Conflit de propriété et droits d’occupation : enjeux d’un bail non renouvelé.

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Conflit de propriété et droits d’occupation : enjeux d’un bail non renouvelé.

L’Essentiel : L’ensemble immobilier situé au [Adresse 2] a été apporté à la Société Immobilière Boileau Molitor en 1930 par [M] [P]. En 1945, Mme [J], fondatrice de l’association Légion de Marie, a acquis des actions et a développé les locaux. Un bail de 50 ans a été signé en 1968, mais à son expiration en 2014, AIBM a refusé de le renouveler. L’association a continué à occuper les lieux, entraînant une action en expulsion. Le tribunal a statué que l’association était occupante sans droit ni titre et a ordonné son expulsion, ainsi que le paiement d’indemnités d’occupation.

Contexte de l’affaire

L’ensemble immobilier situé au [Adresse 2] appartenait à [M] [P], qui a apporté cette propriété à la Société Immobilière Boileau Molitor en 1930. En 1945, [M] [P] a cédé ses actions à Mme [J], fondatrice de l’association Légion de Marie. Cette dernière a ensuite utilisé les locaux pour le développement de son association, construisant de nouveaux locaux entre 1959 et 1960.

Documents et accords signés

Le 1er mars 1968, un document a été signé entre les présidents de l’Œuvre des Grands Malades, de l’association Légion de Marie et de la Société Boileau Molitor, reconnaissant les faits passés. Ce jour-là, un « protocole d’intention » a également été signé, autorisant un bail de 50 ans à l’association Légion de Marie, avec des conditions spécifiques concernant la propriété et les dettes.

Le bail et ses conséquences

Le bail, rétroactif au 1er janvier 1965, a été consenti pour une durée de 50 ans, avec un loyer annuel de 3.240 francs. En 1990, l’association Légion de Marie a revendiqué son droit de propriété sur le terrain et les constructions. En 2000, l’Officialité de [Localité 3] a statué que l’association Légion de Marie n’était pas propriétaire, mais a recommandé des négociations pour le renouvellement du bail avant son expiration en 2014.

Conflit et actions judiciaires

À l’expiration du bail le 31 décembre 2014, AIBM a informé l’association Légion de Marie qu’elle ne souhaitait pas renouveler le bail. Malgré cela, l’association a continué à occuper les lieux, entraînant des échanges avec l’Officialité et des propositions de baux précaires, qui ont été refusées par l’association. En 2021, AIBM a assigné l’association en expulsion.

Arguments des parties

AIBM a soutenu que l’association Légion de Marie était occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2015 et a demandé son expulsion. L’association a répliqué en invoquant la prescription de l’action d’AIBM et en affirmant que le bail avait été tacitement reconduit. Elle a également demandé des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré l’action d’AIBM recevable et a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’association Légion de Marie. Il a statué que le bail avait pris fin le 31 décembre 2014 et que l’association était occupante sans droit ni titre. L’expulsion a été ordonnée, ainsi que le paiement d’une indemnité d’occupation, fixée à 25 % au-dessus du dernier loyer contractuel.

Conclusion et conséquences financières

L’association Légion de Marie a été condamnée à payer des indemnités d’occupation et a vu sa demande de dommages et intérêts rejetée. Le tribunal a également condamné l’association à payer des dépens et a rejeté sa demande d’écarter l’exécution provisoire de la décision.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de l’action en expulsion fondée sur le droit de propriété ?

L’action en expulsion fondée sur le droit de propriété est une action en revendication qui est imprescriptible. En effet, l’article 2227 du Code civil stipule que « le droit de propriété est imprescriptible ».

Cela signifie que le propriétaire peut toujours revendiquer son bien, même après une longue période d’occupation par un tiers.

De plus, l’article 544 du même code précise que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Ainsi, l’association Légion de Marie, qui occupait les lieux sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2015, ne peut opposer la prescription à l’action de AIBM, qui est fondée sur son droit de propriété.

Quelles sont les conditions de la tacite reconduction d’un bail ?

La tacite reconduction d’un bail est régie par les articles 1737 à 1739 du Code civil. L’article 1737 dispose que « le bail cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, lorsqu’il a été fait par écrit, sans qu’il soit nécessaire de donner congé ».

L’article 1738 précise que « si à l’expiration du bail, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit ».

Enfin, l’article 1739 indique que « lorsqu’il y a un congé signifié, le preneur quoiqu’il ait continué sa jouissance, ne peut invoquer la tacite reconduction ».

Dans le cas présent, AIBM a signifié son intention de ne pas renouveler le bail avant son expiration, ce qui empêche la formation d’un nouveau bail par tacite reconduction.

Quel est le rôle de la décision de l’Officialité dans ce litige ?

La décision de l’Officialité de [Localité 3] du 6 mars 2000 a émis des recommandations sans valeur contraignante. En effet, l’Officialité n’est pas une juridiction française au sens du droit civil.

L’article 1442 du Code de procédure civile définit la clause compromissoire comme « la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats ».

Dans le cas présent, la clause du protocole de 1968 ne constitue pas une clause compromissoire, mais une clause de conciliation préalable.

Ainsi, la décision de l’Officialité n’a pas conféré de droit au renouvellement du bail à l’association Légion de Marie, mais a simplement recommandé des négociations, sans valeur juridique contraignante.

Quelles sont les conséquences de l’occupation sans droit ni titre ?

L’occupation sans droit ni titre entraîne des conséquences juridiques importantes. Selon le principe établi, celui qui se maintient sans droit dans des lieux après l’expiration de son titre d’occupation commet une faute quasi-délictuelle.

Cela ouvre droit pour le propriétaire à une indemnité d’occupation. L’indemnité d’occupation est définie comme une dette de jouissance qui doit correspondre à la valeur équitable des lieux et assure la réparation du préjudice résultant d’une occupation sans bail.

Dans cette affaire, l’indemnité d’occupation a été fixée à un montant égal au dernier loyer contractuel majoré de 25 %, en raison de la nature mixte de cette indemnité, qui est à la fois indemnitaire et compensatoire.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Dans le cadre de ce litige, l’association Légion de Marie a été déboutée de sa demande en application de cet article, ce qui signifie qu’elle a été condamnée à payer à AIBM une somme de 4 000 euros pour couvrir les frais engagés par cette dernière.

Cette disposition vise à garantir que la partie qui a raison dans un litige puisse récupérer une partie de ses frais juridiques, renforçant ainsi l’équité dans le système judiciaire.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

18° chambre
1ère section

N° RG 21/12829
N° Portalis 352J-W-B7F-CVDG2

N° MINUTE : 1

Assignation du :
13 Octobre 2021

contradictoire

JUGEMENT
rendu le 16 Janvier 2025

DEMANDERESSE

Association IMMOBILIERE BOILEAU MOLITOR
[Adresse 2]
[Localité 1] / FRANCE

représentée par Maître Laure SAGET de la SELEURL LAURE SAGET, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0197

DÉFENDERESSE

Association LA LEGION DE MARIE
[Adresse 2]
[Localité 1]

représentée par Me Vincent LAFARGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0780

Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 1ère section
N° RG 21/12829 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVDG2

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,
Monsieur Jean-Christophe DUTON, Vice-président,
Madame Diana SANTOS CHAVES, Juge,

assistés de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,

DEBATS

A l’audience du 08 Octobre 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2025.

JUGEMENT

Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

L’ensemble immobilier du [Adresse 2] appartenait à [M] [P], laquelle, qui dirigeait, par ailleurs, « l’Œuvre des Grands Malades », a, par acte en date du 27 juin 1930, apporté à la Société Immobilière Boileau renommée le 18 juillet suivant la Société Immobilière Boileau Molitor, la propriété située au [Adresse 2] à [Localité 1], comprenant un terrain d’une superficie totale de 1.410 m².

En 1945, [M] [P] a cédé ses actions dans la SA Immobilière Boileau Molitor et la direction de « l’Œuvre des Grands Malades » à Mme [J], laquelle avait fondé l’association Légion de Marie.

Dans le cadre du développement de l’association Légion de Marie, Mme [J], associée de la SA Immobilière Boileau Molitor, a mis à sa disposition, dans un premier temps, deux pièces dans l’immeuble du [Adresse 2]. Elle a ensuite fait construire par la Société Immobilière Boileau Molitor de nouveaux locaux au [Adresse 2], sur le terrain lui appartenant. L’association Légion de Marie a récolté des dons de ses membres pour qu’ils servent à la réalisation des constructions, édifiées entre 1959 et 1960.

Le 1er mars 1968, un document intitulé « Situation historique et juridique du [Adresse 2]» a été signé entre le Président de l’Œuvre des Grands Malades, le Président de l’association Légion de Marie ainsi que le Président de la Société Boileau Molitor, consistant en une reconnaissance des faits tels qu’ils s’étaient déroulés.

Le même jour a également été signé entre les mêmes parties un document intitulé « protocole d’intention », aux termes duquel la Société Boileau Molitor était autorisée à concéder un bail de 50 ans à l’association Légion de Marie sous réserves de :
– L’interdiction de morcellement de la propriété devant retrouver son unité à la fin du bail ;
– La libération de la Société Boileau Molitor de toute dette à l’égard de l’association Légion de Marie, y compris la participation financière de certains de ses membres aux constructions ;
– L’accès de la Société Boileau-Molitor à la pleine jouissance de la propriété à la fin du bail y compris les travaux et aménagements effectués par l’association la Légion de Marie.

Le protocole prévoyait également une clause stipulant :
« La Légion de Marie s’engage, en cas de difficultés sur l’application soit du bail soit du présent accord, à tenter toute procédure de rapprochement et de conciliation en se remettant à l’arbitrage de l’Ordinaire du lieu, avant d’en saisir les tribunaux légalement compétent ».

Par la suite et par acte notarié en date du 17 octobre 1968, la SA Société Immobilière Boileau Molitor, devenue l’association Immobilière Boileau Molitor (ci-après AIBM), a donné à bail à l’association Légion de Marie des locaux dépendant de l’immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 1], portant sur une surface au sol de 788 m² composés de :
« Dans la partie de l’immeuble ayant son entrée [Adresse 2]
Au fond de la propriété, lorsqu’on y accède à partir du [Adresse 2] :
Un Bâtiment élevé d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage composé de :
Au rez-de-chaussée : une grande pièce à usage de salle de réunions, séparée par un rideau, d’une autre grande pièce à usage de réfectoire, divisée elle-même en deux parties par une porte coulissante, vestiaire ; toilettes.
A l’entresol : une petite pièce sans fenêtre, à usage de bureau, sise au-dessus du vestiaire, et à laquelle on accède par un escalier intérieur ;
Au premier étage ; Grande salle de réunion, divisée en trois parties, par une porte coulissante et un rideau ; des autres salles à usage de bureaux, auxquelles on accède : d’une part par l’escalier intérieur, d’autre part, par un escalier extérieur débouchant sur la grande salle :
Au sous-sol : chaufferie, débarras
Cour le long du bâtiment principal
[Adresse 4] reliant cette cour à la grille sur la [Adresse 2] portant le [Adresse 2]».

Le bail, à effet rétroactif du 1er janvier 1965, a été consenti pour une durée de 5, 10,15, 20, 25, 30, 35, 40, 45 ou 50 ans pour finir à pareille époque des années 1970, 1975, 1980, 1985, 1990, 1995, 2000, 2005, 2010 ou 2015 et moyennant un loyer annuel de 3.240 francs, soit 493,94 euros.

Le 28 juillet 1990, l’association Légion de Marie, entendant obtenir la reconnaissance de son droit de propriété sur le terrain et la construction situés au [Adresse 2] à [Localité 1], qui lui ont été donnés à bail en 1968, a saisi l’Officialité de [Localité 3] de cette revendication.

Par décision arbitrale en date du 6 mars 2000, l’Officialité de [Localité 3] a considéré que AIBM était propriétaire du terrain et de la construction qui ont été donnés à bail à l’association Légion de Marie. L’Officialité de [Localité 3] a également, en visant le principe d’équité, émis des recommandations à savoir, notamment, que les parties entament six mois avant l’expiration du bail, soit le 30 juin 2014, des négociations pour la reconduction du bail initial « ou – compte tenu des contingences du moment- pour la signature d’un nouveau bail éventuel qui s’inspirera, dans
toute la mesure du possible, du contenu du bail actuel ».

Après échanges entre les parties et à défaut d’accord intervenu entre elles, AIBM a, par courrier recommandé en date du 27 juin 2014, rappelé à l’association Légion de Marie que le bail cesserait de plein droit à l’expiration de son terme (soit le 31 décembre 2014), et qu’elle n’entendait pas le renouveler.

Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 1ère section
N° RG 21/12829 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVDG2

Concomitamment et par courrier en date du 26 juin 2014, l’association Légion de Marie a indiqué à AIBM saisir de nouveau l’Officialité de [Localité 3], en lui joignant son courrier de saisine, considérant que la décision de l’Officialité du 6 mars 2000 lui conférait un droit au renouvellement du bail.

L’association Légion de Marie s’est maintenue dans les lieux à l’expiration du bail initial ; une réunion s’est tenue devant l’Officialité de [Localité 3] le 11 décembre 2014 puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mars 2015, AIBM a proposé à l’association Légion de Marie la conclusion d’un bail précaire à effet rétroactif du 1er janvier 2015, d’une durée d’un an renouvelable tous les 6 mois pour une période transitoire avant la réalisation du projet immobilier à caractère social qu’elle souhaitait réaliser dans l’immeuble.

Par courrier du 22 avril 2015, l’association Légion de Marie s’est opposée à la conclusion d’un tel bail, indiquant que cela n’avait pas été évoqué devant l’Officialité de [Localité 3].

Par courrier en date du 29 juillet 2015, AIBM a indiqué à l’Officialité de [Localité 3] que compte tenu de nouvelles contingences depuis la décision du 6 mars 2000, tenant notamment à l’impossibilité de réaliser de gros travaux de mise en conformité pour la réception du public et, partant, à la nécessité de vendre son bien immobilier, il ne lui était pas possible d’envisager la conclusion d’un nouveau bail avec l’association Légion de Marie ; elle a cependant réitéré sa proposition de conclusion d’une convention d’occupation précaire et sollicité un retour de l’association Légion de Marie sur cette proposition avant le 10 septembre 2015, faute de quoi cette dernière devait quitter les lieux.

Par courrier adressé à l’Officialité de [Localité 3], et transmis par courrier électronique le 8 septembre 2015 à AIBM, l’association Légion de Marie, par l’intermédiaire de son avocat, a maintenu sa position selon laquelle la décision de l’Officialité du 6 mars 2000 lui aurait conféré un droit au renouvellement de son bail et qu’elle n’entendait pas de ce fait accepter la proposition d’AIBM.

Aux termes d’une note en date du 15 septembre 2015, l’Officialité de [Localité 3] a rappelé à titre liminaire que la sentence arbitrale du 6 mars 2000 comportait deux parties : la sentence qui tranchait la question de la propriété contestée du [Adresse 2] reconnaissant l’AIBM comme propriétaire, et la recommandation. Après avoir rappelé les faits, les réunions tenues au siège de l’Officialité et les propositions faites, elle a conclu qu’en absence d’accord entre les parties, il resterait à s’en remettre à l’autorité de l’Ordinaire pour régler définitivement cette question.

Plusieurs échanges ont encore eu lieu entre les parties et l’association Légion de Marie s’étant maintenue dans les lieux, par acte d’huissier en date du 13 octobre 2021, l’AIBM l’a assignée devant le tribunal judiciaire de Paris afin notamment de voir ordonner son expulsion.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 septembre 2022, AIBM demande au tribunal de :
– débouter l’association Légion de Marie de l’ensemble de ses demandes,
– constater que l’association Légion de Marie est depuis le 1er janvier 2015 occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 2] [Localité 1] et en conséquence, ordonner son expulsion des lieux qu’elle occupe situés [Adresse 2] [Localité 1] ainsi que de tous occupants de son chef, en la forme ordinaire et avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est,
– juger que le sort des objets mobiliers restant dans les lieux sera soumis aux dispositions de l’article R.433-1 du code des procédures civiles d’exécution,
– condamner l’association Légion de Marie au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle, à compter du 1er janvier 2015 et jusqu’à la parfaite libération des lieux, qui sera fixée à un montant égal au montant du loyer en principal charges en sus, augmenté de 50 %,
– condamner l’association Légion de Marie à lui payer la somme de 5.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la défenderesse aux entiers dépens,
– rejeter toute demande visant à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions n°3 notifiées par RPVA le 30 novembre 2022, l’association Légion de Marie demande au tribunal de :
– constater que le délai de prescription de cinq ans édicté par l’article 2224 du code civil avait expiré au moment de la signification de l’assignation le 13 septembre 2021, et débouter en conséquence AIMB de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– subsidiairement, vu la sentence arbitrale du 6 mars 2000, l’acquiescement à cette sentence de AIBM et en tout état de cause l’engagement qu’elle a pris le 6 avril 2000 et confirmé à plusieurs reprises ensuite de lui consentir un bail pour la période postérieure au 1er janvier 2015, débouter AIBM de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– plus subsidiairement, si le tribunal estimait devoir faire droit à la demande d’éviction à son encontre, condamner AIBM à lui verser la somme de 2. 360. 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui est causé,
– débouter AIBM de sa demande de majoration de l’indemnité d’occupation et fixer cette indemnité, due à compter du 1er janvier 2015, au montant du loyer contractuel antérieur,
– écarter l’exécution provisoire de droit prévue par l’article 514 du code de procédure civile,
– débouter AIBM de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner AIBM aux entiers dépens, qui seront recouvrés par Maître Vincent Lafarge, avocat aux offres de droit, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner AIBM à lui verser la somme de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières conclusions récapitulatives figurant à leur dossier et régulièrement notifiées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT

Sur la recevabilité de la demande de AIBM

L’association Légion de Marie soutient que AIBM n’ayant pas sollicité judiciairement la restitution des lieux dans les cinq ans suivant l’expiration du bail intervenue le 31 décembre 2014, le délai de prescription quinquennale a expiré le 1er janvier 2020, de sorte que l’action introduite par la demanderesse par acte d’huissier du 13 octobre 2021, visant à obtenir son expulsion et le paiement d’une indemnité d’occupation, est prescrite.

Elle précise en réponse à l’argumentaire de AIBM ne pas nier la propriété de celle-ci mais revendiquer le constat d’un nouveau bail.

AIBM réplique que son action, qui a pour fondement le droit de propriété, est imprescriptible et précise que le délai qui s’est écoulé avant l’introduction de la présente procédure s’explique par le fait qu’un accord a été recherché entre les parties dans un souci de conciliation et compte tenu des rapports particuliers existant entre les parties.

Il sera rappelé en premier lieu qu’en application des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile applicable à la cause l’instance ayant été introduite postérieurement au 1er janvier 2020, et la clôture étant intervenue le 19 janvier 2023 “lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour:
(…)
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s’y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s’il l’estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d’administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l’ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n’estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l’affaire devant le juge de la mise en état.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état”.

En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En vertu de ces articles, l’association Légion de Marie est irrecevable à soulever la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action de AIBM devant le tribunal saisi au fond, faute de l’avoir soulevée devant le juge de la mise en état.

A titre surabondant, le tribunal relève que l’article 544 du code civil énonce que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». L’article 2227 du même code dispose que « Le droit de propriété est imprescriptible.»

Il est constant que l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre fondée sur le droit de propriété constitue une action en revendication non susceptible de prescription.

L’action de AIBM dirigée contre l’association Légion de Marie étant fondée sur un tel droit, elle ne peut être considérée comme prescrite, de sorte que la fin de non recevoir soulevée par la défenderesse ne saurait prospérer.

Sur la reconduction tacite du bail conclu en 1968, à effet du 1er janvier 1965

Pour s’opposer à la demande d’expulsion de AIBM, l’association Légion de Marie soutient à titre principal que AIBM l’a laissée en possession des lieux à l’expiration du bail à effet du 1er janvier 1965 et qu’il s’est ainsi opéré un nouveau bail dont l’effet doit être réglé par les dispositions relatives aux locations faites sans écrit.

Elle précise que jamais jusqu’à la signification de l’assignation la bailleresse n’a engagé la moindre procédure tenant à l’éviction, ce qui, selon elle « revient incontestablement à avoir laissé le preneur en possession du bien ». Elle indique que AIBM a toujours manifesté sa volonté de garantir le maintien du siège social et de son secrétariat de l’association dans les locaux en cause, ce qui manifeste sa volonté de prolonger ses engagements, et qu’un nouveau bail s’est formé en application des dispositions de l’article 1738 du code civil.

AIBM réplique que la tacite reconduction du bail, non prévue contractuellement, est exclue et que conformément aux dispositions de l’article 1739 du code civil, applicable à l’espèce, le bail n’a pas pu être reconduit, compte tenu de sa volonté non équivoque manifestée avant la fin du bail, de ne pas le renouveler.

En application des dispositions de l’article 1737 du code civil applicable au contrat à effet du 1er janvier 1965 conclu entre les parties, « Le bail cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, lorsqu’il a été fait par écrit, sans qu’il soit nécessaire de donner congé ».

L’article 1738 du même code prévoit, par ailleurs, que « Si à l’expiration du bail, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit ».

L’article 1739 du code civil précise enfin que « Lorsqu’il y a un congé signifié, le preneur quoiqu’il ait continué sa jouissance, ne peut invoquer la tacite reconduction ».

Il est établi et non contesté que le contrat en cause, consenti pour une durée de 50 ans rétroactivement au 1er janvier 1965 et jusqu’au 31 décembre 2014, ne prévoit aucune clause de tacite reconduction.

Dès lors, en application des dispositions combinées des articles précités, le bail a vocation de cesser de plein droit à l’expiration du terme fixé, sauf à ce qu’à l’expiration du bail le preneur soit laissé en possession, et qu’aucun congé ne lui ait été signifié.

Or, par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juin 2014, soit avant l’expiration du bail, AIBM a expressément fait part à l’association Légion de Marie de sa volonté de ne pas renouveler le bail en précisant :
« Comme nous vous l’avions annoncé par notre lettre du 26 avril 2014 et expliqué lors de notre rencontre du 12 mai 2014, nous ne reconduirons pas le bail du [Adresse 2] avec la légion de Marie qui arrive à échéance le 31 décembre 2014 et ne proposerons pas de bail analogue. En vertu de l’article 1737 du code civil, le bail cessera de plein droit à l’expiration du terme. Nous vous demandons de nous remettre à cette date les clés des salles comme signe de restitution du bien loué ».

Le fait que dans ce même courrier AIBM a indiqué à l’association défenderesse qu’elle fera «tout son possible pour que soit garanti à la Légion de Marie en France le maintien durable de son siège social et de son secrétariat si elle le souhaite ainsi, à cette adresse ou ailleurs si nous en convenons ensemble » ne suffit pas à dire qu’elle a entendu laisser la preneuse en possession des lieux conformément aux termes du bail expiré, eu égard à sa volonté manifestée sans ambiguïté de mettre fin au bail.

De même, l’association Légion de Marie ne peut valablement se prévaloir des pourparlers initiés entre les parties pendant plusieurs années et de son maintien en possession pour en conclure une tacite reconduction du bail, aucun élément versé aux débats ne permettant de dire que AIBM a renoncé de façon non équivoque au congé délivré avant l’expiration du bail.

C’est à tort également que l’association Légion de Marie se prévaut du fait que AIBM a déclaré devant l’Officialité, être disposée « à accorder à la LEGION DE MARIE un droit d’usage à long terme du pavillon, en l’état sans contrepartie financière (i.e. sans loyer), sous la forme d’une donation, ou d’un apport, ou toute forme juridique que notre notaire préconisera » et à lui donner la possibilité d’utiliser occasionnellement une salle de 100 places dans le futur logement, cette proposition, à supposer qu’elle puisse être qualifiée d’engagement, ne valant nullement manifestation de volonté de voir reconduire le bail initial.

Le tribunal relève enfin que suite à l’expiration du bail, à plusieurs reprises, AIBM a rappelé par écrit à l’association Légion de Marie qu’elle était occupante sans droit ni titre des lieux loués et qu’elle souhaitait reprendre les lieux pour y mener un projet à vocation sociale.

Dès lors, l’association Légion de Marie n’est pas fondée à soutenir qu’une reconduction du bail, arrivé à échéance le 31 décembre 2014, est intervenue. Le moyen soulevé de ce chef par la défenderesse sera donc écarté.

Sur les effets de la décision de l’Officialité de [Localité 3] du 6 mars 2000

Pour s’opposer aux demandes formées à son encontre par AIBM, l’association Légion de Marie soutient à titre subsidiaire en premier lieu que le protocole d’intention en date du 1er mars 1968 liant les parties contiendrait une clause compromissoire et que la décision rendue par l’Officialité de [Localité 3] le 6 mars 2020, y compris dans sa partie « recommandation » serait une sentence arbitrale qui s’imposerait de ce fait aux parties et à laquelle AIBM aurait acquiescé. Elle expose que cette sentence arbitrale a pris acte de l’engagement moral de AIBM de donner son accord sur les points visés à savoir, la reconduction du bail actuel ou, compte tenu des contingences du moment, la signature d’un nouveau bail éventuel qui s’inspirera, dans toute la mesure du possible, du contenu du bail actuel et en tout état de cause, le maintien du siège social et du secrétariat [Adresse 2], avec une priorité pour l’utilisation des salles.

AIBM réplique que la clause en litige, même si elle comprend le mot « arbitrage », ne peut être qualifiée de clause compromissoire et qu’elle n’a pas de valeur contraignante sur un plan civil, l’Officialité de [Localité 3] étant un tribunal ecclésiastique qui ne peut être considéré comme une juridiction française. Elle ajoute qu’une clause compromissoire suppose l’accord de l’ensemble des parties à un contrat pour recourir à l’arbitrage et également la volonté des parties de soustraire aux juridictions de droit commun le règlement des litiges, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque la clause visée au protocole de 1968 d’une part, ne vise pas l’accord des parties mais uniquement l’engagement unilatéral de l’association Légion de Marie de recourir à l’Ordinaire du lieu, et d’autre part, ne soustrait pas aux juridictions de droit commun le règlement d’un litige, puisqu’elle vise expressément le recours aux juridictions légalement compétentes.

Elle ajoute que la clause fait référence au litige né du bail et non pas au litige résultant de la non-reconduction du bail et qu’en tout état de cause, l’Officialité n’a pas conféré de droit au renouvellement de son bail à l’association Légion de Marie, mais a simplement, dans un souci d’équité, émis des recommandations.

Elle expose enfin que l’Officialité n’a pas, contrairement à ce que soutient la défenderesse, pris acte de l’engagement moral de l’AIBM de lui consentir un bail et qu’elle-même n’a pas acquiescé aux recommandations de l’Officialité, mais simplement manifesté son intention d’engager des discussions, avant l’issue du bail, concernant les modalités d’occupation des locaux par l’association Légion de Marie.

En application des dispositions de l’article 1442 du code de procédure civile, « La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats ».

L’article 1528 du même code énonce : « Les parties à un différend peuvent, à leur initiative et dans les conditions prévues par le présent livre, tenter de le résoudre de façon amiable avec l’assistance d’un médiateur, d’un conciliateur de justice ou, dans le cadre d’une procédure participative, de leurs avocats ».

La clause du protocole conclu entre les parties stipule:
« La Légion de Marie s’engage, en cas de difficultés sur l’application soit du bail soit du présent accord, à tenter toute procédure de rapprochement et de conciliation en se remettant à l’arbitrage de l’Ordinaire du lieu, avant d’en saisir les tribunaux légalement compétent ».

Cette clause ne vise pas l’accord des parties ainsi que prévu à l’article 1442 sus visé mais fait uniquement référence à l’engagement unilatéral de l’association Légion de Marie de saisir l’Officialité de [Localité 3] en cas de litige ; en outre la clause prévoit expressément la compétence des tribunaux de droit commun en cas d’échec de la conciliation.
Il ne s’agit donc pas d’une clause compromissoire comme le soutient à tort l’association Légion de Marie mais d’une clause de conciliation préalable, ceci peu important l’emploi dans sa rédaction du terme « arbitrage ».

Dès lors la décision de l’Officialité n’a pas valeur de sentence arbitrale.

Il sera relevé à titre surabondant qu’en tout état de cause, l’Officialité n’a dans sa décision nullement conféré un droit au renouvellement du bail à l’association Légion de Marie, ni n’a pris acte de l’engagement moral de AIBM de lui consentir un nouveau bail ; elle a en effet uniquement et expressément, dans un souci d’équité, émis des recommandations « ne valant pas décisions » visant à ce que les parties entament 6 mois avant l’expiration du bail, soit le 30 juin 2014, des négociations pour la reconduction du bail initial « ou – compte tenu des contingences du moment- pour la signature d’un nouveau bail éventuel qui s’inspirera, dans toute la mesure du possible, du contenu du bail actuel ».

Pas plus l’association Légion de Marie ne peut valablement soutenir que AIBM a acquiescé aux recommandations de l’Officialité, la bailleresse ayant uniquement manifester sa volonté de poursuivre des discussions sur les modalités d’occupation des lieux par l’association défenderesse.

Sous le bénéfice de ces observations, le moyen soulevé par l’association Légion de Marie sera écarté.

Sur l’engagement moral de AIBM

Pour s’opposer aux demandes de AIBM, l’association Légion de Marie soutient également que la bailleresse aurait pris formellement un engagement moral, dans son courrier du 6 avril 2000, dont la teneur a été réitérée à plusieurs reprises par la suite, de lui consentir conformément aux recommandations de l’Officialité de [Localité 3], soit un bail reconduisant purement et simplement le bail antérieur, soit, en cas de contingences un bail s’inspirant du bail écoulé et lui assurant au minimum le maintien dans l’immeuble de son siège social et de son secrétariat et un droit à l’occupation temporaire des salles.

Elle fait valoir que cet engagement unilatéral a eu pour effet de transformer une obligation naturelle en obligation civile, et qu’il doit de ce fait être suivi d’effet, ce qui s’oppose à la demande d’expulsion formulée par l’AIBM.

AIBM réplique que la liberté contractuelle de contracter ou de ne pas contracter a été reconnue comme un principe à valeur constitutionnelle et qu’elle ne s’est jamais engagée à consentir un bail à l’association Légion de Marie, ayant seulement consenti à engager des négociations aux fins de trouver une solution amiable ans un esprit de fraternité et de conciliation. Elle ajoute avoir proposé à l’association Légion de Marie, sous réserve de l’agrément de son assemblée générale, à lui accorder un droit d’usage à long terme du pavillon mais que cette dernière a refusé à plusieurs reprises cette proposition et qu’aucun accord n’a pu donc intervenir entre les parties.

L’article 1100 du code civil issu de n°2016-131 du 10 février 2016 énonce : « Les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi.
Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ».

Si l’article précité n’est entré en vigueur que le 1er octobre 2016, il reste qu’il était auparavant de jurisprudence constante que l’exécution volontaire ou la promesse d’exécution d’un devoir de conscience transforme l’obligation naturelle en obligation civile.

En l’espèce et contrairement à ce que fait soutenir l’association Légion de Marie, aucun des courriers versés aux débats et dont elle cite la teneur dans ses conclusions ne permet de juger que AIBM s’est engagée à consentir un bail à l’association Légion de Marie, soit « un bail reconduisant purement et simplement le bail antérieur, soit, en cas de contingences, soit un bail s’inspirant du bail écoulé et lui assurant au minimum le maintien dans l’immeuble de son siège social de son secrétariat, et un droit à l’occupation temporaire de salles ».
Comme déjà indiqué supra, AIBM a seulement engagé des discussions et formulé des propositions aux fins de parvenir à une solution amiable.

Le moyen soulevé de ce chef par l’association Légion de Marie sera donc écarté.

Sur l’expulsion de l’association Légion de Marie

Sous le bénéfice de l’ensemble des observations sus visées, il y a lieu de dire que le bail liant les parties ayant pris fin le 1er janvier 2015, l’association Légion de Marie est occupante sans droit ni titre à compter de cette date.

L’expulsion de l’association Légion de Marie et de tout occupant de son chef sera donc ordonnée en cas de non-restitution volontaire des lieux dans les 15 jours de la signification du présent jugement, selon les modalités prévues au présent dispositif.

Le sort des meubles trouvés dans les lieux sera régi en cas d’expulsion conformément aux dispositions du code des procédures civiles d’exécution.

Sur l’indemnité d’occupation

AIBM demande au tribunal de condamner l’association Légion de Marie à lui payer une indemnité d’occupation mensuelle, à compter du 1er janvier 2015 et jusqu’à la libération des lieux, fixée à un montant égal au montant du loyer en principal, charges en sus, augmenté de 50%, afin qu’elle conserve son caractère coercitif.

L’association Légion de Marie s’oppose à cette demande, faisant valoir qu’elle n’a commis aucune faute et qu’il n’y a aucune raison de fixer l’indemnité d’occupation à un montant supérieur à celui du loyer contractuel antérieur.

Celui qui se maintient sans droit dans des lieux après l’expiration de son titre d’occupation commet une faute quasi-délictuelle qui ouvre droit pour le propriétaire au paiement d’une indemnité d’occupation. L’indemnité d’occupation, en raison de sa nature mixte, indemnitaire et compensatoire, constitue une dette de jouissance qui doit correspondre à la valeur équitable des lieux et assure, en outre, la réparation du préjudice résultant d’une occupation sans bail.

En l’espèce, la valeur équitable des lieux et la réparation du préjudice résultant d’une occupation sans bail justifient que le montant de l’indemnité d’occupation soit majoré mais seulement à hauteur de 25% du montant du dernier loyer annuel en cours, étant entendu qu’aucune clause du bail ne prévoit une majoration de 50 % comme réclamée par la bailleresse.

En conséquence, l’indemnité d’occupation sera fixée à une somme égale au montant du dernier loyer contractuel majoré de 25 %, outre les charges.

L’association Légion de Marie, occupante des lieux loués sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2015, doit être condamnée au paiement de cette indemnité d’occupation, jusqu’à la libération effective et totale des lieux caractérisée par la remise des clés à AIBM.

Sur la demande de dommages et intérêts de l’association Légion de Marie

Aux termes de ses conclusions, l’association Légion de Marie demande, sur le fondement de l’article 1147 du code civil, la condamnation de AIBM à lui payer la somme de 2 .360. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle indique subir à raison du refus de AIBM de lui consentir un nouveau bail malgré son engagement pris en ce sens.

Elle indique qu’il est nécessaire de compenser la perte d’une surface, en pleine propriété, de 100 m2 à [Localité 3], évaluée à 1.400.000 euros, et la perte correspondant à la location d’une salle de 100 m2 à [Localité 3] vingt fois par an pendant quarante ans, période restant à courir du bail que AIBM s’est engagée à consentir à l’association Légion de Marie, soit 960.000 euros.

AIBM s’oppose à cette demande, indiquant en premier lieu que celle-ci est prescrite, l’association Légion de Marie étant informée depuis le 27 juin 2014 de la non-reconduction du bail expiré au 1er janvier 2015. Elle ajoute que si le tribunal fait droit à sa demande d’expulsion, c’est parce qu’il considère que d’une part le bail ne s’est pas reconduit tacitement et que l’association Légion de Marie est devenue occupante sans droit ni titre, d’autre part, que AIBM ne s’est pas engagée à consentir un nouveau bail à l’association défenderesse. Elle ajoute que l’association Légion de Marie ne fait pas l’objet d’une éviction mais doit restituer les locaux qu’elle occupe sans droit ni titre et qu’en outre aucun manquement contractuel ne peut lui être imputé.

S’agissant de la fin de non recevoir tirée de la prescription et comme rappelé supra, celle-ci est irrecevable faute d’avoir été présentée devant le juge de la mise en état par application des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile.

Sur le fond en revanche, c’est à juste titre que AIBM soutient que l’association Légion de Marie ne peut prétendre avoir subi un préjudice du fait de son expulsion, laquelle est ordonnée aux termes du présent jugement à raison de l’occupation sans droit ni titre de l’association défenderesse depuis le 1er janvier 2015, et alors qu’aucun manquement contractuel ne peut être reproché à la demanderesse.

La demande de l’association Légion de Marie ne pourra donc qu’être rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

L’association Légion de Marie qui succombe supportera la charge des dépens ; elle sera déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée au regard de l’équité à payer à AIBM la somme de 4 000 euros sur ce fondement.

Sur l’exécution provisoire

L’association Légion de Marie demande au tribunal d’écarter l’exécution provisoire faisant valoir qu’elle ne dispose, contrairement à AIBM, d’aucune ressource importante, ni d’aucun patrimoine, et que son expulsion des lieux la mettrait dans l’impossibilité d’exercer sa mission.

L’AIBM s’oppose à cette demande, exposant que l’association Légion de Marie ne justifie pas de sa situation et soutenant que l’exécution provisoire est compatible avec la nature de l’affaire compte tenu de l’ancienneté du litige.

L’article 514 du code de procédure civile énonce : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ».

L’article 514-1 du même code prévoit : « Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.
Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée (…)»

L’association Légion de Marie allègue mais ne justifie par aucune pièce versée aux débats de la situation financière obérée qu’elle invoque.

Elle ne démontre pas plus en quoi l’exécution provisoire serait incompatible avec la nature de l’affaire, alors même qu’elle occupe sans droit, ni titre les lieux depuis plus de huit années, empêchant AIBM de disposer librement de son bien.

La demande de la défenderesse visant à ce que soit écartée l’exécution provisoire sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe à la date du délibéré

Déclare irrecevable et en tout état de cause mal fondée la fin de fin de non recevoir soulevée par l’association Légion de Marie visant à voir déclarer prescrite l’action de l’association Immobilière Boileau Molitor ;

Déclare l’action de l’association Immobilière Boileau Molitor recevable ;

Dit que la bail conclu à effet du 1er janvier 1965 liant l’association Immobilière Boileau Molitor et l’association Légion de Marie a pris fin au 31 décembre 2014 à 24h et que l’association Légion de Marie est occupante sans droit, ni titre des lieux situés [Adresse 2] [Localité 1] depuis le 1er janvier 2015 ;

Ordonne à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification du présent jugement, l’expulsion de l’association Légion de Marie et de tout occupant de son chef des lieux avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d’un serrurier ;

Dit que les meubles et objets meublant se trouvant sur place donneront lieu à l’application des dispositions des articles L.433-1 et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,

Fixe l’indemnité d’occupation mensuelle due par l’association Légion de Marie, à compter du 1er janvier 2015 et jusqu’à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du dernier loyer contractuel majoré de 25 % outre les charges ;

Condamne en deniers ou quittance l’association Légion de Marie à payer à l’association Immobilière Boileau Molitor ces indemnités d’occupation ;

Déclare irrecevable la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par l’association Immobilière Boileau Molitor à l’égard de la demande en paiement de dommages et intérêts de l’association Légion de Marie ;

Déboute l’association Légion de Marie de sa demande de dommages et intérêts ;

Rejette la demande de l’association Légion de Marie formée en application des dispositions de l’article 700 dommages et intérêts du code de procédure civile ;

Condamne l’association Légion de Marie à payer à l’association Immobilière Boileau Molitor la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l’association Légion de Marie aux dépens ;

Rejette la demande de l’association Légion de Marie visant à voir écartée l’exécution provisoire de droit ;

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties.

Fait et jugé à Paris le 16 Janvier 2025.

Le Greffier La Présidente

Christian GUINAND Sophie GUILLARME


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