Conflit autour de la reconnaissance d’un lien de travail maritime et de ses implications contractuelles.

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Conflit autour de la reconnaissance d’un lien de travail maritime et de ses implications contractuelles.

L’Essentiel : La société STORM SHIPPING LTD, propriétaire du navire STORM I, a engagé M. [Z] [L] comme capitaine en 2009. En 2016, le navire a été vendu à M. [W] [V], qui l’a enregistré aux îles Cook. M. [Z] [L] a ensuite fondé A.C.T YACHT SERVICES en 2018 pour gérer le CLIFFORD II, acquis par M. [W] [V]. Après la vente du navire à la société TWELVE en 2021, M. [Z] [L] a informé de son départ et a saisi le tribunal pour une créance de 484 533 €, entraînant des procédures judiciaires complexes.

Contexte de l’affaire

La société STORM SHIPPING LTD, enregistrée à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, était propriétaire du navire STORM I. M. [Z] [L], un ressortissant français, a été engagé comme capitaine du navire par un contrat de travail signé en France en août 2009. En septembre 2016, le navire a été vendu à M. [W] [V], un ressortissant allemand, qui l’a enregistré aux îles Cook. M. [W] [V] a ensuite acquis un nouveau navire, le CLIFFORD II, en octobre 2017.

Création de la société A.C.T YACHT SERVICES

En octobre 2018, M. [Z] [L] a fondé une société unipersonnelle, A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA, pour gérer le CLIFFORD II. À partir de janvier 2019, il a été employé par cette société à travers trois contrats successifs jusqu’à fin 2021.

Changement de propriétaire du navire

Le 10 novembre 2021, M. [W] [V] a vendu le CLIFFORD II à la société TWELVE, dirigée par M. [I] [N]. Cette vente a mis fin aux relations commerciales avec A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA. Le navire a été renommé EQUITY.

Communication de M. [Z] [L] concernant son emploi

Le 14 décembre 2021, M. [Z] [L] a informé M. [W] [V] par SMS qu’il ne serait plus capitaine du CLIFFORD II. En janvier 2022, il a envoyé un courriel à M. [I] [N] demandant des informations sur ses indemnités de départ et un certificat de travail, se plaignant de ne pas avoir été informé de la vente du navire.

Procédures judiciaires

M. [Z] [L] a saisi le tribunal de Draguignan en janvier 2022 pour saisir le navire EQUITY en garantie d’une créance de 484 533 €. Il a également déposé une plainte pour travail dissimulé et licenciement sans cause réelle. Le conseil de prud’hommes a rendu un jugement en mai 2023, déclarant recevables les pièces en langues étrangères, mais déboutant M. [Z] [L] de ses demandes.

Appel et conclusions des parties

M. [Z] [L] a interjeté appel en juin 2023. Dans ses conclusions, il demande la confirmation de certaines décisions du jugement tout en contestant d’autres, notamment le rejet de ses demandes contre M. [W] [V] et M. [I] [N]. De leur côté, M. [W] [V] et M. [I] [N] ont également formulé des demandes d’appel incident.

Décisions de la cour

La cour a constaté que le jugement n’était pas contesté sur la recevabilité des pièces en langues étrangères. Elle a décidé d’écarter certaines pièces en portugais pour absence de traduction et a ordonné la réouverture des débats pour permettre à M. [Z] [L] de produire un contrat de travail contesté. Les autres demandes ont été mises en attente pour décision ultérieure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature du contrat de travail entre M. [Z] [L] et M. [W] [V] ?

Le contrat de travail entre M. [Z] [L] et M. [W] [V] est régi par le droit français, conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail, qui stipule :

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

Dans le cas présent, M. [Z] [L] soutient que son contrat de travail a été transféré à M. [W] [V] lors de l’acquisition du navire STORM I. Cependant, la cour a retenu que le navire STORM I n’était pas un ensemble organisé permettant une activité économique, ce qui signifie que le contrat de travail ne s’est pas transféré par effet de la loi.

En conséquence, la cour a conclu que M. [Z] [L] n’était pas salarié de M. [W] [V] après la vente du navire, car il n’existait pas de continuité dans l’activité économique.

Quelles sont les implications de la vente du navire sur le contrat de travail ?

La vente du navire a des implications significatives sur le contrat de travail de M. [Z] [L]. Selon l’article L. 1224-1 du Code du travail, le transfert d’un contrat de travail est conditionné par l’existence d’une entité économique autonome.

La cour a précisé que :

« Le transfert doit porter sur une entité économique autonome entendue comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre. »

Dans le cas de M. [Z] [L], le navire STORM I était utilisé à des fins de plaisance et non dans un cadre commercial. Par conséquent, la cour a jugé que la vente du navire à M. [W] [V] ne constituait pas un transfert de contrat de travail, car il n’y avait pas d’entité économique stable.

Comment le droit applicable a-t-il été déterminé dans cette affaire ?

Le droit applicable a été déterminé en se référant à l’article 8 du règlement CE n° 593/2008, dit « Rome I », qui stipule :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article. »

La cour a retenu que, bien que le contrat de travail initial ait été établi selon la législation de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, M. [Z] [L] accomplissait habituellement son travail en France. Ainsi, le droit français a été appliqué pour examiner les relations de travail, car le lieu habituel d’exécution du travail était en France.

Quelles sont les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Un licenciement sans cause réelle et sérieuse entraîne des conséquences importantes pour l’employeur, notamment en vertu des articles L. 1232-1 et suivants du Code du travail. Ces articles stipulent que :

« Tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. »

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à des indemnités, qui peuvent inclure :

– Une indemnité de licenciement,
– Une indemnité compensatrice de préavis,
– Des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Dans le cas de M. [Z] [L], il a demandé des indemnités pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, ce qui pourrait entraîner des condamnations financières pour M. [W] [V] et la société TWELVE si la cour reconnaît que le licenciement était injustifié.

Quelles sont les implications de la création de la société A.C.T YACHT SERVICES ?

La création de la société A.C.T YACHT SERVICES a des implications sur la relation de travail de M. [Z] [L]. Selon l’article L. 1221-1 du Code du travail, un contrat de travail doit être établi pour formaliser la relation entre un employeur et un salarié.

M. [Z] [L] a été employé par sa propre société, ce qui complique la question de la subordination et de l’employeur. La cour a noté que :

« M. [W] [V] dénie avoir signé le contrat de travail du 1er octobre 2016. »

Cela soulève des questions sur la validité des contrats de travail établis par la société A.C.T YACHT SERVICES et sur la nature de la relation entre M. [Z] [L] et M. [W] [V].

La cour a décidé de rouvrir les débats pour examiner la validité du contrat de travail du 1er octobre 2016, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les droits de M. [Z] [L] en tant que salarié.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT MIXTE

DU 17 JANVIER 2025

N°2025/009

Rôle N°23/08023

N° Portalis DBVB-V-B7H-BLOZW

[Z] [L]

C/

[W] [V]

[I] [N]

Société TWELVE

Copie exécutoire délivrée

le : 17/01/2025

à :

– Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE

– Me Jean MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

– Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FREJUS en date du 23 Mai 2023 enregistré au répertoire général sous le n° F 22/00043.

APPELANT

Monsieur [Z] [L], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Lionel BUDIEU, avocat au barreau de NICE et de Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

INTIMES

Monsieur [W] [V], demeurant [Adresse 7]

[Localité 2] – ALLEMAGNE

représenté par Me Jean MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [I] [N], demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Marilyne DEFERI, avocat au barreau de NICE

et par Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

Société TWELVE, sise [Adresse 6]

représentée par Me Marilyne DEFERI, avocat au barreau de NICE

et par Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 19 Novembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller.

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Madame Raphaelle BOVE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025.

Signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] La société STORM SHIPPING LTD est enregistrée auprès du registre du commerce de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Elle était propriétaire d’un navire dénommé STORM I. Elle a engagé M. [Z] [L], ressortissant français, son propre dirigeant, en qualité de capitaine de ce navire, selon un contrat de travail rédigé en langue française signé à [Localité 3] (France) le 12 août 2009. La société a cédé le navire STORM I à M. [W] [V], ressortissant allemand, le 29 septembre 2016. Ce dernier a enregistré le navire auprès du registre du commerce des îles Cook. M. [W] [V] a acquis un nouveau navire le 2 octobre 2017, dénommé CLIFFORD II.

[2] Le 25 octobre 2018, M. [Z] [L] a créé une société unipersonnelle A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA, immatriculée à [Localité 5]. À compter du 1er’janvier 2019, cette société a formellement employé M. [Z] [L], pour gérer le navire CLIFFORD II propriété de M. [W] [V], et ce, par 3 contrats successifs pour les périodes du’:

 »1er janvier 2019 au 31 décembre 2019′;

 »1er janvier 2020 au 31 décembre 2020′;

 »1er janvier 2021 au 31 décembre 2021′;

[3] Le 10 novembre 2021, M. [W] [V] a cédé le navire CLIFFORD II à la société TWELVE, dirigée par M. [I] [N], sujet luxembourgeois résidant monégasque, et mis fin à ses relations commerciales avec la société AC.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA à compter du 31 décembre 2021. Le navire a été alors renommé EQUITY.

[4] Le 14 décembre 2021, M. [Z] [L] adressait à M. [W] [V] un SMS en anglais ainsi traduit’:

«’Bonjour [W], j’espère que vous allez bien. Vous savez peut-être que [I] ne me veut plus sur le Clifford 2. C’est la vie. Je démissionnerai bientôt. Je suis donc sur le marché. Et [Y] aussi.’»

Le 10 janvier 2022, M. [Z] [L] adressait à M. [I] [N] un courriel ainsi rédigé’:

«'[I], Je suis le capitaine du CLIFFORD II depuis plus de 5’ans et je viens d’être informé par M. [F], qui jusqu’à présent était mon second et que vous avez chargé de m’annoncer la nouvelle, que je ne suis plus le capitaine du navire à partir du 31 décembre 2021 et que je dois débarquer immédiatement’! Ce ne sont pas des manières. Je vous remercie au moins de m’indiquer le montant de mes indemnités de départ et surtout de m’adresser un certificat de travail, les documents qui me permettront de m’inscrire au chômage et une lettre de recommandation pour d’aider à retrouver un nouvel emploi. N’ayant jamais été clairement informé de la vente du navire, Je vous adresse ce courriel à tous les deux et j’espère une réponse rapide de votre part.’»

Le même jour, M. [I] [N] répondait’par un courriel qui sera reproduit corrigé des erreurs manifestes de transcription vocale’:

«’Bonjour [Z], Je ne comprends pas ce message tout d’abord tu étais très bien informé de la vente du bateau en question de l’ancien propriétaire et de moi-même en novembre en présence de tous l’équipage et de mon assistante’! Après il y a eu des entretiens de réembauche éventuelle avec chaque employé de ta société gestion qui géré le bateau pour l’ancien propriétaire avec mon assistante et tout était clarifié en décembre aussi avec toi où tu étais informé que nous allons pas faire appel à tes services ni a ta société de gestion’! L’ancien propriétaire t’avais précisé qu’il prenait tout en charge jusqu’au 31.12.2021 et juste pour rappelle nous avons aucune relation professionnelle ensemble’! J’espère que je pouvais rafraîchir ta mémoire pour toutes autres informations tu peux t’adresser à mon assistante et je t’invite de respecter les consignes qui ont été données à M. [A].’»

[5] Par ordonnance du juge de l’exécution au tribunal judiciaire de Draguignan du 21’janvier’2022, M. [Z] [L] a été autorisé à saisir à titre conservatoire le navire EQUITY, en garantie d’une créance évaluée provisoirement à la somme de 484’533’€, dont la quittance de paiement a été enregistrée le 10 mars 2022.

[6] Soutenant être en réalité salarié de M. [W] [V] depuis le 29 septembre 2016 en qualité de capitaine d’un navire STORM 1 puis d’un second navire CLIFFORD II et se plaignant notamment de travail dissimulé, d’une absence de transfert de son contrat de travail à la société TWELVE et d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [Z] [L] a saisi le 22 février 2022 le conseil de prud’hommes de Fréjus, section activités diverses, lequel, par jugement rendu le 23 mai 2023, a’:

déclaré recevables les pièces de M. [Z] [L] écrites en langues étrangères’;

dit qu’il n’y a pas lieu de rejeter les pièces produites en portugais’;

dit le droit français applicable aux contrats de travail de M. [Z] [L]’;

mis hors de cause M. [W] [V], M. [I] [N] et la société civile particulière monégasque TWELVE’;

débouté M. [Z] [L] de l’ensemble de ses demandes’;

condamné M. [Z] [L] à payer les sommes suivantes’:

1’500’€ à M. [I] [N] à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive’;

 »’500’€ à M. [W] [V] au titre des frais irrépétibles’;

 »’500’€ à M. [I] [N] et à la société civile monégasque TWELVE au titre des frais irrépétibles’;

débouté les parties défenderesses du surplus de leurs demandes’;

condamné M. [Z] [L] aux entiers dépens.

[7] Cette décision a été notifiée le 24 mai 2023 à M. [Z] [L] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 16 juin 2023. L’instruction a été clôturée par ordonnance du 18’octobre’2024.

[8] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2024 aux termes desquelles M. [Z] [L] demande à la cour de’:

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reçu les pièces produites en langue anglaise’;

l’infirmer en ce qu’il a admis les pièces produites en langue portugaise qu’aucune partie ne comprend’;

rejeter lesdites pièces des débats’;

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis hors de cause MM. [I] [N] et [W] [V] ainsi que la société TWELVE et l’a débouté de toutes ses demandes’;

dire que’:

M. [W] [V] a été son employeur jusqu’à la vente du CLIFFORD II’;

la SCI TWELVE et M. [I] [N] sont devenus son employeur par application des dispositions des articles L. 1224-1 et suivants du code du travail’;

dire le droit français applicable à la relation de travail’;

dire que la moyenne des salaires s’élève à la somme de 12’990’€ bruts’;

requalifier les contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée’;

condamner la SCI TWELVE, M. [I] [N] à titre principal ou subsidiairement solidairement avec M. [W] [V], à lui verser les sommes suivantes’:

indemnité de requalification des CDD en CDI’: 25’980’€’;

indemnité compensatrice de préavis’: 25’980’€’;

congés payés y afférant’: 2’598’€’;

indemnité légale de licenciement’: 41’135’€’;

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse’: 142’890’€’;

dommages et intérêts pour licenciement vexatoire’: 10’000’€’;

indemnité forfaitaire de travail dissimulé’: 77’940’€’;

réparation du préjudice distinct’: 148’000’€’;

frais irrépétibles’: 10’000’€’;

condamner l’employeur à régulariser sa situation depuis l’embauche ainsi qu’à lui remettre’des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi, le tout sous astreinte comminatoire de 100’€ par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt’;

condamner la SCI TWELVE à titre principal ou subsidiairement solidairement avec M.'[W] [V] aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Romain CHERFILS, membre de la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE, avocats associés aux offres de droit.

[9] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024 aux termes desquelles M. [W] [V] demande à la cour de’:

à titre principal,

confirmer le jugement entrepris’;

débouter le requérant de toutes ses prétentions’;

condamner le requérant à la somme de 5’000’€ au titre des frais irrépétibles’;

condamner le requérant aux entiers dépens d’instance’;

à titre subsidiaire,

cantonner les condamnations au minimum légal dû sur la base d’une ancienneté de 2’ans et 10’mois, ou plus subsidiairement sur la base d’une ancienneté de 5’ans et deux mois et d’un salaire de 10’000’€ bruts.

cantonner la demande de régularisation aux 3 années précédant la rupture du contrat, soit seulement à compter du 10 novembre 2021.

[10] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024 aux termes desquelles M. [I] [N] et la société TWELVE demandent à la cour de’:

les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident’;

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé applicable le droit français aux contrats de travail de M. [Z] [L]’;

le confirmer pour le surplus en ses dispositions non contraires à leurs conclusions’;

débouter M. [Z] [L] de l’ensemble de ses demandes à leur égard’;

condamner M. [Z] [L] à leur verser la somme de 2’000’€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive’;

condamner M. [Z] [L] aux entiers dépens ainsi qu’à leur verser la somme de 10’000’€ au titre des frais irrépétibles.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[11] Il sera tout d’abord relevé que le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a déclaré recevables les pièces produites par M. [Z] [L] et écrites en langues étrangères.

1/ Sur la recevabilité des pièces rédigées en portugais

[12] M. [Z] [L] demande à la cour d’enjoindre aux intimés de faire traduire les pièces rédigées en portugais ou de les retirer des débats. La société TWELVE et M.'[I] [N] ne produisent qu’une pièce rédigée uniquement en portugais, mais ils y joignent sa traduction française. Elle n’encourt dès lors pas la critique. M. [W] [V] produit un extrait du journal officiel de la région autonome de [Localité 4] du 11 janvier 2019. Cette pièce n’étant pas traduite, elle sera écartée des débats.

2/ Sur le droit applicable aux relations contractuelles alléguées par l’appelant à l’encontre des intimés

[13] L’article 8 du règlement CE n°’593/20081 du 17 juin 2008 dit «’Rome I’» dispose que’:

«’1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur.

4. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique.’»

Pour l’application de ce texte aux marins du yachting, il convient de retenir que le lieu habituel d’accomplissement du travail est le où le navire est réellement exploité.

[14] Le contrat de travail du 12 août 2009 concernant le navire STORM I, dont M. [Z] [L] revendique le transfert à M. [W] [V] lors de l’acquisition du STORM I par ce dernier le 29 septembre 2016, indique être établi conformément à la législation de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il indique aussi, sans plus de précision, en son article troisième que le navire est régi par la loi maritime. Au vu d’une telle rédaction imprécise, la cour retient que les parties n’ont pas entendu choisir la loi régissant le contrat de travail alors qu’il n’est pas contesté que le STORM I avait bien [Localité 3] comme port d’attache. En conséquence, l’éventuel transfert du contrat de travail du 12 août 2009 à M. [W] [V], revendiqué par M.'[Z] [L], sera examiné au regard de l’article L. 1224-1 du code du travail français dès lors qu’il est allégué une relation de travail accompli en France ou à partir de la France. Il sera noté surabondamment que M. [W] [V] sollicite la confirmation du jugement entrepris, lequel a retenu l’application du droit français, et que les autres intimés ne sollicitent nullement l’application du droit de Saint-Vincent-et-les-Grenadines ou des îles Cook.

[15] M. [Z] [L] justifie de ce que le navire CLIFFORD II, devenu EQUITY, était bien amarré au port de [Localité 9] en produisant les contrats annuels d’amarrage ainsi que des factures fournisseurs. Il apparaît ainsi que M. [Z] [L] accomplissait habituellement son travail de capitaine du CLIFFORD II en France ou à partir de la France, selon les navigations. Dès lors, la cour retient que l’existence alléguée par M. [Z] [L] d’un contrat de travail le liant à M. [W] [V], malgré l’apparence de mise à disposition par la société de droit portugais A.C.T YACHT SERVICES, doit être examinée au regard du droit français, dès lors que cette allégation vise précisément à écarter des relations contractuelles portugaises au motif qu’elles constitueraient de simples fictions dissimulant la réalité d’un contrat de travail conclu entre le propriétaire du navire et son capitaine.

3/ Sur le transfert du contrat de travail du 12 août 2009 à M. [W] [V] en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail

[16] L’article L.1224-1 du code du travail dispose que’:

«’Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.’»

En l’application de ce texte, le transfert doit porter sur une entité économique autonome entendue comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre. Il faut de plus que l’activité de l’entité transférée soit stable et ne se résume pas à l’exécution d’un ouvrage déterminé. Il en est ainsi, en matière maritime, en cas de vente d’un navire, de pêche comme de commerce, qui poursuit son activité (Soc. 7 nov. 1989, Le Berre, n° 86-19.196). Par contre, l’article L. 1224-1 du code du travail n’est pas applicable à la vente d’un navire de plaisance à un particulier, dans la mesure où une telle vente n’emporte pas transfert d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant une activité économique poursuivant un objectif propre.

[17] M. [Z] [L] soutient que le contrat de travail 12 août 2009 s’est trouvé transféré à M. [W] [V] en raison de l’acquisition par ce dernier du navire STORM I le 29’septembre 2016, ce que conteste l’intéressé qui fait valoir à l’inverse que M. [Z] [L] se présente encore aujourd’hui sur le réseau social Linkedin en qualité de directeur chez STORM SHIPPING Ltd, société qui lui a cédé le STORM I selon contrat de vente signé par M.'[Z] [L] lui-même.

[18] La cour retient que le navire STORM I était bien armé à la plaisance, que la composition de l’équipage n’est nullement précisée et qu’il n’est pas contesté que M. [W] [V] jouissait de ce navire en famille durant ses loisirs et ne le louait pas à des tiers. Dès lors, le STORM I ne constituait pas un ensemble organisé permettant une activité économique poursuivant un objectif propre et le contrat de travail du 12 août 2009 ne s’est pas trouvé transféré à M. [W] [V] par le seul effet de la loi.

4/ Sur l’existence d’un contrat de travail écrit liant M. [Z] [L] à M.'[W] [V]

[19] M. [Z] [L] soutient encore que M. [W] [V] a régularisé avec lui un nouveau contrat de travail le 1er’octobre’2016. Il indique que cette relation contractuelle s’est poursuivie alors que lui était conféré les fonctions de capitaine d’un nouveau navire acquis par M.'[W] [V] et ce malgré le montage juridique auquel il s’est trouvé contraint, à savoir la création d’une société unipersonnelle A.C.T YACHT SERVICES, sise à Madère et dirigée par lui-même, et encore son embauche par cette même société au moyen de contrats annuels. Il précise qu’il a toujours été subordonné à M.'[W] [V] qui donnait toutes les instructions nécessaires à la réalisation de son travail et réglait les salaires par le biais de la société.

[20] M. [W] [V] dénie avoir signé le contrat de travail du 1er octobre 2016. Il ne conteste pas avoir été propriétaire à compter du 2’octobre’2017 du navire CLIFFORD II, au sujet duquel M. [Z] [L] est intervenu en qualité de capitaine et de gestionnaire, mais il soutient que c’était en qualité de salarié de sa propre société unipersonnelle, A.C.T YACHT SERVICES, laquelle lui facturait les salaires de l’équipage ainsi que des frais de gestion. Il ajoute que cette société, qui déclarait un chiffre d’affaires de 658’120’$ en 2020, disposait manifestement ainsi d’autres revenus que le règlement des factures qui lui étaient adressées. Il fait valoir enfin que la société A.C.T YACHT SERVICES a embauché M.'[D] [E] à compter du 1er’janvier 2019 en qualité de chef mécanicien, puis Mme [Y] [X], compagne de M. [Z] [L], à compter du 1er juillet 2021 comme chef de cuisine.

[21] L’article 287 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que’:

«’Si l’une des parties dénie l’écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l’écrit contesté à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte. Si l’écrit contesté n’est relatif qu’à certains chefs de la demande, il peut être statué sur les autres.’»

L’article 288 du même code précise que’:

«’Il appartient au juge de procéder à la vérification d’écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s’il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d’écriture.

Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l’une des parties, qu’ils aient été émis ou non à l’occasion de l’acte litigieux.’»

En application de ces textes, si la vérification d’écriture doit être faite au vu de l’original, les éléments de comparaison peuvent être produits en copie (Civ. I, 6 octobre 1998, n° 96-20.164).

[22] La copie du contrat de travail du 1er octobre 2016 produite par M. [Z] [L] porte à son pied une signature sous le nom de M. [W] [V] que ce dernier dénie. Il produit à titre de comparaison les copies des actes de cession du CLIFFORD II et du STORM I portant sa signature.

[23] La cour retient qu’elle ne peut statuer sans tenir compte du contrat de travail du 1er’octobre 2016, dès lors que le contrat de travail du 12’août’2009 ne s’est pas trouvé transféré par l’effet de la loi suite à l’acquisition du STORM I le 29 septembre 2016, que la création de la société A.C.T YACHT SERVICES est postérieure de deux ans à l’acquisition du STORM I et d’un an à celle du CLIFFORD II, n’étant intervenue que le 25’octobre’2018, et encore que de la sincérité de l’instrument du 1er octobre 2016 dépend la charge de la preuve de la relation salariale. Il convient donc d’ordonner la réouverture des débats pour permettre la production d’un des deux exemplaires originaux du contrat de travail du 1er’octobre’2016 par M.'[Z] [L].

5/ Sur les autres demandes

[24] Il y a lieu de surseoir à statuer sur les autres demandes et de réserver les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Constate que le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a déclaré recevables les pièces produites par M. [Z] [L] et écrites en langues étrangères.

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit qu’il n’y a pas lieu de rejeter les pièces produites en portugais.

Statuant à nouveau sur ce point,

Écarte des débats, faute de traduction, le seul extrait du journal officiel de la région autonome de [Localité 4] du 11’janvier 2019 produit par M. [W] [V].

Avant dire droit sur les autres demandes,

Ordonne la réouverture des débats et le rabat de l’ordonnance de clôture afin de permettre à M. [Z] [L] de produire à l’audience du mardi 11 février 2025 à 14’heures, à laquelle l’affaire est renvoyée, un des deux originaux du contrat de travail du 1er octobre 2016, lequel sera examiné sur l’audience par les parties et la cour.

Dit qu’après cet examen les parties pourront à leur choix, ou bien s’en tenir à leurs écritures, en quel cas une nouvelle clôture sera prononcée sur le champ avec leur accord et la cause mise en délibéré, ou bien demander à prendre de nouvelles écritures, en quel cas l’instruction sera clôturée à nouveau le 11 mars 2025 et l’affaire plaidée à l’audience du mardi 25 mars 2025 à 14’heures.

Sursoit à statuer sur les autres demandes.

Réserve les dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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