Conflit d’indivision et enjeux de partage successoral

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Conflit d’indivision et enjeux de partage successoral

L’Essentiel : Le tribunal judiciaire de Rennes a ordonné, le 21 juin 2022, l’ouverture des opérations de compte et de partage de la succession de [P]. [J] [P] a assigné [Y] [P] pour obtenir la licitation d’un bien immobilier, en raison de l’inertie de ce dernier concernant le règlement des charges de copropriété. Le 19 septembre 2024, l’instruction a été clôturée, et la décision a été mise en délibéré. Le tribunal a finalement ordonné la licitation de l’immeuble avec une mise à prix de 95.000 €, condamnant [Y] [P] à rembourser des frais à [J] [P].

Décès et héritage

[P] est décédé le [Date décès 3] 2007 à [Localité 10], laissant pour héritiers son épouse [O] [B] et ses deux enfants, [J] et [Y] [P]. [O] [B] est décédée à son tour le [Date décès 4] 2018, laissant également ses deux fils comme héritiers. La succession comprend un bien immobilier situé à [Adresse 2] à [Localité 10], actuellement occupé par [Y] [P].

Jugement du tribunal judiciaire

Le 21 juin 2022, le tribunal judiciaire de Rennes a ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession maternelle. Il a fixé une indemnité d’occupation à la charge de [Y] [P] et a débouté [J] [P] de sa demande de licitation du bien. Face à l’inertie de son frère concernant le règlement des charges de copropriété, [J] [P] a assigné [Y] [P] le 27 mai 2024 pour obtenir la licitation du bien.

Demandes de [J] [P]

Dans son assignation, [J] [P] demande au tribunal d’ordonner la vente sur licitation de l’appartement, avec une mise à prix de 95.000 €. Il souhaite également que, si aucune enchère n’est faite, l’immeuble soit remis en vente à un prix réduit. De plus, il demande l’homologation d’un acte de partage et la condamnation de [Y] [P] à lui rembourser des frais.

Inertie de [Y] [P]

[J] [P] souligne que depuis le jugement de 2022, [Y] [P] a continué à ne pas régler les charges de copropriété, entraînant des mises en demeure du syndic. Il rappelle avoir dû régler les dettes de son frère pour éviter des poursuites. Selon lui, seule la licitation permettra de régler les dettes et de partager équitablement l’héritage.

Clôture de l’instruction

L’instruction a été clôturée le 19 septembre 2024, avec un accord des parties pour une procédure sans audience. Les dossiers ont été déposés, et la décision a été mise en délibéré pour le 10 puis le 31 décembre 2024. [Y] [P] n’a pas constitué avocat.

Motifs de la décision

Le tribunal rappelle que nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et que le partage peut toujours être provoqué. Il constate que la situation n’a guère évolué depuis le jugement de 2022, et que l’inertie de [Y] [P] a empêché le partage. Les charges de copropriété restent impayées, et l’indemnité d’occupation due par [Y] [P] continue d’augmenter.

Ordonnance de licitation

Le tribunal ordonne la licitation de l’immeuble devant maître [R] [D], notaire à [Localité 11], avec une mise à prix de 95.000 €. En cas d’absence d’enchères, une nouvelle vente pourra être organisée à un prix réduit. La demande d’homologation du projet d’acte de partage est rejetée, et [Y] [P] est condamné aux dépens.

Condamnation de [Y] [P]

Le tribunal condamne [Y] [P] à payer à [J] [P] la somme de 2.000 € pour les frais non répétibles engagés pour faire valoir ses droits. L’exécution provisoire de la décision est également ordonnée.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la licitation d’un bien indivis selon le Code civil ?

La licitation d’un bien indivis est régie par l’article 815 du Code civil, qui stipule que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention ».

Cette disposition signifie qu’un héritier peut demander le partage de la succession, même en cas d’opposition d’un autre héritier.

Dans le cas présent, [J] [P] a fait valoir que l’inertie de son frère [Y] [P] l’empêchait de procéder à un partage amiable, justifiant ainsi sa demande de licitation.

Il est donc essentiel de démontrer que la situation d’indivision ne peut plus perdurer, ce qui a été établi par le tribunal en raison des charges de copropriété non réglées et de l’absence de progrès dans le partage.

Quelles sont les modalités de la vente par adjudication selon le Code de procédure civile ?

L’article 1377 du Code de procédure civile précise que « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ».

Pour les immeubles, la vente doit se faire selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281, qui encadrent les modalités de la vente aux enchères.

Dans cette affaire, le tribunal a ordonné la licitation de l’immeuble indivis, en fixant une mise à prix de 95.000 €, ce qui correspond à l’évaluation du bien par le notaire.

En cas d’absence d’enchères, le tribunal a également prévu une baisse de mise à prix d’un quart, permettant ainsi une nouvelle vente sans nécessiter un nouveau jugement, mais après une nouvelle publicité.

Quels sont les droits et obligations des cohéritiers en matière de charges de copropriété ?

Les cohéritiers ont des obligations communes en matière de charges de copropriété, comme le stipule l’article 815-10 du Code civil, qui indique que « les cohéritiers sont tenus de contribuer aux charges de la succession ».

Dans le cas présent, [J] [P] a dû régler des charges de copropriété en raison de l’inertie de [Y] [P], ce qui a entraîné des mises en demeure de la part du syndic.

Il est donc fondamental que chaque héritier respecte ses obligations financières pour éviter que l’autre héritier ne soit contraint de supporter seul les charges.

Cette situation a été un des motifs justifiant la demande de licitation, car le non-paiement des charges par [Y] [P] a mis en péril la gestion de l’indivision.

Quelles sont les conséquences de la défaillance d’un cohéritier dans le cadre d’une succession ?

L’article 837 du Code civil prévoit que « si un cohéritier ne peut ou ne veut pas participer aux opérations de partage, le juge peut désigner un mandataire pour le représenter ».

Dans cette affaire, le tribunal a noté que la défaillance de [Y] [P] a empêché l’avancement des opérations de partage, ce qui a conduit à la nécessité de liciter le bien.

La désignation d’un mandataire judiciaire pourrait être envisagée pour représenter [Y] [P] dans les opérations de partage, permettant ainsi de surmonter son inertie.

Cela souligne l’importance de la coopération entre cohéritiers pour faciliter le partage et éviter des situations de blocage.

Quelles sont les implications des frais irrépétibles dans le cadre d’une procédure judiciaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile stipule que « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Dans cette affaire, le tribunal a condamné [Y] [P] à payer 2.000 € à [J] [P] pour couvrir les frais non répétibles engagés pour faire valoir ses droits.

Cette disposition vise à compenser les frais engagés par la partie qui a dû défendre ses intérêts en justice, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

Il est donc crucial pour les parties de bien documenter leurs frais afin de justifier leur demande de remboursement dans le cadre de la procédure.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

31 Décembre 2024

2ème Chambre civile
28A

N° RG 24/03782 –
N° Portalis DBYC-W-B7I-K7BD

AFFAIRE :

[J] [W] [X] [P]

C/

[Y] [K] [W] [P]

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors du prononcé, qui a signé la présente décision.

JUGEMENT

En premier ressort, réputé contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente,
par sa mise à disposition au Greffe le 31 Décembre 2024, après prorogation de la date indiquée à l’issue du dépôt des dossiers

ENTRE :

DEMANDEUR :

Monsieur [J] [W] [X] [P]
[Adresse 8]
[Localité 9]
représenté par Maître Isabelle CELERIER de la SELARL CELERIER, avocats au barreau de RENNES

ET :

DEFENDEUR :

Monsieur [Y] [K] [W] [P]
[Adresse 2]
[Localité 10]
défaillant, assigné à l’étude d’huissier le 27/05/2024

FAITS ET PRETENTIONS

[F] [P] est décédé le [Date décès 3] 2007 à [Localité 10] laissant pour lui succéder son épouse [O] [B] et ses deux enfants, [J] et [Y] [P].

[O] [B] est décédée à [Localité 10] le [Date décès 4] 2018 laissant pour héritiers ses deux fils.

La succession comprend un bien immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 10], lequel est occupé par [Y] [P].

Par jugement du 21 juin 2022, le tribunal judiciaire de Rennes a notamment ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession maternelle, fixé une indemnité d’occupation à la charge de [Y] [P] et débouté [J] [P] de sa demande de licitation du bien.

Considérant que son frère ne règle toujours pas les charges de copropriété et que son inertie empêche tout partage, par acte du 27 mai 2024, [J] [P] a fait assigner [Y] [P] devant ce tribunal aux fins de licitation.

***

Aux termes de l’assignation du 27 mai 2024, [J] [P] demande au tribunal de :
– Ordonner la vente sur licitation en l’étude de maître [R] [D], notaire à [Localité 11], de l’appartement sis [Adresse 2] a [Localité 10] cadastré section MN numéro [Cadastre 6] [Adresse 5] et MN numéro [Cadastre 7] a [Adresse 12] sur une mise à prix de 95.000 €.
– Dire qu’a défaut d’enchères l’immeuble sera remis en vente sur baisse de mise à prix d’un quart sans nouveau jugement mais après nouvelle publicité.
– Homologuer l’acte de partage établi par maître [R] [D], notaire de la SCP TRENTE CINQ NOTAIRES à Bruz sauf à y rajouter outre le prix de vente de 1’appartement,1’indemnité d’occupation et les charges de copropriété dues par [Y] [P] jusqu’a son départ effectif de l’appartement.
– Condamner [Y] [P] à lui payer la somme de 4.000 € en remboursement de ses frais irrépétibles.
– Le condamner aux dépens.

Au soutien de ses prétentions [J] [P] fait valoir que depuis le jugement du 21 juin 2022, son frère a persisté à faire preuve d’inertie et à s’abstenir de régler les charges de copropriété afférentes à l’appartement, ce qui a donné lieu à de nouvelles mises en demeure de la part du syndic.
Il rappelle que celui-ci les avait fait tous deux assigner en 2021 et qu’il n’avait pu interrompre le processus qu’en réglant lui-même les dettes de [Y].
Il considère que seule la licitation du bien permettra de régler les dettes de copropriété et à chaque héritier d’obtenir sa part.

***

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 19 septembre 2024. Les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux articles 799 du Code de procédure civile et L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire.

Les dossiers ont été déposés et la décision a été mise en délibéré au 10 puis 31 décembre 2024.

[Y] [P] n’a pas constitué avocat.

MOTIFS

Aux termes de l’article 815 du Code civil, “nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention”.

L’article 1377 du Code de procédure civile dispose que “le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués. La vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 et, pour les meubles, dans les formes prévues aux articles R. 221-33 à R. 221-38 et R. 221-39 du code des procédures civiles d’exécution”.

Dans le jugement du 21 juin 2022, le tribunal écrivait “En conséquence des considérations précédentes, les parties devront dans toute la mesure du possible régler à l’amiable, devant le notaire, le sort de l’appartement. À défaut, le notaire pourra dresser un procès de difficultés, qui conduira immanquablement à ce que la licitation soit ordonnée”.

Force est de constater que depuis, la situation n’a guère évolué.

[J] [P] produit l’appel de fonds que lui a adressé le syndic de copropriété pour le premier trimestre 2024 pour un montant de 7.533,57 € arriérés de charges compris. Il fait également état d’un commandement de payer les dites charges, qu’un huissier a tenté de lui signifier le 24 janvier 2024.

Il s’avère en outre que le projet d’acte de partage établi par maître [D], n’a pu être validé du fait de la carence de [Y] [P].

Six années se sont écoulées depuis l’ouverture de la succession, sans que ce temps ait pu être mis à profit pour faire évoluer les opérations de partage, du fait en effet de l’inertie du défendeur.

Cependant, l’indemnité d’occupation qui continue d’être due par lui, obère un peu plus chaque jour la situation, puisqu’elle s’élevait à plus de 40.000 € au mois de février 2024.

[J] [P] justifie de ce que les charges de copropriété ne sont toujours pas réglées par son frère et qu’il doit régulièrement et partiellement se substituer à lui pour ce faire.

Le partage n’a pu intervenir du fait de la défaillance de ce dernier.

Cette situation ne saurait se poursuivre plus longtemps et la licitation doit maintenant être ordonnée.

[J] [P] propose une mise à prix de 95.000 €, montant qui correspond à l’évaluation du bien par le notaire dans son projet. Elle sera retenue.

Pour le reste, le projet d’état liquidatif ne saurait être homologué en l’état dès lors qu’il se fondait sur une attribution de l’appartement à [Y] [P] l’occupant, et non sur l’hypothèse, retenue, d’une vente. En outre, ainsi que le demandeur l’indique lui-même, il devra en outre tenir compte, et du prix de vente fixé au terme des enchères et des charges de copropriété dues jusqu’à la dite vente, et de l’indemnité d’occupation due jusqu’au départ effectif des lieux.

Cette demande sera rejetée, étant rappelé à [J] [P] qu’il aura la possibilité de saisir le juge commis sur le fondement de l’article 837 du Code civil aux fins de voir désigner un mandataire judiciaire pour représenter son frère défaillant, aux opérations de partage.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

[Y] [P] succombant à l’instance, en supportera par conséquent les dépens.

L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %”.

L’équité commande de condamner [Y] [P] à payer à [J] [P] la somme de 2.000 € au titre des frais non répétibles qu’il a exposés pour faire valoir ses droits.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement”.

Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition.

PAR CES MOTIFS

Par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

ORDONNE la licitation devant maître [R] [D], notaire à [Localité 11], de l’immeuble indivis situé [Adresse 2] et figurant au cadastre section MN n° [Cadastre 6] ([Adresse 5]) et MN n° [Cadastre 7] ([Adresse 1]) et comprenant un appartement, une cave et un parking.

DIT que maître [R] [D] établira au préalable le cahier des charges.

FIXE la mise à prix de vente de l’immeuble à la somme de 95.000 €.

DIT qu’à défaut d’enchères, il pourra être procédé à une nouvelle vente, sans nouveau jugement mais après une nouvelle publicité, sur une mise à prix de 71.000 €.

DIT que le notaire pourra mettre les frais préalables et d’appropriation en sus ou en diminution du prix.

DÉBOUTE [J] [P] de sa demande d’homologation du projet d’acte de partage.

CONDAMNE [Y] [P] aux dépens.

CONDAMNE [Y] [P] à payer à [J] [P] la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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