Conflit de compétence et obligations contractuelles dans un cadre d’occupation précaire

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Conflit de compétence et obligations contractuelles dans un cadre d’occupation précaire

L’Essentiel : Le 1er avril 2021, l’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France (EPFIF) a conclu une convention d’occupation précaire avec la société Inter Dépannage pour un parking, avec une redevance annuelle de 120 000 €. Suite à des impayés, l’EPFIF a établi un état des lieux le 6 juin 2023 et a délivré une sommation de 216 608,69 € le 19 septembre 2023. Le 13 mai 2024, l’EPFIF a assigné la société devant le tribunal judiciaire de Paris. Le tribunal a rejeté la contestation de compétence et a condamné Inter Dépannage à payer 216 505,49 € avec intérêts, ainsi qu’une indemnité de 1 500 €.

Contexte de l’affaire

Le 1er avril 2021, l’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France (EPFIF) a signé une convention d’occupation précaire avec la société Inter Dépannage pour un ensemble immobilier à usage de parking, moyennant une redevance annuelle de 120 000 €. La société a utilisé ces biens pour des activités de fourrière et de stockage de véhicules non accidentés.

Impayés et sommation

Des redevances sont restées impayées, conduisant l’EPFIF à établir un état des lieux de sortie le 6 juin 2023. Le 19 septembre 2023, une sommation de payer d’un montant de 216 608,69 € a été délivrée à la société Inter Dépannage par huissier.

Procédure judiciaire

Le 13 mai 2024, l’EPFIF a assigné la société Inter Dépannage devant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir le paiement des redevances. Lors de l’audience du 2 décembre 2024, l’EPFIF a demandé au juge des référés de condamner la société à payer la somme de 216 505,49 € avec intérêts, ainsi qu’une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arguments de la société Inter Dépannage

La société Inter Dépannage a contesté la compétence du tribunal, demandant que l’affaire soit renvoyée au tribunal administratif de Pontoise. Elle a également demandé à être déboutée de toutes les demandes de l’EPFIF et a réclamé 5 000 € au titre de l’article 700.

Motivation du tribunal

Le tribunal a rejeté l’exception d’incompétence, considérant que la convention d’occupation précaire était un contrat de droit privé, relevant de la compétence du juge judiciaire. Il a également constaté que l’obligation de paiement des redevances n’était pas sérieusement contestable.

Décision finale

Le tribunal a condamné la société Inter Dépannage à payer à l’EPFIF la somme de 216 505,49 € au titre des redevances, avec intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer. La société a également été condamnée aux dépens et à verser 1 500 € à l’EPFIF au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La décision est exécutoire à titre provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence juridictionnelle applicable dans ce litige ?

La question de la compétence juridictionnelle est soulevée par la société Inter Dépannage, qui soutient que le contrat d’occupation précaire est un contrat administratif, justifiant ainsi la compétence du juge administratif.

Selon l’article 75 du code de procédure civile, « s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée. »

De plus, l’article 81 du même code précise que « lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir. »

Il est également important de noter que, selon la jurisprudence (TC, 7 avril 2014 n° C3949), « sauf disposition législative contraire, lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement industriel et commercial, les contrats conclus pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun. »

Dans ce cas précis, le tribunal a constaté que le terrain appartient à l’EPFIF et que le contrat ne comporte pas de clauses exorbitantes. Par conséquent, la convention d’occupation précaire est considérée comme un contrat de droit privé, relevant de la compétence du juge judiciaire.

Ainsi, l’exception d’incompétence soulevée par la société Inter Dépannage a été rejetée.

Quelles sont les conditions pour accorder une provision en référé ?

La demande de provision formulée par l’EPFIF doit répondre à certaines conditions, notamment l’existence d’une obligation non sérieusement contestable.

L’article 835 du code de procédure civile stipule que « le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent. »

Il est également précisé que « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier. »

Pour accorder une provision, le juge doit d’abord constater l’existence d’une obligation non sérieusement contestable. Cette condition est essentielle et doit être vérifiée à deux niveaux :

1. L’obligation sur laquelle repose la demande de provision ne doit pas être sérieusement contestable.
2. La provision ne peut être accordée que pour le montant non sérieusement contestable de cette obligation.

Dans le cas présent, l’EPFIF a demandé le paiement de 216 505,49 € pour des redevances dues. La société Inter Dépannage a contesté cette demande en affirmant avoir quitté les lieux en juin 2022 et en mentionnant une saisie administrative infructueuse.

Cependant, le tribunal a constaté qu’un état des lieux de sortie a été établi le 6 juin 2023, ce qui a établi la date de libération des lieux. De plus, la saisie administrative n’a pas été efficace.

Ainsi, le tribunal a jugé que l’obligation de la société Inter Dépannage au titre des redevances n’était pas sérieusement contestable, permettant ainsi d’accorder la provision demandée.

Quels sont les articles applicables concernant les intérêts et leur capitalisation ?

La question des intérêts et de leur capitalisation est également soulevée dans le cadre de la décision rendue par le tribunal.

L’article 1231-6 du code civil dispose que « les intérêts échus sont dus à compter de la sommation de payer. » Dans ce cas, les intérêts au taux légal sont dus à compter de la sommation de payer du 19 septembre 2023.

De plus, l’article 1343-2 du code civil précise que « les intérêts échus peuvent être capitalisés. » Cela signifie que les intérêts accumulés peuvent être ajoutés au capital de la créance, augmentant ainsi le montant total dû.

Dans cette affaire, le tribunal a ordonné que la provision soit assortie d’intérêts au taux légal à compter de la date de la sommation de payer, et a également ordonné la capitalisation des intérêts.

Ainsi, les articles du code civil relatifs aux intérêts et à leur capitalisation ont été appliqués pour garantir que l’EPFIF soit correctement indemnisé pour le retard de paiement des redevances.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/53762 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4T2K

N° : 15

Assignation du :
13 Mai 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 06 janvier 2025

par Lucie LETOMBE, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Pascale GARAVEL, Greffier.
DEMANDEUR

L’ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE-DE-FRANCE – EPFIF – Etablissement public à caractère industriel et commercial
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par la SELAS SEBAN & ASSOCIES agissant par Me Claire-marie DUBOIS-SPAENLE, avocat au barreau de PARIS – #P0498

DEFENDERESSE

La S.A.R.L. INTER DEPANNAGE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Me Nicolas SFEZ, avocat au barreau de PARIS – #P0579

DÉBATS

A l’audience du 02 Décembre 2024, tenue publiquement, présidée par Lucie LETOMBE, Juge, assistée de Pascale GARAVEL, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er avril 2021, l’Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) l’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France (EPFIF) a consenti à la société Inter Dépannage une convention d’occupation précaire moyennant une redevance annuelle de 120 000 €, au titre d’un ensemble immobilier situé [Adresse 5] à [Localité 6] composé de deux parcelles de terrain à usage de parking.

La société Inter Dépannage occupait les biens pour exercer des activités de fourrière, dépannage et de stockage de véhicule non accidenté.

Des redevances sont demeurées impayées.

Le 6 juin 2023, un état des lieux de sortie a été établi contradictoirement entre les parties.

Le 19 septembre 2023, l’EPFIF a fait délivrer par huissier à la société Inter Dépannage une sommation de payer la somme de 216 608,69 € au titre des redevances.

Par acte du 13 mai 2024, l’EPFIF a fait assigner la société Inter Dépannage devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référés aux fins de la voir condamner à titre de provision au paiement de redevances.

Par conclusions déposées à l’audience du 2 décembre 2024 et soutenues oralement par son conseil, l’EPFIF demande au juge des référés de :

– débouter la société Inter Dépannage de ses demandes,
– condamner par provision la société Inter Dépannage à lui payer la somme de 216 505,49 € au titre des redevances annuelles, avec intérêts aux taux légal à compter de la sommation de payer du 19 septembre 2023,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– condamner la société Inter Dépannage à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par conclusions déposées à l’audience et soutenues oralement par son conseil, la société Inter Dépannage demande au juge des référés de :
– relever son incompétence au profit du tribunal administratif de Pontoise,
– s’il l’estime nécessaire, adresser une question préjudicielle au juge administratif et surseoir à statuer,
– débouter l’EPFIF de ses demandes,
– condamner l’EPFIF à lui verser la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation, aux écritures déposées et développées oralement à l’audience, et à la note d’audience.

L’affaire a été mise en délibéré au 6 janvier 2025, date de la présente ordonnance.

MOTIVATION

Sur l’exception d’incompétence

En application de l’article 75 du code de procédure civile, s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.

Aux termes de l’article 81 du même code, lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

Sauf disposition législative contraire, lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement industriel et commercial, les contrats conclus pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun ou relevant d’un régime exorbitant du droit commun ainsi que de ceux relatifs à celles de ses activités qui ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique (TC, 7 avril 2014 n° C3949).

Au cas présent, la défenderesse soutient que le contrat conclu le 1er avril 2021 est un contrat administratif, fondant la compétence du juge administratif, en ce que le terrain occupé est la propriété de la commune d’[Localité 6], et a été affecté au service public de mise en fourrière et de gardiennage dont elle a été cessionnaire.

Toutefois, il ressort des pièces produites que :
– le terrain, objet de la convention d’occupation précaire, appartient au demandeur,
– le contrat de convention d’occupation précaire ne comporte pas de clauses exorbitantes du droit commun et les activités en cause ne relèvent pas de prérogatives de puissance publique,
– ledit contrat prévoit expressément qu’il est soumis aux dispositions de l’article L145-5-1 du code de commerce.

En outre, la délégation de service public invoquée par la société Inter Dépannage ne concerne que l’activité de fourrière et de gardiennage qu’elle a exercée, et non la location du terrain litigieux.

Il résulte de ces éléments que la convention d’occupation précaire conclue entre les parties est un contrat de droit privé, relevant de la compétence du juge judiciaire.

Dès lors, l’exception d’incompétence soulevée par la société Inter Dépannage sera rejetée.

Sur la demande de provision

En application de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l’obligation sur laquelle elle repose n’est pas sérieusement contestable et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d’ailleurs correspondre à la totalité de l’obligation.

Cette condition est suffisante et la provision peut être octroyée, quelle que soit l’obligation en cause. La nature de l’obligation sur laquelle est fondée la demande de provision est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle.

Il appartient au demandeur de prouver l’existence de l’obligation, puis au défendeur de démontrer qu’il existe une contestation sérieuse susceptible de faire échec à la demande.

Au cas présent, la demanderesse sollicite le paiement de la somme de 216 505,49 € correspondant aux redevances dues entre le 1er avril 2021 et le 6 juin 2023.

Pour s’y opposer, la défenderesse prétend que :
– elle a quitté les lieux et restitué les clés en juin 2022, de sorte qu’elle n’est plus redevable de redevances à compter de cette date,
– la demanderesse a déjà fait pratiquer sur son compte une saisie administrative à tiers détenteur d’un montant de 174 505,49 €, non déduit de la dette réclamée.

Cependant, il ressort des pièces produites que :
– un état des lieux de sortie a été établi contradictoirement entre les parties le 6 juin 2023, constituant ainsi la date de libération effective des lieux loués,
– la saisie administrative à tiers détenteur d’un montant de 174 505,49 € s’est avérée infructueuse, en raison de la clôture du compte bancaire sur lequel elle devait être pratiquée.

Ainsi, au vu du décompte produit par l’EPFIF, l’obligation de la société Inter Dépannage au titre des redevances n’est pas sérieusement contestable à hauteur de 216 505,49 €, somme provisionnelle au paiement de laquelle il convient de la condamner.

Cette provision sera assortie en application de l’article 1231-6 du code civil des intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 19 septembre 2023.

Les intérêts seront capitalisés, conformément à l’article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes accessoires

La société Inter Dépannage, partie perdante, sera condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Il convient en outre d’allouer à la demanderesse une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du même code d’un montant de 1 500 €.

PAR CES MOTIFS,

Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Rejetons l’exception d’incompétence soulevée par la société Inter Dépannage ;

Condamnons la société Inter Dépannage par provision à payer à l’EPFIF la somme de 216 505,49 € au titre des redevances annuelles, avec intérêts aux taux légal à compter de la sommation de payer du 19 septembre 2023 ;

Ordonnons la capitalisation des intérêts ;

Condamnons la société Inter Dépannage aux dépens ;

Condamnons la société Inter Dépannage à payer à l’EPFIF la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Disons n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Fait à Paris le 06 janvier 2025

Le Greffier, Le Président,

Pascale GARAVEL Lucie LETOMBE


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