L’Essentiel : Un salarié a été engagé par une société turque, en mars 1999, puis affecté à une autre société en France en mars 2014, où il a exercé les fonctions de directeur financier. Son affectation a été prolongée à deux reprises, mais la société turque a rompu son contrat en mars 2018. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour établir qu’une des sociétés était son employeur et a demandé des dommages-intérêts pour licenciement. La cour a conclu que le salarié avait principalement travaillé en Turquie, déclarant incompétente la juridiction française, malgré son dernier lieu de travail en France.
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Engagement et AffectationSelon l’arrêt attaqué, un salarié a été engagé par une société turque, Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk AS, à compter du 1er mars 1999. Par la suite, une lettre d’affectation internationale a été émise le 7 mars 2014, transférant le salarié à une autre société, Unilever France, pour une durée de trois ans, où il a exercé les fonctions de directeur financier. Un contrat de travail à durée indéterminée a été signé le 10 juin 2014 entre le salarié et Unilever France. Prolongation de l’AffectationL’affectation du salarié a été prolongée à deux reprises, d’abord jusqu’au 28 février 2018, puis jusqu’au 31 juillet 2018, par des lettres du conseiller en mobilité global d’Unilever. Cependant, en l’absence de proposition de réintégration, la société Unilever Turquie a rompu le contrat de travail du salarié par lettre du 26 mars 2018, avec un préavis de dix-huit semaines et une indemnité de départ forfaitaire. Saisine du Conseil de Prud’hommesLe 22 octobre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour établir qu’Unilever France était son employeur, ou que les deux sociétés, Unilever France et Unilever Turquie, étaient des employeurs conjoints. Il a demandé des dommages-intérêts pour licenciement nul, ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses indemnités liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail. Examen des Moyens et Exception d’IncompétenceLe salarié a contesté la décision de la cour d’appel qui a déclaré Unilever Turquie hors de cause et a accueilli l’exception d’incompétence territoriale soulevée par cette dernière. Il a fait valoir que, selon le règlement européen, un employeur non domicilié peut être attrait devant la juridiction du dernier lieu de travail habituel du salarié. La cour a cependant retenu que le salarié avait principalement travaillé en Turquie et que la société Unilever France n’était pas son employeur, mais simplement l’entreprise d’accueil. Conclusion de la CourLa cour a conclu que le salarié avait exécuté son contrat de travail à Rueil-Malmaison au sein d’Unilever France, mais a estimé que le lieu d’accomplissement principal du travail était en Turquie. De plus, la double nationalité du salarié et l’absence d’éléments d’extranéité ont été des facteurs déterminants pour justifier l’incompétence des juridictions françaises. En statuant ainsi, la cour a été jugée en violation des règles de compétence territoriale, car Rueil-Malmaison était le dernier lieu où le salarié avait accompli habituellement son travail. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la compétence territoriale applicable dans le cadre d’un litige entre un salarié et un employeur non domicilié dans un État membre ?Selon l’article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012, un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant la juridiction du lieu où le salarié accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail. Ce texte établit donc que la compétence peut être fondée sur le lieu d’exécution du travail, même si l’employeur n’est pas domicilié dans l’État membre concerné. Dans le cas présent, le salarié a travaillé à Rueil-Malmaison du 1er mars 2014 au 31 juillet 2018, ce qui constitue le dernier lieu d’exécution de son travail. Ainsi, la cour d’appel aurait dû reconnaître la compétence du conseil de prud’hommes de Nanterre, en raison de la présence du salarié sur le territoire français au moment de la rupture de son contrat de travail. Quelles sont les implications de la clause d’attribution de compétence dans le cadre d’un contrat de travail international ?L’arrêt mentionne que le salarié invoque l’application de la clause d’attribution de compétence de l’avenant du 12 septembre 2017, en son article 14.3. Cependant, la cour d’appel a estimé que cette clause n’était pas applicable dans le cadre de la rupture du contrat de travail avec la société Unilever Turquie. Cela soulève la question de la portée des clauses d’attribution de compétence dans les contrats de travail internationaux. En effet, ces clauses peuvent être limitées par des dispositions légales ou réglementaires, notamment celles qui régissent la compétence territoriale en matière de droit du travail. Il est donc essentiel de vérifier si une telle clause respecte les règles de compétence établies par le droit applicable, notamment en ce qui concerne le lieu d’exécution du travail. Comment la nationalité du salarié influence-t-elle la compétence juridictionnelle dans un litige de travail ?L’arrêt souligne que le salarié a la double nationalité turque et britannique, et qu’aucun élément d’extranéité ne permet de rattacher le litige à la France. Cela soulève la question de l’impact de la nationalité sur la compétence juridictionnelle. En principe, la nationalité d’un salarié ne devrait pas affecter la compétence des juridictions, qui doit être déterminée par le lieu d’exécution du travail et les règles de compétence applicables. Cependant, dans ce cas, la cour d’appel a considéré que la nationalité du salarié était un facteur pertinent pour établir l’absence de rattachement du litige à la France. Il est donc crucial d’examiner comment les éléments de nationalité et de résidence peuvent interagir avec les règles de compétence en matière de droit du travail, notamment dans un contexte international. |
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 126 F-D
Pourvoi n° C 23-13.503
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
M. [C] [J], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], a formé le pourvoi n° C 23-13.503 contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la cour d’appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 4] (Turquie),
2°/ à la société Unilever France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk et Unilever France, après débats en l’audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 18 janvier 2023), M. [J] a été engagé par la société turque Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk AS (la société Unilever Turquie) suivant un contrat de travail à compter du 1er mars 1999.
2. Par une lettre d’affectation internationale du 7 mars 2014, il a été affecté à [Localité 5] au sein de la société Unilever France pour une durée de trois ans du 1er mars 2014 au 28 février 2017 pour y exercer les fonctions de directeur financier France. Le 10 juin 2014, M. [J] et la société Unilever France ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée.
3. Par lettres du 1er mars 2017 puis du 9 avril 2018 du conseiller en mobilité global Unilever valant addendum à la lettre d’affectation internationale du 7 mars 2014, l’affectation à [Localité 5] en France a été prolongée à deux reprises jusqu’au 28 février 2018, puis jusqu’au 31 juillet 2018.
4. En l’absence de proposition de réintégration, par lettre du 26 mars 2018, la société Unilever Turquie a rompu le contrat de travail de M. [J] à la date du 31 juillet 2018, avec préavis d’une durée de dix-huit semaines et paiement d’une indemnité de départ forfaitaire.
5. Le 22 octobre 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin qu’il constate que la société Unilever France était son employeur ou, à tout le moins, que les sociétés Unilever France et Unilever Turquie étaient des employeurs conjoints, et qu’il condamne solidairement les sociétés Unilever France et Unilever Turquie au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de diverses indemnités et sommes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. M. [J] fait grief à l’arrêt de déclarer la société Unilever Turquie hors de cause, d’accueillir l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société Unilever Turquie et de le débouter de ses autres demandes, alors « qu’en application des dispositions de l’article 21 du règlement n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis, un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant la juridiction d’un État membre du dernier lieu où le salarié a accompli habituellement son travail ; qu’en l’espèce, en écartant la compétence du conseil de prud’hommes de Nanterre quand il ressortait de ses propres constatations que M. [J] avait du 1er mars 2014 au 31 juillet 2018 travaillé à Rueil-Malmaison avant la rupture du contrat de travail, de sorte qu’il pouvait attraire la société turque devant le conseil de prud’hommes de Nanterre, nonobstant le fait qu’elle n’était pas domiciliée sur le territoire d’un État membre, la cour d’appel a violé les articles 6 § 1 et 21 du règlement n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis. »
Vu l’article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :
7. Selon ce texte, un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, dans un État membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail.
8. Pour accueillir l’exception d’incompétence territoriale, l’arrêt retient d’abord que le salarié invoque l’application de la clause d’attribution de compétence de l’avenant du 12 septembre 2017 en son article 14.3 qui n’est pas applicable dans le cadre de la rupture du contrat de travail avec la société Unilever Turquie.
9. L’arrêt relève ensuite que la société Unilever France n’est pas l’employeur ni le coemployeur du salarié mais l’entreprise d’accueil dans le cadre d’un détachement, que le contrat de travail a été conclu à [Localité 4] en Turquie par le salarié et Unilever Turquie, où l’employeur a son siège social, que le travail a été accompli pendant près de treize années en Turquie et pendant deux périodes de détachement au Royaume-Uni et en France, qu’il s’en déduit que vis-à-vis d’Unilever Turquie, le lieu d’accomplissement de l’essentiel du travail du salarié a été la Turquie et que les règles de compétence territoriale fixées à l’article R. 1412-1 du code du travail étendues à l’ordre international ne sont pas réunies, de sorte que la compétence des juridictions françaises ne peut être fondée sur ces règles.
10. Enfin, l’arrêt retient que le salarié a la double nationalité turque et britannique et qu’aucun élément d’extranéité ne permet de rattacher le litige qui l’oppose à la société Unilever Turquie à la France.
11. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié avait exécuté son contrat de travail à Rueil-Malmaison au sein de la société Unilever France du 7 mars 2014 au 31 juillet 2018, date de la rupture du contrat de travail, en sorte que Rueil-Malmaison était le dernier lieu où le salarié avait accompli habituellement son travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
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