Conflit entre droits de propriété et protection des occupants vulnérables

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Conflit entre droits de propriété et protection des occupants vulnérables

L’Essentiel : Le 29 novembre 2023, le juge a débouté [W] [L] de sa demande d’annulation du congé pour vendre, constatant l’expiration du bail au 30 juillet 2022 et ordonnant son expulsion. [W] [L] a été condamnée à une indemnité d’occupation mensuelle de 709,57 euros, tandis que [J] [S] veuve [V] et les autres devaient verser 7.020 euros pour préjudice de jouissance. Le 7 février 2024, un commandement de quitter les lieux a été signifié à [W] [L], qui a contesté sa validité. Le juge a rejeté cette contestation, soulignant que l’expulsion était fondée sur une décision de justice.

Contexte du litige

Par acte sous seing privé en date du 30 juillet 2010, [J] [V] a donné à bail à [W] [L] et M. [R] un local à usage d’habitation, avec un loyer de 650 euros et une provision de 40 euros. Le 28 janvier 2022, [J] [S] veuve [V] et d’autres membres de la famille ont signifié à [W] [L] un congé pour vendre.

Décision du juge des contentieux de la protection

Le 29 novembre 2023, le juge a débouté [W] [L] de sa demande d’annulation du congé pour vendre, constaté l’expiration du bail au 30 juillet 2022, et ordonné son expulsion. [W] [L] a été condamnée à payer une indemnité d’occupation mensuelle de 709,57 euros, tandis que [J] [S] veuve [V] et les autres ont été condamnés à verser 7.020 euros à [W] [L] pour préjudice de jouissance. Un délai supplémentaire de 3 mois a été accordé à [W] [L] pour quitter les lieux.

Signification du commandement de quitter les lieux

Le 7 février 2024, [J] [S] veuve [V] et les autres ont signifié à [W] [L] un commandement de quitter les lieux. En réponse, [W] [L] a assigné [J] [S] veuve [V] et les autres devant le juge de l’exécution, contestant la validité du commandement en raison de l’appel en cours et demandant un délai de 36 mois pour quitter.

Arguments de [W] [L]

[W] [L] a soutenu sa demande de délais en invoquant sa situation personnelle précaire, son état de santé et ses ressources financières modestes. En revanche, [J] [S] veuve [V] et les autres se sont opposés à cette demande et ont sollicité une indemnité de 2.000 euros.

Analyse juridique

Le juge a rappelé que l’expulsion ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice. Le commandement de quitter les lieux a été signifié à [W] [L] avec un titre exécutoire, et l’appel interjeté n’étant pas suspensif, la demande de nullité a été rejetée. Concernant la demande de délais, le juge a noté que [W] [L] n’avait pas justifié de démarches de relogement et que sa situation ne justifiait pas un nouveau délai.

Conclusion du jugement

Le juge a débouté [W] [L] de ses demandes, l’a condamnée aux dépens, et a ordonné le paiement de 500 euros à [J] [S] veuve [V] et aux autres au titre des frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la nullité du commandement de quitter les lieux

Le commandement de quitter les lieux a été signifié à [W] [L] à la requête de [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V].

Conformément à l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution, il est stipulé que :

« Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux. »

En l’espèce, le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection constitue un titre exécutoire, ayant été régulièrement signifié à [W] [L] le 7 février 2024.

Il est important de noter que l’appel interjeté n’est pas suspensif, ce qui signifie que le commandement de quitter les lieux reste valable et exécutoire.

Ainsi, la demande de nullité du commandement de quitter les lieux a été rejetée, car toutes les conditions légales étaient remplies pour sa validité.

Sur la demande de délais pour quitter

La demande de délais pour quitter les lieux est régie par l’article R412-4 du code des procédures civiles d’exécution, qui précise que :

« À compter de la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux, toute demande de délais formée en application des articles L412-2 à L412-6 est portée devant le juge de l’exécution du lieu de situation de l’immeuble. »

L’article L412-3, alinéa premier, dispose que :

« Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation. »

Dans cette affaire, [W] [L] a demandé un délai supplémentaire pour quitter les lieux, invoquant sa situation personnelle précaire, son âge et son état de santé.

Cependant, le juge a constaté que [W] [L] n’avait pas justifié d’aucune démarche de relogement ni du paiement de l’indemnité d’occupation.

De plus, [J] [V] a des besoins urgents liés à son intégration dans un établissement spécialisé.

Ainsi, le juge a estimé que l’octroi d’un délai supplémentaire porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété des consorts [V].

La demande de délais a donc été rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, il est stipulé que :

« La partie qui succombe dans ses prétentions est condamnée aux dépens. »

Dans cette affaire, [W] [L] a été déboutée de ses demandes, ce qui entraîne sa condamnation aux dépens de la procédure.

De plus, l’article 700 du code de procédure civile prévoit que :

« Le juge peut, dans sa décision, condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. »

Le juge a donc condamné [W] [L] à verser une somme de 500 euros à [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] pour couvrir les frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure.

Ainsi, [W] [L] supportera les dépens et devra également indemniser les consorts [V] pour les frais engagés.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE
JUGE DE L’EXECUTION

DOSSIER : N° RG 24/10313 – N° Portalis DBW3-W-B7I-5H7M
MINUTE N° : 24/

Copie exécutoire délivrée le 19 novembre 2024
à Me BINON
Copie certifiée conforme délivrée le 19 novembre 2024
à Me KHAYAT
Copie aux parties délivrée le 19 novembre 2024

JUGEMENT DU 19 NOVEMBRE 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Madame DESMOULIN, Vice-Présidente,
GREFFIER : Madame KELLER, Greffier

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 24 Octobre 2024 du tribunal judiciaire DE MARSEILLE, tenue par Madame DESMOULIN, Vice-Présidente, juge de l’exécution par délégation du Président du Tribunal Judiciaire de Marseille, assistée de Madame KELLER, Greffier.

L’affaire oppose :

DEMANDERESSE

Madame [W] [L]
née le 25 Février 1942 à [Localité 7] (ALGERIE),
demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Yves-Laurent KHAYAT, avocat au barreau de MARSEILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro C13055-2024-005255 du 04/04/2024 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

DEFENDEURS

Madame [J] [S] veuve [V]
née le 04 Juillet 1932 à [Localité 9] (97),
demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Jean-Pierre BINON de la SELAS BINON-DAVIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
(aide juridictionnelle en cours)

Madame [U] [V] épouse [M]
née le 11 Août 1956 à [Localité 8] (13),
demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître Jean-Pierre BINON de la SELAS BINON-DAVIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [A] [V]
né le 23 Juillet 1969 à [Localité 8] (13),
demeurant [Adresse 5]

représenté par Maître Jean-Pierre BINON de la SELAS BINON-DAVIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [P] [N] épouse [V]
née le 14 Mars 1952 à [Localité 8] (13),
demeurant [Adresse 6]

représentée par Maître Jean-Pierre BINON de la SELAS BINON-DAVIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [O] [V]
née le 18 Juillet 1988 à [Localité 8] (13),
demeurant [Adresse 4]

représentée par Maître Jean-Pierre BINON de la SELAS BINON-DAVIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Al’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré. Le président a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 19 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

NATURE DE LA DECISION : Contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte sous seing privé en date du 30 juillet 2010, [J] [V] a donné à bail à [W] [L] et M. [R] un local à usage d’habitation sis [Adresse 3] moyennant le paiement d’un loyer de 650 euros outre une provision de 40 euros.

Le 28 janvier 2022 [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] ont signifié à [W] [L] un congé pour vendre.

Selon jugement en date du 29 novembre 2023 le juge des contentieux de la protection de Marseille a notamment
– débouté [W] [L] de sa demande d’annulation du congé pour vendre signifié le 28 janvier 2022
– constaté l’expiration du bail à la date du 30 juillet 2022
– ordonné l’expulsion de [W] [L]

– condamné [W] [L] à payer à [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] une indemnité d’occupation mensuelle d’un montant de 709,57 euros
– condamné [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] à payer à [W] [L] la somme de 7.020 euros en réparation du préjudice de jouissance
– accordé à [W] [L] un délai supplémentaire de 3 mois pourquitter les lieux
– condamné [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] aux dépens.

Cette décision a été signifiée le 7 février 2024. Appel a été interjeté.

Selon acte d’huissier en date du 7 février 2024 [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] ont fait signifier à [W] [L] un commandement de quitter les lieux.

Par acte d’huissier en date des 9, 14, 20 août et 11 septembre 2024 [W] [L] a fait assigner [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] à comparaître devant le juge de l’exécution de Marseille en vue de
– juger que le commandement de quitter les lieux est irrecevable compte tenu de l’appel en cours
– subsidiairement octroyer un délai de 36 mois pour quitter les lieux.

Elle a rappelé qu’elle contestait la validité du commandement de quitter les lieux eu égard à l’appel interjeté et fait valoir, au soutien de sa demande de délais, sa situation personnelle précaire, notamment son état de santé et ses ressources financières modestes.

[J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] se sont opposés à la demande et ont sollicité l’allocation de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la nullité du commandement de quitter les lieux :

Aux termes de l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution « Sauf disposition
spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une
décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un
commandement d’avoir à libérer les locaux ».

En l’espèce le commandement de quitter les lieux a été signifié à [W] [L] à la requête de [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] qui étaient bien munis d’un titre exécutoire, à savoir un jugement rendu par le juge des contentieux de la protection, exécutoire par provision, et ayant été régulièrement signifié à [W] [L] le 7 février 2024. L’appel interjeté n’est pas suspensif. La demande de ce chef sera rejetée.

Sur la demande de délais pour quitter :

En vertu de l’article R412-4 du code des procédures civiles d’exécution, à compter de la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux, toute demande de délais formée en application des articles L412-2 à L412-6 est portée devant le juge de l’exécution du lieu de situation de l’immeuble.
L’article L412-3, alinéa premier du code des procédures civiles d’exécution dispose que le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.
L412-4 La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.
Ces dispositions imposent au juge de l’exécution qui apprécie une demande de délais pour quitter les lieux et/ou de paiement de respecter un équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionné.
La situation de [W] [L] telle qu’elle est justifiée est la suivante : elle est âgée de 82 ans, est retraitée. Elle perçoit une retraite du régime général d’un montant de 774,82 euros et une APL d’un montant de 218 euros versée directement à [J] [V]. Elle allégue d’un état de santé défaillant mais n’en justifie pas. Elle ne justifie d’aucune démarche aux fins de relogement ni du paiement de l’indemnité d’occupation mise à sa charge.
[J] [V] est âgée de 91 ans. Le congé pour vendre a été délivré pour permettre à celle-ci d’intégrer un établissement spécialisé dont le coût est important puisque selon son avis d’imposition 2022 ses revenus mensuels s’élèvent à 1.193,58 euros par mois.

[W] [L] a déjà bénéficié d’importants délais de fait. Elle ne fait pas preuve de diligences particulières aux fins de relogement ni de bonne foi. Lui accorder de nouveaux alors que le congé pour vendre lui a été délivré le 28 janvier 2022, soit il y a preque 3 ans, porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété des consorts [V]. La demande de délais sera rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

[W] [L] , succombant, supportera les dépens de la procédure, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

[W] [L] , tenue aux dépens, sera condamnée à payer à [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] une somme, qu’il paraît équitable d’évaluer à 500 euros, au titre des frais irrépétibles qu’il a dû exposer pour la présente procédure.

PAR CES MOTIFS,
Le juge de l’exécution,
Déboute [W] [L] de ses demandes ;
Condamne [W] [L] aux dépens ;
Condamne [W] [L] à payer à [J] [S] veuve [V], [U] [V] épouse [M], [A] [V], [P] [N] épouse [V] et [O] [V] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et le juge de l’exécution a signé avec le greffier ayant reçu la minute.  
Le greffier Le juge de l’exécution

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