N] [C] a demandé à la présente juridiction de :
– à titre principal, se déclarer incompétente au profit du juge du fond du tribunal judiciaire de Bordeaux,
– en tout état de cause, condamner Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] à verser à Madame [N] [C] une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, elle expose que le fait de savoir si la partie exhaussée d’un mur qui serait mitoyen est elle-même mitoyenne, ce qu’aucune des pièces des demandeurs ne permet de trancher, est un problème de fond, et fait valoir que le bardage fixé sur le mur ne présente qu’un très léger dépassement aérien de quelques centimètres. Elle ajoute que si un empiétement fait obstacle à la mitoyenneté, il s’agit d’un débat de fond et elle soutient que les demandeurs formulent des arguments contradictoires relativement à la reconnaissance d’une mitoyenneté et à la sanction de l’empiétement. Elle considère par ailleurs les demandes de provision particulièrement abusives et allègue qu’elles ont pour objet de financer en partie les travaux envisagés par les demandeurs.

Évoquée à l’audience du 02 décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 06 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, en application des articles 4, 5 et 768 du code de procédure civile, il y a lieu de rappeler que le Juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, et que les « dire », « prendre ou donner acte » , et « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi. En conséquence, la présente juridiction ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Concernant l’incompétence du juge des référés soulevée en défense par Madame [C], il convient de souligner que les moyens qu’elle évoque ne visent qu’à contester le bien-fondé des demandes des consorts [V]/[X] et le pouvoir du juge des référés, et non sa compétence, ce dont il résulte qu’ils ne constituent pas une exception d’incompétence, étant au surplus observé que les demandeurs formulent leurs demandes au visa de l’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile permettant au juge des référés de statuer même en présence de contestations sérieuses pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il s’ensuit que le juge des référés est compétent pour statuer sur l’action engagée par les consorts [V]/[X].

Selon l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Si l’existence d’une contestation sérieuse n’interdit pas de prendre les mesures prévues par le premier alinéa de l’article 835 du code de procédure civile, le juge des référés doit apprécier le caractère manifestement illicite du trouble invoqué.

Le trouble manifestement illicite peut se définir comme toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il appartient au demandeur de démontrer les fautes du défendeur comme cause du trouble invoqué.

En vertu de l’article 545 du Code civil, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Les consorts [V]/[X] soutiennent que la maison mitoyenne à la leur, à savoir celle appartenant à Madame [C], est constituée d’une surélévation empiétant sur leur propriété. Plus précisément, ils allèguent que la surélévation appartenant à la défenderesse s’appuie intégralement sur le mur mitoyen et que son bardage déborde de ce mur, en empiétant sur leur fonds, ce qui les empêchent de procéder à la réalisation de leur propre surélévation.

Il résulte des pièces produites et notamment du procès-verbal de constat de constat communiqué par les consorts [V]/[X], dressé le 28 mars 2024 par Maître [D], qu’il existe sur le fonds appartenant à Madame [C] une construction en surélévation, laquelle dépasse en hauteur le garage des requérants. Le commissaire de justice estime que cette construction empiète sur la propriété des requérants entre 10 et 12 centimètres.

Cependant, ce constat, qui n’est au demeurant pas contradictoire, ne peut suffire à établir l’empiétement litigieux de manière suffisamment évidente pour établir l’illicéité manifeste du trouble invoqué. En effet, les requérants ne produisent aucun relevé ou mesurage précis des lieux, effectué par un homme de l’art, qui permettraient d’établir de manière claire les limites entre les parcelles et partant, de démontrer un quelconque empiétement.

Ainsi, l’illicéité du trouble invoqué par les consorts [V]/[X] n’étant pas manifeste et nécessitant des débats de fond, il y a lieu de rejeter l’ensemble de leurs demandes.

Les demandes provisionnelles de dommages et intérêts à valoir sur la réparation du préjudice de jouissance et d’immobilisation ne pourront qu’être rejetées, en l’absence de justification de la réalité des préjudices invoqués, et de preuve de l’existence d’une obligation d’indemnisation de la défenderesse dépourvue de contestation sérieuse.

Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X], succombant en leurs demandes, supporteront la charge des entiers dépens de l’instance.

L’équité imposant de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Madame [C] sera déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, statuant publiquement, par ordonnance mise à disposition au greffe, en premier ressort,

DEBOUTE Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] de l’ensemble de leurs demandes ;

DEBOUTE Madame [C] de ses demandes reconventionnelles ;

CONDAMNE Monsieur [Z] [V] et Madame [P] [X] aux entiers dépens de l’instance.

La présente décision a été signée par Sandra HIGELIN, Vice-Présidente, et par Charlène PALISSE, Greffière.

Le Greffier, Le Président,


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