L’Essentiel : M. [N] [K] a assigné les consorts [L] en juin 2022, demandant la démolition d’une clôture et l’interdiction de stationnement devant sa cour. Le 28 juillet, le juge des référés a ordonné la démolition de la clôture et l’enlèvement des encombrants, tout en déboutant M. [N] [K] de sa demande de rétablissement du portail. Les consorts [L] ont fait appel, contestant la recevabilité de l’action. La cour a confirmé l’intérêt légitime de M. [N] [K] à agir et a jugé justifiées les mesures ordonnées, tout en rejetant la demande de rétablissement du portail et celle de dommages et intérêts pour procédure abusive.
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Propriétés et ContexteM. [N] [K] est propriétaire d’une maison avec jardin et dépendance, acquise en partie par succession et en partie par donation. Sa propriété est contiguë à celle des consorts [L], qui possèdent également une maison et une cour, toutes deux issues d’une division de propriété datant de 1919. Assignation en JusticeEn juin 2022, M. [N] [K] a assigné les consorts [L] devant le tribunal judiciaire de Montauban, demandant la démolition d’une clôture, le rétablissement d’un portail, l’interdiction de stationnement devant sa cour, ainsi qu’une indemnisation. Décision du Juge des RéférésLe 28 juillet 2022, le juge des référés a déclaré l’action de M. [N] [K] recevable et a ordonné aux consorts [L] de démolir la clôture, d’enlever les encombrants de la cour, et d’interdire le stationnement devant l’entrée de la cour, tout en déboutant M. [N] [K] de sa demande de rétablissement du portail. Appel des Consorts [L]Les consorts [L] ont fait appel de cette décision, contestant la recevabilité de l’action de M. [N] [K] et demandant la réformation de la décision en leur faveur, tout en soutenant que M. [N] [K] ne justifiait pas d’un droit de passage. Arguments des PartiesLes consorts [L] soutiennent que M. [N] [K] ne prouve pas l’existence d’une servitude de passage et que son action vise à les priver de l’usage de leur cour. M. [N] [K] affirme bénéficier d’une servitude par destination du père de famille, lui permettant d’accéder à son fonds. Recevabilité de l’ActionLa cour a confirmé la recevabilité de l’action de M. [N] [K], considérant qu’il avait un intérêt légitime à agir, indépendamment de la question de l’existence d’un droit de passage. Mesures Ordonnées par le JugeLa cour a jugé que les mesures ordonnées par le juge des référés étaient justifiées, constatant que les consorts [L] avaient entravé l’accès de M. [N] [K] à sa propriété en érigeant une clôture et en stationnant des véhicules. Demande de Rétablissement du PortailLa demande de M. [N] [K] pour le rétablissement du portail a été rejetée, la cour estimant qu’il n’était pas nécessaire pour l’exercice de sa servitude de passage. Demande de Dommages et IntérêtsLes consorts [L] ont également demandé des dommages et intérêts pour procédure abusive, mais cette demande a été rejetée, la cour confirmant que l’action de M. [N] [K] n’était pas abusive. Décision FinaleLa cour a confirmé l’ordonnance du 28 juillet 2022 dans son intégralité, condamnant les consorts [L] aux dépens et à verser une somme à M. [N] [K] au titre des frais irrépétibles. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la recevabilité de l’action de M. [N] [K]L’article 31 du Code de procédure civile stipule que : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. » Il en découle que M. [N] [K] n’a pas à prouver l’existence du droit dont il entend défendre la possession pour que son action soit recevable. Ainsi, la décision du premier juge, qui a déclaré l’action de M. [K] recevable, est confirmée. Il a été établi qu’il disposait d’un intérêt légitime à saisir le juge des référés, en raison de son prétendu droit de passage troublé par les agissements des consorts [L]. Cette situation permet de mettre en cause leur responsabilité, indépendamment de la question de l’existence d’un titre, qui relève d’un débat devant le juge du fond. Sur les mesures ordonnées par le juge des référésL’article 835 al. 1er du Code de procédure civile prévoit que : « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. » Le trouble manifestement illicite est défini comme toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente de la règle de droit. Dans cette affaire, les consorts [L] ont installé des obstacles empêchant l’accès de M. [N] [K] à son fonds, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. Les mesures ordonnées par le juge des référés, telles que la démolition de la clôture et l’enlèvement des meubles, sont donc justifiées. L’astreinte prononcée est également appropriée, compte tenu de la privation d’accès à la résidence de M. [K]. Sur la demande de rétablissement du portail formée par M. [N] [K]L’article 697 du Code civil dispose que : « Celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver. » M. [N] [K] soutient que le portail était nécessaire à l’usage de la servitude de passage. Cependant, le premier juge a estimé que la mention dans l’acte de partage de 1919, selon laquelle les clôtures seraient à frais communs, jetait un doute sur l’interdiction de retirer le portail. La cour observe que le portail est situé sur le fonds des consorts [L] et qu’il n’est pas concerné par les clôtures mentionnées dans l’acte. L’absence de portail ne nuit pas à l’exercice de la servitude de passage, et le rétablissement du portail n’est donc pas nécessaire. Ainsi, la décision de rejeter cette demande est confirmée. Sur la demande de dommages et intérêts formée par les consorts [L] pour procédure abusiveLes consorts [L] ne peuvent pas tirer grief des agissements de M. [N] [K] dans la mesure où la décision de première instance a été confirmée sur les points contestés. Ils ne peuvent pas soutenir que l’action de M. [K] serait dommageable ou constitutive d’un abus de droit. La décision de débouter les consorts [L] de leur demande de dommages et intérêts est donc confirmée. Sur les mesures accessoiresLes consorts [L], ayant perdu le procès en appel, seront condamnés in solidum aux dépens. Conformément à l’article 699 du Code de procédure civile, le conseil de M. [N] [K] sera autorisé à recouvrer directement les dépens avancés. De plus, les consorts [L] seront condamnés à payer à M. [N] [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. |
ARRÊT N°23/2025
N° RG 22/03063 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O6L2
SG/KM
Décision déférée du 28 Juillet 2022
Président du TJ de MONTAUBAN
( 22/00192)
REIS
[P] [L]
[A] [L]
[U] [L]
[O] [L] épouse [B]
C/
[N] [K]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTES
Madame [P] [L]
[Adresse 13]
[Localité 12]
Représentée par Me Emmanuelle ASTIE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Laure BERGES KUNTZ, avocat plaidant au barreau de TARN-ET-GARONNE
Monsieur [A] [L]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Représentée par Me Emmanuelle ASTIE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Laure BERGES KUNTZ, avocat plaidant au barreau de TARN-ET-GARONNE
Madame [U] [L]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Emmanuelle ASTIE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Laure BERGES KUNTZ, avocat plaidant au barreau de TARN-ET-GARONNE
Madame [O] [L] épouse [B]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Emmanuelle ASTIE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Laure BERGES KUNTZ, avocat plaidant au barreau de TARN-ET-GARONNE
INTIME
Monsieur [N] [K]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Arnaud GONZALEZ de l’ASSOCIATION CABINET DECHARME, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. GAUMET, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. DEFIX, président délégué
E. VET, conseiller
S. GAUMET, conseiller
Greffier, lors des débats : I. ANGER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par M. DEFIX, président, et par I. ANGER, greffier de chambre
M. [N] [K] est propriétaire d’une maison d’habitation avec jardin, cour et dépendance située sur une parcelle cadastrée section C, numéro [Cadastre 9], lieu-dit [Adresse 13], sur la commune de [Localité 12], pour l’avoir obtenue pour partie de la succession de sa mère, décédée en 1950, et pour partie reçue par donation entre vifs selon acte du 7 Août 1981.
La propriété de M. [N] [K] est contigüe à celle de M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] (ci-après les consorts [L]), qui se compose de la maison d’habitation désormais sise sur la parcelle C [Cadastre 8] et d’une partie de la cour désormais située sur la parcelle C [Cadastre 9], ainsi que d’une partie du jardin et du hangar situés sur la parcelle C [Cadastre 10].
Ces trois parcelles sont issues de la division par donation-partage reçue le 18 mars 1919 d’une fonds plus grand qui était la propriété de Mme [T] [J] veuve [K].
Par acte en date des 16, 17 et 21 juin 2022, M. [N] [K] a fait assigner M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] devant le président du tribunal judiciaire de Montauban statuant en référés aux fins de les voir condamner in solidum à :
– démolir la clôture formée de canisses et de poteaux installée dans la cour sise sur la parcelle C [Cadastre 9] telle que figurant sur le constat d’huissier du 7 août 2021, et à vider ladite cour de tout meuble ou encombrant sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance,
– rétablir le portail existant formant clôture de cette cour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance,
– ne pas stationner de véhicule de leur chef ou de celui de tout occupant de leur chef devant l’entrée de ladite cour sous astreinte de 100 euros par infraction constatée,
– verser une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire en date du 28 juillet 2022, le juge des référés a :
– déclaré recevable M. [N] [K] en son action,
– condamné in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] à :
* procéder ou faire procéder à la démolition de l’intégralité de la clôture formée de poteaux et canisses installée dans la cour sise sur la parcelle cadastrée C [Cadastre 9] lieudit [Adresse 13], commune de [Localité 12] telle que figurant sur le procès-verbal d’huissier en date du 7 Août 2021, et ce dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, et passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant 4 mois,
* procéder ou faire procéder à l’enlèvement de tout meuble (tables chaises…) ou encombrant dans la cour intérieure, et ce dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, et passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant 4 mois,
* l’interdiction de stationnement de véhicule de leur chef ou de tous occupants de leur chef devant l’entrée de la cour située sur la parcelle C [Cadastre 9] sous peine d’astreinte de 50 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance,
– débouté M. [N] [K] de sa demande au titre du rétablissement du portail d’entrée,
– condamné in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] à payer à M. [N] [K] une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] au paiement des entiers dépens de l’instance, avec distraction au profit du conseil de M. [N] [K] en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Par déclaration en date du 8 août 2022, M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] ont relevé appel de la décision en en critiquant toutes les dispositions.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] dans leurs dernières conclusions en date du 17 novembre 2022 demandent à la cour, au visa de la loi du 16 février 2015, de l’article 682 du Code civil, de l’article 1240 du code civil, de :
– rejeter toutes conclusions contraires comme étant injustes ou mal fondées,
– accueillir le présent appel et le dire bien fondé et régulier,
– réformer la décision déférée en toutes ses dispositions,
et juger à nouveau :
– juger irrecevable l’action possessoire intentée par M. [N] [K] à défaut pour lui d’établir l’existence d’une servitude de passage, d’un état d’enclave et que son prétendu droit de passage serait menacé et le débouter de ses demandes,
subsidiairement,
– débouter M. [N] [K] de ses demandes à défaut pour lui d’établir l’existence d’un droit de passage et que sa possession serait menacée,
– condamner M. [N] [K] à verser aux défendeurs 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
– le condamner également à verser à chacun des défendeurs la somme de 1 000 euros soit au total 4 000 euros au titre des dommages et intérêts pour procédure particulièrement abusive.
M. [N] [K] dans ses dernières conclusions en date du 17 octobre 2022 demande à la cour, de :
– débouter les consorts [L] de l’intégralité de leurs prétentions,
– accueillir l’appel incident de M.[N] [K],
– réformer l’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Montauban du 28 juillet 2022 en ce qu’elle l’a débouté de sa demande au titre du rétablissement du portail d’entrée,
statuant à nouveau,
– condamner in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] à rétablir le portail existant formant clôture de cette cour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,
– confirmer la décision entreprise pour le surplus,
y ajoutant,
– condamner in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] à payer à M. [N] [K] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel ainsi qu’aux dépens d’appel qui seront recouvrés par son conseil selon les modalités de l’article 699 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 Juin 2024.
1. Sur la recevabilité de l’action de M. [N] [K]
Pour soutenir que l’action engagée à leur encontre est irrecevable, les consorts [L] font valoir que M. [K] ne justifie pas être propriétaire d’un droit de passage sur la parcelle litigieuse leur appartenant, ou que sa propriété soit enclavée, ou que l’accès à sa propriété serait menacée alors que les éléments qu’ils produisent démontrent au contraire l’absence d’état d’enclave et la faculté pour M. [N] [K] d’accéder à son fonds en créant une ouverture sur la voie publique, ainsi que l’absence de servitude de passage conventionnelle qui résulterait de l’un des actes de partage intervenus en 1919, 1966 et 1981.
Les consorts [L] ajoutent que l’action de M. [K] a pour seul but de les priver de la jouissance de leur cour et que l’action possessoire qu’il a engagée ne lui est pas ouverte en l’absence de passage continu dans leur cour, outre le fait qu’il n’a pu acquérir un tel droit de passage par prescription. Ils précisent que si un tel droit était reconnu à M. [K], il serait seulement pédestre, mais que celui-ci ne démontre pas la nécessité d’en protéger la possession.
M. [K] indique agir en référé afin de protéger la possession d’un passage sur le fonds voisin dont il bénéficie en raison d’une servitude par destination du père de famille, mais dont il a été privé par les consorts [L] qui ne peuvent valablement lui opposer l’absence d’état d’enclave.
Sur ce,
Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action (Com., 23 octobre 2024, N° 23-11.419).
Il s’en déduit qu’en l’espèce, M. [N] [K] n’a pas à démontrer l’existence du droit dont il entend défendre la possession pour que son action soit recevable, de sorte que la décision rendue par le premier juge doit être confirmée en ce que l’action de M. [K] a été déclarée recevable au motif qu’il disposait d’un intérêt légitime à saisir le juge des référés en ce qu’il prétend disposer, indépendamment de la question de l’existence d’un titre relevant d’un débat devant le juge du fond, d’un droit de passage troublé par les agissements des consorts [L] contre lesquels l’action engagée en vue du rétablissement du portail est fondée sur une voie de fait, ce qui permet la mise en cause de leur responsabilité.
2. Sur les mesures ordonnées par le juge des référés
Outre les arguments développés au soutien de l’irrecevabilité de l’action engagée à leur encontre, les appelants font valoir que M. [K] ne démontre l’existence d’aucune servitude ou droit de passage sur leur fonds que ce soit par titre ou convention et qu’il n’a pu acquérir aucun droit de cette nature par prescription en raison du seul usage discontinu et à pieds par lequel il rejoignait son propre fonds depuis la voie publique.
Les appelants reprochent au premier juge d’avoir fait droit à une partie des prétentions formées par M. [K] en ayant commis une erreur d’appréciation des pièces qui lui étaient soumises en ayant retenu qu’il existait un passage de véhicule dans une allée qui serait située sur leur propriété, alors qu’il ne s’agit que d’une cour privative, ce qui démontre selon eux que le juge des référés n’a pas compris la réalité de la configuration des lieux.
Ils affirment également que M. [K] a soumis au premier juge des éléments mensongers ou dénaturés, notamment en produisant des attestations dont le caractère n’est pas probant en ce qu’elles ont été rédigées pour la plupart par des personnes qui ne venaient pas régulièrement sur les lieux, en effectuant des déclarations mensongères sur la configuration des lieux et notamment la présence d’un puits sur sa propre propriété, en versant aux débats des photographies dont les annotations sont erronées quant aux endroits qu’elles représentent et une attestation qui ne peut retracer des constatations personnelles, ainsi qu’un constat d’huissier qui présente de manière inexacte la situation de la parcelle [Cadastre 9], alors que le plan du cadastre rectifié par le géomètre mandaté par M. [K] permet de constater que cette erreur a trompé le premier juge.
Les consorts [L] indiquent que depuis le premier partage de 1919, leur famille a toujours utilisé leur cour de manière privative pour des réunions ou des repas de famille en vue desquels elle était aménagée durant toute l’année et que la séparation mobile à l’enlèvement de laquelle ils ont été condamnés n’empêchait aucunes allées et venues à pied pour les consorts [K], mais était destinée à éviter que ceux-ci s’approprient de fait la jouissance de leur cour lorsqu’ils étaient présents sur leur propriété, un mois par an durant les congés estivaux.
Ils contestent l’existence d’une servitude par destination du père de famille en faisant valoir que toutes les conditions exigées par l’article 694 du code civil ne sont pas réunies, à défaut de réalisation d’un aménagement matérialisant l’assujettissement du fonds servant au fonds dominant par le propriétaire et d’aménagement apparent.
Ils soutiennent que la clause interdisant d’ériger des constructions sur les fonds dont M. [K] d’une part et eux-mêmes d’autre part sont désormais propriétaires, a été insérée dans l’acte de donation-partage de 1919, mais qu’elle est caduque depuis l’acte de partage de 1966. Ils précisent que l’acte initial n’interdit pas de modifier les clôtures existantes ni de poser des clôtures séparant les deux fonds lorsqu’elles peuvent aisément être déplacées.
M. [K], qui conclut à la confirmation de la décision de première instance, soutient que comme ses auteurs successifs, il passait, jusqu’au 10 juillet 2021, par la partie de cour attribuée à la famille [L] pour accéder à la voie publique depuis son fonds en usant d’une servitude par destination du père de famille dont il prétend bénéficier.
Il affirme tirer ses droits d’un acte de donation-partage de 1919 selon lequel la partie de la cour appartenant désormais aux consorts [L] ne devrait jamais être encombrée, les clôtures doivent être à frais communs et il est interdit à chaque propriétaire d’édifier des constructions sur leur partie de cour ou jardin, à l’exception d’un droit pour Mme [L] de bâtir la portion du jardin prolongeant le hangar.
Il soutient que son droit de passage bénéficie de la protection possessoire nonobstant son caractère discontinu lui permettant de voir protéger son droit par le juge des référés sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile.
M. [N] [K] indique que si en première instance son assignation reposait sur l’existence d’un état d’enclave, il s’est oralement prévalu d’une servitude par destination du père de famille, en vertu de laquelle le juge des référés a prononcé les condamnations dont les consorts [L] ont relevé appel. Il précise que par sa nature, la servitude dont il bénéficie sur le fonds des consorts [L] rend inopérantes les contestations de ces derniers fondées sur le fait que son fonds ne serait pas enclavé et indique qu’il subit un trouble possessoire du fait que le propriétaire du fonds servant fait obstacle à l’exercice de sa servitude, ce qui constitue pour lui un trouble manifestement illicite.
M. [K] expose que l’aménagement apparent d’un muret, tel que réalisé lorsque Mme [T] [J] veuve [K] était propriétaire de son fonds assujettissait ce fonds à la parcelle désormais propriété des consorts [L] et que l’ouverture dans ce muret permettait aux propriétaires de son fonds d’accéder à la voie publique par la cour et le jardin de la parcelle C [Cadastre 10]. Il indique qu’il n’existe pas de mention contraire à l’existence d’une servitude de passage dans l’acte de 1919 qui prévoit au contraire des obligations de ne pas encombrer la cour du fonds [L] ou d’y construire confortant cette servitude. Il observe que les consorts [L] ont fait de leur fonds un usage contraire aux prescriptions de l’acte de 1919 en faisant de leur cour par laquelle il doit accéder à son fonds un usage destiné à le priver de ses droits.
M. [K] soutient qu’il n’existe aucune restriction à l’objet de la servitude dont il bénéficie et dont il a toujours fait usage de façon paisible et non équivoque pour accéder à son fonds tant à pied qu’en voiture ainsi que le démontre le message que lui a adressé M. [A] [L] le 03 août 2021 et que l’acte de 1966 dont se prévalent les consorts [L] ne concernait pas les fonds litigieux.
Sur ce,
L’article 835 al. 1er du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire, dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d’y mettre un terme. Il appartient à celui qui en réclame l’application de le démontrer.
L’article 693 du code civil dispose qu’il n’y a destination du père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude.
Il est constant, ainsi que l’admettent les deux parties, que la servitude par destination du père de famille est constituée lorsque les fonds servant et dominant ont appartenu au même propriétaire, qui doit avoir réalisé un aménagement matérialisant l’assujettissement du fonds servant au fonds dominant, que cet aménagement est apparent et qu’il n’existe pas de mention contraire au titre instituant la division des deux héritages.
En l’espèce, le premier juge a exactement relevé qu’à l’origine de la situation litigieuse se trouve un acte de 1919, période depuis laquelle la famille [K] a bénéficié d’une possession paisible de la voie d’accès via le fonds [L]. En effet, dans le cadre de cet acte authentique de donation partage dont est issue la configuration actuelle des parcelles appartenant aux parties, il a été procédé par Mme [T] [J] veuve [K] à la division d’un fonds unique lui appartenant. L’acte et les photographies versées aux débats permettent sans équivoque de constater que la maison présente sur l’emprise a été divisée en deux dans le sens de la largeur et la cour présente devant l’immeuble initial a également été divisée de façon à ce que chaque maison dispose de la sienne devant le palier. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire, pour appréhender la configuration des lieux, de se référer aux annotations accompagnant les photographies, ni aux attestations produites par les parties ou aux explications de M. [K], il ressort des photographies et plans produits par les parties que les consorts [L] sont désormais propriétaires de la demi-maison bordant la voie publique tandis que M. [N] [K] est propriétaire de la partie de la maison la plus éloignée de la voie publique et que chacune de ces maisons est bordée d’une cour initialement commune à tout l’immeuble.
Il n’est pas contesté que l’acte de 1919 prévoit que la partie de la cour appartenant désormais aux consorts [L] ne doit pas être encombrée, que les clôtures doivent être à frais communs et qu’il y est fait interdiction aux propriétaires des deux fonds litigieux d’édifier des constructions sur leur partie de cour ou de jardin. Il est admis par les consorts [L] que les premiers propriétaires des fonds litigieux étaient mère ([T] [J] veuve [K]) et fils ([V] [K]), ce dernier exerçant la profession de charpentier. C’est contre l’évidence des divers plans et photographies versés aux débats, y compris par eux-mêmes, que les consorts [L] font plaider que l’interdiction d’encombrement de la cour n’était édictée qu’afin que le matériel professionnel d'[V] [K] ne gêne pas l’usage que sa mère devait pouvoir faire de sa propre cour alors que, la pénétration sur l’emprise permettant d’accéder à la maison d'[V] [K], à sa cour et à son hangar professionnel situé en fond de parcelle par rapport à la voie publique n’était possible qu’en entrant par le portail situé sur la route de [Localité 12] depuis cette voie publique bordant la maison d'[T] [K] et en passant par la cour attenant à la maison de cette dernière. Les prescriptions contenues dans l’acte de donation partage de 1919 n’ont pu être destinées qu’à ménager à l’auteur de M. [N] [K] un accès à son fonds depuis la voie publique en passant sur le fonds de sa mère pour les besoins de sa vie personnelle, mais aussi pour l’exploitation de son activité professionnelle, incluant nécessairement le passage de véhicules. Il en résulte que les lieux ont été aménagés par l’auteur commun des parties afin de donner accès au fonds [K] par le fonds [L] en ménageant à cette fin un passage suffisamment large entre la maison [L] et la haie bordant leur cour. Il n’est pas allégué de l’existence d’aménagements occultes et à cet égard, les considérations relatives à l’existence d’un puits sont indifférentes. L’absence de mention d’une servitude passage dans l’acte authentique de donation-partage du 17 novembre 1966 ne constitue pas une mention contraire à l’existence d’une servitude dont se prévaut M. [N] [K] et le fait qu’elle ne soit pas mentionné dans l’acte n’a pu entraîner sa cessation, ainsi que le prévoit l’article 394 du code civil.
Au surplus, les consorts [L] admettent que M. [N] [K] et sa famille ont toujours été autorisés à passer à pied dans la cour depuis la rue pour accéder à leur fonds et ne prétendent pas le contraire à hauteur d’appel. Selon le message adressé le 17 juillet 2021 à M. [N] [K] par M. [A] [L], ce dernier faisait référence à ‘l’utilisation de notre cour’, indiquant n’être en possession d’aucun acte démontrant l’existence d’une servitude et suggérant à M. [K] de créer une ouverture directe sur son fonds depuis la voie publique. Par un message du 03 août suivant, M. [L] reprochait à M. [K] d’avoir ‘utilisé et abusé depuis des années d’une facilité de passage conventionnel’, tout en lui demandant de ‘ne plus passer en voiture(s) dans ma cour’. La lecture a contrario mais non équivoque de ces messages conforte le fait que les propriétaires du fonds [L] ont toujours a minima jusqu’en juillet 2021 reconnu que les propriétaires du fonds [K] bénéficiaient d’une faculté de passage tant à pied qu’en voiture sur leur fonds.
Il résulte du tout que l’existence d’une servitude de passage par destination du père de famille sur le fonds des consorts [L] au profit de M. [N] [K] n’est pas sérieusement contestée par les consorts [L].
Pour condamner sous astreinte les consorts [L] à la démolition de la palissade fixe séparative de leur fonds avec celui de M. [K], à l’enlèvement et au déplacement du mobilier de jardin en dehors de l’allée afin de permettre le passage d’un véhicule automobile et pour leur interdire de faire stationner des véhicules devant l’entrée de la cour de leur voisin, le premier juge a à juste titre retenu que les éléments versés aux débats et notamment plusieurs photographies et le constat d’huissier du 07 août 2021 démontrent que les consorts [L] ont stationné des véhicules, installé du mobilier de jardin et édifié une palissade sur leur fonds, de façon à empêcher tout accès en voiture au fonds [K] depuis la voie publique et même à perturber l’accès piéton.
La cour observe que si pour une meilleure compréhension de sa décision, il a qualifié d’ ‘allée’ ce qui est en fait la cour située devant la maison des consorts [L] et que M. [K] doit traverser pour rejoindre sa propre cour et sa maison, le juge des référés ne s’est en rien mépris sur la configuration des lieux et n’a commis aucune erreur d’appréciation quant au comportement des consorts [L] dont il a à juste titre été souligné qu’ils avaient de façon brutale mis en terme à l’usage paisible de la cour et du passage par M. [K].
Contrairement aux affirmations des consorts [L], la clôture qu’ils ont érigée entre leur cour et celle de M. [N] [K] ne peut pas être aisément déplacée,l’huissier mandaté par ce dernier ayant constaté le 07 août 2021 que le brise vue installé par les consorts [L] était fixé à trois poteaux en bois semblant être cimentés au sol ainsi que l’a justement souligné le premier juge. L’installation dans leur cour par les consorts [L] du brise-vue formant clôture, ainsi que du mobilier de jardin a constitué une menace pour le droit dont peut se prévaloir M. [N] [K] qui a de façon légitime agi devant le juge des référés sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile.
C’est en conséquence à bon droit que les mesures critiquées ont été ordonnées, l’astreinte prononcée étant également justifiée en son principe et adaptée en son quantum compte tenu du fait que M. [K] était privé de l’accès à sa résidence secondaire, peu important qu’il n’y séjourne qu’un mois par an. La décision sera confirmée sur ces points.
3. Sur la demande de rétablissement du portail formée par M. [N] [K]
Pour solliciter qu’il soit fait droit à sa demande de remise en place du portail antérieurement existant entre la voie publique et la cour du fonds [L], M. [N] [K] fait valoir qu’il s’agit d’un ouvrage nécessaire à l’usage de la servitude de passage dont il bénéficie au sens de l’article 697 du code civil, en précisant que ce portail, qui existait même avant la donation-partage de 1919, était destiné à sécuriser la propriété familiale d’origine et qu’il a toujours contribué à son entretien. Il soutient que son retrait par les consorts [L] procède d’un abus de droit de leur part, constitutif pour lui d’un trouble manifestement illicite.
Les consorts [L] ne concluent pas spécifiquement sur ce point.
Sur ce,
Selon l’article 697 du code civil, celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver.
En l’espèce, pour rejeter la demande de M. [N] [K] tendant à voir rétablir le portail antérieurement existant, le premier juge a estimé que la mention contenue dans l’acte de partage de 1919 selon laquelle les clôtures seraient à frais communs jetait un doute sur l’interdiction qui en découlerait de retirer le portail et qu’il appartiendrait éventuellement au juge du fond de procéder à l’interprétation de cet acte juridique.
La cour observe que le portail est de façon exclusive situé sur le fonds appartenant désormais aux consorts [L] de sorte que, sans qu’il soit nécessaire d’interpréter l’acte de donation-partage de 1919, il n’est pas concerné par les clôtures qui y sont mentionnées, peu important que dans les faits, il ait été entretenu à frais communs avec M. [N] [K]. L’absence de portail ne nuit pas à l’exercice par ce dernier de sa faculté de passage sur le fonds des consorts [L] et elle ne le prive pas de son propre droit de clore son fonds dans le cadre d’une mesure de sécurisation contre une intrusion par des tiers. Le rétablissement du portail tel qu’il est sollicité ne présente dès lors aucun caractère de nécessité pour user de sa servitude de passage ou la conserver.
C’est en conséquence à bon droit que le premier juge a rejeté cette prétention et sa décision sera confirmée.
4. Sur la demande de dommages et intérêts formée par les consorts [L] pour procédure abusive
Dans la mesure où la décision dont les consorts [L] ont relevé appel est confirmée sur les points objets de leurs contestations, ces derniers ne sauraient utilement tirer grief des agissements, ni soutenir que l’action judiciaire de M. [N] [K] leur serait dommageable en ce qu’elle procéderait d’un abus de droit. La décision sera également confirmée en ce qu’elle a débouté les consorts [L] de leur demande de dommages et intérêts.
5. Sur les mesures accessoires
Les consorts [L] perdant principalement le procès en appel, ils seront condamnés in solidum aux dépens. Conformément à l’article 699 du code de procédure civile, le conseil M. [N] [K] sera autorisé à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.
Les consorts [L] seront également condamnés in solidum à payer à M. [N] [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour,
– Confirme l’ordonnance rendue le 28 juillet 2022, par le président du tribunal judiciaire d’Albi statuant en référé en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
– Condamne in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] aux dépens d’appel,
– Autorise le conseil M. [N] [K] à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision,
– Condamne in solidum M. [A] [L], Mme [U] [L], Mme [P] [L] et Mme [O] [B] à payer à M. [N] [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
I.ANGER M.DEFIX
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